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00:00Il est 7h12 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin l'historien Georges Bensoussan.
00:06Bonjour Georges Bensoussan.
00:08Bonjour Dimitri Pavlenko.
00:10Bienvenue sur Europe 1, spécialiste du monde juif, votre dernier livre, les origines du conflit israélo-arabe 1870-1950 au presse universitaire de France.
00:19Il y a 80 ans, 27 janvier 1945, les soldats soviétiques de l'armée rouge libèrent le camp d'extermination d'Auschwitz en Pologne.
00:28A l'intérieur, 7000 survivants et des preuves accablantes d'une entreprise de destruction systématique du peuple juif, on l'appellera holocauste, puis Shoah.
00:37Georges Bensoussan, vous avez beaucoup écrit sur le génocide des juifs, une histoire de la Shoah, un atlas aussi, vous avez aussi été le directeur éditorial du mémorial de la Shoah à Paris.
00:47Auschwitz, qu'est-ce que ça représente dans la mémoire de la Shoah, Georges Bensoussan ?
00:52Ça représente fondamentalement une rupture anthropologique, c'est une histoire qui est une tragédie non pas seulement juive, comme vous pourrez le penser, mais une tragédie humaine,
01:03parce que ce qui s'est passé là interroge, si vous voulez, le substrat d'un génocide, c'est-à-dire qu'est-ce qu'on peut faire avec des hommes ordinaires, dans des circonstances extraordinaires, qu'ils soient juifs ou pas, peu importe.
01:14Qu'est-ce qui est amené là, dans les discours à coutume au rejet, qui fait qu'on peut mettre de côté une population et qu'un jour on s'habitue finalement à son exclusion et même à sa disparition,
01:25quel est le rôle de l'appareil d'État dans un génocide ?
01:28Sur ce plan, si vous voulez, la rupture anthropologique, c'est le fait que la façon dont ont été tués ces juifs n'est pas, comme le disait Le Pen, j'ai laissé un détail de l'histoire,
01:38c'est le signe même du crime, c'est-à-dire qu'on les a éliminés, qu'on élimine de l'ordure, qu'on élimine de la vermine.
01:44On a amené les victimes aux assassins et ça c'est un phénomène sans précédent dans l'histoire.
01:48Dans l'histoire, en règle générale, les tueurs vont à la victime.
01:52Ici, on amène les victimes jusqu'aux tueurs, que ce soit au schwitz ou d'autres centres de mise à mort.
01:58C'est en cela que c'est une histoire fondamentalement humaine, si vous voulez.
02:01Ce qui a été atteint, ce n'est pas seulement le peuple juif, c'est la notion de personnes humaines qui a été atteinte fondamentalement.
02:08C'est pour ça que cette histoire ne concerne pas que les juifs, elle concerne l'humanité entière.
02:13C'est un peu le proverbe chinois, vous savez, quand le doigt montre la lune, l'imbécile regarde le doigt.
02:18Mais il ne faut pas regarder le doigt, il faut regarder la lune ici, c'est-à-dire que ça concerne tout le monde, cette histoire.
02:23Ce matin, dans les colonnes du Figaro, vous dites quelque chose de très intéressant, Georges Bensoussan,
02:27vous dites, regardez la première guerre mondiale, regardez Verdun.
02:29Bon, plus le temps passe, plus la conviction de ce qui s'est passé et ce qui s'y est passé s'affermit.
02:36Auschwitz, ça fait 80 ans et finalement, c'est toujours extrêmement compliqué, extrêmement délicat.
02:42Il y a encore des gens pour vous dire que ça n'a pas vraiment existé à Auschwitz, Georges Bensoussan.
02:47Quelle est la particularité d'Auschwitz et plus généralement de la mémoire de la Shoah ?
02:51Evidemment, par rapport à la première guerre mondiale, la différence fondamentale, c'est que c'est une histoire ici qui est très chargée d'émotions profondément.
02:58Et d'autre part, c'est une histoire qui rencontre finalement un vieux discours antisémite occidental
03:03qui est aujourd'hui malheureusement relayé par le discours antisémite de l'islam, du monde musulman.
03:09Et donc, ces deux discours antisémites cumulés, ajoutez à cela le conflit israélo-arabe,
03:14fait que cette mémoire est beaucoup plus difficilement transmissible que la mémoire de la première guerre mondiale.
03:22C'est une mémoire qui, politiquement, est très chargée, si vous voulez.
03:25Donc, il y a tout un aspect négationniste, je dirais, qui s'oppose à la transmission de cette mémoire.
03:32Et de l'autre côté, vous dites aussi, c'est intéressant, il ne faut pas abuser du devoir de mémoire.
03:37Il y a quelque chose d'aveuglant, finalement, dans tout ce que l'on dit et que l'on perpétue sur la Shoah.
03:44Oui, parce que le devoir de mémoire, vous voyez, c'est le bateau se larmoyant.
03:46On fait beaucoup d'émotions, très bien, tout le monde est content, on est finalement très très tricontris, on fait beaucoup de compassion.
03:53Mais qu'est-ce qu'on a retenu sur le plan politique de ce qui s'est passé ? Rien.
03:56Parce que, d'autant que dans notre société du spectacle, où toute une émotion chasse l'autre,
04:01une nouvelle chasse l'autre, un massacre chasse l'autre, finalement, au suite, demain,
04:05ça deviendra un massacre de plus dans l'histoire humaine.
04:07On ne verra pas en quoi c'est une vraie rupture anthropologique, en quoi il y a un avant et un après,
04:12en quoi c'est un crime sans précédent.
04:13C'est pour ça qu'il faut faire une histoire politique, et les professeurs doivent faire une histoire politique,
04:18et pas une histoire basée seulement sur le pathos.
04:20Avec, vous voyez, ce paradoxe dont je parlais dans l'article du Figaro qu'Olivier Delagarde citait ce matin,
04:25c'est que vous avez une grande chaîne de services publics qui présentait un film sur le Veldiv,
04:29il y a quelques années, il y a 2-3 ans, je crois, sur les enfants du Veldiv,
04:33et il a fallu attendre les dernières secondes du reportage qui durait 12 minutes
04:38pour apprendre que ces enfants victimes avaient été arrêtés parce que juifs.
04:42Finalement, on ne le savait pas.
04:43Ils ont été arrêtés simplement parce que c'étaient des enfants.
04:46Non, parce que c'étaient des enfants juifs.
04:48Donc, à quoi sert d'enseigner cette mémoire si on ne met pas au cœur aussi de cette affaire-là
04:53qu'ils ont été arrêtés parce que juifs ?
04:55Si on a tellement peur du signe juif et du mot juif,
04:58à quoi sert de commémorer cette histoire de la Shoah ?
05:00C'est ce que Finkielgroot appelait jadis une mémoire vaine.
05:03Et on est d'une certaine façon dans une mémoire vaine.
05:06A la fois on commémore énormément les disparus,
05:09et finalement on laisse devant nous aujourd'hui en France
05:12prospérer un antisémitisme totalement décomplexé.
05:14Et juste, vous dites que c'est une rupture anthropologique à la Shoah et à Auschwitz,
05:20pourquoi ? Parce que c'est le génocide,
05:22non plus comme un moyen finalement, mais comme une fin en soi.
05:25Parce que les juifs seraient en quelque sorte le peuple de trop sur Terre.
05:29C'est votre formule, Georges Balthusant.
05:31Absolument, c'est le signe paria.
05:32Vous savez, ça a été étudié par un grand nombre d'historiens,
05:34dont des historiens anglais qui ont fait un gros travail là-dessus.
05:36Le signe juif, c'est le signe paria dans l'économie psychique du monde occidental,
05:40c'est-à-dire du monde chrétien.
05:41Et dans le monde musulman, d'une certaine façon, c'est en train de le devenir.
05:45Donc, le génocide juif, ce n'est pas un moyen.
05:48C'est-à-dire qu'en fait, on tue les juifs parce que juifs.
05:50Alors que dans d'autres génocides, qui sont tout aussi évidemment abominables,
05:54le génocide des Tutsis du Rwanda, le génocide des Arméniens,
05:57le génocide des Héréraux en 1905 en Namibie par les Allemands,
06:01c'est un moyen le génocide.
06:03C'est, par exemple, pour les Arméniens, le moyen pour les Turcs de s'emparer du territoire,
06:07d'islamiser complètement la province et d'éliminer complètement le monde chrétien de l'Arménie.
06:12Ici, c'est le moyen de rien du tout.
06:14C'est le moyen d'en finir avec un signe juif qui est considéré comme le signe diabolique par excellence.
06:20Merci beaucoup, Georges Bensoussan, d'être venu ce matin sur l'antenne d'Europe 1.
06:24J'en vois toute votre oeuvre, vous avez beaucoup écrit,
06:26donc cette histoire de la Shoah, un atlas également.
06:29Et puis votre dernier ouvrage aussi sur les origines du conflit israélo-arabe,
06:33car cette histoire s'entremêle avec cet anniversaire d'Auschwitz que nous commémorons aujourd'hui.
06:38Bonne journée à vous, merci à vous.
06:40Merci beaucoup.

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