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Alexandre Chatillon, ancien diplomate et directeur de l’ONG Super-Novae, fait le point sur la situation sanitaire, et sécuritaire dans la Bande de Gaza, où il était encore cet été et où il s'apprête à retourner dans quelques jours. Il réagissait sur notre plateau quelques heures après l'entrée en vigueur du cessez-le-feu et la libération de trois premières otages israéliennes. 

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Transcription
00:00Nous, sur ce plateau, on va continuer de parler de la bande de Gaza.
00:02Alexandre Châtillon, bonsoir.
00:04Vous avez été diplomate et vous êtes à présent le directeur de l'ONG Supernova.
00:09Vous étiez à Gaza en juillet dernier.
00:11Je rappelle qu'avec votre ONG, vous portez assistance à des femmes déplacées.
00:15Vous organisez un soutien psychologique.
00:17Vous sensibilisez aux violences faites aux femmes dans les camps de réfugiés.
00:22On voit avec l'ouverture de la bande de Gaza,
00:26on va découvrir l'ampleur de ce qui s'est déroulé pendant 15 mois.
00:30Cette ampleur-là, vous la connaissez.
00:32Quelles sont les conditions de vie aujourd'hui dans la bande de Gaza ?
00:36Je crois que ce que dit Rabih est tout à fait juste et extrêmement difficile à réifier pour le commun des mortels.
00:43La situation dans la bande de Gaza est cataclysmique.
00:46J'ai souvent tendance à comparer la situation et la vie à Gaza comme un film apocalyptique
00:52où l'ensemble des bâtiments sont détruits.
00:53On annonce des chiffres, 70, 80, 90% des bâtiments détruits.
00:58En tout état de cause, on a 2 millions de personnes qui étaient déplacées jusqu'à ce matin
01:02dans un tout petit filet de territoire, qui vivaient dans des tentes, dans une promiscuité totale.
01:08C'est un inaccès à l'eau, sans eau courante, sans accès aux soins faciles,
01:14avec la perpétuelle interrogation de « qu'est-ce que je vais manger aujourd'hui ?
01:19Est-ce que l'aide alimentaire va arriver ? ».
01:21La vie à Gaza, ce sont des conditions inhumaines qui ont été orchestrées pendant 15 mois.
01:27Et aujourd'hui, on a un grand espoir que cela se termine.
01:31Rami Abou-Jamouz déclarait d'ailleurs ce matin, d'abord, il faut reconstruire la personne, l'homme, l'enfant,
01:35et reconstruire Gaza.
01:37On l'entend, le chantier est immense.
01:40Ces personnes, vous parliez de près de 2 millions de déplacés, rentrent chez elles.
01:44Aujourd'hui, elles veulent rentrer chez elles.
01:46Mais que vont-elles découvrir ?
01:47Elles vont découvrir des ruines et il va falloir les loger.
01:50Alors, c'est effectivement des ruines.
01:52Donc, selon nos estimations, avec nos équipes,
01:55on imagine qu'entre 60 et 70% des déplacés internes
01:59vont vouloir repartir vers Gaza City, au nord, ou vers Rafa.
02:04Aujourd'hui, Rafa, c'est possible par les accords de cessez-le-feu.
02:08Et donc, on a déjà aujourd'hui des images que vous avez montrées
02:10d'individus qui repartent vers Rafa et qui trouvent à Rafa,
02:14comme à Gaza City, un champ de ruines,
02:17des maisons qui sont éventrées, des immeubles qui n'existent plus.
02:21Moi, j'ai eu l'opportunité d'aller à Gaza City l'année dernière, en juillet,
02:26avec les Nations Unies.
02:27Les personnes dans la voiture avec moi, qui étaient des Gazaouis,
02:30qui travaillaient pour un roi, ne reconnaissaient pas les quartiers,
02:34ne savaient plus s'ils étaient dans un quartier ou un autre.
02:37C'est-à-dire l'étendue des dégâts.
02:39Et donc, les habitants vont rentrer chez eux
02:42parce qu'il y a évidemment un fort attachement à leur terre, à leur maison.
02:46Ils vont rentrer dans leurs bâtiments détruits.
02:49Donc, il y a des enjeux de sécurité pour eux.
02:51Il y a des enjeux de bombes qui n'ont pas explosé.
02:54Donc, il y a un gros travail à faire de dépollution des sites.
02:58Et puis, il faut tout reconstruire.
03:00Il faut reconstruire dans le moyen terme des logements.
03:03Mais il faut aussi, aujourd'hui, demain, donner à ces habitants des tentes pour habiter.
03:08Aujourd'hui, le cessez-le-feu prévoit que la mobilité vers le nord de la bande de Gaza,
03:12vers Gaza City, soit impossible pendant sept jours
03:15et après, soit libéralisée, soit possible à pied.
03:18Donc, je vois mal comment des familles pourront transporter leurs tentes actuelles
03:22avec leurs nécessaires de cuisine,
03:24les habits qu'ils ont collectés depuis ces quinze derniers mois,
03:29seulement sur leurs épaules.
03:30Donc, il y a un vrai enjeu d'accompagner ces familles
03:32à avoir un lieu décent pour vivre là où ils sont.
03:36Alexandre Chétien, de parler de reconstruction,
03:39est-ce que ce n'est pas complètement inveupieux, complètement hypothétique
03:45quand on sait déjà que les termes de ce cessez-le-feu sont extrêmement volatiles,
03:50qu'il y a une phase 2, une phase 3, la reconstruction, c'est la phase 3,
03:54tellement loin sur le papier, mais dans le temps aussi ?
03:57Est-ce que c'est une hypothèse qui semble impossible
04:01pour beaucoup de Gazaouis que vous connaissez ?
04:03Pour beaucoup de Gazaouis, c'est impossible.
04:05Pour aussi beaucoup de praticiens et d'observateurs de la situation,
04:08cela semble être un temps très long.
04:10Je crois qu'aujourd'hui, il faut qu'on se réjouisse de ce cessez-le-feu,
04:13à la fois pour la libération des otages qui rentrent chez eux,
04:16en tout cas trois aujourd'hui, puis d'autres à venir.
04:18On parle des prochains otages samedi prochain,
04:20donc on est très heureux pour les familles et pour les otages eux-mêmes,
04:23elles-mêmes en tout cas pour aujourd'hui.
04:24Et puis pour les Gazaouis, on ne peut être que très heureux
04:28de vivre une vie sans bombe sur la tête.
04:31Ramy, à bouche à bouche, vous le disiez juste avant,
04:33moi, quand je rentre de Gaza, ce que je communique aux gens,
04:37c'est le bruit de la guerre, c'est ce bruit des drones en continu
04:41sur la tête des Gazaouis, avec l'insécurité de se faire ou pas bombarder.
04:47Donc là, aujourd'hui, ça se termine.
04:49Donc je crois que, collectivement, on peut se réjouir,
04:51moi j'en avais des larmes aux yeux, d'un cessez-le-feu
04:54pour que les habitants, les habitantes puissent avoir une vie plus décente
04:58et moins se poser la question de savoir ce qu'ils vont manger.
05:02On le disait tout à l'heure, 500 à 600 camions sont rentrés aujourd'hui
05:06dans la bande de Gaza, c'est 15 fois plus que ce n'était la semaine dernière.
05:09Et donc, ça va mécaniquement faire descendre la tension
05:12parce qu'il y aura moins de rareté sur les marchés.
05:15Et donc, cette reconstruction, elle est hypothétique.
05:18Aujourd'hui, sur les trois à six semaines prochaines,
05:21il faut qu'on se concentre à donner à manger aux individus
05:24qui puissent revivre une vie un peu plus décente.
05:27D'où l'importance de l'entrée de ces camions.
05:30Vous ne disiez que 580 camions ont pu rentrer aujourd'hui,
05:32ce qui est déjà considérable par rapport à ce qui est entré.
05:36D'où l'importance d'apporter à tous les niveaux, comme vous le disiez,
05:39de quoi se protéger, de quoi assainir l'eau, de quoi se soigner.
05:44Les besoins sont absolus dans tous les domaines.
05:47Les besoins sont absolus dans tous les domaines et avec des entraves.
05:50Des entraves, pas uniquement en termes de nombre de camions qui peuvent rentrer,
05:53mais en termes de produits autorisés.
05:55On va prendre un produit très simple, le chlore,
05:58qui est utile pour pouvoir purifier l'eau.
06:00C'est un outil très simple, très peu coûteux pour pouvoir permettre
06:04aux humanitaires comme aux populations locales de purifier leur eau.
06:09Et en fait, ce bien ne peut pas rentrer dans la bande de Gaza
06:11parce que les autorités israéliennes considèrent que c'est un bien à double usage.
06:15C'est-à-dire que ce bien sert essentiellement à purifier l'eau,
06:19mais pourrait être utilisé dans une combinaison d'autres éléments à fabriquer des bombes.
06:24Et donc, il y a aussi un enjeu qui est de pas uniquement libéraliser l'accès
06:27des camions d'aide humanitaire dans la bande de Gaza,
06:30mais il y a un accès aussi aux différents types de produits.
06:33Il n'y a plus d'électricité dans la bande de Gaza.
06:35Les systèmes d'adduction et d'évacuation des eaux usées
06:38sont complètement détruits.
06:40Il faut pouvoir rentrer des panneaux solaires pour l'électricité.
06:43Il faut pouvoir rentrer de l'essence.
06:45Il faut pouvoir rentrer des pipelines pour évacuer l'eau.
06:49Et donc, ça, il faut que les autorités israéliennes jouent le jeu.
06:52C'est un grand enjeu.
06:53Et puis, si je peux me permettre de rajouter quelque chose,
06:56la communauté internationale ne pourra pas suffire en tant que telle
07:01à aider, à pourvoir aux besoins des Gazaouis.
07:05Et de fait, il y a un grand enjeu pour les autorités israéliennes
07:08de permettre aux secteurs privés palestiniens
07:10de pouvoir reprendre leurs activités économiques,
07:13reprendre une vie économique,
07:14permettre aux importateurs qui sont en Palestine,
07:17qui sont dans la bande de Gaza,
07:19reprendre leurs activités d'importation
07:21pour pouvoir maximiser l'apport de produits essentiels dans la bande de Gaza.
07:26Mais parlons quand même du soutien international,
07:29parce qu'il y a eu cette interdiction d'opération,
07:31d'opérer de l'UNRWA de la part de l'État israélien.
07:35Or, on ne peut pas avancer sans ce soutien-là dans la bande de Gaza.
07:39En tout cas, UNRWA joue un rôle depuis des années de stabilisation
07:46et évite à des milliers de personnes depuis des années de mourir.
07:49C'est 13 000 personnes uniquement de staff dans la bande de Gaza.
07:53Ce sont des soutiens apportés à la population gazaouie
07:56dans tous les domaines de la vie,
07:57que ce soit de l'éducation, que ce soit de la santé,
08:00que ce soit sur les colis alimentaires.
08:02UNRWA joue un rôle pacificateur,
08:04joue un rôle de cohésion sociale dans la bande de Gaza.
08:08Et rendre UNRWA illégal est une façon pour les autorités israéliennes
08:13d'entamer cette cohésion sociale dans la bande de Gaza.
08:15Il est urgent de permettre à UNRWA de continuer son mandat.
08:19Alors, c'est fort ce que je dis,
08:21parce que nous, Supernova, petite organisation,
08:24nous dépendons des financements des États pour pouvoir travailler,
08:27de la France qui nous finance, d'autres agences qui nous financent.
08:31Mais si je devais aujourd'hui faire un choix
08:33et avoir une discussion avec le gouvernement français
08:35sur vous devez financer Supernova ou UNRWA,
08:38je dis financer UNRWA tellement leur rôle est important
08:41pour sauver des vies dans la bande de Gaza.
08:42Il y a un dernier point que je voulais évoquer,
08:44c'est celui de la sécurité des individus.
08:46Vous l'avez à demi-mot évoqué tout à l'heure.
08:49On se demande qui, parce que je parlais de l'acheminement,
08:52notamment des camions, on sait qu'il y a eu énormément de pillages.
08:54On se demande qui va assurer la sécurité,
08:57va assurer la police aujourd'hui, alors qu'il y a cette grande instabilité.
09:01Ces populations qui retournent chez elles.
09:03C'est un grand enjeu à plusieurs niveaux.
09:06Moi, quand je suis allé à Gaza en juillet dernier,
09:10quand je rentre dans la bande de Gaza avec les Nations unies,
09:12on voit des camions à côté de nous et des casseurs avec des masques
09:15qui sont là pour prendre des camions, la nourriture.
09:20Ces bandes de casseurs, de pilleurs,
09:24étaient le résultat d'un manque cruel de produits disponibles de base
09:29dans la bande de Gaza et donc, forcément, mécaniquement,
09:32il y avait des bandes qui étaient là pour pouvoir prendre,
09:34pour que le plus fort puisse tirer parti du peu qu'il y avait dans la bande de Gaza.
09:38Aujourd'hui, avec l'adduction de nouveaux camions,
09:40cette violence de ces groupes va diminuer.
09:43Il va y avoir de nouveaux challenges,
09:45une mobilité très importante de populations vers le sud, vers le nord,
09:50des rivalités sur le retour sur place.
09:54Par exemple, des familles qui vont venir sur le même endroit
09:57où ils vont trouver des familles relogées.
09:59Donc, il y a un vrai enjeu de cohésion sociale et de tensions intracommunautaires.
10:03Ça, c'est le premier enjeu.
10:03Et puis, il y a un enjeu de qui va effectivement sur la sécurité.
10:06Aujourd'hui, on l'a vu sur les camions des forces armées qui viennent.
10:10Ce sont les brigades Al-Qassam du Hamas qui ont assuré l'exfiltration des otages.
10:16Il y a un enjeu de savoir, est-ce qu'ils vont rester ?
10:18Est-ce que le ministère du Travail...
10:19Justement, on en revient, Alexandre Chagnon, à la question de l'après, sur l'autorité,
10:23puisqu'on sait que le parrain américain a déjà dit,
10:25c'est-à-dire la future administration de Trump,
10:27pas question d'avoir le Hamas de nouveau aux affaires.
10:31On essaie de remonétiser le FATAR de Mahmoud Abbas,
10:36qui est, on le sait, vous le savez parfaitement,
10:38dans l'ensemble de la Cisjordanie, dans cette région,
10:40alors lui, totalement démonétisé.
10:42Je pense qu'il n'y a pas de retour en arrière.
10:45Qui ? Quelle autorité pour le Gaza de demain ?
10:49Grande question.
10:52Deux points ici.
10:52Le premier, sur le FATA, qui n'a que très peu de relais dans la bande de Gaza aujourd'hui.
10:57Donc c'est un grand enjeu.
10:59Comment regagner du crédit, alors que,
11:01si des solutions politiques avaient été ingéniérées du temps de la guerre,
11:04aucune de la part du FATA n'a semblé émerger avec des figures
11:07en mesure d'assurer cette autorité.
11:09Et puis le deuxième enjeu, c'est qu'aujourd'hui,
11:11vraiment aujourd'hui, on voit le ministère de l'Intérieur,
11:14du gouvernement de facto, donc assuré par le Hamas,
11:17avant le 7 octobre, reprend ses fonctions,
11:20avec des communications vers les institutions internationales.
11:23Nous, en tant qu'humanitaires, on a reçu des communications
11:25de la part du ministère de l'Intérieur,
11:27dirigées par le Hamas, sur nos mouvements, sur nos entrées.
11:31Donc aujourd'hui, je ne peux pas dire qui doit, qui va,
11:35assurer un rôle politique. C'est déterminant,
11:38dans la sécurité, dans la gestion de l'après-cessez-le-feu,
11:43du cessez-le-feu, de l'après-cessez-le-feu.
11:45Je pense que c'est très difficile d'avoir une réponse aujourd'hui.
11:47Une autre partie de la réponse se situe de l'autre côté de la frontière,
11:50côté israélien, où là, le Premier ministre Netanyahou
11:55a perdu une grande partie de son soutien politique aujourd'hui,
11:58risque de perdre ses fonctions si le deuxième parti politique
12:03qui le soutient à l'AKNESET se retire.
12:05Et là, c'est une nouvelle reconfiguration politique,
12:07risque de guerre élevé.
12:09Donc ces six prochaines semaines seront cruciales,
12:13et le rôle de la communauté internationale,
12:15joué par les Qatariens, joué par les Égyptiens,
12:18joué par les Américains, joué par les Français.
12:20Ce rôle, il est fondamental à continuer à accompagner ce processus.
12:23Ce n'est pas fini, ce n'est que le début.
12:25Je vous remercie beaucoup, Alexandre Chatillon,
12:27d'être venu nous parler sur ce plateau.
12:28Je rappelle que vous êtes le directeur de l'ONG Supernova,
12:30qui travaille, opère dans la bande de Gaza.
12:33Vous y retournez, là, début février.
12:35Et vous allez continuer à œuvrer avec cette nouvelle aide
12:39qui va vous parvenir.
12:41Revenons à présent. Alors, on attend...

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