Lors du Festival international du film de Marrakech, Brut a rencontré le réalisateur Nabil Ayouch et l'actrice Nisrin Erradi. Ensemble, ils évoquent "Everybody Loves Touda", leur nouveau film, dans lequel l'actrice incarne Touda, une jeune femme qui veut devenir chikha, une chanteuse traditionnelle marocaine qui chante sans aucune censure.
"Everybody Loves Touda" est en salle depuis le 18 décembre.
"Everybody Loves Touda" est en salle depuis le 18 décembre.
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Court métrageTranscription
00:00Là, on est au plein cœur de Marrakech, à l'entrée de la Médina,
00:03entre la Koutoubia, qui est derrière, et la plage Jamal Al Fna, qui est devant.
00:25Je mettrais une grande scène centrale et ronde
00:29au milieu de la place.
00:31Où Touda danse.
00:32Exactement.
00:34Je ramènerais l'orchestre et j'irais à Nisrine.
00:37Vas-y.
00:38Et là, on aurait la preuve que tout le monde aime Touda.
00:41On est venus au Festival de Marrakech pour présenter Touda au public marocain.
00:48C'était un public qui est le public naturel du film, évidemment,
00:52qui a vibré au son de la haïta que chante Nisrine dans le film,
00:57au son de ces shikhats, qui sont des personnages très proches de nous,
01:02ici, dans la culture marocaine.
01:09Chaque fois qu'on va dans un événement, un mariage, un baptême,
01:14une circoncision, ou un mausème,
01:19et bien, il y a une shikhat qui chante, tout le monde se lève,
01:23et ça relève presque d'une forme de trance.
01:26C'est dans les gènes, et donc, le public, en découvrant le film,
01:31quelque part, il s'est aussi, comment dire, rapproché de ces femmes
01:37qu'il a l'habitude de côtoyer dans sa vie de tous les jours,
01:39mais qui sont des femmes avec une relation assez ambivalente,
01:43parce qu'à la fois, on les adore et en même temps, on les déteste.
01:47Pourquoi ?
01:48Parce que c'est des femmes indépendantes, libres, fortes, puissantes,
01:52et parce qu'elles vont chanter dans des lieux, des cabarets,
01:57des lieux où il y a de l'alcool, de l'argent qui circule à flot,
02:00et que petit à petit, leur image, à travers le temps, s'est pervertie.
02:04Et là, Touda, un personnage qui interprète Nisrine dans le film,
02:10quelque part, leur redonne un statut et leur redonne une dignité.
02:12Voilà, on va rentrer dans le centre culturel Les Étoiles de la Médina.
02:16C'est un riad du XIXe siècle,
02:19qui date de l'époque des shikhats dans Everybody Loves Touda,
02:22qu'on a complètement retapé pendant un an et demi
02:25pour arriver à ce résultat que vous allez voir.
02:27C'est magnifique.
02:28Vraiment, c'est magnifique, l'espace.
02:30Alors, ce centre, c'est un centre culturel qui ressemble
02:34comme deux gouttes d'eau à la MJC de mon enfance,
02:37où j'ai grandi à Sarcelles, en banlieue parisienne,
02:40et où j'ai appris à regarder le monde à travers les arts et la culture.
02:44Et en m'installant au Maroc, il y a 25 ans,
02:48j'avais toujours ce rêve de pouvoir rendre ce qu'on m'avait donné
02:51quand j'étais gamin.
02:52Là, les cours, l'école n'est pas terminée,
02:55mais dès que c'est le cas, à partir de 5 heures,
02:58le riad se remplit.
03:00Le samedi, le dimanche, mercredi après-midi,
03:03c'est plein de gamins qui viennent apprendre la peinture,
03:07qui font des graphes, qui font de la musique.
03:14Pour moi, c'était magique avec Nabil,
03:15parce que la relation, c'était s'installer toute seule.
03:19On n'avait pas une manière pour travailler sur le plateau.
03:23On complétait l'un à l'autre.
03:25Il y a une relation qui passe beaucoup par l'écoute.
03:29J'ai appris à connaître Nisrine, j'ai appris à l'écouter,
03:34à savoir qui elle était au fond,
03:37et un pacte de confiance est né entre nous.
03:39On a appris à construire quelque chose d'assez fort,
03:43qui ne passait plus par les mots, forcément,
03:45mais qui passait juste par une espèce de compréhension
03:48de qui on était l'un l'autre et de ce qu'on voulait.
03:50Des fois, on se retrouvait sur le plateau pendant que ça tournait.
03:53J'espérais quelque chose, j'attendais quelque chose,
03:56et je pense que, d'une certaine manière, je le lui transmettais par des ondes.
03:58Elle le recevait, mais sans même que j'aie besoin de lui dire,
04:01et elle y allait.
04:03Et puis, Nabil, c'est quelqu'un qui travaille bien avec les acteurs.
04:05Et je pense qu'il a un truc qui est très fort,
04:10c'est qu'il maîtrise la direction d'acteurs.
04:14Et puis, il m'a maîtrisé, moi aussi.
04:16Et ce n'était pas facile.
04:20J'ai l'impression qu'avec tous les films que j'ai faits,
04:24j'ai essayé de construire un puzzle
04:28qui explore toutes ces thématiques identitaires,
04:31qui donne de la place à des gens qu'on n'a pas envie de voir,
04:34qu'on n'a pas envie d'entendre, des gens qui sont un peu à la marge.
04:37Et quelque part, à la fois de me mettre réconcilié avec moi-même,
04:41avec cette identité multiple, plurielle, qui me constitue,
04:44et puis d'avoir permis à des gens,
04:47une espèce d'armée de l'ombre qui vit autour de moi dans ce pays,
04:51de s'exprimer, d'apparaître avec fierté, avec dignité.
04:55Et ça, ça me rend heureux.