Category
🗞
NewsTranscription
00:00Vous écoutez Culture Média sur Europe 1 9h30 11h avec Thomas Hill et ce matin Thomas vous recevez Sylvain Tesson pour Notre-Dame, Reine de douleur, Reine de victoire, c'est au Théâtre Poche-Montparnasse à Paris.
00:11Et on va dresser votre portrait sonore, Sylvain Tesson, des petits sons pour mieux vous connaître. Voici le premier.
00:16Björk, chanteuse islandaise, parce que votre découverte du voyage par vos propres moyens, c'était d'abord la traversée du désert central d'Islande à vélo, vous aviez 17 ans, et je crois que vous avez accumulé les erreurs à l'époque.
00:40Oui, c'était un voyage de jeunesse, c'était les débuts, mais c'est par ce genre de voyage que j'ai compris que je voulais vouer ma vie à cela, c'est-à-dire au mouvement, à l'effort, et à la certitude que l'inspiration littéraire venait de là, de l'effort et du mouvement, du voyage.
01:01Parce que je ne suis pas un écrivain de l'imagination, j'ai besoin de me frotter à la route et au réel pour pouvoir avoir des choses à dire.
01:07Et qu'est-ce que vous avez fait comme erreur à l'époque ?
01:09Quand on a 17 ans et qu'on part à bicyclette, on part beaucoup trop lourd, on emporte sa bibliothèque dans ses sacoches, et puis on s'aperçoit qu'en fait le véritable allié de la liberté, c'est la légèreté.
01:25Ne pas s'attarder, toujours être prêt à partir, c'est Montaigne qui dit dans ses essais une phrase géniale qui ensuite m'a beaucoup inspiré, il dit il faut vivre toujours beauté, beauté avec ses bottes, et prêt à partir.
01:37Voilà, ne jamais s'attarder, alors pour ne pas s'attarder il faut être léger, il ne faut rien posséder, il faut toujours partir, être prêt à prendre la clé des champs, et ça évidemment je ne l'avais pas compris moi à 17 ans,
01:47je partais dans le désert d'Islande comme les duponts dans les planches de Tintin et Milou qui partent équipés de matériel extravagant.
01:57Oui, ça veut dire aussi n'avoir aucune attache, et ça c'est pas forcément très évident.
02:02Ça veut dire n'avoir aucune menotte, ce qui n'est pas tout à fait pareil, ça dépend ce que vous entendez par attache, il y a des liens qui sont uniquement spirituels, intérieurs, amicaux, affectifs, familiaux, linguistiques, culturels, ça ce sont des liens intangibles, j'en ai beaucoup, je suis relié.
02:21Oui, ça vous les emmenez avec vous.
02:22Moi ça je les emmène dans ma boîte en os, qui s'appelle un crâne d'ailleurs, le mien il serait déformé parce qu'après je suis tombé sur la tête, mais ça ce sont les liens immatériels que j'emporte.
02:31Mais les attaches, si vous parlez des attaches qui vous relient, c'est-à-dire le bloc de ciment, ça j'essaie de ne pas trop en avoir, c'est le problème du voyageur permanent.
02:44Mes seules attaches ce sont les livres que j'ai écrits qui sont sur une bibliothèque et qui eux aussi tiennent dans une petite musette.
02:52Et alors vous avez accumulé des expériences, des voyages, des aventures pour un jour, vivre Sylvain Tesson une expérience absolument unique.
02:59Seul au bout de la nuit, c'est ce que vous avez vécu pendant six mois.
03:13Vous vous êtes enfermé dans une cabane en pleine taïga sibérienne de février à juillet 2010.
03:19Vous avez raconté cette expérience d'ermite extrême dans votre livre excellent dans les forêts de Sibérie.
03:24Et il paraît que le plus dur c'était de vous supporter.
03:27Oui de se supporter soi-même, c'est le grand problème de tous les êtres humains, c'est très banal ce que je vivais là.
03:34Je crois que finalement cette période absurde que l'on vit sur cette planète consiste à essayer d'échapper à soi-même et à la confrontation avec soi-même.
03:44On peut avoir vite peur du vide quand on est face à soi-même.
03:48Alors qu'est-ce qu'on fait ? On s'entoure d'amis, de divertissements, de variétés d'expériences.
03:57Alors moi tout d'un coup je me retrouve dans une cabane relativement seule parce que j'avais quand même des voisins.
04:03Il y avait un couple de garde de chasse qui était à 60 km de ma position et un garde forestier qui était à 20 km au nord.
04:13Il passait de temps en temps ?
04:15On se visitait de temps en temps, c'était d'ailleurs des rencontres très agréables parce qu'on savait qu'elles étaient éphémères et rares.
04:22Vous arriviez à vous parler ?
04:24J'arrivais à leur parler, oui, de temps en temps.
04:26Et puis sinon j'avais mes livres, j'avais la contemplation du lac.
04:31Il y avait ce paysage incroyablement beau du lac Baïkal avec la rencontre de la montagne, de la lumière et de la glace.
04:38Et donc finalement les six mois ont passé assez vite, j'ai pu échapper à moi-même malgré ces confrontations permanentes.
04:45Et alors votre solitude elle a été aussi rompue grâce à deux chiens qu'on vous a offerts et en les quittant vous écrivez
04:51« Je ne savais pas que la fourrure des chiens absorbait si bien les larmes ».
04:55Elle est très belle cette phrase.
04:56Extrait suivant.
04:58J'étais tombé du rebord de la nuit.
05:00J'étais écrasé sur la terre.
05:03Il avait suffi de huit mètres pour me briser les côtes, les vertèbres, le crâne.
05:09Quand j'étais dans un lit, je m'étais dit à voix presque haute.
05:14Si je m'en sors, je traverse la France à pied.
05:19Si je réussissais ma traversée, j'obtiendrais réparation.
05:23Parce qu'à force de grimper partout, la chute est arrivée.
05:26Le 20 août 2014, vous tombez Silvain Tesson du toit d'une maison à Chamonix.
05:30Une chute de dix mètres qui aurait pu vous être fatale.
05:33Vous avez passé trois mois corseté dans un lit d'hôpital.
05:36On vous parle de rééducation mais vous, vous n'aviez pas très envie d'aller dans une salle de sport.
05:40Donc c'est là où Notre-Dame a été une fois de plus utile puisque vous avez décidé de grimper ses marches tous les jours.
05:45Oui, en sortant de l'hôpital, il fallait absolument que je récupère la musculature.
05:51Parce qu'après cinq mois d'hôpital, j'étais un squelette.
05:53J'étais tombé à 49 kilos.
05:55Et pour reprendre le poids, il fallait que je fasse la réadaptation, rééducation.
06:00Et comme j'habite à 100 mètres de Notre-Dame, je suis monté dans les tours par la visite touristique officielle.
06:08C'est-à-dire qu'on monte par la tour Nord, on traverse la baie au-dessus de la Rosace et on finit de monter par la tour Sud.
06:14Je pense que ce parcours va être à nouveau ouvert maintenant que la cathédrale est rendue à la visite.
06:20Et ça a été pour moi extraordinaire.
06:22C'était à la fois très symbolique de revenir dans le cœur de Notre-Dame que j'avais tant aimé quand j'étais enfant.
06:28Et puis j'ai senti les forces de la cathédrale être réinsuifflées en moi.
06:34J'ai trouvé là que la bonne Dame, que Notre-Dame avait le cœur très large.
06:40Parce qu'elle accueillait à nouveau l'ancien étudiant qui faisait ses imbécilités sur les gargouilles 30 ans avant.
06:47J'étais réaccueilli à l'intérieur du corps de la cathédrale.
06:52Et je trouvais que c'était là le miracle chrétien du pardon.
06:55Là on vient d'entendre la voix de Jean Dujardin dans le film Sur les chemins noirs qui était adapté de votre livre.
07:01Et moi je me souviens que dans ce livre vous en prenez notamment à la laideur de la France à certains endroits.
07:06Notamment aux zones d'activité commerciales qui entourent les villes.
07:09Et c'est vrai que là on est très très loin de l'esthétique gothique.
07:13C'est-à-dire qu'après Notre-Dame, pour parachever cette rééducation, j'ai traversé la France à pied du mer Cantour au Cotentin.
07:21En essayant, parce que j'étais dans des dispositions morales très sombres, comme souvent après un accident grave.
07:27Et j'ai voulu traverser la France par des chemins dissimulés, ce que j'ai appelé les chemins noirs.
07:33Qui étaient une manière de revenir à soi-même et puis de s'interroger.
07:37Et c'est vrai que la France est probablement l'un des petits capes européens qui compte les paysages les plus splendides et les plus variés.
07:49Mais mon Dieu, comme les dernières décennies ont œuvré pour saccager ce paysage, c'est incroyable.
07:56Ce que j'appelle les ZAC, les ZUP.
07:58Vous savez, Flaubert avait fait une traversée de la France et il avait appelé ça par les grèves et par les champs.
08:02Aujourd'hui, si on faisait ce voyage, il faudrait l'appeler par les ZUP et par les ZAC.
08:06C'est-à-dire par tout ce travail d'installation de l'industrie et des zones commerciales sur le pays français,
08:14qui a beaucoup ravagé esthétiquement le paysage.
08:17Je ne sais pas que j'ai réfléchi à tout ça, je l'ai simplement décrit et constaté dans ce livre.
08:22Très joliment.
08:23Sur les chemins noirs, restez avec nous, Sylvain Tesson. Dans un instant, on va parler série avec Héloïse Gouin.
08:28A tout de suite sur Europe 1.