François Bayrou vient d'être nommé Premier ministre, le 4eme à occuper ce poste en 1 an. La Ve République serait-elle devenue dysfonctionnelle? Ou bien est-ce la conséquence de l'exercice qu'en fait Emmanuel Macron ? Didier Maus, constitutionnaliste et ancien conseiller d'État, nous apporte sur le plateau d'"Au coeur de l'info" un éclairage essentiel en ces semaines de destabilisation.
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00:00Il est 20h16 à Paris. Nous retrouvons à présent notre invité au cœur de l'info.
00:05Il aura fallu finalement plus d'une semaine à Emmanuel Macron pour nommer un Premier ministre.
00:11François Béroud a donc accepté cette mission qui semble impossible.
00:15Comment gouverner quand le Parlement est aux mains de trois blocs
00:17et que les extrêmes sont capables de s'unir pour faire tomber un cabinet ?
00:21Qu'est-ce que cette séquence nous dit du fonctionnement du système démocratique français ?
00:26Didier Mauss, merci beaucoup d'avoir répondu à notre invitation.
00:30C'est vrai que les questions sont très nombreuses.
00:32Depuis une semaine, je dirais même depuis plusieurs mois,
00:35vous êtes constitutionnaliste, président émérite de l'Association française de droits constitutionnels
00:40et ancien conseiller d'État.
00:43Alors tout d'abord, réagissons à ce qui vient de se dérouler cet après-midi.
00:47Que nous dit cette nomination de François Béroud du blocage dans lequel nous nous trouvons ?
00:52Écoutez, ça fait une vingtaine d'années que François Béroud dit
00:57qu'il faut que le centre gouverne,
00:59parce que le centre devrait être, selon lui, le point de ralliement des uns et des autres.
01:05Et on a envie de dire, enfin il est là, il va faire ses preuves.
01:08Donc c'était une annonce un peu attendue.
01:13On ne peut pas dire que ce soit l'arrivée à Matignon de quelqu'un d'inconnu.
01:17François Béroud est dans le paysage politique depuis longtemps,
01:21presque aussi longtemps que Michel Barnier,
01:24mais lui n'a jamais quitté le paysage politique français,
01:26alors que Barnier était parti à Bruxelles.
01:29Et il revendique beaucoup ses attaches paloises, vous le savez.
01:34Donc, qu'est-ce que ça nous dit ?
01:35Ça nous dit qu'on utilise les seniors pour essayer de résoudre les problèmes des juniors.
01:42– Oui, voilà, l'expérience pour répondre à des problématiques
01:46qui ont été créées par les plus juniors,
01:48c'est vrai que ce centre qu'il appelait,
01:50il a pensé à un moment donné qu'Emmanuel Macron allait l'incarner
01:53et on voit au contraire que le Président a précipité le blocage institutionnel.
01:57– Écoutez, c'est très difficile d'aller au-delà de la chronologie.
02:01On connaît les étapes, les élections d'Emmanuel Macron,
02:04les élections de 2022, les problèmes de 2024,
02:08l'erreur honnêtement de la dissolution, mais on ne peut pas…
02:11– C'est-à-dire que vous ne la comprenez pas non plus ?
02:12– Non, je n'ai pas compris sur le moment.
02:14J'étais devant ma télévision le soir des élections européennes
02:17et je me suis dit, mais qu'est-ce que c'est que ce truc-là ?
02:19Qu'est-ce que ça vient faire ?
02:20Alors il y a des cas où je comprends, mais là personne ne s'y attendait
02:24et je n'arrive toujours pas à comprendre
02:26pourquoi il y avait besoin de dissoudre ce jour-là.
02:29Car dissoudre en était le raisonnement de M. Macron,
02:32c'était de dire je dissous par anticipation
02:35avant que le gouvernement soit renversé.
02:37Mais il aurait dû attendre que le gouvernement soit renversé
02:39parce que là on aurait eu une explication
02:41et c'était un système parfaitement classique.
02:43Dans le régime parlementaire, on est quand même là dans un régime parlementaire,
02:47et le renversement du gouvernement ça existe
02:50et ça a deux conséquences théoriquement.
02:52La première c'est la dissolution
02:54et la deuxième c'est la nomination comme chef du gouvernement
02:57du patron de la coalition qui a renversé le gouvernement.
03:00Et aucune de ces deux solutions n'est possible aujourd'hui en France
03:04puisque un, on ne peut pas dissoudre
03:06et deux, la coalition négative ne peut pas se transformer en coalition positive.
03:11Donc on est effectivement dans ce qu'on appelle une seringue,
03:14c'est-à-dire quelque chose dont on a du mal à sortir.
03:16– Et vous pensez que François Bayrou va être capable de composer un gouvernement
03:20qui va réussir à rassembler et à faire bouger ces blocs à l'Assemblée nationale ?
03:25– Je pense que lui il le croit.
03:27– C'est déjà bien, il faut être convaincu.
03:28– Ça vaudrait mieux parce que si lui il n'y croit pas,
03:30personne d'autre ne peut y croire.
03:33Est-ce qu'on peut faire un pari ?
03:34Est-ce qu'on est un bookmaker qui va prendre des paris
03:38sur ce qui va se passer dans la semaine qui vient ?
03:40Je n'ai pas envie de me transformer en bookmaker.
03:42– Non, je le comprends tout à fait,
03:43mais donc vous pensez qu'on se dirige vers d'autres motions de censure,
03:48vers une gouvernance avec du 49-3 ?
03:51– On se dirige vers quelque chose de nouveau, il n'y a aucun doute là-dessus.
03:56La question c'est pourquoi est-ce que Michel Barnier
03:59n'est pas arrivé à éviter la censure ?
04:02Et là, visiblement, il y a eu un problème avec Mme Le Pen.
04:04C'est sur les relations entre Michel Barnier et Mme Le Pen qu'on...
04:07– Il n'a pas su négocier avec elle finalement, il a baissé toutes ses cartes.
04:11– Trois fois pendant 24 heures, pour l'instant je n'en sais rien,
04:15je le saurais peut-être un jour quand on fait leur boulot.
04:19Il n'y aura certainement pas le même antagonisme
04:22entre François Bayrou et Mme Le Pen qu'il y avait avec Michel Barnier.
04:27Je ne crois pas qu'il y ait de cadavres entre eux, entre guillemets,
04:30et de contentieux.
04:32Mais est-ce que la bonne volonté de François Bayrou
04:35va suffire à ramener un peu la tranquillité dans ce milieu politique ?
04:40Il y a un autre facteur qui joue, c'est le fait qu'ils ont fait,
04:44je dirais, les oppositions ont fait la preuve qu'ils pouvaient renverser
04:48le gouvernement et qu'ils le tenaient entre leurs mains.
04:51Ils l'ont fait une fois, est-ce qu'ils se sentent capables de le faire deux fois ?
04:55Ou est-ce qu'ils ont envie de le faire deux fois ?
04:57Ou même, je ne dis pas trois fois parce que…
04:58– Tout dépend si leurs électeurs les suivent ou pas.
05:01– Voilà, et si vous voulez, il y a un moment où on se dit
05:03on ne peut pas aller au-delà de ceci ou de cela.
05:06Bon, il est évident qu'ils ne peuvent pas participer au gouvernement,
05:08mais il y aura un espèce de pacte de non-agression.
05:12– Vous pensez qu'Emmanuel Macron a créé une cinquième république dysfonctionnelle
05:17ou bien elle l'a-t-il mise en lumière, finalement ?
05:20– Non, je ne crois pas qu'elle n'est pas dysfonctionnelle,
05:22elle est encore à peu près sur ses rails.
05:25La cinquième république a des mécanismes anti-crise
05:28dont l'article 49 alinéa 3.
05:30Alors évidemment, si on le neutralise, ça change tout.
05:33– Vous pouvez le détailler, justement ?
05:36– L'article 49 alinéa 3, c'est le fait
05:38que le gouvernement, c'est ce qui est arrivé avec Michel Barnier,
05:40le gouvernement engage sa responsabilité sur un texte
05:43et il n'y a que deux solutions,
05:45où le texte est adopté ou le gouvernement est renversé.
05:48Et là, on dit depuis quelques jours que M. Bayrou s'engagerait
05:51à ne pas utiliser l'article 49 alinéa 3, qui est un chiffon rouge.
05:57Historiquement, ce qui est très amusant et intéressant,
05:59c'est que les inventeurs du système de l'article 49 alinéa 3,
06:03ce ne sont pas les générales de Gaulle,
06:04ce sont les députés de la quatrième république
06:06et ce sont les députés MRP, c'est-à-dire les antécédents,
06:11les prédécesseurs politiques de François Bayrou.
06:14Bon, qu'est-ce qui va se passer ?
06:15Très franchement, j'en sais rien.
06:17– Est-ce qu'on a évoqué le départ anticipé d'Emmanuel Macron ?
06:20Ce n'est pas du tout à l'ordre du jour pour lui.
06:23– Ce n'est pas à l'ordre du jour.
06:24– Est-ce que ce serait une solution pertinente
06:27qui mettrait un peu plus de démocratie dans ce système ?
06:31– Écoutez, si M. Macron s'en va,
06:34on rentre dans une période d'incertitude d'environ six semaines.
06:36M. Larcher devient président de la République par intérim,
06:39bon, il a toutes les qualités pour faire ça, il n'y a aucun problème,
06:42bon, mais il faut faire une nouvelle élection présidentielle
06:45et je ne connais que deux candidats qui soient prêts pour l'instant,
06:48c'est Mme Le Pen et M. Mélenchon,
06:50ce qui est un peu gênant pour tous les autres.
06:53Alors, je ne pense pas, il n'y a pas de motif raisonnable pour l'instant,
06:57je le dis très clairement, pour que M. Macron s'en aille.
07:00– Donc, à vous écouter, tout ce qui se situe entre Marine Le Pen
07:04et Jean-Luc Mélenchon a intérêt aujourd'hui
07:06à porter quand même ce que va présenter François Bierut, son gouvernement.
07:10– Écoutez, si on les écoute les uns et les autres,
07:11ils vous disent tous, on ne veut pas de Mme Le Pen définitivement.
07:15Bon, s'ils ne veulent pas de Mme Le Pen,
07:17il faut qu'ils fassent en sorte que le système fonctionne.
07:21Il y a une arithmétique parlementaire, il ne faut jamais l'oublier,
07:24et c'est un rapport de force politique qu'on connaît
07:26depuis le lendemain du second tour des élections législatives,
07:30c'est le fait qu'il y a trois blocs, et que celui qui fait la bascule,
07:34c'est le groupe du Rassemblement National,
07:36parce qu'à gauche, tant qu'il y avait une solidarité
07:39entre les filles et les autres, c'était bloqué,
07:41il y a un bloc central qui ne pose aucun problème
07:44et qui n'est pas majoritaire.
07:46Et donc, voilà, un système à trois partenaires, c'est très compliqué.
07:51Il faut faire appel à la théorie des jeux,
07:53et pas du tout à la théorie politique.
07:55Un système à trois partenaires, c'est quel cas ?
07:58En réalité, il y a toujours deux contre un.
08:00Et le problème, c'est de savoir qui ?
08:01Si c'est A, B et C, si c'est A plus B contre C,
08:05A plus C contre B, et ainsi de suite.
08:06– Mais nos voisins y parviennent, nos voisins réussissent
08:08à composer justement avec cette diversité.
08:11– Alors, ça m'étonnerait que le gouvernement soit extraordinairement diversifié,
08:17parce qu'il va y avoir des antagonismes,
08:19il y a des questions de personnes, il y a des questions de lignes politiques,
08:22on voit très bien ce qu'on dit sur M. Retailleau depuis aujourd'hui.
08:26Mais quels sont ceux qu'on va arriver à neutraliser ?
08:29Le problème, c'est de neutraliser.
08:31Et ça, ce n'est pas très très facile.
08:33– On se souvient qu'Emmanuel Macron, en arrivant en 2017,
08:36a voulu proposer, faire une proposition politique différente,
08:39c'est pour ça qu'il a été élu.
08:41Il a été réélu un peu par hasard, un peu par défaut la fois suivante,
08:46c'est peut-être ce qu'il n'a pas entendu.
08:48Vous pensez qu'il a échoué à transformer cet espace politique ?
08:52– Je crois qu'il a échoué.
08:53Très franchement, on a tous envie d'écrire un grand papier l'échec de M. Macron.
08:58Il y a un échec politique fondamental,
09:01c'était de vouloir nier la réalité de la gauche et de la droite.
09:04Or, qui sont deux forces structurantes de ce pays depuis deux siècles.
09:09– Et qui se sont effondrées aussi, c'est ce qui lui a permis d'émerger.
09:12– Oui, c'est ce qui lui a permis d'émerger,
09:13mais est-ce qu'il n'a pas permis de remplacer l'ancien système ?
09:17Et là, la distinction entre les progressistes et les conservateurs,
09:21ça n'a pas très très bien marché.
09:22Non, non, du point de vue de la restructuration du système politique,
09:25à la date d'aujourd'hui, l'échec de M. Macron est total,
09:29quelle que soit l'appréciation qu'on en a sur le personnage,
09:32parce que je suis de ceux qui pensent que c'est quelqu'un d'intelligent.
09:35Quand il s'exprime, il dit des choses intéressantes,
09:38bien, et on a envie de le croire.
09:40Mais en général, c'est assez vite démenti.
09:43– Est-ce que c'est le problème de la vie politique française,
09:44d'avoir une visibilité à 5 ans ?
09:47– Impossible, d'abord parce qu'il y a des élections,
09:49entre-temps, il voudrait qu'il y ait une visibilité à 3 ans,
09:52jusqu'en 2027, ça me paraît audacieux.
09:55Moi, ma visibilité, elle est à même pas 6 mois.
09:58Je crois qu'il y a une échéance fondamentale l'été prochain.
10:02Et il essaye déjà de l'enjamber.
10:04L'échéance, c'est la possibilité de redissoudre l'Assemblée nationale.
10:07Et l'argumentation, le raisonnement est le suivant.
10:12Les forces politiques actuelles sont toutes obnubilées
10:14par le fait qu'il y aurait une dissolution des élections,
10:17fin août, début septembre, l'année prochaine.
10:19On ne va pas faire les élections au mois de juillet.
10:21Pas dans le cours de France, ce n'est pas possible.
10:23– On a vu la problématique cette année.
10:25– Tout l'effort de M. Macron, on l'a très bien vu,
10:29c'est de dire qu'il faut dépasser cet horizon.
10:32C'est un pari, il faut être audacieux pour prendre un pari,
10:34mais on n'est jamais sûr de le gagner.
10:36– Il était audacieux, Emmanuel Macron.
10:38Merci beaucoup Didier Moos pour ces éléments de compréhension,
10:41d'éclairage qui étaient passionnants.
10:4220h27 à Paris, vous restez avec nous, au cœur de l'Info, c'est terminé.