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  • 21/12/2024
C’est une figure qui s'est taillée une part de choix dans nos pires cauchemars : Les zombis, un fantasme gore inventé par le cinéma, auquel correspond pourtant une réalité historique, bien différente de celle du mythe. On en parle avec vous Philippe Charlier, commissaire de l’exposition "Zombis, la mort n’est pas une fin ?", à découvrir jusqu'à mi-février 2025 au Musée du Quai Branly.

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Transcription
00:00C'est une figure qui s'est taillée, une part de choix, dans nos pires cauchemars.
00:05Les zombies, un fantasme gore, d'abord inventé par le cinéma, auquel correspond pourtant
00:10une réalité historique bien différente de celle du mythe, c'est ce que nous apprend
00:14une exposition en ce moment au musée du Quai Branly à Paris, qui remonte à la source
00:19de la culture vaudou en Haïti.
00:21On en parle avec Philippe Charlier, commissaire de l'exposition Zombies.
00:26La mort n'est pas une fin, à découvrir jusqu'à mi-février prochain au musée du Quai Branly.
00:33Bonsoir à vous.
00:34Bonsoir Léna.
00:35Merci d'avoir accepté notre invitation.
00:37Avec cette exposition, vous nous apprenez que les zombies existent bel et bien en Haïti.
00:42Vous vous intitulez cette exposition, je l'ai dit, Zombies, la mort n'est pas une fin.
00:49Point d'interrogation.
00:50Est-ce qu'on aura la réponse au terme de l'exposition ?
00:53Le point d'interrogation est très important parce qu'évidemment on laisse toute la sagacité
00:57aux visiteurs de l'exposition de faire son propre choix parmi ces différentes cartes.
01:01Zombies est vraiment un mot valise, à travers ce mot-là, il y a énormément de sens anthropologiques
01:05différents et cette exposition vise à partir directement sur le territoire d'Haïti, là
01:09d'où viennent tous les zombies, y compris les zombies de Pacotti, ceux de Hollywood.
01:13A l'origine, le zombie est un individu qui fait le mal dans cette culture, quelqu'un
01:18qui est soit un violeur, soit un captateur d'héritage, il a vendu une terre qui ne lui
01:21appartient pas.
01:22Il va être jugé par une société secrète en marge de la religion vaudou et s'il persiste
01:28et signe, il va être condamné à une peine pire que la mort et cette peine, c'est d'être
01:32zombifié, donc empoisonné, mis en état de mort apparente, enterré vivant, puis ressorti
01:38de terre et ensuite, il va vivre dans un état de hébétude sous camisole chimique pendant
01:4310 ans, 20 ans, 40 ans à peu près.
01:45C'est ça la réalité anthropologique réelle des zombies en Haïti.
01:49Et combien sont-ils actuellement ?
01:51Alors actuellement, il y a 50, 55 000 zombies au total sur une population de 10, 13 millions
01:57à peu près.
01:58Sachant que sur ce zombie, qui est celui qui a été jugé, il faut rajouter trois autres
02:02types qui sont un petit peu plus rares.
02:03Le zombie criminel, c'est la belle-mère qui va faire empoisonner son gendre ou c'est
02:07le mari qui va empoisonner son épouse pour partir avec sa maîtresse.
02:10J'en ai rencontré.
02:11Ce que je viens de vous raconter, c'est deux cas avec qui j'ai pu interagir.
02:15Le zombie psychiatrique, quelqu'un qui est persuadé d'être mort.
02:17En France, on appelle ça le syndrome de Cotard.
02:20Dans ce contexte haïtien, ça s'appelle un zombie.
02:22Il se considère comme zombie.
02:23Et le dernier, c'est une usurpation d'identité, le zombie social.
02:27Un homme est seul parce qu'il a perdu toute sa famille dans un tremblement de terre.
02:30La famille se retrouve toute seule parce qu'il lui manque un homme.
02:33Et donc, il va y avoir une fausse reconnaissance entre les deux.
02:36Et comme il ne fait pas tout à fait la même taille, qu'il a des tatouages qu'on ne lui
02:39connaît pas, qu'il n'a pas la même voix, on va dire c'est normal.
02:42Il a changé d'aspect parce qu'il est passé sous terre.
02:44Entre temps, il a été zombifié.
02:45Donc, c'est ces quatre types au total qui représentent 50, 55 000 individus, à peu
02:50près, sur le territoire haïtien.
02:51Actuellement, c'est-à-dire que vous rencontrez des zombies en Haïti
02:56actuellement et ils se présentent comme tels.
02:58Alors, ils se présentent ou du moins, ils nous sont présentés comme tels.
03:00On peut les croiser à l'hôpital psychiatrique.
03:02On peut les croiser à la Croix-Rouge.
03:03On peut les croiser dans la rue avec un processus de réhabilitation au fur et à
03:07mesure. Et tous les objets qu'on voit derrière vous en ce moment ou à l'écran
03:11sont des objets qui témoignent de la vifacité de ces pratiques, mais aussi de
03:14l'origine. C'est quelque chose qui trouve son origine en Afrique subsaharienne,
03:18également dans les plaies jamais cicatrisées de l'esclavage transatlantique.
03:22Et puis aussi dans les religions de l'Amazonie et de la Carribe, des religions
03:27autochtones qui étaient présentes sur les îles et notamment en Haïti.
03:30Et c'est par eux que se sont transmis, paraît-il, les secrets qui ont permis de
03:35pratiquer les poisons, notamment, qui ont permis de pratiquer cet esclavage
03:39moderne qu'est la zombification.
03:40Mais aujourd'hui, un zombie en Haïti, cela correspond à quelle réalité sociale ?
03:44Ce sont des individus qui sont en mort sociale.
03:47Littéralement, c'est une mort sociale.
03:48Ils sont vivants. Ils n'ont jamais été morts.
03:51Ce n'est pas des morts vivants de Walking Dead ou autre.
03:53Ce sont plutôt des faux morts et ce sont des individus qui sont en marge de la
03:57société, soit parce qu'ils se sont mis eux-mêmes en marge, soit parce qu'une
04:02partie de la société a décidé de les mettre loin parce qu'ils étaient dangereux ou
04:06parce qu'ils avaient fait le mal. Donc, vous allez les croiser, oui, sur le bord de
04:08la voie ou dans une rizière ou dans un champ de canne à sucre, en train de
04:12travailler, mais généralement loin des communautés qu'on pourrait appeler des
04:17forces vives.
04:18Mais au niveau du langage, le terme zombie est utilisé.
04:20Comment on en est arrivé à ce terme-là ?
04:22Alors, à nouveau, c'est aussi un terme valise.
04:25Là-bas, quand on fait un chèque en bois, on parle de chèque zombie.
04:28Donc, le mot zombie est vraiment rattaché à la vacuité ou à la mort.
04:32Le zombie, à l'origine, est un mot qu'on retrouve à la frontière entre le Gabon et
04:35la République démocratique du Congo, donc Afrique subsaharienne, qui signifie le
04:39fantôme d'un enfant mort ou une divinité éthérée ou un fantôme en général.
04:43Donc, ça a changé complètement de sens en traversant l'Atlantique, sur les épaules
04:47des esclaves, ce qui était initialement un esprit sans corps est devenu un corps sans
04:53esprit. Et c'est ça, maintenant, le sens du zombie.
04:55C'est un individu qui a perdu tout sens critique, qui est un être vivant, mais en
05:01état de hébétude. C'est littéralement une coquille vide, un corps sans âme.
05:05Mais est-ce qu'on peut trouver aujourd'hui des zombies hors d'Haïti ?
05:09Non. Alors, il y en a deux qui ont été décrits, un au Cameroun et un en Afrique du
05:12Sud, mais au sein de la diaspora haïtienne.
05:15C'est vraiment un processus, la zombification, qui est spécifique de Haïti et menée
05:19notamment par la société secrète dont on voit les images derrière nous, les fétiches
05:23bizango. C'est cette société secrète, c'est-à-dire cette spécialisation de la
05:27culture vaudou en marge de la religion, qui a en charge le fait de juger les gens qui
05:33font le mal, et notamment les violeurs ou les captateurs d'héritage.
05:37Mais c'est un mot qui a une résonance péjorative en Haïti ou c'est une simple
05:44représentation ?
05:45C'est une représentation.
05:46On a du mal à comprendre du point de vue français.
05:48C'est une réalité anthropologique.
05:49Ce sont des gens qui sont vraiment en marge, qui sont en périphérie de la société.
05:53Quand vous traitez quelqu'un de zombie, ce n'est pas forcément très laudatif, c'est
05:56certain. Mais contrairement aux zombies de la pop culture, si vous faites mordre là-bas
06:01par un zombie, vous allez juste vous laver avec de l'eau et du savon et ça va
06:04s'arrêter là. Mais vous n'allez pas, il n'y a pas de transmission de ce type de
06:09chose. Ça, c'est plus le fantasme d'une mort contagieuse.
06:13Ça, c'est vraiment le zombie moderne, celui qui n'apparaît que dans les années
06:1760-70 avec la pop culture.
06:19On y reviendra. Pourquoi vous avez décidé de faire cette exposition ?
06:23Alors, d'abord, c'est un sujet sur lequel je travaille depuis longtemps.
06:27C'est un sujet qui est celui des morts qui ne se tiennent pas tranquilles.
06:31J'ai travaillé déjà sur les fantômes d'Occident et des mondes extra-occidentaux,
06:35sur le vampire également.
06:36J'ai édité un traité de vampirologie du 18ème siècle et ça m'intéresse vraiment
06:41avec ma casquette de médecin légiste d'un côté et également d'archéologue et
06:44d'anthropologue, d'essayer de tirer le vrai du faux de ces figures fantasmées de
06:48la mort. Et une des raisons principales pour lesquelles on l'a fait au musée du
06:51Quai Branly-Jacques-Chirac, c'est parce que c'est le musée où dialoguent les
06:54cultures. Et dans cet endroit extrêmement pertinent, on peut présenter à la fois
06:59des objets, mais les remettre en contexte.
07:01Ça dit beaucoup des formes modernes de l'esclavage et notamment le zombie haïtien,
07:06actuellement, est un esclave des temps modernes.
07:09Et ceux qui le font le savent très bien.
07:11Ceux qui étaient esclavagisés dès 1504 pour la traite transatlantique étaient des
07:17innocents. Dorénavant, les descendants de ces esclaves libérés qui ont forgé Haïti
07:22reconstituent maintenant une nouvelle forme d'esclavage, mais pour ceux qui font le
07:27mal. Donc, il y a une vraie histoire à tisser.
07:29Et c'est aussi l'occasion, honnêtement, de découvrir la richesse de la culture
07:32caribéenne et notamment haïtienne, parce qu'on ne va pas cantonner Haïti aux
07:36zombies ou aux poupées vaudous.
07:37Loin de là, mais c'est l'occasion de découvrir toute la richesse de la culture
07:41vaudou qui, là, est une culture de lumière.
07:43Mais justement, pourquoi le vaudou haïtien est-il si important pour notre sujet ?
07:48D'abord, peut-être faut-il définir ce qu'est le vaudou ?
07:52Alors, le vaudou, à l'origine, le vaudou est un mot qui vient d'Afrique.
07:55C'est une religion, pas une sorcellerie, une religion, bien entendu, qui prône un
07:59équilibre entre l'homme, la nature et les dieux.
08:02Avec l'esclavage, énormément de religions de l'Afrique subsaharienne ont traversé
08:07sur les épaules des esclaves l'Atlantique et ça a donné ce qu'on appelle un
08:10syncrétisme de l'autre côté de l'Atlantique, c'est-à-dire un mélange entre ces
08:14nombreuses religions de l'Afrique subsaharienne, dont le vaudou béninois
08:18actuel, et puis le catholicisme romain qu'on inculquait de force pendant les trois
08:22mois que durait la traite négrière, plus les cicatrices de l'esclavage, plus
08:27les religions locales que les esclaves qui se révoltaient contre
08:31les colons, eh bien, ce qu'on appelait les esclaves marrons, eh bien, ils étaient
08:35recueillis par les communautés autochtones et il y avait des transmissions de
08:38secrets, également des transmissions religieuses.
08:41Et c'est ce qu'on appelle les religions syncrétiques.
08:43Le vaudou haïtien est un syncrétisme, un mélange de ces quatre racines différentes.
08:48Dans les Antilles français, c'est le quinbois, à Cuba, c'est la santería, au
08:52Brésil, c'est le condomblé ou la macumba.
08:54Ce sont toutes ces religions syncrétiques qui sont un mélange et qui témoignent de
08:58cette transmission d'informations, de savoirs, qui a été uniquement faite par
09:03la voix humaine et par les souvenirs humains.
09:06Et c'est vraiment d'une grande richesse.
09:07Il y a un panthéon vaudou.
09:09Il y a un panthéon.
09:10De quoi est-il constitué ?
09:11Une quantité immense de divinités qui varient selon les cultes, qui varient selon
09:15les lieux. Mais vous avez Papa Legba avec lequel on ouvre toute cérémonie, qui est
09:19le dieu messager. C'est l'équivalent de Hermès dans notre culture occidentale.
09:23Vous avez Mami Wata, divinité des eaux.
09:25Vous avez deux formes féminines, Herzli Dantor et Herzli Freda, selon qu'on est
09:29plutôt proche d'Aphrodite pour certains ou d'Héra pour d'autres.
09:33Une femme aguicheuse, si je peux dire, ou une femme mère au foyer, entre guillemets.
09:38Je vraiment, je caricature.
09:40Et puis, vous avez surtout deux divinités principales pour ce qui nous concerne.
09:43C'est Baron Samedi, divinité des morts, et Grande Brigitte, son épouse, et leurs
09:48enfants, qu'on appelle les guédés.
09:49Donc vraiment un panthéon bien établi.
09:51Et c'est autour d'eux que circulent les adeptes pour essayer d'influencer un tout
09:55petit peu le cours de la vie.
09:57Alors, il y a un temps fort dans l'exposition.
10:00C'est cette armée des ombres qui est présentée dans une salle très, très sombre
10:05et très impressionnante. Est-ce que vous pouvez nous la décrire ?
10:08On la voit derrière vous, mais ça ne donne pas, je trouve, ça ne renvoie pas la
10:13sensation qu'on a quand on est à l'intérieur de cette salle qui est bien plus sombre, au
10:17sein de laquelle on ne discerne pas forcément les visages, ni ce qui se joue.
10:21Est-ce que vous pouvez nous décrire ce que c'est que cette armée des ombres, sachant
10:24que quand on est à côté de ces ombres, on se sent vraiment tout petit.
10:27C'est une grandeur nature.
10:29Elle vous a marqué.
10:29Elle m'a vraiment marqué. Elle fait peur aussi.
10:31Expliquez-nous ce que c'est.
10:32Alors, elle est là justement pour impressionner non pas tant le visiteur, mais
10:35surtout l'adepte, le voodooisant, lorsqu'il est présenté sept fois de suite devant la
10:41société secrète Bizango pour être jugé.
10:44Il faut imaginer que là, devant ce trône que vous voyez avec ces petites bougies au
10:47sol, et bien agenouillé, il y a l'individu qui a les mains attachées derrière le dos.
10:52Devant lui, il y a une table avec, assis, entre cinq et neuf juges de la société
10:57secrète. Et puis derrière, il y a cet amoncellement de statues qui sont à taille
11:00réelle et qui contiennent à l'intérieur un crâne, parfois des ossements, parfois une
11:04croix de cimetière, parfois de la terre ou des objets personnels.
11:07Des vrais crânes.
11:08Des vrais crânes, exactement.
11:09Et ce sont les anciens adeptes de la société secrète Bizango qui vont juger avec la
11:14même importance et la même vivacité, si je peux dire, que les adeptes vivants qui
11:19sont au premier rang. Les vivants et les morts, dans une sorte de longue chaîne,
11:23vont participer à ce jugement.
11:26Et ces objets-là sont un prix exceptionnel du Bureau national d'ethnologie de
11:30Port-au-Prince. Ce sont des objets qui viennent d'Haïti et qui, en plus, dans les
11:34circonstances actuelles que connaît Haïti, sont préservés temporairement pour éviter
11:39d'être abîmés tout simplement et de subir les affres d'une destruction par les
11:42gangs. Évidemment, juste après, ils reviendront en Haïti dès que la situation
11:47s'apaisera. Donc ça, ce sont des objets qui sont sacrés, des objets qui n'ont pas été
11:50désacralisés, des objets qui sont chargés.
11:53Ils ont encore leur charge magique à l'intérieur.
11:55Et évidemment, le but, non pas tant pour nous, mais surtout pour l'initié qui est devant,
11:58c'est de l'impressionner comme si vous étiez dans une cour d'assises face au
12:03juge, face au jury, face à la justice qui est juste au-dessus, avec les yeux bandés,
12:09le glaive et la balance.
12:10Eh bien, c'est exactement la même scène pour un vaudouisant, pour un adepte du vaudou
12:14qui se déroule devant lui quand il est face à cette armée des ombres.
12:17Et pourquoi ça fait si peur ?
12:19Ça fait peur parce que les figures sont peut-être un tout petit peu effrayantes.
12:21Oui, on note un tout petit peu des crânes.
12:23On voit cette couleur noire et rouge.
12:25Il faut imaginer que ça se déroule dans l'obscurité, dans un champ de canne à sucre,
12:28dans une forêt sacrée, dans une rizière, loin de tout, entre 2 et 4 heures du matin,
12:32à peu près. Donc l'environnement lui-même est un peu pesant, pour le moins.
12:37Et l'idée, évidemment, c'est de faire entendre raison à celui qui est là,
12:40de lui dire tu avoues tes crimes ou tu reprends le bon chemin, le bon droit.
12:45Tu essaies de te faire pardonner de tout le mal que tu as commis.
12:49Parce que sur 10 personnes qui sont présentées devant l'armée des ombres,
12:539 vont finir par repartir libres et 1 sur 10 finira par être zombifiée.
12:59Et vous me racontiez hors antenne des scènes
13:03qui se produisaient à l'intérieur de l'exposition.
13:06Oui, certains visiteurs sont en effet impressionnés parce que c'est un endroit qui est impressionnant.
13:09Certains, notamment des adeptes voudouisants,
13:13ressentent un petit quelque chose quand ils sont face à cette armée.
13:17Parce que ce ne sont pas des objets anodins, tout simplement.
13:19Ce sont des objets en plus qui viennent vraiment du territoire haïtien et qui sont encore actifs.
13:25Vous-même, vous avez été initié, je crois, au Vaudou, c'était au Bénin ?
13:30Au Bénin, exactement.
13:31Qu'est-ce que vous retenez de cette expérience ?
13:34Je retiens de cette expérience d'abord une meilleure compréhension des objets sacrés,
13:38qu'il s'agisse des objets sacrés du Bénin, du Vaudou béninois,
13:41donc d'Afrique ou de ceux de l'outre-Atlantique.
13:44Mais surtout l'idée que le monde est peut-être un tout petit peu plus complexe
13:47que ce que nos yeux ne peuvent voir et nos sens ne peuvent percevoir.
13:52Vous voyez, quand je vois les objets comme ceux qui sont derrière nous avec des masques,
13:55par exemple, avec des objets cloutés ou encore d'autres objets magiques, des cadenas,
14:00il y a une part matérielle, bien entendu, mais aussi une part immatérielle et spirituelle dans ces objets
14:05dont j'avais peut-être un tout petit peu moins conscience avant mon initiation.
14:08Ça date maintenant d'il y a plus de 15 ans.
14:11Mais qu'est-ce que ça signifie, être initié au Vaudou ?
14:13Être initié au Vaudou, ça signifie subir un rituel initiatique avec des épreuves, bien évidemment.
14:17Et puis, je ne peux pas tout vous raconter parce que comme tout rituel initiatique,
14:21mais voilà, on vous ouvre des portes, on vous ouvre le regard,
14:26on vous apprend également à voir le monde d'une façon un tout petit peu différente.
14:30On vous explique quelques secrets du monde, entre guillemets.
14:33Il n'y a pas d'obligation particulière, mais il y a une façon de voir et de percevoir
14:38qui est un tout petit peu différente, mais ça dure longtemps.
14:39Vous savez, ça dure pendant plusieurs jours, plusieurs nuits.
14:42Donc, c'est un vrai processus qui s'installe dans le temps.
14:45Et puis, vous êtes confié à une divinité.
14:47Mais parfois, une autre divinité peut vous prendre parce qu'elle considère que vous seriez mieux avec elle.
14:51Et alors, ça a été votre cas ?
14:52Ça a été mon cas, exactement, oui, en passant d'une divinité à une autre divinité.
14:56Mais c'est un parcours assez intéressant.
14:58C'est quelque chose qui vous a profondément changé ?
15:00Ça m'a changé, mais je reste absolument cartésien et pragmatique et scientifique.
15:04Je dirige un laboratoire de recherche à l'Université de Versailles 51 en Yvelines.
15:07Mais on va dire que j'ai cette petite valance, ce petit pas de côté qui est toujours agréable,
15:11surtout quand on travaille en anthropologie médicale
15:14et quand on travaille sur l'anthropologie de la mort.
15:16Honnêtement, c'est utile.
15:18L'anthropologie de la mort, c'est un domaine qui est très peu connu.
15:22L'anthropologie de la mort est même ce qu'on peut appeler l'anthropologie de l'invisible.
15:24Quand on travaille sur les mauvais morts, les morts qui ne se tiennent pas tranquilles,
15:28zombies, fantômes, vampires et peut-être d'autres créatures encore.
15:32Je trouve qu'avoir une triple spécialité peut être assez intéressant
15:36parce qu'on navigue sans arrêt entre les sciences fondamentales et les sciences humaines.
15:40En fait, une seule discipline scientifique, je pense,
15:43ne permet pas de cerner la complexité de la mort, bien entendu,
15:46et puis aussi de cette perméabilité entre les mondes.
15:48Souvenez-vous, le titre de l'exposition, c'est
15:50« La mort n'est pas une fin », point d'interrogation.
15:52Je crois que dans ce titre-là, le plus important, c'est le point d'interrogation.
15:55Mais est-ce que justement, ça n'ouvre pas plus de questions que ça n'apporte de réponses ?
15:59Ça, c'est le principe même de toute recherche scientifique.
16:01On en sait toujours plus, mais pour une question à laquelle on a répondu,
16:05on a dix nouvelles questions.
16:06Tant mieux, c'est pour ça qu'on vit.
16:08En 2015, vous êtes allé en Haïti.
16:10Vous avez essayé de prendre en photo des zombies.
16:13Oui.
16:13Est-ce que vous avez réussi ?
16:14Non, ça n'a pas marché.
16:15Non, je roulais très, très lentement en voiture.
16:18Il y avait un individu, vraiment, qui est en Guinea, qui travaillait sur le bas-côté et qui...
16:25J'ai pris une centaine de clichés, à peu près, pour essayer de le prendre en photo.
16:28Et puis, arrivé au bout de la route, avec Jean Richemont, avec qui j'étais, en voiture,
16:32il m'a demandé « Est-ce que tu l'as ? Est-ce qu'on a regardé les photographies ensemble ? »
16:35Et cet individu n'était sur aucune des photographies que j'ai réalisées.
16:39Et pour Jean Richemont, c'était la preuve absolue que l'individu qu'on avait vu était un zombie,
16:44puisque, pour lui, dans la croyance et dans la culture,
16:48on ne peut pas prendre un zombie, entre guillemets, sous influence,
16:51sous l'influence du Bokor, le sorcier qui l'a à sa garde.
16:55Et cette photo est présentée, d'ailleurs, dans l'exposition au musée du Quai Branly Jacques Chirac.
16:59Et moi, je ne vois rien sur cette photo.
17:01Mais moi, avec mon regard de scientifique, j'ai juste loupé une centaine de clichés.
17:05Mais on a quand même décidé de présenter cette photographie
17:07pour que certains visiteurs puissent également se faire leur opinion.
17:11Écoutez, depuis que l'exposition a ouvert,
17:12il y a trois personnes qui ont vu ce zombie,
17:15qui attestent en tout cas l'avoir vu sur ce cliché.
17:19Et vous me disiez hors antenne qu'il donnait des détails très précis.
17:23Oui, oui, sur les outils, sur la posture qu'il adopte ou autre chose.
17:26Voilà, c'est la frontière entre le pragmatisme du scientifique que je représente
17:33et puis certains visiteurs qui sont d'un côté un peu plus mystique que d'autre, on va dire.
17:38Que nous disent ces zombies dont vous nous parlez dans l'exposition sur nous-mêmes ?
17:43Je pense qu'ils nous disent d'abord que la mort sociale...
17:46Et que sont les zombies pour nous en Occident ?
17:48Les zombies dans notre monde occidental et notamment en France,
17:51ce sont les individus qui sont en marge de la société.
17:55Ce pourraient être les migrants, ce pourraient être les détenus de longue durée.
17:59J'étais médecin de prison pendant trois ans à Nanterre
18:01et il y avait des détenus que personne ne venait voir,
18:04qui ne sortaient pas de leurs cellules.
18:05Au sens anthropologique, ce sont des zombies.
18:07Ils ont été mis en mort sociale, ils sont relégués
18:09et ils sont devenus des invisibles, tout simplement.
18:11Ce sont les cendres de domicile fixes ou autre chose.
18:13Donc, il y a des figures occidentales de zombies
18:15et cette anthropologie du zombie haïtien pourrait paraître entre guillemets exotique.
18:20Je déteste ce mot, pourrait paraître lointain.
18:23Non, en fait, c'est une réalité avec le même mot
18:26qui correspond à autre chose vraiment à nos portes.
18:29Et puis, ça nous renseigne aussi sur notre qualification et notre définition de la mort.
18:33Qu'est-ce que c'est pour nous que mourir ?
18:36Il y a la mort réelle et constante, celle du certificat de décès.
18:39Il y a la mort encéphalique.
18:40Il y a la mort sociale.
18:41Il y a des états intermédiaires.
18:43Le Tukdam, par exemple, qui est décrit dans le bouddhisme tantrique.
18:46Voilà, il y a plein de définitions différentes de la mort.
18:48Et je trouve que poser ce regard lointain et notamment s'enrichir de l'autre
18:52nous permet de réfléchir aussi sur ce qui est notre quotidien.
18:56Merci infiniment à vous, Philippe Charlier.
19:00Vous êtes donc commissaire de l'exposition Zombies.
19:02La mort n'est pas une fin.
19:03Point d'interrogation à voir au musée du Quai Branly.
19:06J'invite tous nos spectateurs aussi à se procurer ce magnifique catalogue.
19:11Il est préfacé par Dani Laferrière et c'est un ouvrage fondamental.
19:15Le premier, vous me disiez, sur la science des zombies, pourrait-on dire ?
19:19Sur l'anthropologie, l'archéologie et l'histoire des zombies.
19:21Exactement, oui. Chez Gallimard.
19:22Chez Gallimard, c'est un très bel ouvrage.
19:24Merci beaucoup à vous.

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