Spectateurs ! d'Arnaud Desplechin en salles le 15 janvier 2025
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Court métrageTranscription
00:00Moi, j'ai besoin du cinéma pour trouver la vie été patente.
00:02Quand je me réveille le matin, je trouve que la vie est terne,
00:05que je n'ai rien à raconter, que je suis misérable,
00:08que tout est répétitif et ennuyeux, etc.
00:11Et puis, quand je vois un film, je vois la réalité projetée.
00:16Je me dis, mais en fait, c'est passionnant, la vie.
00:20Qu'arrive-t-il à la réalité quand elle est projetée ?
00:25Eh bien, la réalité, elle scintille.
00:28Le point de vue de chaque spectateur est singulier, irremplaçable.
00:33Tu vois, sans doute ce matin-là,
00:34j'ai su que je ferais peut-être un jour un film moi-même.
00:40Spectateur, c'est un film sur le cinéma
00:42et ce n'est pas un film sur les grands artistes,
00:44ce n'est pas un film sur les grands cinéastes,
00:45sur les grands maîtres, etc.
00:47Ces films-là, ils existent, ils sont formidables.
00:49Il y a les histoires du cinéma de Godard,
00:50il y a les films de Scorsese, etc.
00:52de Tavernier, tout ça, ça existe.
00:54C'est un film sur le cinéma et sur vous.
00:56C'est sur nous, spectateurs de cinéma,
00:58qu'est-ce qu'on fait dans la salle obscure ?
01:00Ça décrit ça.
01:01Et le film, c'est un mélange avec des bouts de fiction,
01:04des bouts d'extraits de films,
01:06des bouts d'autobiographies, des bouts de documentaires,
01:09tout ça mélangé et qui constitue une espèce de petite maison de cinéma
01:13où vous avez des pièces.
01:14Vous pouvez visiter, c'est les chapitres.
01:16Vous rentrez dans le salon et puis après,
01:18entrez dans la cuisine, je vous en prie,
01:19et puis vous avez la chambre d'amis,
01:21vous avez le bureau, etc.
01:22Et toutes ces pièces sont des petits chapitres
01:24qui vous montrent des expériences différentes
01:26qu'on peut avoir de cette position de spectatrice ou de spectateur.
01:29Spectateur, d'abord au pluriel,
01:31parce qu'il y a plein de façons d'être spectateur.
01:32Il n'y en a pas une qui est bonne, l'autre qui est mauvaise.
01:34Il y en a d'infinies de diversités.
01:36Vous voyez, aujourd'hui, on vit une époque où on dit
01:38il faut être acteur de votre vie, il faut être actif, etc.
01:42Et moi, qui ai passé la partie la plus importante de ma vie
01:45comme spectateur ou comme lecteur,
01:48on va dire, ah oui, ça c'est passif.
01:49Pas du tout, je le revendique.
01:51Alors, il y a le point d'accélération pour dire
01:53je suis très fier d'être un spectateur
01:55et je n'ai pas du tout l'impression d'être passif
01:57quand je suis dans une salle de cinéma.
01:58J'ai l'impression que je fais une activité secrète
02:00qui m'a moi-même obscur.
02:02Et pourtant, je suis très fier.
02:04Vous voyez, si je regarde un film,
02:06j'en pense des choses, j'accepte certaines choses,
02:08j'en refuse d'autres, j'en discute, je change d'avis, etc.
02:11Et ce siège de spectateur que j'occupe,
02:13il est infiniment précieux pour moi.
02:15Donc, le point d'accélération.
02:16Toi Delphine, tu es déjà allée au cinéma.
02:18Oui, j'ai été avec toi, mamie.
02:20Oui, et toi, pas encore.
02:22Non, mais j'ai regardé des films sur ta télé.
02:23C'est vrai, c'est vrai.
02:24Et tu vas voir au cinéma, c'est complètement différent.
02:29J'avais trouvé ma maison.
02:31Mais attends, qu'est-ce que tu regardes ?
02:33C'est dans l'autre sens.
02:34Oui, je sais.
02:35C'est vrai que j'ai été voir Louis Dufnes, le fantômas,
02:39que j'ai été voir avec ma grand-mère.
02:42Je ne savais pas comment faire.
02:43Je ne savais pas comment faire.
02:44Parce que j'avais déjà, si vous voulez,
02:45j'avais vu plein de films à la télé.
02:46Nous, on n'avait pas la télé chez mes parents.
02:48Il y avait la télé chez mes grands-mères.
02:51Donc j'avais vu des films, beaucoup, à la télé, le dimanche.
02:54Je connaissais le spectacle parce que j'ai déjà été au cirque,
02:58où on est assis comme ça.
03:00Et là, on était assis comme ci.
03:01Alors, je ne savais pas faire.
03:03Et je trouvais que la machine était beaucoup plus intéressante que le film.
03:06Et du coup, c'est vrai que j'avais envie d'être dans la cabine de projection,
03:10beaucoup plus que d'être...
03:11Et c'est ma grand-mère qui m'a enseigné.
03:12Maintenant, on doit regarder dans le même sens.
03:14Alors, ce qui est formidable au cinéma,
03:16c'est qu'on regarde tous dans le même sens,
03:17mais on fait tous une chose différente.
03:19C'est-à-dire qu'on est tous singuliers.
03:21Enfin, pour ça, c'est une idée contre le collectif
03:24et pour le droit au singulier.
03:28Tu veux de l'aide ?
03:30Non merci, c'est bon, c'est fini.
03:50Tu veux pas aller voir le film d'Honnête ?
03:53Non merci, je peux pas, c'est avec toi.
03:58Quand je vais voir un film,
04:00je vois la réalité projetée.
04:02Je me dis, mais en fait, c'est passionnant la vie.
04:04C'est le quotidien, au point de vue du quotidien.
04:05Vous voyez le petit-déjeuner des Frères Lumière,
04:09avec le nourrisson qu'il mange, avec tout ça.
04:12Il fait n'importe quoi avec sa cuillère, comme tous les nourrissons.
04:15Donc, vous regardez ça dans la vie, vous vous dites,
04:16si vous pouviez manger plus rapidement,
04:17ce serait plus simple pour aller au travail.
04:20Mais là, vous projetez et le film, il a une magie,
04:22vous savez pas pourquoi.
04:23L'entrée en barque comme ça,
04:24les Frères Lumière qui partent pour aller sur une barque,
04:27qui partent pour aller en vacances.
04:30Et vous regardez la mer qui miroite et tout ça,
04:32et vous vous souvenez du monde.
04:34C'est ça qui est magnifique au cinéma,
04:36c'est qu'on se souvient, enfin moi, je me souviens du monde
04:39et je me dis, franchement, c'est trépidant.
04:42Mais vous voyez, j'ai besoin du cinéma pour me souvenir
04:45de à quel point nos vies sont trépidantes.
04:48Je voudrais devenir un homme,
04:50ce serait merveilleux de vivre pareil aux autres hommes,
04:55loin des sages ennuyeux.
04:57Oh, oubidou, je voudrais marcher comme vous,
05:02et parler comme vous, faire comme vous.
05:07Une projection très importante pour moi,
05:09ça a été le livre de la jungle, que j'ai vu sans ma grand-mère,
05:12c'était avec ma mère que j'ai vu.
05:13Et moi, ce que j'adorais, c'était ce bruissement autour du film.
05:17Vous voyez la conversation.
05:18Moi, je ne comprenais pas tout, j'étais enfant,
05:20mais je voyais bien, les adultes, ils parlaient de cinéma.
05:22Et ça, ça me fascinait, parce que je pensais que le cinéma,
05:24comme c'est fait pour les gosses, c'était fait pour moi.
05:27Et les adultes, ils parlaient d'un truc qui était fait pour moi.
05:29Il y a une scène qui est très dérangeante,
05:30qui est une scène qui est chantée, je crois dans mon souvenir,
05:32par Louis Prima, qui est le roi des singes,
05:35qui chante « Je voudrais être un homme »,
05:37et qui est cette chanson.
05:38Et une partie de la critique avait interprété le texte
05:41par un Africain-Américain qui chante « Je voudrais être un blanc »,
05:45quelqu'un qui est noir et qui rêverait d'être un blanc.
05:47Donc, c'était une scène réactionnaire et raciste.
05:50Plus tard, j'ai revu « Dumbo », la scène des corbeaux.
05:53Alors « Crow », ça veut dire aussi « esclave » en américain.
05:57La scène des corbeaux dans « Dumbo », qui est extrêmement dérangeante,
06:00qui est aussi une scène qui joue avec le racisme.
06:02Beaucoup plus tard dans ma vie, je suis tombé sur « Bandwagon »
06:04de Minnelli, que j'adore.
06:06Deuxième chanson du film « Shine on my shoes ».
06:16Fred Astaire se fait cirer les chaussures
06:18par un sireur de chaussures qui est noir.
06:21Est-ce que c'est une oppression ?
06:23Or, dans ce film-là, le type qui cire les chaussures
06:26et qui danse avec Fred Astaire est l'homme qui a chorégraphié
06:30toutes les routines de Fred Astaire, qui était son maître absolu.
06:34Et c'est Fred Astaire qui a imposé que son maître joue dans le film
06:37et soit crédité au générique de début.
06:39Donc, quand est-ce que vous cachez quelqu'un
06:40ou quand est-ce que vous le montrez ?
06:42Quand est-ce que vous reconnaissez une communauté ?
06:44Quand est-ce que vous la dissimulez ?
06:46Alors, tout ça, s'il vous plaît, m'arrive avec « Mowgli »,
06:49le livre d'un film qui n'est vraiment pas le meilleur Walt Disney.
06:52Et je me dis, c'est dingue !
06:54C'est-à-dire que dans un film, il y a des significations cachées.
06:57Et c'est de ça dont je suis tombé amoureux.
06:59C'est le fait que vous pouvez, nous pouvons, tous nous pouvons,
07:02interpréter les films.
07:04Dire que ça veut dire ci, ça veut dire ça, pas du tout, tu te trompes,
07:06le début est bien, la fin est bizarre.
07:08Et faire partie de ce qu'on appelle la culture.
07:10Et c'est ça dont j'ai rêvé pendant une grande partie de ma vie.
07:15Donc, tu vas voir le Coppola ?
07:16Je vais le revoir.
07:17Ah, parce que t'as déjà vu le film ?
07:19Ah oui, hier.
07:20Et pourquoi tu y retournes ?
07:21Bah, les films qui comptent pour moi, j'aime bien les voir plusieurs fois.
07:23Combien de fois ?
07:24Je sais pas, trois fois.
07:25Trois fois ? Mais pourquoi ?
07:27Bah, la première fois, c'est pour découvrir.
07:29La deuxième fois, c'est pour admirer.
07:31Et après, c'est pour apprendre.
07:33Quand j'ai dû choisir un patrimoine,
07:35c'est quand j'ai vu « Mowgli »,
07:37quand j'ai dû choisir un patronyme pour le héros de spectateur,
07:41je me suis dit, Paul Dédalus, ça lui va bien.
07:43En plus, comme le film est un peu comme ça,
07:46avec ses chapitres compliqués, sa narration compliquée,
07:48Dédalus, ça fait un Dédale, un labyrinthe.
07:50Alors du coup, ça collait bien avec le film.
07:52J'aimais bien qu'il y ait différentes incarnations.
07:54C'est des possibilités de Paul Dédalus.
07:56Alors, il y en a une, c'est le petit Paul Birman,
07:58et puis il y a Milo Machado-Graner,
08:00qui est un peu plus âgé, qui a 14-15 ans.
08:02Après, on a Sam Chomoul, quand il est un peu plus âgé,
08:04il avance un peu plus.
08:07Il est un peu plus âgé, il a 21-22 ans.
08:09Et puis après, on le retrouve avec Salif Sissé.
08:12Et puis après, on voit cette espèce de sourire partagé
08:15avec Mathieu Amalric.
08:17Alors, à Mathieu Amalric, lui, il attend les 60.
08:19Alors, est-ce que c'est encore un Paul Dédalus
08:21qui salue un autre Paul Dédalus ?
08:23Mais, il y a Olga Milstein,
08:25qui est une jeune Paul Dédalus en fille,
08:27qui est la fille au café,
08:29et qui se demande, mais comment je peux savoir
08:31si je suis endormi ou réveillé ?
08:33Donc, c'est encore une incarnation de Paul Dédalus.
08:35Et c'est l'avantage possible de Paul Dédalus,
08:37puisque Paul Dédalus, c'est une invitation
08:39d'être n'importe qui.
08:41C'est quelqu'un qui ne se regarde pas.
08:43C'est quelqu'un qui regarde les autres.
08:45C'est pour ça que ça en fait un bon spectateur.
08:47Et alors là, c'est toutes ces possibilités
08:49de Paul Dédalus à différents âges,
08:51différents genres, différentes couleurs.
08:53Et c'est toujours Paul Dédalus.
08:55C'est ce type qui trouve que, quand même,
08:57la vie n'était pas tant, quoi.
09:05En fait, il y a un commentaire
09:07qui est joué par moi sur le film.
09:09C'est pour ça que je dis que c'est un film essai
09:11où je parle, je commente les films que je vois.
09:13Et il y a une phrase
09:15où je suis super fier
09:17de mon écriture.
09:19C'est quand on voit Bruce Willis
09:21dans le merveilleux Die Hard
09:23de John McClernand,
09:25qui tire sur une vitre
09:27pour passer à travers les vitres,
09:29pour ne pas s'écraser dessus, etc.
09:31Enfin, c'est une scène,
09:33époustouflante,
09:35faite avec énormément d'art.
09:37Et on entend le narrateur qui dit
09:39parce qu'au cinéma,
09:41tout geste est une action.
09:43Vous voyez faire un geste
09:45et ça devient une action.
09:47C'est-à-dire quelque chose de plein,
09:49quelque chose qui a de la signification,
09:51du poids, de la beauté,
09:53du mystère, de l'ambiguïté, etc.
09:55Et ça, c'est le cinéma, c'est incroyable.
09:57Vous voyez Ivan Hoey, il sort une épée,
09:59c'est une action.
10:02Il fait ça devant la diligence avec son fusil
10:04et c'est une action.
10:06C'est-à-dire un simple geste.
10:08Vous avez des fois des miracles comme ça au théâtre,
10:10mais au cinéma, c'est tout le temps.
10:12Des miracles comme ça,
10:14il y en a partout sur l'écran.
10:16Et ça, c'est formidable.
10:18Je suis absolument contre cette idée
10:20qu'il y ait des films nobles et des films pas nobles.
10:22Vous voyez, triviaux.
10:24Pour moi, c'est le privilège du cinéma,
10:26et comme disait Godard,
10:28seul le cinéma peut faire ça,
10:30un film populaire,
10:32un divertissement,
10:34et un chef-d'oeuvre qui concernera moins de spectateurs
10:36et dire que c'est toujours du cinéma, c'est pareil.
10:38J'ai une cinéphilie anarchique.
10:40Et surtout,
10:42mélangée.
10:44Donc aujourd'hui, avec mon travail,
10:46avec ma vie familiale,
10:48j'arrive à aller moins souvent au cinéma
10:50que ce que j'ai été.
10:52Et j'essaie d'y aller encore,
10:54et j'essaie de... Je peux plus tout voir,
10:56mais je vais voir n'importe quoi.
10:59C'est-à-dire, je vais voir un film
11:01populaire, et puis après,
11:03je vais voir un film d'auteur très pointu,
11:05et puis après, j'ai été voir le Serebrennikov,
11:07parce que j'adore Serebrennikov,
11:09donc j'ai été voir Alimonov,
11:11et puis après, j'ai allé voir Affindieu.
11:13Mais il n'y a pas d'ordre dans ce que je vois.
11:15Ce que j'aime, c'est le désordre,
11:17dans la vie et au cinéma.
11:19C'est un statement moral pour moi.
11:21Je trouve que le désordre est très sain,
11:23c'est un signe de bonne santé.
11:25Au début de l'hiver 43,
11:27on plantait des petits sapins
11:29de 3 ans, 4 ans, pour camoufler
11:31toutes les traces. On ne pouvait pas
11:33deviner que ces arbres
11:35cachaient le secret d'un camp
11:37d'extermination. Je savais à l'écriture,
11:39avant d'écrire le scénario,
11:41quand j'envoyais les premières notes
11:43au producteur, avec un vrai
11:45vague-plan, comme ça,
11:47de cette maison de cinéma, je savais qu'il y aurait
11:49une maison entière consacrée à choix.
11:51Peut-être parce que j'ai eu la chance de connaître Claude Lanzmann,
11:53parce que c'est un film qui a une importance
11:55énorme dans ma vie, et c'est un film qui a une importance
11:57énorme dans l'histoire du cinéma, dans l'histoire de l'art.
11:59Ça, c'est indéniable.
12:01Mais aussi parce que je pensais que ce film-là,
12:03l'expérience, mon expérience
12:05singulière, tout le monde n'est pas obligé de voir
12:07Schoen, c'est un film long, âpre,
12:09complexe, extrêmement
12:11vivant. Enfin, c'est plein de choses
12:13en même temps. Il y a des gens qui l'ont vu, des gens
12:15qui ne l'ont pas vu. Mais à travers cette expérience,
12:17j'avais l'impression que c'était une expérience
12:19qui reflétait plein d'expériences
12:21que chacun nous pouvons avoir avec les films.
12:23J'étais en Italie récemment, je parlais
12:25avec un jeune cinéphile,
12:27et il me parlait du film de Glaser,
12:29la zone d'intérêt.
12:31La zone d'intérêt, je ne sais pas bien ce que
12:33j'en pense. Je me souviens d'avoir été dans une
12:35salle comble à La Bastille en deuxième semaine
12:37et d'avoir été très fier de faire partie
12:39de cette foule de spectateurs. Et je regardais ce
12:41jeune homme qui me parlait du film avec fièvre
12:43et je trouvais ça magnifique. Pour lui,
12:45le moment où sa vie, elle avait bougé, c'était
12:47avec ce film-là. Chaque
12:49génération a ses films.
12:51Ce n'est pas vrai parce que les films sont transgénérationnels,
12:53c'est-à-dire que Shoah peut marquer aussi bien
12:55quelqu'un de 17 ans que quelqu'un de 60 ans.
12:57Ce n'est pas une question de génération
12:59comme ça, ce n'est pas mécanique. Il y a cette
13:01expérience que je raconte,
13:03qui est la mienne dans Shoah.
13:05J'étais voir ce film,
13:07après j'ai vu mes amis,
13:09mes proches, ma famille, je leur disais
13:11vous devriez aller voir ce film. Et j'en disais
13:13ça fait 9 heures.
13:15Je dis oui, mais je vous assure, c'est passionnant.
13:17On sait ce qu'il y a dedans.
13:19Ils disaient non, vous ne savez pas ce qu'il y a dedans.
13:21J'en disais si, si, on sait ce qu'il y a dedans.
13:23Ils disaient mais non, vous ne le savez pas.
13:25On sait bien quand même, oui,
13:27la destruction des Juifs d'Europe et tout ça.
13:29Je dis oui, mais quand vous êtes spectateur du film,
13:31vous apprenez quelque chose. Et tout d'un coup,
13:33moi, je me retrouvais témoin,
13:35c'est-à-dire spectateur du film,
13:37et incapable de témoigner.
13:39J'étais pareil que les personnages
13:41du film de Lanzmann,
13:43qui sont témoins de quelque chose
13:45et quand ils parlent, on ne les croit pas.
13:47Vous voyez ?
13:49Et donc, c'est une expérience extrêmement violente de spectateur.
13:51Mais vous pouvez faire le cas sur une comédie.
13:53Vous allez voir une comédie, vous allez dire, va le voir, c'est drôle.
13:55Oui, je connais, j'ai vu la bande annonce.
13:57Non, non, mais c'est vraiment drôle.
13:59Et là, vous êtes comptable d'une expérience que vous avez eue,
14:01vous devez la retransmettre et vous arrivez
14:03ou vous n'y arrivez pas.
14:05C'est une expérience très commune de spectateur que j'ai racontée
14:07à travers l'exemple extrêmement singulier
14:09et très brûlant, qui est celui du chef-d'œuvre
14:11de Lanzmann.
14:13À 14 ans,
14:15j'allais à Lille, seul, en tramway.
14:17J'étais très fier
14:19de mon audace.
14:21Je m'étais décidé à tricher sur mon âge
14:23pour acheter ma place de cinéma.
14:27Mon film parle de la jeunesse.
14:29Est-ce que la jeunesse, elle est perdue ?
14:31Est-ce que c'est un film de...
14:33Et que la jeunesse a d'autres préoccupations ?
14:35Ou est-ce qu'ils sont encore intéressés
14:37par le cinéma ?
14:39Est-ce que le cinéma est devenu obsolète ?
14:41Est-ce qu'on doit être mélancolique ?
14:43Est-ce que les gens sont dépassés ?
14:45Je pourrais vous répondre de deux façons.
14:47Une façon de vieil homme, le vieil homme que je suis.
14:49Je me souviens d'un merveilleux film
14:51qui s'appelait « Le tombeau d'Alexandre »
14:55où on voyait
14:57de Chris Marker
14:59et à la fin, il disait
15:01« Je suis un vieux dinosaure »
15:03et à ce moment-là, on voyait un petit dinosaure en plastique
15:05et on pensait au film de Spielberg
15:07avec les dinosaures.
15:09Mais les enfants adorent les dinosaures.
15:11J'adorais la fin de ce film de Chris Marker
15:13qui était de toute beauté.
15:15Mais après, je vais vous raconter un autre truc.
15:17Je viens de tourner un film avec François Civil
15:19qui s'appelle « Une affaire ».
15:21On était dans le métro le premier jour de tournage
15:23en étant toute petite équipe.
15:25Il n'y avait pas d'assistant, pas de régisseur,
15:27une caméra et hop, on rentrait.
15:29On rentrait dans le métro à Lyon
15:31et c'était avant la sortie
15:33de « L'amour ouf »
15:35une semaine avant.
15:37On rentre dans le métro avec François
15:39et on suit Civil comme ça sur le quai
15:41et on rentre dans le métro avec lui
15:43et on continue à le filmer
15:45et l'action du film se passe.
15:47Et à ce moment-là, on se retourne
15:49et il y a une petite fille qui était là
15:51qui avait 9 ans
15:53et elle regarde François Civil
15:55et elle dit « C'est François Civil »
15:57et elle commence à pleurer.
15:59Elle avait 9 ans.
16:01Après, François me disait,
16:03parce qu'il y avait tous les jeunes gens à Lyon
16:05qui se passaient sur TikTok en disant
16:07« Qu'est-ce qui m'arrive ? »
16:09Je leur disais, il t'arrive quelque chose de simple
16:11qu'il faut accepter,
16:13c'est que les gens ont envie
16:15d'être des héroïnes et des héros
16:17et toi, tu as un mystère du cinéma,
16:19tu ne peux pas l'expliquer,
16:21c'est un peu un héros.
16:23Et donc les gens se souviennent
16:25qu'eux-mêmes, c'est des héros
16:27quand ils te regardent.
16:29Tu leur as donné ça,
16:31tu leur as donné la possibilité
16:33qu'ils soient des héros.
16:35Ça te fait bizarre,
16:37tu leur as donné quelque chose,
16:39ils te le rendent, c'est aussi simple que ça.
16:41Ça, c'était une fille de 8 ans,
16:43dans le métro.
16:45Les enfants aiment les dinosaures.
17:05C'est bien ?