L'écrivaine Sigolène Vinson, rescapée de l'attentat de Charlie Hebdo, témoigne sur BFMTV à l'occasion des commémorations des 10 ans de l'attentat qui a fait douze morts le 7 janvier 2015.
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00:00Le 7 janvier 2015, vous avez pris un Vélib pour aller à Charlie.
00:05Vous avez acheté en passant un gâteau parce que c'était l'anniversaire de Luce.
00:09Vous vous êtes assise à côté de Wolinski pour la conférence de rédaction.
00:13Vous vous souvenez de l'atmosphère à ce moment-là, au début de la conférence de rédaction ?
00:17Oui, je m'en souviens parfaitement bien parce que c'était la première fois qu'on se revoyait après les fêtes.
00:24Donc on s'est souhaité la bonne année.
00:26Et il y avait un fait notable, c'était que Tignous était en avance alors qu'il était tout le temps en retard.
00:31Donc c'était assez joyeux parce que les invités de Cabu avaient apporté un peu de victuaille.
00:38Et on était heureux de se retrouver et on savait qu'on allait devoir parler du nouveau livre de Michel Houellebecq et qu'on ne serait pas d'accord.
00:49Et voilà, c'était vraiment très joyeux.
00:54Quand il y a, alors que vous êtes autour de la table, les premiers coups de feu en dehors de la rédaction, vous vous reconnaissez tout de suite ce son-là ?
01:01C'est le son, le bruit des armes, parce que vous avez grandi en Afrique notamment, dans des coins un peu compliqués.
01:08Ce bruit-là, vous le connaissez ?
01:10Non, je ne connaissais pas ce bruit-là, mais j'avais toujours en tête qu'un attentat était possible.
01:19Parce que j'ai cette culture-là, parce que mon père est lui-même survivant, rescapé d'un attentat en 1987, le bar de l'History à Djibouti.
01:28Et que j'ai toujours quelque part dans l'idée, mais même avec les réfugiés de la guerre d'Éthiopie à Djibouti, il y a ce climat-là.
01:39Donc je reconnais tout de suite qu'il y a un problème.
01:43Et tout de suite, vous vous dites attentat ? Tout de suite ?
01:45Oui, tout de suite.
01:47Quand les terroristes entrent, quand les frères Kouachi entrent, qu'est-ce que vous faites ?
01:53Je croise le regard de Charbes, je me lève, et en me levant, je sens la porte qui s'ouvre derrière moi,
02:01et je me retrouve contre le torse de Franck Brinsolaro, et je le vois prendre son arme.
02:11Et ça commence à tirer, et ça tire dans mon dos, et à un moment, je quitte la salle de rédaction,
02:19et j'ai mal au dos, j'ai l'impression d'avoir trois balles dans le dos, mais ce n'est pas le cas.
02:25Et Moustapha Hourad se lève de son siège, et je me prends les pieds dans ses jambes, et on chute tous les deux à terre.
02:37Et j'ai le temps de me glisser derrière un muret, et Chérif Kouachi arrive, et là-bas, Moustapha, et ensuite, il me fait face.
02:45Je suis à terre, sur le dos.
02:47Vous êtes sur le dos, vous êtes à terre, cachée derrière un muret, et je disais tout à l'heure,
02:51Kouachi va vous épargner à ce moment-là. Il vous parle ?
02:56Il me parle, oui.
02:57Qu'est-ce qu'il vous dit ?
02:59Il me dit tout d'abord de me calmer, de ne pas avoir peur, et voilà, que je devais réfléchir à ce que je faisais,
03:07ce que je faisais était mal, et qu'il ne tuait pas les femmes, et que, puisqu'il m'épargnait, je devais lire le Coran.
03:16Comment est-ce qu'on vit avec ce moment-là en tête derrière, le fait d'avoir été, je le disais littéralement, épargnée ?
03:26Déjà, il y a de l'incompréhension. Pourquoi m'a-t-il épargnée ?
03:30Après, il y a des mots sur lesquels je m'interroge, parce que je trouve ça particulièrement injuste d'avoir été épargnée
03:40parce que je suis une femme, parce que je trouve ça très injuste, puisque je suis des hommes, du coup,
03:46et que je ne m'identifie pas par rapport à ça, que c'est pas une raison pour moi d'avoir été laissée en vie.
03:53Il y a le sentiment de culpabilité qui est très fort.
03:56Encore aujourd'hui ?
03:57Oui, et ce mystère d'avoir été laissée en vie, je ne comprends toujours pas pourquoi il m'a laissée en vie.
04:04Oui, on précise que je t'épargne parce que tu es une femme, et ils ont abattu Elsa Kayad dans la même pièce.
04:13La question du pourquoi moi ou pourquoi pas moi, dix ans après, elle est toujours là chez vous.
04:20Oui, et d'autant plus que pour la première fois au procès de Peter Scheriff, j'ai accepté de regarder la vidéo surveillance
04:28où on voit la rencontre entre Peter Scheriff et moi, et c'est vrai, comme l'avait dit à une époque, au premier procès, Yannick Haenel,
04:38si on ne s'avait pas en vie, on me penserait morte. J'aurais pas dû me relever normalement.
04:44Est-ce que vous vous souvenez du moment où vous vous dites « c'est terminé » ?
04:49Oui, quand on entend les coups de feu qui s'éloignent, qui sont dehors, oui.
04:54Dehors, il y a évidemment les premiers secours, il y a la panique, la fuite des frères Kwashi, avec ces coups de feu qui sont échangés,
05:01c'est là où ils vont tirer et abattre Ahmed Merhabet, il y a un certain nombre d'officiels qui vont arriver, etc., puis il y a les prises de parole.