Yahia Hakoum est chercheur à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) à Paris.
En 2012, il fait partie des premiers jeunes à se révolter contre le régime de Bachar al-Assad en Syrie.
Il va être emprisonné et torturé. Quelques mois plus tard, il fuit son pays et se réfugie en Belgique.
Dans cette vidéo, il nous expose les grands défis auxquels la société syrienne va devoir faire face et nous raconte comment les gens ressentent la chute du régime.
En 2012, il fait partie des premiers jeunes à se révolter contre le régime de Bachar al-Assad en Syrie.
Il va être emprisonné et torturé. Quelques mois plus tard, il fuit son pays et se réfugie en Belgique.
Dans cette vidéo, il nous expose les grands défis auxquels la société syrienne va devoir faire face et nous raconte comment les gens ressentent la chute du régime.
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00:00La justice va être un chemin très long parce qu'il n'y a pas que Assad.
00:03On va faire des listes comme les listes qu'on a faites contre les nazis
00:06et on commence à les chercher.
00:07Tous les chefs de services de renseignement, tous les chefs de l'armée,
00:09les ministres, les chefs de milices sont maintenant dans la nature.
00:11Les gens ont besoin de temps de respirer,
00:14ont besoin de temps de juste vivre l'euphorie de fin de cette période de l'Assadisme
00:20et cette période de l'éternel.
00:21Assad s'est projeté pour éternellement.
00:23Il y avait toute une logique qui était construite.
00:25Tout le monde est conscient qu'en fait les prochains mois vont être très durs.
00:27Ce que les gens disent, on a vécu 13 ans, on peut supporter quelques mois.
00:31Les gens, je crois, pour le moment, ils sont conscients que la Syrie est des terroristes
00:34et ça va prendre du temps pour que tout le monde retrouve sa place,
00:38retrouve à manger, l'électricité va revenir, l'eau, le gaz.
00:41Donc les gens ne sont pas très dans les détails.
00:43Ce qu'on montre aujourd'hui, comme je le rappelle, il y a trois ou quatre grands groupes.
00:47Donc on a Haït Tahrir al-Sham, HTS, on a Harar al-Sham,
00:51on a Nour al-Din al-Zinki et on a l'armée nationale de libération.
00:55Haït Tahrir al-Sham, ce qui est intéressant, c'est le discours qu'ils mènent aujourd'hui.
00:58Pour le moment, les gens en Syrie en ont bonne image.
01:00Dans la communication, ils ont un discours national,
01:04un discours qui dit que Haït Tahrir al-Sham était un outil,
01:07si c'est nécessaire, on peut le dissoudre.
01:09Ça, c'est le discours.
01:10Donc aujourd'hui, les gens attendent voir l'acte,
01:13parce que le discours est beau, mais on veut voir l'acte.
01:15Les Syriens ne sont pas naïfs comme on essaie de le présenter ici.
01:19Ça veut dire que les Syriens sont conscients que Jawlani ne vient pas de Harvard.
01:22Jawlani est l'enfant de l'organisation de l'al-Qaïda,
01:26mais au fur et à mesure, il a fait un chemin vers les Syriens.
01:28C'est un chemin, on ne va pas dire que Jawlani a changé sa mentalité,
01:32mais il est devenu pragmatique.
01:33Au départ, Jawlani a réagi en tant que djihadiste,
01:36après en tant que chef d'un groupe armé, salafiste, djihadiste,
01:40qui s'est détaché de l'al-Qaïda à partir de 2018.
01:42Il a installé un gouvernement, le gouvernement de salut,
01:45et à partir de ce moment-là, Jawlani a fait des violations des droits de l'homme,
01:49a fait disparaître des journalistes,
01:51il y avait des arrestations, donc les gens sont conscients de ça.
01:54Le plus grand challenge, on va dire, qui va toucher à la Syrie, il y en a plusieurs.
01:57Le challenge qui va être le plus important,
01:59c'est est-ce qu'on va passer à ce que la révolution a réclamé, un pays démocratique ?
02:03Moi, ce qui me fait peur,
02:05c'est que Jawlani, avec sa coalition de groupe armé,
02:08est en train de mettre la main sur le pays pendant que les gens fêtent le chiffre d'Assad.
02:12D'un côté, ça stabilise, mais de l'autre côté, ça veut dire,
02:15est-ce qu'on va passer à une transition ?
02:17Est-ce que cette période va être transitionnelle pour six mois, un an ?
02:20Ou on va se trouver, dans quelques mois, à se révolter à nouveau
02:23pour dire « dégage Jawlani » et on rentre dans une bain de sang ?
02:26Je crois que maintenant, les initiatives locales vont jouer un rôle très important.
02:31Moi, je fais confiance à cette organisation locale qui veut basculer Jawlani.
02:35Le challenge de sécurité, comment on va re-coordonner les zones de contrôle ?
02:39Ça veut dire, on avait les zones de contrôle où il y a la Kurde,
02:42il y a le nord de la Syrie où il y a le gouvernement de transition,
02:45il y a l'Ibde où il y a le gouvernement de salut,
02:46et il y a la zone du régime Assad,
02:48et il y a le suédois qui est plus ou moins indépendant.
02:50Donc, ces zones ont des fonctionnements différents.
02:53Surtout, même, ils ont des monnaies différentes.
02:55On a des compositions administratives et on a des pouvoirs.
02:58Ça veut dire qu'on a des gouvernements et on a des groupes armés.
03:01À l'est, il y a la SDF, au nord, il y a l'armée nationale,
03:04à Idlib, on a HTS et maintenant l'Europel,
03:06à Suida, tout seul, il y a 20 groupes militaires.
03:08Donc, on a cette situation.
03:10Ça, ça va être le plus grand challenge.
03:12Aussi, ce qui se passe aujourd'hui, c'est comment on va faire avec l'armée de régime,
03:16qui a combattu, quand même, pendant 13 ans, en massacrant des Syriens.
03:19Donc, ça, c'est une question à voir,
03:21parce que les Syriens ne vont pas accepter juste un amnesty général.
03:23Ceux qui ont perdu leurs enfants dans les prisons,
03:25ils ne vont pas accepter.
03:26Ceux qui s'étaient bombardés, tués, on ne va pas accepter ça.
03:28Deuxièmement, il y a la question des disparus et des prisonniers.
03:31Les prisons, elles sont vides, mais maintenant, on remarque,
03:33aujourd'hui, plein de gens déclarent leurs enfants disparus depuis 2011-2012
03:38et qu'ils n'ont jamais dit.
03:39Là, tout le monde se mobilise pour aller chercher leurs enfants.
03:41Donc, ça va être un challenge.
03:42Il y a le challenge économique,
03:43c'est-à-dire comment on va voir la différence de vie.
03:46Au nord de la Syrie, les gens qui travaillent comme volontaires
03:50avec la défense civile ont un salaire de 200 dollars.
03:52Un fonctionnaire de régime Assad a un salaire de 20 dollars.
03:55Aussi, ce qui est important, c'est comment on va intégrer les Syriens,
03:58déplacés et réfugiés.
03:59Ce qui peut être un challenge, c'est ce symptôme de victime vainqueur.
04:03Et de l'autre côté, c'est le symptôme de complice vaincu.
04:06Ce qui peut entraîner aussi des vagues de vengeance,
04:09parce que les massacres qui s'étaient faits au niveau local,
04:11par exemple dans le sud de Syrie ou ailleurs,
04:13ont été faits par des gens de même région.
04:15Ces gens voulaient montrer à Assad qu'ils étaient très loyaux,
04:18donc ils ont quand même commis des crimes.
04:20Ça peut entraîner des vengeances
04:23s'il n'y a pas de transition et de justice.
04:25Assad a déjà été recherché par la justice en France
04:28et condamné en France.
04:29Donc, l'étape suivante, c'est que la Syrie signe le protocole de Rome
04:33et que la Syrie fait partie du court tribunal international.
04:36Et à partir de ce moment-là,
04:38Assad sera jugé pour ses crimes de guerre et contre l'humanité.
04:41Mais la justice, ça va être un chemin très long,
04:44parce qu'il n'y a pas que Assad.
04:45On va faire peut-être des listes,
04:46comme les listes qu'on a faites contre les nazis,
04:48et on commence à les chercher.
04:49Les chefs du service de renseignement,
04:50tous les chefs de l'armée,
04:51les ministres, les chefs de milices,
04:52sont maintenant dans la nature.
04:53Je crois que les Syriens, civils ou spécialistes juristes,
04:58sont tous à la recherche de ces personnes.
05:00La justice va arriver.
05:01On a beaucoup de patience.
05:02On a patienté 13 ans pour le fait tomber.
05:04On va le trouver un jour et le juger.
05:05Tous ces challenges maintenant,
05:06je ne sais pas à quel point les gens à Damas sont conscients,
05:09mais ces challenges, si on ne les traite pas
05:12ou on essaye de faire comme si rien ne passait,
05:15le pays ne va pas être stable.
05:16Donc, tout est possible.
05:17Il faut voir.
05:18Pour le moment, les Syriens sont juste dans la fête,
05:20mais tout le monde est conscient
05:21qu'il faut garder l'œil à ce qui se passe maintenant.
05:24La fête, oui, mais laisser passer, non.