• l’année dernière
"Il n'y a pas que le français standard, parisien ou académique qui existe."

Vé, fada, peuchère, minot… Rien qu'en lisant ces mots, on peut les entendre chanter et surtout on sait d'où ils viennent. Le parler marseillais dépasse aujourd'hui largement les frontières de Marseille, alors on a voulu comprendre comment il s'est créé. Le linguiste Médéric Gasquet-Cyrus nous raconte.
À l’occasion de l’arrivée de la flamme olympique à Marseille ce 8 mai, Brut consacre une semaine spéciale à cette ville.

Category

🗞
News
Transcription
00:00Vivre, fada, de longues, peu chères, minots,
00:02tout le monde, plus ou moins, les emplois.
00:04Tarping, il est employé par à peu près tout le monde maintenant,
00:06enfin en tout cas, surtout les plus jeunes.
00:08Le marseillais, c'est du français,
00:09mais du français parlé à Marseille.
00:11C'est-à-dire que c'est la langue française,
00:13et il n'y a pas que le français standard
00:15ou parisien ou académique qui existe.
00:16C'est du français qui est parlé au départ
00:18par des gens qui parlaient provençal, qui étaient bilingues,
00:20parce qu'au XIXe siècle, beaucoup de gens parlaient encore provençal.
00:23Et donc, ils se sont mis à parler français,
00:24mais en gardant les mots provençaux,
00:26ou en mettant l'accent provençal sur du français.
00:29Donc, ça a donné cette variété de français très provençalisée.
00:32Ensuite, il y a des Italiens qui sont arrivés très nombreux autour de 1900.
00:35Donc, ils ont apporté des mots italiens, des intonations.
00:38Donc, ça a renforcé ce côté latin, en fait, méridional.
00:41Et puis ensuite, un peu plus tard, il y a eu des apports,
00:43alors via les Chinois, via la Paphorie d'Afrique du Nord,
00:46via les Maghrébins qui sont arrivés dans les années 70,
00:48et maintenant, un peu, le gitan, le faumourien.
00:51Donc voilà, les vagues migratoires apportent parfois
00:53un petit peu des mots, des expressions, des intonations.
00:55Au sens technique du terme, c'est un dialèle,
00:57c'est-à-dire, c'est une variété de français.
00:58Il y a en plus, donc, il y a un accent,
01:00c'est-à-dire qu'il y a une façon de faire une mélodie,
01:03de produire une intonation.
01:04En fait, il y a même des accents marseillais,
01:05selon les quartiers, selon les milieux sociaux, les générations.
01:07Donc, c'est plus complexe que ça.
01:09L'accent marseillais, c'est un élément important
01:12parce qu'effectivement, il fait sonner de façon particulière la langue française.
01:16Alors, notamment sur les voyelles nasales,
01:17le un bon, l'un blanc, comme on dit, là, vous avez les quatre.
01:20Et les E qu'on prononce de manière assez ostentatoire,
01:24on ne dit pas le petit cheval sur la pelouse,
01:28on dit le petit cheval sur la pelouse.
01:29Le R aussi, souvent les jeunes, ils vont dire la mer,
01:32on ne va pas dire la merde.
01:34Et plein d'autres petits phénomènes comme ça,
01:35qui font que cette musique, en fait,
01:38circule selon les générations, avec des intonations différentes,
01:41des modulations différentes.
01:42Le rap a permis de mettre en lumière le marseillais ?
01:45Le rap, il a mis un sacré coup de projecteur sur le marseillais,
01:48qui était déjà très fort parce qu'il y avait déjà IAM depuis longtemps,
01:52puis des vacillations de système et plein de groupes comme ça,
01:54qui chantaient en marseillais.
01:55Il y a du cinéma en marseillais, de la littérature en marseillais,
01:57de la création en marseillais, mais le rap marseillais,
02:00avec l'impact qu'il a, avec l'impact de Jul,
02:02effectivement, ça devient quelque chose d'universel.
02:04L'OVNI, c'est Jul, mais là, on est parti sur une autre galaxie
02:07avec le marseillais.
02:08Est-ce qu'on peut dire que le marseillais influence le rap
02:10ou c'est le rap qui influence le marseillais ?
02:13Ah, le rap marseillais, oui.
02:15Alors, le rap marseillais influence le marseillais et même le français
02:18parce qu'en fait, tout le monde connaît maintenant la gâtée.
02:20Ah oui, ma gâtée !
02:21Tout le monde dit que c'est Marseille bébé, mais un peu trop.
02:23C'est-à-dire qu'à Marseille, on est en train de moins l'utiliser
02:25parce que c'est tellement repris partout.
02:28Mais les rappeurs vont aussi puiser dans ce que disent les jeunes,
02:32alors que ce soit leur milieu ou pas.
02:34Parce qu'on va retrouver, par exemple, chez Jul ou SCH,
02:36des mots comoriens, alors qu'ils ne sont pas d'origine comorienne,
02:38mais comme ce sont des mots qui circulent
02:40dans les quartiers populaires de Marseille,
02:41le rap va faire remonter ces mots.
02:43Et du coup, des jeunes qui sont de quartiers moins populaires,
02:45de quartiers bourgeois, vont reprendre des mots
02:48pour faire marseiller ou pour se sentir marseillais
02:49ou parce qu'ils aiment le rap marseillais tout simplement
02:51et que ça va faire partie ensuite de leur vocabulaire.
02:53Et c'est pareil pour quelques mots arabes notamment ou gitans
02:55qui vont passer comme ça.
02:56Donc, il y a une circularité, en fait, entre...
02:58Plus on écoute du rap, plus on va parler marseillais,
02:59plus on parle marseillais,
03:00puis il y aura du marseillais dans le rap marseillais.
03:02Donc, on ne sait pas où ça va s'arrêter, en fait.
03:03Est-ce qu'on peut dire que le marseillais fait partie
03:06du patrimoine culturel français ?
03:08Alors, le marseillais fait partie du patrimoine culturel français.
03:10J'allais dire même que c'est le patrimoine le plus important,
03:12mais je serais chauvé en disant ça.
03:13Donc, je ne vais pas le dire.
03:14Mais effectivement, c'est l'une des variétés des français
03:17les plus développées au sens où il y a beaucoup d'œuvres
03:21qui sont en marseillais.
03:23C'est important dans la chanson, dans la publicité,
03:25dans l'économie, dans la rue, on l'entend.
03:28Mais aussi, c'est quelque chose qui est vraiment très...
03:32Je ne vais pas dire identitaire parce que ce n'est pas
03:33un truc identitaire dans le sens où on est les meilleurs.
03:35Mais quand on vient à Marseille, il y a cette variété de français
03:38qui est incontournable.
03:39Je dirais, c'est comme le français québécois,
03:41peut-être à Toulouse, il y a un peu l'équivalent.
03:43Alors qu'ailleurs, c'est d'autres langues qui prennent le pas.
03:45Le Corse, le Breton, l'Alsacien sont encore très forts.
03:48Et ici, c'est le français parlé à Marseille
03:50qui devient la froquitité de tous.
03:52C'est plutôt le bien commun.
03:53Et chacun peut y mettre, s'il veut, un peu de mots de son coin.
03:56Et ça devient une belle soupe.
03:58Non pas d'aise, mais une soupe agréable à manger.

Recommandations