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Aujourd'hui, un européen sur cinq a plus de 65 ans. Ils seront un sur trois d'ici 2050, avec une espérance de vie qui continue d'augmenter. Se pose alors la question de la prise en charge du grand âge. Afin de soulager les finances publiques, plusieurs États confient, dès lors, l'accompagnement de leurs séniors à des entreprises privées en quête de rentabilité.
Pour en débattre, Jean-Pierre Gratien reçoit la journaliste Laurence Delleur, la sociologue Valentine Trépied et l'économiste Frédéric Bizard.

LCP fait la part belle à l'écriture documentaire en prime time. Ce rendez-vous offre une approche différenciée des réalités politiques, économiques, sociales ou mondiales....autant de thématiques qui invitent à prolonger le documentaire à l'occasion d'un débat animé par Jean-Pierre Gratien, en présence de parlementaires, acteurs de notre société et experts.

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#LCP #documentaire #debat

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Transcription
00:00:00Générique
00:00:02...
00:00:16Bienvenue à tous dans Débat.doc.
00:00:18Un Européen sur cinq a plus de 65 ans.
00:00:20Ils seront 1 sur 3 d'ici 2050
00:00:23et l'espérance de vie continue d'augmenter.
00:00:26Partout, donc, se pose de plus en plus la question
00:00:29de la prise en charge du grand âge en situation de dépendance.
00:00:33Et pour soulager les finances publiques,
00:00:35nombre d'Etats confient désormais
00:00:37l'accompagnement de leurs seniors aux entreprises privées
00:00:41et à leur soif de rentabilité.
00:00:43Voilà, entre autres, ce que constate le documentaire qui suit,
00:00:47intitulé Hold up sur les vieux,
00:00:49réalisé par la journaliste Laurence Dehleur
00:00:52et Nathalie Hemselheim.
00:00:53Je vous laisse le découvrir.
00:00:55Puis Laurence Dehleur sera à mes côtés sur ce plateau,
00:00:58en compagnie de la sociologue Valentine Trépied
00:01:01et de l'économiste Frédéric Bizarre.
00:01:04Avec eux, nous nous interrogerons
00:01:06sur la prise en charge de la dépendance du grand âge
00:01:09et de son épineuse équation financière
00:01:12dans notre pays.
00:01:13Bon doc.
00:01:15Musique douce
00:01:19...
00:01:24-"Vivre, c'est vieillir."
00:01:27...
00:01:30Et vieillir, c'est un défi.
00:01:33...
00:01:36En Europe, nous sommes de plus en plus nombreux
00:01:39à vivre de plus en plus longtemps.
00:01:41...
00:01:45Aujourd'hui, un Européen sur cinq a plus de 65 ans.
00:01:50...
00:01:52En 2050, ce sera un sur trois.
00:01:55...
00:01:58Ce vieillissement coûte cher, très cher, même.
00:02:01...
00:02:05La prise en charge de la dépendance et de la santé des personnes âgées
00:02:09pourrait représenter 30 % du produit intérieur brut européen
00:02:13d'ici 2070.
00:02:14...
00:02:23Dans l'espoir de soulager les finances publiques,
00:02:26de nombreux Etats ont fait le choix de confier le grand âge
00:02:29aux bons soins du secteur privé.
00:02:32Parce que les vieux ont beaucoup tait cher,
00:02:34ils peuvent aussi rapporter gros.
00:02:38C'est là tout le paradoxe de la silver economy.
00:02:41Un gisement d'or gris exploité par de grands groupes privés
00:02:45qui tirent les coups vers le bas pour augmenter leurs marges.
00:02:48...
00:02:51Nos aînés sont devenus une manne inépuisable
00:02:53sur laquelle on spécule.
00:02:55...
00:02:57Cette ressource, ce sont nos parents, nos grands-parents.
00:03:01...
00:03:03Et puis, c'est nous, les futurs clients des marchands de vieillesse.
00:03:07...
00:03:12Comment le capitalisme s'est-il emparé
00:03:14de nos ultimes années de vie ?
00:03:16Et à quel prix ?
00:03:17...
00:03:26Musique douce
00:03:28...
00:03:39Le vent siffle
00:03:41...
00:03:46En Europe, le marché du grand âge est dominé par trois multinationales.
00:03:51Orpea, Corian, appelée aujourd'hui Clariane,
00:03:55et Domus Vie, toutes d'origine française.
00:03:58...
00:04:03Pour attirer tous ces petits vieux, en faire des clients,
00:04:06la com' est bien rodée.
00:04:08...
00:04:13Fini les Ehpad grisâtres.
00:04:15Place au bonheur à la carte, dans la joie et l'abondance.
00:04:19...
00:04:23Les multinationales du grand âge se développent par acquisition,
00:04:26en absorbant des groupes de dimension moyenne.
00:04:29Il s'agit d'atteindre une taille critique
00:04:31et de disposer d'une puissance financière incontournable.
00:04:35...
00:04:36La profitabilité des groupes est aux alentours de 10 %,
00:04:39c'est-à-dire à peu près le même niveau
00:04:42que la moyenne des groupes du CAC 40,
00:04:44si je laisse de côté les banques et assurances très profitables.
00:04:48Donc c'est considérable.
00:04:50Ca veut dire qu'ils ont réussi
00:04:53à développer une stratégie
00:04:56à partir de la prise en charge de la vieillesse,
00:04:59qui leur permet d'être aussi rentable ou aussi profitable
00:05:04que Danone, qui vend des yaourts.
00:05:08Ces résultats ont été extrêmement élevés
00:05:10parce qu'ils ont pu pratiquer des prix élevés en France
00:05:13et parce que l'Etat les a en partie financés.
00:05:16La France, c'est ce qu'on appelle une vassalée.
00:05:19C'est bien la puissance publique
00:05:21qui a construit ce secteur de cette manière-là.
00:05:24On les a laissés entrer, on les a encouragés à entrer dans ce secteur
00:05:28et on leur reproche de financer leurs actionnaires,
00:05:30mais c'est leur raison d'être.
00:05:32...
00:05:35Les coûts liés aux soins et à la dépendance
00:05:37demeurent à la charge de l'Etat, notamment les frais de personnel.
00:05:41Les pouvoirs publics subventionnent ainsi
00:05:44une industrie devenue très rentable.
00:05:47Alors, pour limiter la dépense, à partir de 2010,
00:05:51l'Etat va restreindre les ouvertures de maisons de retraite.
00:05:55Mais les géants du privé lucratif,
00:05:57qui possèdent 25 % des EHPAD, vont trouver la parade.
00:06:02Quand les potentiels de croissance en France
00:06:04commencent à ralentir ou à se tarir,
00:06:07on trouve d'autres potentiels de croissance à l'international.
00:06:11Parce qu'on a des opportunités, là aussi, d'achat et de concentration.
00:06:15Donc, on va reproduire à l'international
00:06:18ce qu'on a fait en France.
00:06:19...
00:06:21Grâce aux profits amassés en France,
00:06:23les grands groupes partent à la conquête de l'Europe.
00:06:26Une stratégie payante.
00:06:29En 10 ans, ils doublent, voire triplent leur chiffre d'affaires.
00:06:33En 2022, celui de Domus Vie atteignait 1,6 milliard d'euros.
00:06:38Ceux d'Orpea et Corian, 4,5 milliards chacun.
00:06:44Orpea est désormais présent dans 16 pays du continent.
00:06:49L'autre géant, Corian, est implanté dans 6 pays européens,
00:06:53dont l'Allemagne, où il réalise un quart de son chiffre d'affaires.
00:06:58Domus Vie est établi dans 6 pays européens également,
00:07:02particulièrement en Espagne.
00:07:05Musique intrigante
00:07:07...
00:07:12L'Espagne a l'une des espérances de vie les plus élevées au monde.
00:07:16Pour les marchands de vieillesse, c'est l'Eldorado.
00:07:20...
00:07:22Là-bas, le secteur du grand âge
00:07:24a été presque entièrement livré aux entreprises privées.
00:07:27Les groupes français se sont donc empressés
00:07:30de franchir les Pyrénées
00:07:32avec la bénédiction des autorités politiques locales.
00:07:35...
00:07:38La privatisation du secteur des soins en maison de retraite
00:07:41est beaucoup plus importante en Espagne qu'en France.
00:07:44Ici, 89 % des établissements sont gérés par le secteur privé.
00:07:48...
00:07:51Ca signifie que le privé a beaucoup de pouvoir
00:07:53dans la définition des politiques publiques
00:07:55en la matière dans notre pays.
00:07:57Les groupes privés savent qu'il y a du profit à faire.
00:08:01Ils ont une clientèle et des fonds publics garantis.
00:08:03C'est une combinaison parfaite pour eux.
00:08:06...
00:08:10Domus Vi a pénétré le pays en rachetant 2 sociétés espagnoles.
00:08:14...
00:08:15Depuis, le français dispose d'une position hégémonique.
00:08:19Il est le seul à posséder des établissements
00:08:21dans toutes les régions.
00:08:23Un empire formé à partir de la Galice,
00:08:26au nord-ouest de la péninsule ibérique.
00:08:29Mais ce succès économique ne garantit pas forcément
00:08:32une meilleure qualité de vie pour les pensionnaires.
00:08:35Carmen, la grand-mère d'Iria,
00:08:38a séjourné 2 mois dans le centre Domus Vi de Montfortet en 2020.
00:08:43Elle en est partie depuis.
00:08:45...
00:08:54...
00:09:11Ma grand-mère a commencé à avoir une démence importante.
00:09:15Et à un moment, je ne pouvais même plus sortir de la maison
00:09:18et la laisser toute seule.
00:09:20Quand elle est arrivée à la maison de retraite,
00:09:22la directrice de Domus Vi m'a conseillé
00:09:25de ne pas la voir le premier mois.
00:09:27Une fois le mois d'adaptation terminé,
00:09:30j'ai commencé à demander des appels vidéo.
00:09:33Et quand j'ai vu qu'elle ne parlait pas,
00:09:35qu'elle ne faisait aucun geste
00:09:37et qu'on devait lui tenir la tête pour qu'elle ne tombe pas,
00:09:40c'est là que mon cauchemar a commencé.
00:09:43...
00:09:47La directrice m'explique que ma grand-mère est très âgée
00:09:52et qu'elle commence à s'éteindre, que c'est la loi de la vie.
00:09:55J'insiste et je la prie de l'envoyer à l'hôpital
00:09:58pour savoir ce qui se passe.
00:10:00Dans la chambre d'hôpital, ma grand-mère a commencé
00:10:02à éliminer une grande quantité de liquide,
00:10:05de couleurs noires, vertes, de toutes les couleurs,
00:10:07avec une odeur nauséabonde.
00:10:09C'était à cause de ses intestins.
00:10:11Ca faisait plusieurs jours qu'elle n'allait pas à la selle.
00:10:14Les médecins m'ont alors expliqué qu'elle était dénutrie,
00:10:18déshydratée et qu'elle avait une thrombose pulmonaire.
00:10:22Et quand ils ont su qu'elle venait de chez Domus Vitae,
00:10:25leurs visages se sont décomposés.
00:10:27...
00:10:32Au fur et à mesure que les soignants examinent la vieille dame,
00:10:35ils découvrent avec effarement la gravité de son état.
00:10:38J'ai quelques photos de l'escar, au sacrum de ma grand-mère.
00:10:48Elle est de la taille de mon poing.
00:10:51C'est inconcevable.
00:10:56Là, c'est le talon.
00:10:58Toute cette partie est déjà cicatrisée,
00:11:01mais elle n'a plus de talon et elle ne pourra plus jamais marcher.
00:11:05Jamais.
00:11:09J'ai pleuré.
00:11:10Je n'avais jamais vu une chose pareille
00:11:13et je ne m'attendais vraiment pas à ça.
00:11:15Et même les infirmières de l'hôpital,
00:11:17quand elles ont vu ça, elles se sont affolées.
00:11:20...
00:11:28Je suis en colère parce qu'ils m'ont mentie.
00:11:30Ils me disaient que ma grand-mère allait bien,
00:11:33mais tout ça, c'était des mensonges.
00:11:35Ils ont mis 7 jours avant de la transférer à l'hôpital.
00:11:39Je suis furieuse.
00:11:40Ma grand-mère aurait pu mourir par leur faute.
00:11:43...
00:11:46Carmen, la grand-mère d'Iria,
00:11:49est loin d'être un cas isolé en Espagne.
00:11:51Ces images choquantes d'une résidence d'homus
00:11:54vide dans la région de Valence
00:11:56avaient défrayé la chronique en septembre 2020.
00:11:59...
00:12:08Des personnes âgées attachées,
00:12:11amaigries,
00:12:12livrées à leur sort malgré leur dépendance,
00:12:15chutant sans être secourues.
00:12:17...
00:12:30Musique douce
00:12:33...
00:12:40Vieillir est s'encore vivre
00:12:41si on est plus considéré,
00:12:44plus respecté.
00:12:46...
00:12:49Vieillir est s'encore vivre
00:12:51si on n'est plus soigné,
00:12:53ni traité avec dignité.
00:12:55...
00:13:10Les résidences espagnolas,
00:13:12les maisons de retraite espagnoles,
00:13:15ont les taux les plus élevés au monde d'escarts,
00:13:18d'infections urinaires
00:13:20et d'infections nosocomiales,
00:13:22selon l'OCDE.
00:13:23...
00:13:26Les escarts sont une conséquence de l'immobilisation.
00:13:31Un patient immobilisé finit par faire des escarts.
00:13:34...
00:13:36Pour mobiliser le patient,
00:13:38il faut le changer de position.
00:13:40Et pour ça, il faut du personnel soignant.
00:13:42...
00:13:45Mais c'est bien plus rentable d'être en sous-effectif,
00:13:48d'avoir des ratios de personnel plus bas
00:13:50que d'embaucher plus de gens.
00:13:52...
00:13:55En réponse, le groupe Domus Vi
00:13:57affirme respecter les protocoles d'hygiène
00:14:00et de propreté les plus strictes,
00:14:02et souligne la pénurie de personnel
00:14:04dont souffre le secteur en Espagne.
00:14:06...
00:14:08...
00:14:12...
00:14:18...
00:14:21Ces images idylliques
00:14:22dissimulent pourtant une réalité parfois terrible
00:14:25que de nombreuses familles et salariés dénoncent.
00:14:28Mais ils s'attaquent à une entreprise très puissante.
00:14:31...
00:14:33En Espagne,
00:14:34Domus Vi doit son développement fulgurant à une femme.
00:14:37Joséfina Fernandez.
00:14:39...
00:14:42Cette ancienne directrice de maison de retraite
00:14:45a bâti en quelques années un empire de 200 résidences
00:14:48et près de 30 000 salariés.
00:14:50...
00:14:53Grâce à elle, la multinationale réalise désormais
00:14:57près de la moitié de son chiffre d'affaires mondial en Espagne.
00:15:00...
00:15:04En novembre 2020,
00:15:06une commission est créée au Parlement de Galice
00:15:09sur les effets de la pandémie.
00:15:11La PDG du groupe est auditionnée.
00:15:13Un député de l'opposition l'interpelle.
00:15:15...
00:15:18...
00:15:39...
00:15:41Au fil du temps,
00:15:42Joséfina Fernandez a su tisser des liens solides
00:15:45avec le parti populaire au pouvoir en Galice
00:15:48et en particulier avec son chef, Alberto Ferro.
00:15:52...
00:16:02Tous deux affichent une complicité évidente,
00:16:05visible lors de cette remise de prix.
00:16:07...
00:16:10Une relation que va questionner le représentant de l'opposition
00:16:14lors de la suite de l'audition de la femme d'affaires
00:16:17au Parlement de Galice.
00:16:19...
00:16:29...
00:16:34Les représentants du parti populaire
00:16:37tentent d'empêcher le député de dénoncer la présence
00:16:40de l'épouse du président de ce Parlement
00:16:43dans le comité d'éthique de Domus Vitae.
00:16:45...
00:16:51Joséfina Fernandez n'a pas besoin de se justifier.
00:16:55Le responsable de la commission s'en charge à sa place.
00:16:58...
00:17:12Quant à Joséfina Fernandez,
00:17:14elle ne reconnaît aucune faute
00:17:16et se dit même fière du travail accompli.
00:17:19...
00:17:27...
00:17:29Malgré les dénonciations, malgré les maltraitances,
00:17:32Domus Vitae semble intouchable.
00:17:34...
00:17:36Les familles questionnent le parti pris des inspecteurs
00:17:39chargés de surveiller les maisons de retraite,
00:17:42les fonctionnaires, dépendants des gouvernements régionaux.
00:17:45...
00:17:47Dans le cas de la grand-mère d'Iria, qui a failli mourir,
00:17:50les inspecteurs ont répondu
00:17:52qu'aucune lacune n'a été constatée dans les soins médicaux,
00:17:56reprochant même à la résidente
00:17:58de ne pas avoir fait preuve de coopération.
00:18:01...
00:18:02Comment est-ce possible qu'une personne de 92 ans,
00:18:05souffrant de démence, soit accusée d'être mal nourrie,
00:18:08d'avoir des escarts et de ne pas avoir été transférée à l'hôpital ?
00:18:12Comment c'est possible ?
00:18:13...
00:18:16L'Espagne ne compte que 200 inspecteurs environ
00:18:19pour 400 000 résidents dans tout le pays.
00:18:22Et leurs rapports ne sont pas rendus publics.
00:18:25...
00:18:3190 % du secteur des maisons de retraite
00:18:33est privatisé en Espagne.
00:18:35Et l'Etat n'assure que très imparfaitement
00:18:38sa mission de contrôle.
00:18:40...
00:18:42Les sanctions imposées sont rares et peu sévères.
00:18:45Donc, les grands groupes ne les craignent pas.
00:18:48...
00:18:52Si une entreprise écope d'une amende de 6 000 euros
00:18:55pour manque de personnel,
00:18:57mais que ce manque de personnel
00:18:59lui permet d'économiser 20 000 euros,
00:19:02ça revient à pousser l'entreprise
00:19:05à ne pas respecter la loi.
00:19:07Et ça ne l'incite pas suffisamment à corriger le tir.
00:19:10...
00:19:13Les grands groupes privés peuvent ainsi maintenir leur pratique
00:19:16et Domus Vitae, sa domination sur le pays.
00:19:19...
00:19:21Josefina Fernandez a fini par quitter l'entreprise
00:19:24en avril 2023, suite aux polémiques liées au Covid.
00:19:27...
00:19:29Malgré l'enfer vécu par sa grand-mère,
00:19:32Iria a été contrainte de la placer à nouveau
00:19:34dans une résidence d'Homus Vitae.
00:19:36La Galice ne construisant plus de maisons de retraite publiques
00:19:40depuis 2009.
00:19:41...
00:19:43La multinationale française
00:19:44poursuit l'ouverture de résidences en Espagne,
00:19:47à la grande satisfaction de ses actionnaires.
00:19:50...
00:19:54...
00:19:57L'or gris.
00:19:58S'il y a un pays où les investisseurs ont compris
00:20:00comment se faire de l'argent avec les vieux,
00:20:03c'est bien le Royaume-Uni.
00:20:04...
00:20:06La financiarisation du secteur du grand âge
00:20:09y a été poussée à l'extrême.
00:20:11...
00:20:12A Guernézay, un petit paradis fiscal britannique,
00:20:15non loin des côtes normandes,
00:20:17l'homme qui possède cette luxueuse maison
00:20:20connaît bien le sujet.
00:20:21...
00:20:27John Moulton a dirigé une société de capital risque.
00:20:30Un fonds d'investissement qui a fait fortune
00:20:33en rachetant des maisons de retraite.
00:20:35...
00:20:37Certains fonds d'investissement se développaient très vite
00:20:40et cherchaient des secteurs où investir.
00:20:43Tout le monde se disait, achetons des maisons de retraite,
00:20:46on va les rentabiliser et se faire beaucoup d'argent.
00:20:49Et en effet, des gens ont gagné beaucoup d'argent à cette époque.
00:20:54Il se faisait 25, 35 % de rendement avec les maisons de retraite.
00:20:59...
00:21:01...
00:21:03Mais ce dynamisme financier a son revers.
00:21:05Et ce sont les pensionnaires des maisons de retraite anglaises
00:21:09qui en font les frais.
00:21:10Ici, les grands groupes saisissent la moindre opportunité de marché.
00:21:15Opérations immobilières, revente au plus offrant.
00:21:19Un établissement peut donc fermer du jour au lendemain,
00:21:23sur décision comptable.
00:21:24Et les résidents sont ballotés d'une maison de retraite à l'autre.
00:21:29La loi impose au propriétaire un préavis de 28 jours seulement
00:21:33pour prévenir les familles,
00:21:35qui doivent trouver en urgence une nouvelle place pour leurs proches.
00:21:40C'est la mésaventure qui est arrivée à Paul Finch, à Bristol.
00:21:45A 92 ans, l'état de sa mère, Pam, a commencé à se dégrader.
00:21:52Jusque-là, cette ancienne comptable avait toujours vécu chez elle.
00:21:56Il y a deux ans, son fils unique a dû se résoudre
00:21:59à la placer dans une résidence pour personnes dépendantes.
00:22:12C'était la chambre de ma mère. Elle donnait sur le jardin.
00:22:16C'était juste à côté de chez moi.
00:22:17Je pouvais y aller en quelques minutes tous les jours.
00:22:22Elle a dû partir parce que la maison de retraite fermait.
00:22:25Et il a fallu lui trouver une place ailleurs.
00:22:28C'était très compliqué parce que les 50 autres pensionnaires
00:22:31cherchaient eux aussi un établissement à Bristol.
00:22:38Je ne savais rien de tout ça,
00:22:40le jour où je suis venu ici pour lui trouver une place.
00:22:44Je me suis douté que quelque chose n'allait pas
00:22:47parce que j'ai vu des géomètres arpenter le site.
00:22:49Ils prenaient des mesures avec leurs instruments.
00:22:55J'ai donc demandé si la maison de retraite allait fermer.
00:23:00Et on m'a répondu catégoriquement, non, on ne va pas fermer.
00:23:05En réalité, au moment où Paul installe sa mère,
00:23:09le propriétaire de la maison de retraite, le groupe HC1,
00:23:13avait déjà fait des démarches pour vendre ce site.
00:23:17Et six mois avant d'en informer les familles,
00:23:19sur des croquis alors confidentiels,
00:23:21des immeubles de rapports remplacent déjà les pavillons des personnes âgées.
00:23:32Je suis très fâché contre HC1
00:23:34parce qu'ils se présentent comme l'entreprise des bons soins,
00:23:38alors qu'ils ont clairement menti à moi et à d'autres familles.
00:23:43Ils savaient parfaitement que le site allait être reconverti et vendu.
00:23:48Je pense qu'ils mentaient pour attirer des clients jusqu'au dernier moment.
00:23:51Et prendre leur argent pour les garder là et encaisser les mensualités.
00:23:58Les actionnaires passent en premier.
00:24:00Et les proches, les familles et tous ceux qui sont impliqués sont secondaires.
00:24:04Ce ne sont que des puants sans importance.
00:24:21Mais que pèse le bien-être de 50 résidents âgés
00:24:24face à la valeur d'un bien immobilier d'un hectare et demi,
00:24:28proche du centre-ville de Bristol ?
00:24:33HC1 a justifié la fermeture de la résidence
00:24:36pour les personnes âgées.
00:24:38Mais il n'y a pas d'argent pour les résidents âgés.
00:24:41Il n'y a pas d'argent pour les résidents âgés.
00:24:43Il n'y a pas d'argent pour les résidents âgés.
00:24:46Il n'y a pas d'argent pour les résidents âgés.
00:24:48Il n'y a pas d'argent pour les résidents âgés.
00:24:50Le fermeture de la résidence par ses difficultés à recruter.
00:24:58Un terrain qui vaut de l'or.
00:25:00Un établissement aux taux d'occupation trop faible pour être rentable.
00:25:04Un manque de personnel.
00:25:05Quelles que soient les raisons d'une fermeture,
00:25:08les familles sont toujours les dernières au courant.
00:25:13De leur côté, les salariés du secteur
00:25:15subissent eux aussi l'arbitraire des investisseurs.
00:25:18dans un pays où le marché fait la loi.
00:25:24On est impuissants face à la fermeture de ces résidences.
00:25:28On a régulièrement fait part de nos inquiétudes.
00:25:31En tant que syndicats,
00:25:33on a demandé aux collectivités locales de les racheter.
00:25:36Le problème, c'est qu'elles disent qu'elles n'ont pas les moyens
00:25:40à cause des coupes budgétaires incessantes.
00:25:43Donc, on se retrouve coincés entre le marteau et l'enclume.
00:25:49Selon ce spécialiste des politiques sociales britanniques,
00:25:52l'objectif est clair.
00:25:54Économiser l'argent public.
00:25:59Sous Thatcher, on a considéré qu'il fallait soulager l'état
00:26:02du fardeau que représentaient ces dépenses.
00:26:09On devait faire sortir ces dépenses du système de santé public
00:26:13en laissant les entreprises privées fournir ces services.
00:26:19Le cœur de cette idée,
00:26:20c'était d'éviter que ce soit aux contribuables de payer,
00:26:24d'éviter que ce soit le service public qui paie
00:26:27en offrant des soins gratuits.
00:26:32On devait aller vers un système où l'individu payait davantage.
00:26:38Et quand c'était à l'état de payer pour les personnes âgées,
00:26:41ça devait être le moins cher possible.
00:26:43Le mouvement de privatisation initié par Margaret Thatcher
00:26:47fait apparaître une nouvelle catégorie de capitalistes,
00:26:51les marchands de vieillesse.
00:26:54Dès 1988, un entrepreneur écossais, Robert Kilgour,
00:26:59a compris que le grand âge, c'était l'avenir.
00:27:03A l'époque, cet ancien vendeur de jeans,
00:27:06promoteur immobilier et businessman dans l'âme,
00:27:09est attiré par la crise de la crise de la COVID-19.
00:27:11Le business man dans l'âme est attiré par les subventions généreuses
00:27:15que verse le gouvernement britannique.
00:27:21J'avais un immeuble et je ne savais pas quoi en faire.
00:27:25Un ami m'a suggéré de me tourner vers un nouveau secteur,
00:27:28celui des maisons de retraite.
00:27:31Je me suis dit que oui,
00:27:32mon immeuble conviendrait bien pour un établissement de ce type.
00:27:36C'est comme ça que j'ai créé Four Seasons Health Care
00:27:40et que j'ai ouvert ma première maison de retraite
00:27:43à une époque où c'était rentable pour le privé d'investir dans ce secteur.
00:27:47L'entreprise s'est développée lentement les premières années.
00:27:52Après, on a eu l'opportunité d'acheter une société
00:27:55qui possédait 61 maisons de retraite.
00:27:59On ne pouvait pas financer nous-mêmes une opération d'une telle ampleur,
00:28:04un tel changement d'échelle, et la banque ne voulait pas suivre.
00:28:09On a donc frappé à la porte des fonds d'investissement.
00:28:13C'est comme ça que le grand Four Seasons est né.
00:28:16101 maisons de retraite,
00:28:19le 5e groupe du Royaume-Uni,
00:28:22plus de 7 000 employés.
00:28:26A partir des années 2000,
00:28:28l'entreprise devient l'un des géants du secteur
00:28:31grâce à l'argent injecté par la société de capital risque Alchemy Partners.
00:28:37Ce fonds, géré par John Moulton,
00:28:39va réaliser une opération juteuse en revendant Four Seasons,
00:28:43cinq ans plus tard.
00:28:46Aujourd'hui encore, depuis son havre de Guernesey,
00:28:49le financier s'en souvient avec émotion.
00:28:52On l'a acheté pour pas très cher.
00:28:56On a amélioré son fonctionnement et on l'a même développé un peu.
00:29:00Et on l'a vendu à d'autres fonds d'investissement
00:29:02qui se sont battus pour l'avoir.
00:29:04C'était une vente aux enchères sous pli fermé un samedi
00:29:07et le prix était élevé.
00:29:10Plusieurs centaines de millions.
00:29:15Désolé, je n'ai pas tous les chiffres en tête.
00:29:18J'ai fait plus de 250 deals.
00:29:24Attirés par ces perspectives de profit colossales,
00:29:27trois fonds vont se succéder en huit ans
00:29:30pour reprendre Four Seasons à tour de rôle.
00:29:33Ils procèdent via un mécanisme bien connu des experts.
00:29:37Pour obtenir le gain le plus élevé possible,
00:29:40ils rachètent le groupe en investissant peu d'argent propre
00:29:43et en ayant recours à beaucoup d'endettements.
00:29:48Chaque nouvel acquéreur avait pour stratégie
00:29:51de faire grossir l'entreprise,
00:29:53en pensant que plus elle serait grande, plus elle se vendrait cher.
00:29:56Plus ça allait,
00:29:58et c'est l'un des problèmes clés du secteur,
00:30:01plus les dettes s'accumulaient.
00:30:04Il y avait de plus en plus d'emprunts
00:30:06et donc de plus en plus d'intérêts à payer.
00:30:08Ce n'était pas des emprunts classiques,
00:30:11avec des taux de 3 ou 5 %.
00:30:14Certains taux montaient jusqu'à 15 ou 18 %
00:30:17dans un secteur qui ne rapporte pas autant.
00:30:22À son apogée, il y avait presque 1,2 milliard de livres de dettes
00:30:26pour une société qui en gagnait environ 1,5 million par an.
00:30:30C'est là que le groupe a été démantelé
00:30:32et placé sous administration judiciaire.
00:30:52La chute de l'un des plus grands opérateurs britanniques
00:30:55met dans le désarroi 17 000 familles
00:30:58et 22 000 salariés.
00:31:00Avec le recul,
00:31:02celui qui a fait entrer le loup dans la bergerie
00:31:05fait son mea culpa et dénonce lui-même
00:31:07les effets pervers de la financiarisation à outrance du secteur.
00:31:12Je suis le premier à avoir fait entrer
00:31:14une société de capital risque Alchemy Partners
00:31:17dans Four Seasons.
00:31:19Les autres fonds, ceux qui sont arrivés après,
00:31:21ne se sont pas bien comportés.
00:31:23Si je n'avais pas ouvert la porte, ils n'auraient pas pu s'introduire.
00:31:26J'ai donc un fardeau à porter.
00:31:28C'est la responsabilité que je dois assumer.
00:31:31Est-ce que je le referai aujourd'hui ? Non.
00:31:35Les rendements annuels trop ambitieux
00:31:37que ces fonds d'investissement ont essayé d'extraire
00:31:40du secteur des maisons de retraite
00:31:44ont, à mon avis, causé beaucoup de dégâts.
00:31:48Dans leur tête, c'est comme ça que ça fonctionne.
00:31:51C'est ce qu'ils font. Ils achètent beaucoup d'établissements,
00:31:54les agrègent pour créer artificiellement de la valeur,
00:31:57puis ils se retirent en ayant gagné beaucoup d'argent.
00:32:06Pour les opérateurs encore à flot,
00:32:08le maintien de la rentabilité passe par une sélection
00:32:11des bons clients, ceux qui ont les moyens.
00:32:14Les groupes privés ont tendance à fermer
00:32:16les maisons de retraite moins rentables
00:32:18dans les régions pauvres,
00:32:20où les subventions locales sont peu élevées.
00:32:22A leur place, des établissements luxueux voient le jour.
00:32:28Musique douce
00:32:31...
00:32:32La plupart de leurs pensionnaires supportent seuls
00:32:35une facture très élevée.
00:32:36Près de la moitié des Britanniques
00:32:38sont ce qu'on appelle des self-payers,
00:32:41ceux qui payent eux-mêmes, sans allocation de l'Etat.
00:32:44Ce sont ces clients qui fournissent
00:32:46au grand groupe l'essentiel de leurs marges.
00:32:50Certaines entreprises se font beaucoup d'argent,
00:32:53en particulier sur les résidents privés,
00:32:55ceux qui paient de leur propre poche.
00:32:57Elles font sortir énormément d'argent du système.
00:33:00Beaucoup d'entre elles possèdent des filiales
00:33:03dans des paradis fiscaux.
00:33:04On peut donc dire que c'est une perte nette
00:33:07pour le Royaume-Uni,
00:33:08parce que cet argent n'est pas imposé comme il le devrait.
00:33:11Ses revenus quittent le pays,
00:33:13et le gouvernement ne peut les réinvestir
00:33:15pour financer les maisons de retraite ou autre.
00:33:18...
00:33:19Musique douce
00:33:20Quel point commun entre les Anglais Four Seasons et HC1 ?
00:33:25Ou encore Domus Vie, le groupe français leader en Espagne ?
00:33:29Tous procèdent d'un montage financier complexe,
00:33:32dont les ramifications aboutissent
00:33:34dans différents paradis fiscaux, comme Guernézet.
00:33:37...
00:33:38Les fonds d'investissement actifs sur ce marché
00:33:41parviendraient ainsi à échapper en partie à l'impôt sur les profits,
00:33:44gagnés pourtant grâce à l'argent public.
00:33:47...
00:33:48Je vais vous montrer la structure classique
00:33:50d'un fonds de capital à risque.
00:33:5332 entreprises.
00:33:54La première d'entre elles est aux îles Caïmans
00:33:57et porte le nom d'un film de James Bond,
00:34:00Skyfall.
00:34:01C'est fait exprès pour que ni vous,
00:34:03ni des analystes comme moi ne puissions comprendre.
00:34:07On se perd dans le brouillard.
00:34:09...
00:34:11Pourquoi le gouvernement britannique
00:34:13tolère qu'un grand groupe de maisons de retraite
00:34:16transfère de l'argent à l'étranger pour tenter d'échapper à l'impôt ?
00:34:20Pourquoi la réglementation est défaillante ?
00:34:23...
00:34:24Face à cette situation, la classe politique reste inerte.
00:34:28Aucune des grandes promesses,
00:34:30comme celle affichée par Boris Johnson, n'a été mise en oeuvre.
00:34:33...
00:34:50De beaux discours, mais dans les faits,
00:34:53l'Etat continue de choyer les grands groupes.
00:34:56Depuis 2014, une loi contraint les municipalités
00:34:59à trouver des solutions de relogement
00:35:02lors des fermetures de maisons de retraite privées.
00:35:05Une aubaine pour les gros opérateurs,
00:35:08qui n'ont plus à assumer cette lourde responsabilité.
00:35:11Pourquoi une telle mensuétude ?
00:35:14...
00:35:19Si ces entreprises quittent le secteur,
00:35:21où trouver de nouvelles ressources ?
00:35:23Où trouver l'argent pour construire de nouvelles maisons de retraite,
00:35:27pour maintenir celles qui sont en activité ?
00:35:30Le gouvernement se retrouve donc dans une impasse.
00:35:35S'il dérange trop ces grands acteurs,
00:35:38quelle est l'alternative ?
00:35:41...
00:35:45Après avoir été forcé de quitter HC1,
00:35:48Paul a réussi à obtenir une nouvelle place, ici,
00:35:50pour sa mère de 93 ans.
00:35:53Mais cette maison de retraite a été, à son tour, mise en vente.
00:35:56...
00:36:10N'est-ce pas assez de subir la détérioration de son corps ?
00:36:13...
00:36:17L'altération de son esprit ?
00:36:19...
00:36:23Faut-il encore subir un système qui enferme
00:36:27et fait perdre tous ses repères ?
00:36:29...
00:36:34Musique intrigante
00:36:37...
00:36:40En bon capitaliste, les marchands de vieillesse
00:36:43savent parfaitement s'adapter à la demande.
00:36:47En Allemagne, 8 familles sur 10 préfèrent recourir
00:36:50au maintien à domicile,
00:36:52avec l'assistance d'une auxiliaire de vie.
00:36:55...
00:36:57Plusieurs centaines d'agences ont investi ce marché
00:37:00en plein essor pour servir d'intermédiaire.
00:37:02Elles font venir des femmes d'Europe de l'Est,
00:37:05une main-d'oeuvre travailleuse, flexible
00:37:08et moins chère que le personnel allemand.
00:37:11...
00:37:19Dana est arrivée de Roumanie il y a quelques mois
00:37:22pour s'installer dans ce quartier d'Augsbourg, en Bavière,
00:37:26et s'occuper de Léo.
00:37:28Le vieux monsieur a construit cette maison de ses mains.
00:37:32Grâce à la présence de cette aide à domicile,
00:37:35il va pouvoir finir ses jours ici, entouré de ses souvenirs.
00:38:09...
00:38:16La présence permanente de Dana rassure Marianne,
00:38:19la fille de Léo,
00:38:21qui vit à plusieurs centaines de kilomètres de là.
00:38:25...
00:38:27Ici, je suis très heureux.
00:38:29La maison de retraite,
00:38:31j'en partirai direct, j'aime pas.
00:38:35...
00:38:37Pour mon père, c'est important de rester à la maison.
00:38:40Il l'a construite avec ma mère, nous y avons grandi,
00:38:43il y vit depuis 60 ans.
00:38:45Nous voulons qu'il reste ici le plus longtemps possible.
00:38:49C'est mieux que d'être arraché à son environnement habituel.
00:38:52Je voulais absolument avoir une agence sérieuse,
00:38:55qui paie bien son personnel,
00:38:57qui garantit une protection sociale,
00:39:00que tout soit couvert.
00:39:02L'important pour moi,
00:39:04c'est d'avoir une agence qui travaille légalement,
00:39:07sérieusement, selon les lois allemandes.
00:39:10...
00:39:12La famille de Léo dépense 3 238 euros chaque mois
00:39:16pour ce service.
00:39:19Cette somme est partagée entre deux intermédiaires.
00:39:233 000 euros vont à l'agence roumaine,
00:39:25chargée du recrutement de l'employé
00:39:27et du paiement des cotisations sociales, là-bas.
00:39:30Cette structure règle 2 000 euros
00:39:32de salaire à Dana.
00:39:34Le reste, 238 euros,
00:39:37est versé à Visavi 24,
00:39:39une agence allemande chargée de la mise en contact.
00:39:42...
00:39:44...
00:39:46...
00:39:48Entre Dana et Léo, tout se passe à merveille.
00:39:52Mais ce n'est pas toujours aussi simple.
00:39:55L'univers des agences de placement est un milieu opaque,
00:39:58aux pratiques parfois douteuses.
00:40:00Les familles ont beaucoup de mal
00:40:02à s'assurer du sérieux de ces intermédiaires.
00:40:05...
00:40:07...
00:40:10Les aides à domicile étrangère
00:40:12sont particulièrement vulnérables.
00:40:14Les agences recrutent dans des régions déshéritées
00:40:17d'Europe de l'Est, des femmes au chômage, endettées,
00:40:20peu susceptibles de revendiquer
00:40:22de meilleures conditions de travail.
00:40:25Anna est polonaise.
00:40:27Elle est partie du jour au lendemain
00:40:29pour une mission près de Düsseldorf.
00:40:31...
00:40:33On ne sait pas où on met les pieds.
00:40:35On nous garantit certaines conditions de travail,
00:40:38mais sur place, on en découvre d'autres.
00:40:41Il m'est arrivé d'accepter une mission
00:40:43auprès d'une seigneure soi-disant en bonne santé.
00:40:46J'ai découvert une dame avec une jambe en moins,
00:40:48un ras en moins, un estomac opéré.
00:40:51Il y avait de l'urine, des excréments,
00:40:53les pansements se salissaient. C'est moi qui les changeais.
00:40:56C'est quelque chose que je n'avais pas à faire.
00:40:58Mais on nous le demandait et on nous apprenait à le faire.
00:41:02...
00:41:09Elle est décédée. Il n'y avait plus rien à faire.
00:41:13La famille n'était pas là.
00:41:15J'étais complètement seule.
00:41:17...
00:41:23On nous traite comme des bonnes du tiers-monde.
00:41:26On entend souvent cette expression,
00:41:28les filles du bloc de l'Est.
00:41:30Aucune soignante allemande n'aurait accepté ces conditions-là.
00:41:33On accepte ça parce qu'en Pologne, aucune femme ne peut gagner autant.
00:41:37...
00:41:41Le prix de ce travail, c'est notre santé,
00:41:43c'est la séparation d'avec notre propre famille,
00:41:46qui se fissure. C'est un temps qu'on ne rattrapera plus.
00:41:49...
00:41:52Musique intrigante
00:41:55...
00:41:57Combien de femmes servent ainsi de main-d'oeuvre bon marché ?
00:42:01Corvey a blamérci.
00:42:03L'opacité du secteur rend leur décompte impossible.
00:42:06...
00:42:08On ne sait pas exactement combien d'auxiliaires de vie
00:42:13originaires d'Europe de l'Est travaillent aujourd'hui en Allemagne.
00:42:18On peut juste faire une estimation approximative,
00:42:20entre 300 000 et 600 000 personnes.
00:42:23...
00:42:25Tout se passe dans une zone grise.
00:42:27Les aides à domicile ne sont pas visibles dans l'espace public.
00:42:30Elles ne sont pas non plus visibles pour le voisinage ou les proches
00:42:33qui habitent à proximité, parce qu'elles vivent chez les gens
00:42:36et doivent être à leur disposition 24 heures sur 24.
00:42:39...
00:42:41Elles n'apparaissent pas non plus dans les statistiques
00:42:44des services de soins dont nous disposons en Allemagne.
00:42:47...
00:42:48Les 24 heures de soins à domicile
00:42:50comme alternative chère et coûteuse pour les soins à domicile
00:42:54rendent la soins à domicile à leur propre maison possible.
00:42:58...
00:43:01Une personne disponible jour et nuit, c'est illégal.
00:43:05C'est pourtant ce que font miroiter les agences.
00:43:08Leur publicité, leur nom même,
00:43:10évoque ce fantasme d'une présence 24 heures sur 24.
00:43:14Et leur discours reste ambigu à cet égard.
00:43:17Même dans les agences les plus sérieuses.
00:43:19...
00:43:22...
00:43:23Evidemment, ce n'est pas une promesse réaliste.
00:43:26...
00:43:28C'est pour cela que nous avons décidé, il y a quelques années,
00:43:31de ne plus mentionner sur notre site Internet
00:43:34l'assistance 24 heures sur 24,
00:43:36mais uniquement l'assistance à domicile.
00:43:40La grande majorité des clients n'a pas besoin d'une assistance
00:43:43pendant la nuit, sauf peut-être 2 ou 3 fois
00:43:45pour aller aux toilettes.
00:43:47Ce qui peut être compliqué, c'est de distinguer le temps de travail,
00:43:51le temps de garde, l'astreinte et le temps libre.
00:43:54Et le fait que ces personnes soient des Levin,
00:43:56c'est-à-dire qu'elles vivent sous le même toit,
00:43:59rend impossible les horaires de travail classiques,
00:44:01de 9h à 17h, inscrits dans le droit du travail allemand.
00:44:05...
00:44:07Un tribunal a pourtant tranché.
00:44:10En 2021, une aide à domicile bulgare
00:44:13a fait reconnaître ces heures d'astreinte la nuit
00:44:15comme du temps de travail effectif.
00:44:18Paradoxalement, cette victoire judiciaire symbolique
00:44:21a eu des répercussions négatives.
00:44:23...
00:44:24Les agences essaient de les engager
00:44:26en dehors du cadre juridique d'un contrat de travail.
00:44:30...
00:44:32Elles ont maintenant tendance à privilégier
00:44:34le recrutement d'auto-entrepreneurs
00:44:37afin d'éviter les obligations contractuelles.
00:44:39...
00:44:43Ca veut dire que ces personnes ont encore moins de droits.
00:44:46...
00:44:49Mais par qui remplacer cette main-d'oeuvre si pratique ?
00:44:52L'argument des agences est imparable.
00:44:55Le secteur ne peut se passer d'elle.
00:44:57...
00:44:59Sans ces personnes, notre système de santé
00:45:02se serait effondré depuis longtemps.
00:45:05...
00:45:06Quelle est l'alternative ? Il n'y a pas d'alternative.
00:45:09Tout le secteur de l'aide à domicile est privatisé.
00:45:12Il n'y a quasiment pas d'organismes publics ou semi-publics
00:45:17qui proposent quoi que ce soit dans ce domaine.
00:45:20...
00:45:23L'Union européenne a dressé un constat très sévère
00:45:26des conditions de vie et de travail
00:45:28de ces aides à domicile étrangères.
00:45:30Son comité économique et social a même affirmé
00:45:34que certaines situations avaient l'allure d'un esclavage moderne.
00:45:37...
00:45:43C'était en mars 2018.
00:45:45Depuis, rien n'a changé.
00:45:47On ne peut pas continuer comme ça.
00:45:51Partout sur la planète, la population vieillit.
00:45:54Il n'y a donc pas assez de gens pour s'occuper des personnes âgées.
00:45:58Les employés polonaises s'occupent des personnes âgées allemandes.
00:46:03Les Ukrainiennes s'occupent des personnes âgées polonaises.
00:46:07On va toujours plus loin à l'est pour chercher des travailleuses.
00:46:11Et puis, il y a les femmes philippines
00:46:13qui s'occupent de tout le monde.
00:46:15Mais ça ne devrait pas se passer comme ça.
00:46:17Nous ne pouvons pas compter indéfiniment sur d'autres pays.
00:46:20Parce qu'alors, qui va s'occuper
00:46:24des personnes âgées en Ukraine ou aux Philippines ?
00:46:27...
00:46:33Une division internationale du travail,
00:46:36où les profiteurs de vieillesse
00:46:38captent les auxiliaires de vie des régions les plus pauvres
00:46:41et se jouent des réglementations et des frontières.
00:46:44...
00:46:52En Europe, il existe un royaume
00:46:55où les seigneurs se déclarent heureux,
00:46:57plus heureux que partout ailleurs sur le continent,
00:47:00le Danemark.
00:47:01...
00:47:03Et comme rien n'arrive par hasard,
00:47:05ce champion consacre 3,6 % de son PIB aux aînés,
00:47:0930 % de plus que la France,
00:47:1135 % de plus que l'Allemagne.
00:47:14Ici, le grand âge est une mission confiée aux municipalités,
00:47:18un service 100 % public, financé par l'impôt.
00:47:22La prévention et le maintien à domicile
00:47:25sont au coeur d'un système reposant aussi sur le bénévolat.
00:47:28...
00:47:33La généralisation des déambulateurs
00:47:36a permis de limiter le nombre de chutes,
00:47:38de fractures et donc d'hospitalisations.
00:47:42...
00:47:45En cas d'accident,
00:47:47la commune finance des séances de rééducation,
00:47:50à l'aide parfois de robots.
00:47:53L'objectif est de favoriser le maintien de l'autonomie
00:47:57et de reculer le plus possible le départ en maison de retraite.
00:48:00...
00:48:02Rester chez soi coûte 5 fois moins cher à la collectivité.
00:48:06D'ailleurs, le pays a cessé de construire
00:48:08des maisons de retraite il y a près de 40 ans.
00:48:11Mais cela ne suffit pas
00:48:13à résoudre le défi financier du vieillissement.
00:48:17Les communes consacrent 13 % de leur budget aux personnes âgées.
00:48:22Comme la plupart des collectivités danoises,
00:48:24Helsingor, ville de 64 000 habitants,
00:48:28est étranglée financièrement.
00:48:30En 2023, il manquait 1,6 million d'euros
00:48:34pour boucler le budget dédié aux aînés.
00:48:36...
00:48:38...
00:48:41Le budget dédié aux personnes âgées est très serré,
00:48:44parce que nous avons une demande croissante.
00:48:47Le point positif, c'est que nos aînés vivent plus longtemps.
00:48:50De plus en plus de personnes atteignent 90, voire 100 ans.
00:48:56Mais ça veut dire aussi qu'elles ont plus de maladies chroniques
00:48:59et qu'elles nécessitent une aide.
00:49:01Ca exerce une pression sur le budget,
00:49:03alors que nous avons un plafond de dépenses pour cette population.
00:49:07Un plafond que l'Etat lui-même a fixé.
00:49:09...
00:49:13Limiter le budget consacré aux seniors
00:49:15pour éviter de tout prendre aux jeunes générations,
00:49:18pas simple.
00:49:20Au Danemark, lorsque les politiques tentent de rogner
00:49:23sur les dépenses consacrées aux grands âges,
00:49:25ils sont obligés de se méfier.
00:49:27Car les vieux Danois ne se laissent pas faire.
00:49:30Au fil des ans,
00:49:32ils ont bâti un outil d'influence redoutable.
00:49:35L'association Eldrezagen, en français, l'affaire des aînés,
00:49:39regroupe un million de Danois, un citoyen sur sept.
00:49:44Avec 180 salariés et 200 antennes locales,
00:49:48elle n'est pas là pour jouer les figurants.
00:49:50Bjarne Astrup, le fondateur,
00:49:53côtoie les politiciens les plus puissants du Danemark.
00:49:57Ce jour-là, le bureau de Copenhague tient son assemblée annuelle.
00:50:27...
00:50:43En septembre 2022,
00:50:45la première ministre est venue en personne au siège de l'association
00:50:49pour expliquer ses projets en direct à la télévision.
00:50:53En 40 ans d'existence,
00:50:55Eldrezagen a fait plier plus d'un gouvernement.
00:51:01En 2015, le ministre des Finances
00:51:04a voulu réduire l'allocation logement pour les personnes âgées.
00:51:09Il pensait que ça ne toucherait pas beaucoup de gens.
00:51:14Nous avons fait une étude montrant que 200 000 personnes âgées
00:51:18avaient vu leurs allocations logement se réduire.
00:51:21A cette époque,
00:51:22j'étais presque tous les matins sur une chaîne de télévision
00:51:26et je finissais le soir sur une autre chaîne
00:51:28parce que ce sujet passionnait l'ensemble de la population danoise.
00:51:32C'est vraiment ça que le gouvernement veut faire ?
00:51:35Qu'ils ont fini par retirer l'ensemble de leurs projets,
00:51:39c'est l'une de nos très grandes réussites.
00:51:43Les mamies et les papys danois font de la résistance.
00:51:48Leur organisation est un modèle pour défendre les droits
00:51:51et la dignité des personnes âgées.
00:51:53Les autres Européens pourraient s'en inspirer.
00:51:56Mais le lobby des cheveux blancs pourra-t-il tenir éternellement
00:52:00face aux enjeux budgétaires ?
00:52:02Pas sûr.
00:52:06Ces derniers mois au Danemark,
00:52:08plusieurs parties ont évoqué l'idée que chaque Danois
00:52:11épargne désormais pour sa propre vieillesse
00:52:13afin de soulager les finances publiques.
00:52:18Une première étape, peut-être,
00:52:20vers la privatisation des services aux aînés
00:52:22et la remise en cause de l'Etat-providence,
00:52:25comme cela s'est déjà produit ailleurs en Europe.
00:52:40La vieillesse peut être heureuse, même en maison de retraite.
00:52:48Comme ici, à Nantes,
00:52:49le temps d'une séance photo où les rôles ont été inversés.
00:52:56Les résidents ont quitté leur lit, leur fauteuil,
00:52:59pour s'occuper à leur tour de l'équipe soignante.
00:53:06Ils sont devenus coiffeurs, cuisiniers,
00:53:09secrétaires, blanchisseurs.
00:53:13Des métiers qu'ils ont pu exercer dans leur jeunesse.
00:53:17Un premier pas, pour changer de regard sur nos aînés.
00:53:30Un Européen sur cinq a plus de 65 ans.
00:53:33Ils seront un sur trois d'ici 2050
00:53:37et l'espérance de vie continue d'augmenter.
00:53:40Partout, donc, se pose de plus en plus la question
00:53:43de la prise en charge du grand âge en situation de dépendance,
00:53:47comme en témoigne à l'instant ce documentaire
00:53:50réalisé par Laurence Dolleur et Nathalie Hemselheim.
00:53:53Et pour soulager les finances publiques,
00:53:56nombreux d'Etats, vous venez de le voir,
00:53:58confient désormais l'accompagnement de leurs seniors
00:54:02aux entreprises privées et à leur soif de rentabilité.
00:54:05Nous allons y revenir avec nos invités
00:54:07présents sur ce plateau de débats d'oc.
00:54:10Laurence Dolleur est avec nous.
00:54:12Bienvenue à vous.
00:54:13Vous êtes journaliste et co-réalisatrice
00:54:15de ce documentaire,
00:54:16Au Côté de Nathalie Hemselheim.
00:54:19On vous doit, par ailleurs,
00:54:21cette longue enquête de 18 mois,
00:54:23publiée dans la revue 21,
00:54:25avec pour titre Mirage pour le troisième âge.
00:54:28On va revenir sur ce tour d'Europe.
00:54:30On va le faire avec Frédéric Bizarre.
00:54:32Bienvenue. Vous êtes économiste,
00:54:34spécialiste des questions de protection sociale et de santé.
00:54:37Vous êtes professeur affilié à l'ESCP
00:54:40et président fondateur
00:54:41d'un think-fang qui s'institue l'Institut Santé.
00:54:45Vous avez notamment dirigé cet ouvrage,
00:54:47Les itinérants de la santé.
00:54:49Quel futur pour notre système de santé ?
00:54:51C'est un ouvrage disponible chez Michelon.
00:54:54Valentine Trépied est également avec nous.
00:54:56Bienvenue. Vous êtes sociologue,
00:54:58spécialiste de la vieillesse et du vieillissement.
00:55:01Vous voulez modérer l'EHPAD bashing.
00:55:03Non, dites-vous, tous les vieux ne sont pas malheureux en EHPAD.
00:55:07On y reviendra avec vous dans un instant.
00:55:09Vous êtes l'auteur de cet ouvrage spécialisé,
00:55:12intitulé Habiter Kersalik,
00:55:14du nom d'un lieu situé à Guingamp,
00:55:16dans les Côtes-d'Armor, en Bretagne, bien sûr,
00:55:19où un nouveau modèle d'accompagnement médico-social
00:55:22a vu le jour pour les personnes dépendantes.
00:55:24Il s'agira peut-être d'évaluer des solutions,
00:55:27solutions peut-être alternatives aux EHPAD, bien entendu,
00:55:31car c'est notre sujet aujourd'hui.
00:55:33C'est un système bien français, les EHPAD.
00:55:35On pourra peut-être en reparler.
00:55:37Ceux qui mettent le plus de personnes dépendantes
00:55:40dans ces fameux établissements d'émergement
00:55:42pour personnes âgées dépendantes,
00:55:44et c'est le mot dépendante, évidemment,
00:55:47qui est important.
00:55:48A propos de votre film et de ces EHPAD,
00:55:50vous dites que la question est politique.
00:55:52Si les politiques confient les personnes âgées
00:55:55à des entreprises,
00:55:56ou est-ce qu'on considère que la personne âgée
00:55:59n'est pas une marchandise ?
00:56:01Voilà comment vous nous expliquez
00:56:03la démarche qui a amené à faire cette enquête.
00:56:05Effectivement,
00:56:07cette enquête est née au lendemain de l'affaire Orpea,
00:56:10quand le livre de Victor Castaner et les Fossoyeurs
00:56:13est sorti en janvier 2022
00:56:14et que cette affaire a défrayé vraiment la chronique.
00:56:17Et nous, on s'est dit,
00:56:19est-ce que cette affaire est unique en son genre,
00:56:21elle est particulière,
00:56:23ou est-ce que toutes ces entreprises privées
00:56:25qui s'occupent de ces personnes âgées,
00:56:28on va retrouver un peu ces mêmes thématiques
00:56:30décrites dans le livre, à savoir faire de la rentabilité ?
00:56:33Une entreprise privée, qu'est-ce qu'elle fait ?
00:56:36Elle fait du profit.
00:56:37Avec des taux de rentabilité de l'ordre de 10 %,
00:56:40c'est ce que vous dites dans ce documentaire,
00:56:42qui est un taux assez élevé,
00:56:44comparable à d'autres entreprises du CAC 40.
00:56:47Ce qui nous a intéressés, c'est de savoir
00:56:49comment on fait une telle rentabilité,
00:56:51comment on y arrive,
00:56:52comment le secteur est organisé, comment il est financiarisé,
00:56:56mais ce que vous dites aussi,
00:56:57ce qui m'intéressait, c'était de questionner
00:57:00la responsabilité du politique.
00:57:02C'est ça que je trouve, paradoxalement,
00:57:04le plus intéressant et le plus important.
00:57:06Ca ne sert à rien de taper sur les entreprises privées
00:57:10sans questionner plus largement ce qu'il y a derrière
00:57:13et le fait qu'on les a autorisées à rentrer sur ce secteur,
00:57:16comme pour les crèches, par exemple,
00:57:18parce qu'il y a d'autres thématiques
00:57:20où les entreprises privées s'occupent de personnes vulnérables.
00:57:24C'est ça qui nous a intéressés.
00:57:26Ces fameuses entreprises privées,
00:57:28et les trois plus importantes de ces entreprises frisées,
00:57:31sont d'origine française,
00:57:32c'est ce que vous nous dites dans ce documentaire.
00:57:35La première s'appelle Clariance,
00:57:37parce que les noms ont changé.
00:57:39Clariane, c'est ex-Corian, évidemment, dans ce film.
00:57:42C'est le premier au palmarès français.
00:57:44Domus Vie, et puis Emmaïs.
00:57:47Emmaïs, voilà, qui est le nouveau nom d'Orpéa.
00:57:50Orpéa a changé de nom depuis, peut-être, ce fameux livre.
00:57:53Oui, bien sûr, c'est lié.
00:57:55Les Fossoyeurs, que vous avez cités,
00:57:57sachant que les Ehpad ont connu des périodes très difficiles
00:58:00il y a eu ce livre, les Fossoyeurs,
00:58:02et puis, d'autre part, il y a eu la crise de la Covid.
00:58:05On va rappeler que 44 % des personnes décédées en France
00:58:09étaient des personnes décédées au sein des Ehpad français
00:58:13durant cette fameuse crise de la Covid.
00:58:16On va donner quelques chiffres, maintenant,
00:58:18pour bien comprendre le débat,
00:58:20concernant les Ehpad français,
00:58:22ces fameux établissements d'hébergement
00:58:24pour personnes âgées dépendantes.
00:58:26Voilà leur réparation par secteur.
00:58:28Le pourcentage des établissements sont publics en France,
00:58:3224 % sont associatifs
00:58:34et 31 %, autrement dit, près d'un tiers,
00:58:36sont évidemment des établissements privés,
00:58:39dont on a parlé tout à l'heure.
00:58:41Le second chiffre, c'est le nombre d'établissements en France.
00:58:44C'était en 2021, 7 353 établissements en France,
00:58:47ce qui représente 595 000 lits,
00:58:50et chaque résidence comprend, en moyenne,
00:58:52bien entendu, 81 résidents.
00:58:55Vous avez la dendue, en ce qui vous concerne,
00:58:57puisque vous dites, tout simplement,
00:58:59ce système des Ehpad, bien entendu,
00:59:01a une trentaine d'années, aujourd'hui,
00:59:03il est mort, dites-vous, ce sont des mouroirs
00:59:06qui coûtent extrêmement cher.
00:59:08Là, vous allez loin, tout de même.
00:59:10Oui, alors, d'abord, il faut différencier
00:59:12le système et les opérateurs.
00:59:14Moi, ce que je...
00:59:16Pas que je dénonce, mais j'aimerais
00:59:18qu'on arrive à un vrai système de prise en charge des seniors
00:59:21qui soit structuré.
00:59:23Ce qu'il y a dans cette enquête passionnante,
00:59:25c'est qu'on voit bien, et ça peut rassurer,
00:59:27mais ça montre que nous ne sommes pas le seul pays
00:59:30à ne pas avoir pensé une politique publique d'avenir
00:59:33pour les seniors en dehors, on le sait, des pays scandinaves,
00:59:37il y a l'exemple du Danemark qui est là,
00:59:39même si on voit que c'est pas parfait,
00:59:41mais vous avez une organisation d'une politique publique
00:59:44avec un investissement dans le capital humain,
00:59:47je vais y revenir, c'est une notion dans la protection sociale,
00:59:50nous sommes sur la réparation, principalement,
00:59:53d'un investissement dans le capital humain,
00:59:55pour la petite enfance ou pour les seniors,
00:59:58nous considérons que ces deux phases de vie extrêmes
01:00:01ne sont pas productives et doivent générer
01:00:03un minimum de dépenses publiques.
01:00:05Nous ne pensons pas en matière d'avenir
01:00:07et d'investissement dans le capital humain.
01:00:10Il y a un changement de pensée dans la politique publique,
01:00:13on voit que c'est la même chose au Royaume-Uni et en Espagne,
01:00:16on aurait pu prendre l'Italie, qui est véritablement urgente,
01:00:20on a cette pression du vieillissement,
01:00:23il faut bien voir que tout se passe entre 2020 et 2035,
01:00:28c'est-à-dire que les baby-boomers deviennent les papy-boomers.
01:00:31-"Ceux qui avaient 20 ans en 68, aujourd'hui, c'est ceux-là."
01:00:35On est sur une forme de stabilisation
01:00:37dans l'ensemble de la population.
01:00:39C'est maintenant que tout se joue.
01:00:41On est vraiment à tirer sur la ficelle
01:00:43qui va jusqu'à la maltraitance, je suis désolé de le dire,
01:00:46mais elle est assez importante et elle n'est pas propre à la France.
01:00:50Elle n'est pas voulue par les opérateurs,
01:00:52comprennent les privés.
01:00:54Il y a des dérives, comme dans tous les secteurs,
01:00:56il y a des vraies dérives qui sont, évidemment, à changer.
01:00:59Une petite parenthèse,
01:01:01il faudra qu'on vienne sur la régulation de l'Etat.
01:01:04On a un Etat qui est d'une faiblesse,
01:01:06qui est lié à l'absence de structuration
01:01:08de politique publique, mais qui est lié aussi
01:01:10où l'Etat subit, sachant qu'il a toutes les informations,
01:01:14les scandales des EHPAD privés et abducratifs en France
01:01:17ne sont pas une découverte pour l'Etat,
01:01:19ni pour ceux qui connaissent bien,
01:01:21mais il y a eu du laisser-faire
01:01:24jusqu'à ce que ça ne soit plus acceptable socialement.
01:01:27Aujourd'hui, ce qui n'est plus acceptable socialement,
01:01:30c'est que nous n'avons pas une politique publique
01:01:32débattue démocratiquement, donc acceptée démocratiquement,
01:01:36qui permette d'avoir une prise en charge à 30 ans.
01:01:38C'est comme la retraite. Il y a deux risques sociaux.
01:01:41Quand on vieillit, il y a le risque de se paupériser,
01:01:44qui est géré par le système des retraites,
01:01:47mais il y a aussi le risque, pendant cette phase de vie importante,
01:01:50on vit 25 ans à la retraite, d'avoir une fin de vie
01:01:53d'une très mauvaise prise en charge et dans de mauvaises conditions.
01:01:57C'est ce risque-là, appelé risque de l'indépendance,
01:02:00qu'il faut gérer.
01:02:01L'Etat est tout de même fortement présent en France
01:02:04dans la prise en charge de ses établissements.
01:02:0645 % sont publics, 24 % sont, on va dire, semi-publics.
01:02:10Les comptes de la Sécurité sociale
01:02:12prennent évidemment en compte ce système de l'indépendance.
01:02:15Je crois que c'est de l'ordre de 12 milliards d'euros
01:02:18que prend en charge la Sécurité sociale.
01:02:21Dans les établissements privés, les soins,
01:02:23une partie du matériel médical, sont aussi pris en charge
01:02:26par l'assurance maladie en France.
01:02:28L'Etat prend largement sa part dans ces établissements.
01:02:31Vous avez raison de dire qu'il ne faut pas se concentrer
01:02:34sur un problème de ressources. On dépense 1,7 point de PIB.
01:02:38C'est 1,8 point, en moyenne, de l'Union européenne.
01:02:41Un point de PIB, c'est 28 milliards.
01:02:42On peut se dire que c'est pas...
01:02:44Comme pour l'éducation, la santé,
01:02:46on se concentre sur ce qui n'est pas le nœud du problème.
01:02:49Le nœud du problème, c'est la définition d'une politique,
01:02:53la gouvernance de cette politique.
01:02:55Il n'y a pas un Français qui peut comprendre le rôle
01:02:58entre l'Etat, la CNSA, la Caisse nationale de santé autonomique,
01:03:01une forme de Sécurité sociale dédiée à l'indépendance.
01:03:04Les départements...
01:03:06Les départements.
01:03:07C'est juste...
01:03:08Quand il n'y a pas une bonne gouvernance...
01:03:10C'est l'organisation des opérateurs.
01:03:13En France, on a le domicile ou l'EHPAD,
01:03:16et il y a très peu d'intermédiaires.
01:03:18Le virage domiciliaire est devant nous,
01:03:20pas derrière nous.
01:03:22On y revient.
01:03:23Vous dites que les EHPAD, en France,
01:03:25ne sont pas des mots noirs.
01:03:26Vous êtes contre le bashing EHPAD.
01:03:28Malgré les deux chocs entre ce livre,
01:03:30les Fossoyeurs et cette crise de la Covid,
01:03:33l'image des EHPAD a été considérablement ternie.
01:03:36Vous dites, attention, tout de même,
01:03:38à l'EHPAD bashing.
01:03:39Il y a des gens qui sont heureux en EHPAD.
01:03:41Pour cela, vous avez fait des études,
01:03:43notamment une étude auprès des résidents de ces EHPAD,
01:03:46pour savoir ce qu'ils ressentaient.
01:03:48Qu'est-ce qu'elle nous rapporte, cette étude,
01:03:51à comparer peut-être à un discours plus pessimiste, aujourd'hui ?
01:03:55Oui, moi, je suis sociologue,
01:03:56donc forcément, mon discours va être un peu différent
01:03:59de vous, de ce que vous dites.
01:04:01Mais c'est souhaitable.
01:04:02Moi, j'ai beaucoup travaillé sur le vécu des personnes âgées.
01:04:06Je suis allée les interroger.
01:04:08Dans le cadre d'une recherche doctorale,
01:04:11où j'ai mené à l'EHESS,
01:04:13j'ai donné la place au point de vue des personnes âgées.
01:04:16J'ai interviewé 50 résidents.
01:04:19Et j'ai beaucoup mis en lumière
01:04:22le fait qu'on ne vieillit pas de la même manière en EHPAD.
01:04:25Il y a des fortes inégalités qui structurent cet âge de la vie.
01:04:29On a encore du mal, en France, véritablement,
01:04:31à mettre en avant cette question du vieillissement en EHPAD
01:04:34comme étant une forme d'inégalité sociale importante.
01:04:37Peut-être pour dire très rapidement,
01:04:40on ne vieillit pas de la même manière
01:04:42dans un établissement privé à but lucratif,
01:04:44parce qu'on n'a pas les mêmes ressources,
01:04:46que ce soit des ressources familiales, économiques,
01:04:49culturelles, symboliques, etc.,
01:04:51que dans un établissement public
01:04:53qui accueille une partie de la population
01:04:55beaucoup plus isolée sur le plan familial
01:04:58et qui dispose de moins de ressources économiques,
01:05:01culturelles, symboliques, etc.
01:05:02En fait, moi, mon travail a été,
01:05:04à partir du point de vue des personnes âgées,
01:05:08c'est pour ça que j'ai fait beaucoup d'entretiens,
01:05:10c'est de savoir comment on vieillissait
01:05:12dans ces établissements.
01:05:14Et on ne les vieillit pas si mal ?
01:05:16Finalement, malgré ce que l'on dit dans les médias,
01:05:20il y a une partie de la population qui vit bien
01:05:23dans ces établissements, qui a choisi de venir s'y installer,
01:05:26qui ont entrepris des démarches
01:05:28pour visiter différentes structures,
01:05:30qui ont été véritablement autonomes
01:05:33dans la prise de décision.
01:05:34Cette question de l'autonomie
01:05:36dans des établissements qui sont désignés comme dépendants,
01:05:39vous voyez bien ces injonctions contradictoires,
01:05:42je ne sais pas si on aura le temps d'en reparler,
01:05:44mais ce sont des personnes qui vont garder une autonomie
01:05:47le plus longtemps possible et vont revendiquer cette autonomie
01:05:51tout au long de leur parcours, de leur vie.
01:05:53Je ne veux pas non plus brosser un portrait
01:05:55totalement idyllique de ce qui s'y passe,
01:05:58mais tout dépend de la manière dont on entre
01:06:00dans ces établissements.
01:06:02Plus on choisit, on est acteur de sa vie,
01:06:05plus on va vivre beaucoup plus sereinement et apaisé,
01:06:09et on va trouver des ressources dans ces établissements
01:06:12pour vivre bien.
01:06:13Est-ce que les personnes ou l'entourage de ces personnes
01:06:16qui ont témoigné à travers cette étude
01:06:18disent, comme vous nous avez dit tout à l'heure,
01:06:21qu'une grande partie des personnes qui sont accueillies
01:06:24dans ces établissements ne sont pas à un niveau de dépendance
01:06:28qui justifierait qu'elles soient bien accueillies ?
01:06:30Je crois que vous dites que 80 % des personnes présentes en EHPAD
01:06:34ne souffrent pas d'une dépendance
01:06:36qui mériterait nécessairement d'entrer dans ces établissements.
01:06:39On a quand même des personnes qui ne veulent plus vivre...
01:06:44Pour les personnes qui ont choisi de s'installer
01:06:47dans ces établissements, elles ne veulent plus vivre à domicile
01:06:50parce qu'elles ont fait l'expérience des aides à domicile.
01:06:53On va y venir juste après.
01:06:55Elles ont été des expériences particulièrement éprouvantes
01:06:58pour elles, faire face...
01:07:00Le secteur du domicile connaît les mêmes difficultés
01:07:03que les établissements.
01:07:05Pour certaines personnes, le fait de vivre à domicile
01:07:08avec des professionnels qui font face à un fort turnover,
01:07:11des équipes finalement très peu stables,
01:07:14il y a des personnes qui préfèrent s'installer en établissement
01:07:17et qui ont besoin quand même d'une aide
01:07:21pour la cuisine, pour la prise de médicaments.
01:07:24Le maintien à domicile, c'est une solution
01:07:27qui a été empruntée largement en Allemagne,
01:07:31c'est ce que nous a démontré votre film,
01:07:33mais aussi au Danemark,
01:07:34et on va voir un extrait de votre documentaire
01:07:37au Danemark, justement.
01:07:39En Europe, il existe un royaume
01:07:42où les seigneurs se déclarent heureux,
01:07:44plus heureux que partout ailleurs sur le continent,
01:07:47le Danemark.
01:07:50Et comme rien n'arrive par hasard,
01:07:52ce champion consacre 3,6 % de son PIB aux aînés,
01:07:5630 % de plus que la France,
01:07:5935 % de plus que l'Allemagne.
01:08:01Ici, le grand âge est une mission confiée aux municipalités,
01:08:05un service 100 % public, financé par l'impôt.
01:08:09La prévention et le maintien à domicile
01:08:12sont au coeur d'un système reposant aussi sur le bénévolat.
01:08:16D'abord, dans ce tour d'Europe,
01:08:18et jusqu'au Danemark, que vous nous présentez ici
01:08:20comme un petit îlot de bonheur pour les personnes dépendantes,
01:08:24finalement, le maintien à domicile,
01:08:27c'est la solution innée.
01:08:29On est presque étonnés qu'on y pense,
01:08:31mais c'est la solution qui vient tout de suite,
01:08:33c'est de maintenir les personnes à domicile
01:08:36pour qu'elles restent dans un environnement leurs.
01:08:39On voit même qu'au Danemark,
01:08:41les choses sont de plus en plus difficiles,
01:08:43peut-être d'un point de vue financier.
01:08:46D'un point de vue humain, ça fonctionne,
01:08:48ce que vous avez vu au Danemark,
01:08:50et c'est l'exemple que vous montriez.
01:08:52Le maintien à domicile, ça coûte moins cher.
01:08:54C'est ce que privilégie le Danemark pour des raisons financières.
01:08:58Il y a un maintien à domicile possible
01:09:00parce qu'il y a aussi du bénévolat.
01:09:02Ce que j'ai beaucoup remarqué, ce qui m'a frappée
01:09:05dans ce documentaire et dans mon enquête sur Agevi,
01:09:08l'habitat partagé, la filiale d'habitat partagé de Corian,
01:09:11c'est la solitude qu'éprouvent certaines personnes âgées.
01:09:15Elles peuvent être en très bonne santé.
01:09:17J'ai rencontré une dame de 93 ans, elle en faisait 75,
01:09:20elle était en parfaite santé,
01:09:22mais elle mourait de solitude chez elle.
01:09:24Elle est partie dans une colocation à Agevi,
01:09:26un habitat partagé avec d'autres personnes âgées,
01:09:29pour ne plus souffrir de solitude.
01:09:31Et retrouver une vie sociale.
01:09:33C'est aussi quelque chose à prendre en compte.
01:09:35Quand vous avez une aide à domicile,
01:09:37elle vient une heure dans la journée,
01:09:39mais vous êtes seul le reste du temps.
01:09:42Il y a l'aspect pratique d'aider la personne
01:09:44quand elle est dépendante,
01:09:46mais il y a aussi l'aspect social et la solitude.
01:09:48Plus on est dépendant, plus on a besoin d'aide à domicile.
01:09:52C'est le cas en Allemagne,
01:09:53d'où ce problème de personnel sur lequel vous mettez l'accent.
01:09:56C'est le personnel qui vient de pays d'ex-Europe de l'Est,
01:09:59on va dire, moins coûteuse.
01:10:01Les Ukrainiennes font de l'aide à domicile en Pologne
01:10:04et les Polonaises font de l'aide à domicile en Allemagne,
01:10:07à des conditions tarifaires très particulières,
01:10:10très avantageuses pour les employeurs.
01:10:12Il y a une dérive du système,
01:10:14c'est ce que vous nous dites,
01:10:16même si on maintient les personnes à domicile.
01:10:18Faire de l'assistance 24h sur 24, ça coûte extrêmement cher.
01:10:22En France, ça coûte plus de 10 000 euros
01:10:24si vous voulez quelqu'un à domicile en permanence,
01:10:27jour et nuit, c'est extrêmement coûteux.
01:10:29Là, les familles allemandes,
01:10:31il faut pointer du doigt l'ambiguïté des familles.
01:10:34Elles voient arriver une aide à domicile
01:10:36venue d'un pays d'Europe de l'Est,
01:10:38et sur le contrat, c'est marqué qu'elle est disponible 24h sur 24.
01:10:42Mais la loi du travail allemand ne prévoit pas
01:10:45qu'on soit disponible comme ça 24h sur 24.
01:10:47C'est hors des clous.
01:10:48La loi française non plus.
01:10:50Ca arrange un peu tout le monde, ce dispositif.
01:10:52Ca coûte moins cher, c'est ce que vous avez dit.
01:10:55C'est ça.
01:10:56C'est pas un choix faussièrement humain,
01:10:59c'est aussi un choix financier.
01:11:00Les familles sont étranglées, elles travaillent,
01:11:03donc elles ne savent pas comment s'occuper de leurs parents.
01:11:06Vous voulez réagir sur le maintien à domicile ?
01:11:09Je vous donne la parole.
01:11:10Je voulais peut-être rebondir sur ce que vous avez dit.
01:11:13Effectivement, vous avez dit que c'était moins cher,
01:11:16mais ce qu'il faut bien avoir en tête, je pense,
01:11:19c'est que la question du maintien à domicile
01:11:21est aussi grâce aux proches aidants,
01:11:23comme on les appelle dans les politiques publiques,
01:11:26aux aidants familiaux, c'est-à-dire aux conjoints, aux enfants,
01:11:29qui sont vraiment de la main-d'oeuvre
01:11:31très importante pour accompagner les personnes
01:11:34qui ont des incapacités.
01:11:36Et c'est notamment, en particulier,
01:11:39plutôt les femmes de la famille qui accompagnent les personnes,
01:11:44qui sont à un moment assez charnière dans leur parcours de vie.
01:11:48Elles sont ce qu'on appelle dans la génération sandwich,
01:11:51la génération pivot,
01:11:52qui vont à la fois s'occuper de leurs parents âgés et dépendants,
01:11:56mais aussi de leurs enfants, des jeunes adultes,
01:11:58qui quittent progressivement le domicile.
01:12:01Ce que je veux dire là-dedans,
01:12:03c'est que ça crée aussi des inégalités de genre importantes,
01:12:06cette question de l'aide apportée par les femmes
01:12:10dans les familles.
01:12:12Alors, est-ce qu'il faut accueillir davantage ?
01:12:15Est-ce que c'est une manière de modifier le système
01:12:18dont vous dites le plus grand mal concernant les EHPAD ?
01:12:21Est-ce que l'accueil à domicile est une piste envisageable
01:12:24et qu'on doit développer, peut-être au détriment des EHPAD ?
01:12:28Est-ce que c'est envisageable en France
01:12:30pour soulager un tant soit peu notre système ?
01:12:32J'ai une approche assez macro sur le modèle.
01:12:35Est-ce que le modèle fonctionne bien
01:12:37avec notre système d'EHPAD ?
01:12:38C'est pour ça qu'on a différentes approches.
01:12:41Madame a une approche plus micro et sociologique.
01:12:43Je dis pas que tous les résidents d'EHPAD sont malheureux.
01:12:46Je dis que ce modèle du tout EHPAD hors domicile est mort.
01:12:51Je vais essayer d'expliquer.
01:12:53Quel est l'objectif de la prise en charge des personnes âgées ?
01:12:57C'est, comme le reste des classes d'âge,
01:13:00de maximiser le bien-être de la population,
01:13:03de maximiser l'autonomie des personnes,
01:13:05de maximiser l'épanouissement individuel des personnes.
01:13:08On appelle ça souvent le vieillissement actif
01:13:11en bonne santé.
01:13:12Dans ce vieillissement actif, vous avez plusieurs notions.
01:13:15La notion sociologique, qui est de rester insérée
01:13:18dans la société, très importante.
01:13:20Vous avez parlé de l'isolement des personnes âgées.
01:13:23C'est impressionnant au Danemark, où, sur 7 millions de personnes,
01:13:27vous avez une association de personnes âgées
01:13:29qui regroupe un million de personnes.
01:13:32C'est pour vous dire...
01:13:33Il constitue un sacré lobby vis-à-vis du pouvoir central.
01:13:36On parle surtout de la structuration de cette classe âge-là.
01:13:39Ca montre que vous êtes davantage capables,
01:13:42quand vous êtes structurés, d'avoir une vie sociale active.
01:13:45Le lien avec la santé, c'est que vous êtes en meilleure santé
01:13:48quand vous avez une vie sociale active.
01:13:50En France, on n'a pas structuré ça. Ca, c'est un travail à faire.
01:13:54On pourrait aussi parler de la déstigmatisation
01:13:56de ces personnes âgées, car notre modèle de protection sociale
01:14:00a toujours eu une approche très productiviste,
01:14:02même si on a été très solidaires.
01:14:04Ce qui ne rapporte pas en matière de production à la société,
01:14:08on le cache un peu, ou est moins important.
01:14:10Même pour la petite enfance, où on a eu une politique
01:14:13mais jamais dans le développement de l'enfant.
01:14:16On dépense le moins possible.
01:14:18C'est vraiment une erreur, aujourd'hui,
01:14:20en matière de faible investissement en capital humain.
01:14:23La deuxième chose, c'est concernant...
01:14:25Je ne vais pas parler des solutions, car on va en parler...
01:14:29Allons-y, parce que le temps passe.
01:14:31Si vous avez d'autres solutions que le maintien à domicile,
01:14:34qui semblent une piste, c'est avancé dans ce documentaire,
01:14:37et testé chez d'autres voisins européens.
01:14:40La piste, c'est d'abord de donner, quand je parle d'autonomie,
01:14:43c'est une liberté de choix aux individus.
01:14:46Il faut raisonner proche de l'individu.
01:14:48On a tous eu autour de nous des cas où on voit bien
01:14:51que tout d'un coup, on est dans un vide.
01:14:53Mais qu'allons-nous faire pour nos parents ?
01:14:56On ne sait pas par où commencer.
01:14:58Donc il est évident qu'il faut donner le pouvoir...
01:15:01On commence souvent par les maintenir à domicile.
01:15:04Oui, mais avec les moyens du bord.
01:15:05Si vous voulez, on s'adresse à la collectivité.
01:15:08Quand l'assistance familiale craque,
01:15:10et ça, c'est pas possible,
01:15:12parce que ça coûte très cher les aidants pour la société,
01:15:15pas simplement à l'échelle individuelle.
01:15:17C'est comme quand on regarde ce que coûte la retraite
01:15:20et qu'on regarde l'impact d'une retraite
01:15:23entre 62 et 64 ans sur le reste de l'économie.
01:15:25Il faut regarder l'impact macro-économique
01:15:28qui est plus important que l'impact sur la comptabilité.
01:15:3190 % de la population, voire plus, souhaite rester à domicile.
01:15:34Donc, ce virage domiciliaire, il est à structurer en France.
01:15:38Comment est-ce qu'on le structure ?
01:15:40On le sait, il y a un modèle économique
01:15:42qui est qu'il faut utiliser davantage l'épargne des retraités.
01:15:46Je viendrai sur... Je suis favorable à ce qu'ont fait les Allemands,
01:15:49c'est-à-dire à socialiser avec une assurance sociale
01:15:52obligatoire dépendante.
01:15:54Je rappelle qu'en Allemagne, en 1995,
01:15:56ils ont une sécurité sociale comme nous,
01:15:58le système bismarckien.
01:16:00Ils ont mis en place une assurance dépendance obligatoire.
01:16:03Pour les 90 % de la population qui a une assurance santé,
01:16:07vous devez, 3 % de votre salaire,
01:16:10partagé entre les employés et les employeurs, le faire.
01:16:13Et puis, si vous n'êtes pas dans ces 90 %,
01:16:15vous devez avoir une assurance privée.
01:16:18Donc, ils ont socialisé le maintien à domicile.
01:16:22Et le dernier point, l'enquête est intéressante,
01:16:25mais c'est vrai dans à peu près tous les secteurs.
01:16:28C'est-à-dire qu'on utilise des employés venant de l'Est
01:16:31parce que ça coûte cher.
01:16:32C'est vrai dans la plupart des secteurs.
01:16:34On s'approche au secteur de la dépendance.
01:16:37On utilise l'immigration, mais on n'a qu'à mieux valoriser,
01:16:40si vous voulez, ces hommes.
01:16:42Pour ça, il faut dépenser davantage.
01:16:44Donc, il y a, si vous voulez, une décision à prendre.
01:16:47OK. Dernier point,
01:16:49c'est qu'il faut trouver des marges de manoeuvre
01:16:52sur le plan des dépenses publiques
01:16:55pour cette... Notamment sur le secteur de la santé.
01:16:58On sait qu'il y a au moins un point de PIB
01:17:01que l'on peut dédier
01:17:02en faisant des économies
01:17:04de rationalité du système de santé.
01:17:06On n'y viendra pas aujourd'hui,
01:17:08mais notamment en séparant les deux financeurs
01:17:11pour mieux prendre en charge la dépendance,
01:17:13éviter la dette sociale qui coûte 20 milliards d'euros par an
01:17:17qui serait mieux utilisée au risque de dépendance.
01:17:19Vous avez fait le tour en Europe.
01:17:21Est-ce que vous considérez...
01:17:23D'abord, on nous a annoncé maintes plans
01:17:25de prise en charge de nos seigneurs en France,
01:17:29des plans grand âge,
01:17:30mais ils n'auront jamais vu le jour.
01:17:32On a même été, à un moment,
01:17:34pour mettre sur la table l'idée de créer une cinquième branche
01:17:37à la sécurité sociale pour cette prise en charge
01:17:40avec l'encule.
01:17:41C'est pareil en Angleterre.
01:17:43Vers quelles solutions vous sentez les choses...
01:17:45Je suis d'accord avec vous que ce n'est pas qu'une question
01:17:49d'argent, c'est une question de vision politique.
01:17:51Entre le domicile et l'EHPAD, il faut construire tout le reste.
01:17:55Il y a des résidences, autonomie,
01:17:57il y a de l'habitat partagé,
01:17:58mais tout ça fait au petit bonheur la chance,
01:18:01en tout cas de ce que j'ai pu observer.
01:18:03Et le Danemark, ce qui nous différencie du Danemark,
01:18:06c'est que là-bas, ils ont une vision politique,
01:18:09et pas seulement de la dépense publique,
01:18:11c'est une vision.
01:18:12Et puis, effectivement, cette mobilisation citoyenne,
01:18:16ça, ça m'a beaucoup impressionnée,
01:18:19ce groupe de lobbying Eldrezagen,
01:18:21qui font des enquêtes,
01:18:24qui montrent que le ministère se trompe,
01:18:26que ça va coûter aux personnes âgées,
01:18:29et qui font changer des décisions politiques.
01:18:31Ca ne se passe pas toujours bien,
01:18:33mais ils ont un vrai pouvoir de lobbying.
01:18:35C'est vrai qu'en France ou dans d'autres pays d'Europe,
01:18:38les personnes âgées, on ne les entend pas.
01:18:41C'est ce qu'on a voulu montrer dans ce documentaire,
01:18:43c'est le regard qu'on porte sur notre propre vieillissement
01:18:47et sur la vieillesse en général.
01:18:49Je pense que ça doit aussi entrer en ligne de compte,
01:18:52parce qu'on a peur de la mort, de la vieillesse,
01:18:54de ces personnes âgées.
01:18:56Le contrôleur des lieux de privation de liberté,
01:18:58M. Delarue, ce premier contrôleur,
01:19:00a voulu contrôler les EHPAD
01:19:02en indiquant que c'était un lieu de privation de liberté.
01:19:05Le SINERPA, le syndicat des maisons d'entrête privées,
01:19:09c'est insurgé contre cela.
01:19:11Mais je trouve que les EHPAD, elles sont un peu isolées,
01:19:15parfois, comme les prisons peuvent l'être.
01:19:17En Espagne, on voit les EHPAD d'homus vie,
01:19:19c'est des vraies prisons, il y a des murs d'enceintes,
01:19:22comme ça, comme on veut.
01:19:24Je trouve que la manière dont on considère le vieillissement
01:19:27et le regard qu'on porte dessus, en termes de société,
01:19:30ça a à voir avec ce débat.
01:19:32Si je vous ai bien compris, il y aurait peut-être cette idée
01:19:36que les personnes qui sont en situation de dépendance
01:19:40les plus importantes aient un EHPAD
01:19:42et qu'on arrive à trouver des structures intermédiaires
01:19:45entre le maintien à domicile et l'EHPAD.
01:19:48Est-ce que c'est des demandes, des choses qui vous reviennent ?
01:19:51Est-ce qu'à Kersalik, pour en revenir à cet exemple breton,
01:19:55on trouve ce type de structure intermédiaire ?
01:19:58Kersalik, c'est un EHPAD.
01:20:00C'est un établissement d'épargement
01:20:02de personnages indépendants, c'est un EHPAD,
01:20:04mais qui a une vision très, très...
01:20:08novatrice, je dirais, de l'accompagnement des personnes
01:20:11et aussi de l'aménagement des espaces du bâtiste.
01:20:14Un ouvrage que j'ai co-rédigé avec Nassim Moussi,
01:20:17qui est architecte et spécialiste du vieillissement.
01:20:20Et donc, on a montré, dans cet établissement,
01:20:24qu'il y a une manière de penser l'accompagnement,
01:20:30d'abord, qui se fait en village.
01:20:33Au sein même de l'établissement,
01:20:35il n'y a pas de création de petites unités de vie extérieures,
01:20:38c'est vraiment au sein même du bâti.
01:20:40La directrice a créé des villages,
01:20:44et donc, on a des aides-soignantes
01:20:47qui sont spécialisées pour accompagner les personnes,
01:20:51mais au sein de leur village.
01:20:52Et dans ces villages, la directrice demande aux aides-soignantes
01:20:56de s'occuper de tout.
01:20:58Il n'y a pas de personnel d'entretien,
01:21:00ce sont les aides-soignantes qui organisent véritablement
01:21:03toute la vie au sein de leur village,
01:21:06ce qui crée une ambiance particulièrement proche,
01:21:09finalement, du domicile, en tout cas, familiale.
01:21:12Tout est recréé, finalement,
01:21:14pour que les personnes puissent se sentir chez elles.
01:21:17Par exemple, il n'y a pas d'animatrice ou d'animateur
01:21:20dans cet établissement, ce sont les aides-soignantes
01:21:23qui doivent proposer aussi des animations.
01:21:26Ce sont des aides-soignantes qui connaissent extrêmement bien
01:21:30les besoins, les attentes des personnes dont elles s'occupent.
01:21:34Et je dirais que, peut-être pour faire rapide,
01:21:38c'est l'EHPAD, en fait,
01:21:40qui, vraiment, s'organise autour des besoins des personnes,
01:21:46et ce ne sont pas des personnes âgées qui s'adaptent
01:21:49à l'organisation de l'établissement.
01:21:51Ce qui rend le métier, pour finir,
01:21:53très attractif pour les aides-soignantes.
01:21:56On a fait des entretiens avec Nassim
01:21:58où on montre que les aides-soignantes
01:22:00sont extrêmement heureuses de travailler dans cette structure.
01:22:04Ce modèle pourrait peut-être servir de modèle pour l'avenir.
01:22:07Les facteurs-clés de succès sont connus.
01:22:10Le fait, c'est une politique de prévention
01:22:12extrêmement développée.
01:22:14Il y a une politique de prévention beaucoup plus développée.
01:22:17Ce qui reporte à plus tard l'entrée dans la dépendance.
01:22:20Deux, il faut définir les rôles entre les différents acteurs
01:22:24au Danemark, c'est l'Etat et les collectivités locales.
01:22:27Donc, c'est clair.
01:22:28Trois, il faut un financement, soit un modèle...
01:22:31-...plus que jamais, si on regarde les chiffres démographiques.
01:22:34-...public basé sur l'impôt, soit un modèle assurantiel.
01:22:37Trois exemples qui montrent que tant qu'on n'aura pas pris,
01:22:41qu'on n'aura pas fait les choix démocratiquement
01:22:43sur les facteurs-clés de succès,
01:22:45nous subirons le vieillissement plutôt que d'en profiter.
01:22:48C'est le mot de la fin.
01:22:50Malheureusement, on aurait voulu passer plus de temps avec vous
01:22:53pour parler de la prise en charge de la dépendance
01:22:56dans notre pays et en Europe.
01:22:58Grâce à ce film que nous avons pu visionner
01:23:00dans le cadre de cette émission,
01:23:02un grand merci pour cette enquête, ce documentaire.
01:23:05Un grand merci à tous les trois d'avoir participé à cette émission.
01:23:09Vos réactions sur hashtag débadoc, il va y en avoir quelques-unes.
01:23:12Je compte sur vous, d'ailleurs, pour réagir à ces réactions.
01:23:16Merci à Félicité Gavalda, à Victoria Bellé,
01:23:19qui m'ont aidé, comme à l'accoutumée,
01:23:21à préparer cette émission.
01:23:22Je vous donne un prochain rendez-vous avec Débadoc,
01:23:25avec son documentaire et son débat. A très bientôt.
01:23:28SOUS-TITRAGE ST' 501
01:23:35SOUS-TITRAGE ST' 501

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