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"La maman parfaite, c'est un mythe. La maman parfaite qui a toujours des pansements sur elle, qui fait tous ses petits pots bio…"

Dans leur recueil "Être mère", Julia Kerninon, Victoire de Changy et Louise Browaeys témoignent de leur rapport à la maternité. Pour elles, être mère, c'est ça.
Transcription
00:00Par défaut, j'ai toujours pensé que j'aurais des enfants.
00:02Puis des fois, même dans la vingtaine, j'avais l'impression que mon enfant me manquait.
00:06Parce qu'il y a une vision très romantique des choses, parce qu'en fait, je ne sais pas comment je m'en serais sortie.
00:10Et puis je me disais que ce serait bien d'avoir un enfant autour de 30 ans.
00:13Donc un truc de vraiment grosse reproduction, grosse soumission à ce que la société nous dit aussi, grosso modo.
00:20Mais jamais de regrets.
00:21Je pense qu'une vie sans enfants aurait été merveilleuse.
00:24Et quand j'étais enceinte du premier, je traduisais un livre sur des gens qui ne voulaient pas d'enfants.
00:28Parce que j'ai trouvé une des meilleures écoles, une des meilleures préparations à la grossesse.
00:31Est-ce que vous vous souvenez de quand vous avez voulu avoir un enfant ?
00:37Livre ? Non, je déconne, je déconne.
00:39Moi, c'est assez classique, parce que c'est quelque chose que je n'ai même jamais questionné dans l'autre sens.
00:45C'était assez évident que j'aurais des enfants.
00:47Bon, j'imagine, intrinsèquement, c'est vraiment quelque chose dont j'avais envie.
00:51Par contre, avant de me sentir prête, ça a mis du temps.
00:56Et à partir du moment où j'en ai voulu, où j'étais prête, c'était vraiment un période.
01:00Moi, c'est marrant, ça me fait penser que c'était plutôt...
01:03Enfin, c'était pas du tout réfléchi.
01:04En fait, je crois que si j'avais réfléchi, si j'avais vraiment posé les choses,
01:08il est possible que j'ai décidé de ne pas en faire.
01:13Mais ça a été vraiment pulsionnel.
01:16On n'a pas réfléchi, en fait.
01:17C'était vraiment quelque chose de charnel, sensuel.
01:20Et c'est plutôt une décision de corps et de cœur que de tête.
01:23Est-ce que vous avez ressenti, en tant que femme, la pression sociale d'avoir des enfants ?
01:28Ah, jamais ! On les a eus assez tôt, nos enfants, les filles.
01:30C'est ça, je pense que c'est vraiment une question d'âge.
01:32On les a eus avant de ressentir cette pression sociale.
01:34Ah non, si, énormément.
01:35Moi, tout le temps.
01:36J'ai l'impression, depuis que je suis adolescente, que ça nous travaille.
01:39De façon implicite, avec les comptes de fées qui se terminent toutes de la même façon.
01:44Si, ouais.
01:45Alors, j'ai pas ressenti la pression du fait que, voilà, tu peux arriver à la quarantaine,
01:48et alors, les enfants...
01:49Par contre, dès que j'ai eu le premier, on m'a demandé quand le deuxième arriverait.
01:52Et je sens, globalement, une pression énorme.
01:55Ça va avec la pression sociale.
01:57C'est tellement un truc qu'on nous brandit comme une réussite pour une femme,
02:02d'être mère, d'avoir un enfant, et d'être une mère parfaite,
02:06que, du coup, t'as envie d'y arriver toute seule.
02:08T'as pas du tout envie d'y arriver parce que les autres femmes t'ont aidée.
02:11Julia, vous avez abordé un point dont on parle beaucoup sur les réseaux,
02:16c'est les mamans parfaites.
02:18C'est quoi la maman parfaite ? Est-ce que c'est pas un mythe ?
02:21Bien sûr.
02:21C'est un mythe.
02:22Mais en fait, il y en a de plusieurs catégories.
02:24J'ai pensé à ça il n'y a pas longtemps.
02:25C'est-à-dire que, celle que j'ai identifiée pour l'instant,
02:27t'as la maman parfaite qui a toujours des petits pansements sur elle,
02:32qui fait tous ses petits pots bio, qui a lu tous les livres,
02:35qui a les super jeux, tout comme il faut, d'accord ?
02:38Ça, c'est un format de maman parfaite.
02:40Et c'est presque celui qu'on imagine le plus et dont on pourrait rigoler.
02:44Mais il y a l'autre genre de maman parfaite,
02:45et moi, je crois que j'avais plutôt visé celui-là,
02:47c'est la maman cool.
02:48C'est la maman qui va pas faire chier les autres avec son enfant,
02:51qui va continuer à boire l'apéro, et puis qui va...
02:54La désinvolte.
02:55Mais effectivement, la désinvolture, c'est aussi quelque chose
02:58auquel moi, personnellement, je peux beaucoup me comparer,
03:00en me disant, mais comment ils font pour avoir l'air si tranquille ?
03:03Alors moi, je me dis toujours que ça cache quelque chose.
03:05Je crois qu'on est tous des êtres d'ombre et de lumière.
03:07Et je me dis, les mamans qui s'affichent comme ça,
03:10très parfaites, comme vous venez de les décrire,
03:12je me dis, ça cache vraiment quelque chose.
03:13Où est la violence ? Où est le défouloir ?
03:15Donc moi, je préfère être moins parfaite à cet endroit-là
03:17et me défouler un peu moins violemment.
03:19Aux Etats-Unis, il y a des cas comme ça.
03:21Je crois qu'il y a deux cas.
03:22En ce moment, il y a un procès d'une maman youtubeuse
03:24qui était vraiment...
03:26L'influenceuse horrible.
03:27L'influenceuse maman, quoi.
03:28Vraiment, conseil sur la maternité, sur la parentalité, etc.
03:32Et qui s'est fait condamner pour mauvais traitement
03:35et maltraitance sur ses enfants.
03:36Eh ben, ça m'étonne pas du tout.
03:37Enfin, mais méga mauvais traitement.
03:38Le gamin est sorti en slip, affamé, d'une grange.
03:40Enfin, c'est pas...
03:41Ça m'étonne pas du tout.
03:42Je crois que c'était pas bio, quoi.
03:43On a tous la violence en nous.
03:45C'est notre condition.
03:46Donc, si c'est très, très propre à un endroit,
03:49ça va être très, très sale à un autre.
03:50Mais est-ce que vous ressentez quand même l'injonction
03:53à être une super-maman, une mère parfaite ?
03:56Moi, je ressens aucune injonction par rapport à la société.
03:59Je suis protégée un peu naturellement.
04:02Mais par contre, ça, c'est à mon enfant.
04:03Bien sûr, là, je doute.
04:05Est-ce que j'ai bien fait ci ?
04:06Est-ce que j'ai pas fait ça ?
04:07Est-ce que j'aurais dû être un peu plus comme ci ?
04:10Ça, l'injonction de ton propre enfant,
04:12tu le subis, évidemment.
04:14Mon avis dit la condition de la mère, c'est la culpabilité.
04:17Donc, c'est ce que tu dis.
04:18Si je choisis rouge, c'est pas bien.
04:19Si je choisis noir, c'est pas bien.
04:21Si je choisis jaune, c'est pas bien.
04:22Je trouve, moi, que c'était plus fort avec les bébés.
04:25Quand tes gamins, ils sont plus grands,
04:26les gens arrêtent de te fixer en permanence.
04:29C'est comme si t'avais fini par avoir des galons.
04:31Tout le monde se doute que si tu l'as maintenu en vie
04:32jusqu'à cet âge-là, ça doit aller, quoi.
04:34Il y a un sujet que j'aimerais beaucoup aborder,
04:35c'est les inégalités hommes-femmes
04:37et la vision qu'a la société du rôle de la mère
04:40et du rôle du père.
04:41En fait, c'est en train de fondamentalement changer
04:43parce que c'est quand même quelque chose qu'on questionne.
04:45Après, pas tous les hommes, loin s'en faut, malheureusement, je crois.
04:49Personnellement, je suis, je pense,
04:51avec la déconstruction personnifiée.
04:53Donc, on en parle tout le temps, tout le temps.
04:56Malgré tout, on n'est pas sur un pied d'égalité
04:59parce que, déjà, on est profondément élevés,
05:03moi comme une fille, lui comme un garçon.
05:05Mais il y a des automatismes chez moi qui n'existent pas chez lui.
05:08Moi, j'ai mis longtemps à comprendre ça,
05:09alors que peut-être c'est évident,
05:11c'est que cette question de la répartition
05:14des rôles, des tâches, de la charge, pour le dire simplement,
05:17et aussi de la charge symbolique,
05:18c'est pas un truc qu'on va dealer uniquement avec son partenaire.
05:21C'est un truc qui dépasse le couple qu'on a
05:24et qui se joue à un niveau sociétal.
05:26La façon dont la société est construite
05:28pour que ça soit à nous, les filles, de le faire,
05:30la façon dont tous les papiers qu'on reçoit...
05:32En fait, tu peux très bien faire un enfant à une fille,
05:33quand t'es un garçon,
05:34et te réveiller le jour de l'accouchement.
05:36Tu vas recevoir rien, tu vas rien avoir par la poste,
05:38tu vas pas être obligé d'aller faire le moindre examen,
05:40tu te fais livrer un bébé gratos.
05:43Et ensuite, la société te dit, ton bébé est né,
05:46tu peux retourner au taf dans 15 jours, il n'y a pas de problème.
05:48Et en fait, comme c'est construit comme ça,
05:50il faut beaucoup de vigilance, d'amour, d'envie de collaborer
05:54pour que ça puisse se construire autrement.
05:55Il y a quand même un fonctionnement cérébral féminin,
05:58il y a un fonctionnement cérébral masculin,
06:00je ne sais pas si ce serait progressiste de dire ça,
06:02mais par exemple, l'anticipation,
06:04c'est quand même quelque chose d'un fonctionnement féminin.
06:07C'est comme ça en fait, voire plus loin, par étapes.
06:11Tiens, il est l'heure du dîner.
06:13Oui, c'est quelque chose à manger.
06:15Est-ce qu'il aurait pas fallu préparer un truc il y a genre une heure ?
06:17Ce qui va causer des déséquilibres dans un couple,
06:20hétérosexuel en tout cas,
06:21ça ne va pas être que la femme s'est plus attachée au bébé
06:25parce qu'elle a plus d'hormones.
06:26Ça va être qu'effectivement, à cause de la façon dont on est éduquée,
06:29qui est différente, et la construction de notre cerveau, sans doute,
06:32en fait, on a tous ces réflexes-là.
06:34On achète les trucs du bébé en avance,
06:36on prépare la bouffe, on prépare les vacances,
06:38on budgétise, et c'est ça qui nous met dedans.
06:40C'est pas qu'on a plus...
06:42Parce que nos mecs, ils ont été vachement émus par leur bébé.
06:45Mais ça, on n'a pas fait des mères de famille.
06:47C'est pas pareil.
06:48Comme c'est difficile cette histoire de répartition des tâches
06:50et que par défaut, tout est fait pour que ça tombe sur nous,
06:52c'est pas mal de détacher certains postes
06:54qui sont extrêmement lisibles et de dire,
06:56ça, c'est toi.
06:57Donc, t'y vas si l'autre ne peut vraiment pas,
06:59c'est une urgence, tu ne vas pas laisser ton enfant en douleur,
07:01évidemment, mais en même temps, tu spécialises ton partenaire
07:04dans quelque chose.
07:05Dès le premier enfant, je crois, on a décidé que c'était lui
07:07exclusivement qui irait chez le médecin.
07:09Pédiatre, pareil, moi.
07:10Ouais, c'est ça.
07:11Je ne l'ai jamais vu.
07:12C'est comme si j'avais compris que j'étais une femme,
07:14une fille, que quand on a eu un enfant.
07:16On a le même âge, on a le même niveau d'études,
07:20on est le même genre de personnes, lui et moi.
07:22On a le même tourne-poitrine.
07:23Non, ça, c'est vrai que...
07:25Mais c'est quand on a eu un enfant que tout d'un coup,
07:28hop, alors vous, ça va être par là, monsieur,
07:30et vous, ça va être par là.
07:31Et du coup, moi, ça m'a mise extrêmement en colère
07:36et ça m'a donné des...
07:37Pas contre lui, mais contre cette situation.
07:39Je me sentais extrêmement enfermée et ça m'a forcé
07:42à redéfinir mes capacités, mes ambitions,
07:46la liberté que je voulais avoir, à dire ma limite,
07:48elle va être ici.
07:49On a des vies à vivre.
07:50Cette histoire qu'on va devenir une maman et que du coup,
07:54tout le reste de nous va fondre à l'intérieur
07:56et que rien ne va nous intéresser davantage,
07:58pourquoi pas ?
08:00Mais on a aussi le droit de continuer à avoir notre vie,
08:03pas la même qu'avant, mais l'ambition d'une vie.

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