Michel Catalano, l'imprimeur de Dammartin-en-Goële, invité d'Ici Paris Île-de-France, le 9 janvier 2025, 10 ans jour pour jour après la prise d'otage.
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00:008h15 sur votre radio locale, ici Paris-Ile-de-France, nous sommes le 9 janvier 2025 et il y a dix ans, jour pour jour,
00:07la traque meurtrière des frères Kouachi s'arrêtait chez nous, en Seine-et-Marne.
00:11Oui, à Damartin, en Goel, au nord du département, dans une imprimerie, la vôtre Michel Catalano, bonjour.
00:18Bonjour.
00:19Vous avez croisé la route des terroristes deux jours après la tuerie de Charlie Hebdo,
00:23puisqu'ils vous ont pris en otage pendant plusieurs heures ce 9 janvier 2015.
00:29Première question qui peut paraître anodine, mais comment allez-vous aujourd'hui ?
00:33Alors, c'est toujours difficile de répondre bien. En fait, je vais mieux.
00:38La preuve, c'est qu'aujourd'hui, c'est la première fois depuis dix ans que j'accepte même d'accepter une interview,
00:46parce que d'habitude, je suis plutôt au fond de mon lit, ou en tout cas, avec beaucoup de difficultés ce jour-là,
00:51parce que mon corps se rappelle de cet événement, puisque j'ai eu un choc post-traumatique.
00:55Physiquement ?
00:56Physiquement, oui.
00:56Qu'est-ce qui se passe exactement ?
00:58Ce qui se passe, c'est qu'avant 2015, j'étais en forme, je faisais beaucoup de sport,
01:02et j'étais dans une période de compétition à ce moment-là, j'étais très en forme.
01:05Et depuis 2015, je suis malade en fin d'année et en début d'année, tout le temps.
01:10Le corps s'est rappelé de ça, et encore cette année, au bout de dix ans, chaque année, au mois de décembre,
01:16je me dis que ça va aller mieux, et puis à cette période-là, le corps, physiquement,
01:19je n'ai pas bien dormi hier soir, en fait, j'ai beau à chaque fois essayer d'espérer que ça aille mieux à ce moment-là,
01:26mais non, en fait, physiquement, ça revient, parce que ça a été très violent.
01:30Aujourd'hui, vous sortez un livre en forme de témoignage, alors je le montre à la caméra, ce livre,
01:36il s'appelle L'imprimeur de Damartin, tout simplement.
01:39Dix ans après l'otage des terroristes se raconte, c'est vous.
01:42Pourquoi c'était important d'écrire sur ce qu'il vous est arrivé ?
01:45Ça a été pour moi une vraie thérapie, ça a été formidable.
01:48D'abord, j'ai mis beaucoup de temps à l'écrire, j'ai été obligé d'essayer de comprendre ce que j'avais fait ce jour-là,
01:53et comment j'avais réagi, et ça a été important.
01:55Donc j'ai tout noté, d'abord, avant d'écrire le livre, j'ai tout noté et discuté avec mon psy,
02:00et pour comprendre, j'ai mis un an, pour tout vous dire, alors qu'on se voyait pratiquement tous les vendredis,
02:05j'ai mis un an à sortir du bâtiment.
02:07Vous imaginez un peu ce que j'ai été obligé d'essayer de comprendre, ma réaction, pourquoi j'ai fait ça, comment c'est fait, etc.
02:14Et donc ensuite, au bout de 3-4 ans, j'ai finalement essayé de tout décrire,
02:19et j'ai voulu, au contraire, grâce au livre, j'ai voulu essayer d'expliquer un peu ce qui m'était arrivé,
02:25comment je m'en étais sorti, pourquoi je m'en étais sorti ce jour-là,
02:28mais aussi tout ce que ça impliquait derrière.
02:30Parce que vous avez vu les frères Kouachi, vous avez vu leur visage, vous leur avez parlé, vous avez même soigné l'un d'entre eux.
02:38Oui, absolument, on peut dire qu'effectivement ça a été un moment difficile,
02:42mais ce qu'il faut comprendre, et ce que j'ai compris grâce à l'écriture de ce livre et ce travail que j'ai fait avec mon psychologue,
02:47c'est que j'ai accepté très vite de mourir, que j'allais mourir.
02:51Donc à partir de là, tout ce qui s'est passé derrière, ça a été une espèce de mission pour moi,
02:56qui était de tout faire pour que mon collaborateur se sorte vivant de cette histoire.
03:02Donc tout ce que j'ai fait, je l'ai fait avec cette mission dans ma tête, et c'est ce qui m'a permis de m'en sortir.
03:06Votre collaborateur, Lilian, c'est un jeune graphiste à l'époque, que vous envoyez se cacher dans l'imprimerie,
03:14il va passer 9h confiné sous un évier.
03:16Aujourd'hui, est-ce que vous avez des nouvelles de lui ? Comment va-t-il ?
03:19Est-ce qu'il est toujours avec vous à l'imprimerie ?
03:22Non, parce qu'en fait, j'ai pris cette décision très rapidement, un peu tout seul d'ailleurs,
03:28même sans en parler vraiment avec ma famille qui, eux, voulait partir, tout le monde d'ailleurs.
03:33Et lui aussi, c'était très difficile de rester sur le lieu.
03:36Et moi j'ai décidé à ce moment-là, mon défi, tout de suite après, ça a été de reconstruire au même endroit.
03:42Et il a essayé de venir, mais bon, ça a été trop difficile, donc il est venu me voir,
03:46j'ai dit, mais non, on n'a pas fait ça, parce qu'on a un lien indéflectible qui est complètement différent,
03:51que personne ne peut comprendre.
03:53Et vous avez ensuite reconstruit cette imprimerie, ça, ça faisait aussi partie de votre reconstruction, à vous ?
04:00Ah oui, oui, complètement. En fait, j'ai compris très vite que cet objectif que je me suis fixé,
04:05c'est-à-dire la reconstruction de mon bâtiment, j'ai compris que c'était aussi ma propre reconstruction.
04:09J'avais besoin que ce soit fait, j'avais besoin qu'on enlève cette cicatrice dans cette zone industrielle,
04:13qui aurait pu rester quelques années, que ce bâtiment détruise.
04:16J'avais pas envie que l'image qu'on donne de mon entreprise, et indirectement de moi, c'était ça.
04:20C'est pour ça que j'ai apporté beaucoup d'attention à la construction de mon bâtiment,
04:24et justement au fait qu'il soit beau, qu'on s'y sente bien, que ce soit accueillant.
04:29C'était important pour moi, c'est pas que un bâtiment industriel.
04:328h20 sur votre radio locale, ici Paris, Île-de-France.
04:3410 ans après, avez-vous pu tourner la page des attentats ?
04:37Avez-vous toujours peur ? Ou est-ce que pour vous la menace s'éloigne ?
04:39Appelez-nous, réagissez au 01 42 30 10.
04:42Michel Catalano, vous êtes toujours en direct avec nous sur la radio locale, ici Paris, Île-de-France,
04:47pour parler de votre livre, L'imprimeur de Damartin.
04:51Dans votre livre, justement, vous évoquez aussi les complications administratives pour toucher des aides.
04:57Ça c'est quelque chose que vous avez appris au cours de votre combat.
05:01Est-ce que c'est une double peine que de devoir se battre contre l'administration,
05:06alors que la douleur est encore là, ancrée en vous ?
05:10Oui, en fait, mon psy définissait ça comme un surtraumatisme.
05:14En fait, c'était effectivement très compliqué.
05:16C'est pour ça que j'ai voulu le décrire dans ce livre.
05:19J'ai voulu expliquer qu'une fois qu'on est sorti du bâtiment,
05:23une fois qu'on nous a évidemment emplis de passion, de bienveillance,
05:30une fois qu'on a fait tout ça, il y a la réalité.
05:33Et la réalité, elle devient extrêmement compliquée et difficile.
05:37C'est un décalage entre la compassion générale qu'on peut entendre et ce que vous vivez chaque jour.
05:40C'est ça. Exactement. C'est vraiment ça.
05:43Et à ce moment-là, je n'avais pas la force, ni moi ni ma famille,
05:46de pouvoir monter au créneau et dire « Attendez, ce n'est pas sympa ».
05:49Souvent on me disait « Il faut y aller, il faut y aller ».
05:51Mais moi, je ne pouvais pas. C'était déjà difficile.
05:53J'avais déjà du mal à vivre, parce que c'était déjà pour moi difficile de vivre, tout simplement.
05:59J'avais l'impression de survivre tous les jours.
06:02C'était extrêmement compliqué, difficile.
06:04Je ne pouvais pas me mettre à un deuxième combat qui consistait à dire « C'est injuste » et tout ça.
06:07Je n'avais pas la force.
06:08Moi, mon objectif, c'était de construire.
06:10Donc, on a avancé.
06:11Et je dois dire aujourd'hui, je le dis, sans ma famille, sans ma femme surtout,
06:16et sans ma famille, je ne serais jamais arrivé. Jamais.
06:18C'est vrai que c'est quelque chose sur lequel vous incitez beaucoup dans le livre, la dimension familiale.
06:24Oui, complètement.
06:25En fait, la chance que j'ai eue après cet événement,
06:30vraiment, je pense que malheureusement, beaucoup de victimes n'ont pas cette chance.
06:33J'ai une famille exceptionnelle.
06:35Ils ont accepté, à la limite, de prendre des coups pour moi.
06:38Quand je dis prendre des coups, c'est absorber tout ce qui était négatif pour me permettre à moi d'avancer.
06:43C'est-à-dire qu'ils évitaient tout ce qui pouvait être désagréable,
06:46tous les personnes qui pouvaient m'envoyer des mots,
06:48parce qu'on a eu aussi des mots désagréables, des choses difficiles.
06:50Ils me protégeaient vraiment autour de moi.
06:52Ils m'ont permis de m'en sortir.
06:54Mais il fallait que je m'en sorte moi pour qu'eux s'en sortent aussi.
06:56Je reviens sur la reconstruction de l'imprimerie qui a été très importante pour vous.
07:00Vous avez, dans cette reconstruction, glissé quelques symboles dans l'imprimerie elle-même.
07:07Je pense par exemple à cette photo.
07:09Moi, ça m'a beaucoup marqué quand j'ai lu votre livre.
07:11Cette photo avec l'impact de balles au milieu de la photo.
07:17Vous l'avez conservée, cette photo ?
07:19Oui, en fait, je l'ai conservée. Je l'ai collée sur le bâtiment.
07:21En photo, on vous voit.
07:23Voilà. En fait, on ne voit pas que moi.
07:26En fait, on avait fait une sortie avec des amis plus mes employés.
07:31Cette photo a été mise sur un trépied à l'entrée du bâtiment.
07:35Il y a 800 balles qui ont été tirées.
07:37Il y a une balle qui passe et qui est entre moi, Lilian et ma sœur.
07:43Et elle ne touche personne.
07:44J'ai trouvé le symbole tellement fort que je n'ai pas pu me séparer de cette photo.
07:47Je l'ai collée parce que c'était le symbole, pour moi,
07:49qui représentait ce qui était arrivé ce jour-là dans mon entreprise.
07:52Et aujourd'hui, vous intervenez aussi dans les écoles et dans les prisons
07:56en tant que victime du terrorisme pour raconter votre histoire.
07:58Ça, c'est important aussi pour vous ?
08:00Oui, ça m'a beaucoup aidé.
08:02C'est une idée de mon psychologue.
08:04Il m'a emmené, grâce à l'Association des victimes du terrorisme,
08:08à cette démarche.
08:10Et j'en avais besoin.
08:11Ça me permet d'évacuer.
08:13Les élèves ont toujours des questions hyper intéressantes.
08:17Ils sont toujours bienveillants.
08:18Ils viennent vous voir.
08:19Ça donne de l'espoir.
08:21C'est très important.
08:22Et dans les prisons, j'ai été extrêmement étonné.
08:24Ça a été très difficile la première fois,
08:26mais j'ai été effectivement très étonné
08:28de la façon dont, justement, j'ai été accueilli dans une prison.
08:31Par les détenus ?
08:32Par les détenus.
08:33Qu'est-ce qui vous a marqué ?
08:34Plusieurs choses.
08:36Déjà, une fois, un détenu est venu me voir,
08:39à la fin me serrant la main,
08:40en me disant « Ecoutez, M. Catalan, votre témoignage m'a fait comprendre,
08:45m'a fait prendre conscience que je pouvais provoquer des victimes. »
08:49Et du coup, je vais essayer, en sortant, d'aller mieux.
08:52Alors, ça me fait beaucoup de bien, en fait,
08:55parce qu'on se dit même que ça vaut la peine d'être fait.
08:58Même si une personne, en sortant là, se dit
09:00« Bon, je vais changer mon comportement et ma façon de voir le monde »,
09:03je trouve ça formidable.
09:05Une thérapie qui passe aussi par l'écriture de votre livre,
09:08qui sort donc aujourd'hui, Michel Catalano.
09:10Merci beaucoup d'être venu dans les studios de votre radio locale,
09:14ici, par Île-de-France, l'imprimeur de Damartin,
09:16dix ans après « L'otage des terroristes se raconte ».
09:18Voilà le titre et le sous-titre de votre livre qui paraît aujourd'hui.
09:21Merci beaucoup.