Ce film documentaire de 52 minutes est une exploration intime et profondément émouvante de l'histoire de Benjamin Orenstein, survivant d'Auschwitz-Birkenau. C'est l'accomplissement d'une promesse. Celle que Charlotte Jarrix, comédienne et metteur en scène de théâtre à Lyon, a faite à Benjamin avant sa mort ? : réaliser un documentaire, et retracer les pas qu'il a effectués en retournant sur les lieux de son calvaire, dont Auschwitz. Son objectif est de transmettre l'indicible, pour que jamais l'horreur ne soit oubliée. Ce film, qui repose sur la mémoire, est une oeuvre de transmission, un pont entre le passé et le présent, où l'histoire personnelle de Benjamin se mêle à la grande Histoire, celle de la Shoah et de ses innombrables victimes.
Benjamin Orenstein, rescapé du camp d'Auschwitz-Birkenau, était un homme de courage et de résilience. Son témoignage, qu'il a raconté dans son autobiographie «Ces mots pour sépulture», et qu'il partagé inlassablement durant des années avec de jeunes lycéens, ne peut être réduit à des mots figés sur une page. Il doit être vivant, vibrant, et se transmettre d'une génération à l'autre. Ce documentaire vise à prolonger cet effort de transmission en intégrant son témoignage, comme une voix, mais aussi un cri d'alarme contre l'oubli.
Benjamin Orenstein, rescapé du camp d'Auschwitz-Birkenau, était un homme de courage et de résilience. Son témoignage, qu'il a raconté dans son autobiographie «Ces mots pour sépulture», et qu'il partagé inlassablement durant des années avec de jeunes lycéens, ne peut être réduit à des mots figés sur une page. Il doit être vivant, vibrant, et se transmettre d'une génération à l'autre. Ce documentaire vise à prolonger cet effort de transmission en intégrant son témoignage, comme une voix, mais aussi un cri d'alarme contre l'oubli.
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00:00Je m'appelle Benjamin Orenstein, B4416, je vais vous raconter mon histoire.
00:13Benjamin Orenstein, survivant des camps de la Seconde Guerre mondiale, a enduré l'impensable.
00:20J'ai fait sept camps autour, aux chutes entre autres, et la masse de la mort comprime.
00:30Pendant des dizaines d'années, évoquer cet enfer des camps lui était impossible, malgré les questions répétées de ses enfants.
00:38Papa, est-ce que tu peux me parler de la Shoah ? Et il m'a dit, comment veux-tu que je te parle d'une odeur ?
00:47Né en Pologne en 1926, Benjamin a vu toute sa famille décimée par les nazis. Il est le seul survivant.
00:55Face à la montée du négationnisme, et après un demi-siècle de silence, il va raconter, témoigner de l'horreur pour que l'humanité n'oublie jamais.
01:07En 2007, alors qu'il accompagne un groupe à Auschwitz, Benjamin croise le chemin de Charlotte Jarrix, une jeune metteur en scène.
01:16Entre cet homme qui a traversé l'enfer et cet artiste, une amitié profonde voit le jour.
01:24Charlotte décide de porter à la scène le témoignage écrit de Benjamin, ses mots pour sépulture.
01:32Puis en 2020, Benjamin accorde un long entretien à Charlotte.
01:37Elle lui promet de transmettre sa parole, de la faire entendre au plus grand nombre.
01:42Un lègue pour les générations futures, la mémoire pour sépulture.
02:23Je suis né dans une famille juive, croyante et pratiquante.
02:41On comptait sept personnes avant la guerre.
02:46J'avais mes parents, mon père s'appelait Nahum, ma mère s'appelait Tobalé.
02:53J'avais trois frères, mon frère aîné Chaim, mon second frère Jacob Meyer, mon troisième frère Léon.
03:04J'avais aussi une soeur, elle s'appelait Hinda.
03:09Et moi je suis le bon dernier, le seul et unique survivant.
03:15Benjamin Orenstein est un survivant de la Shoah.
03:25A partir de 1987, il va témoigner auprès des jeunes générations.
03:31Parce que le devoir de mémoire est essentiel.
03:35Un jour glacé de novembre, il accompagne un groupe à Auschwitz où se trouve Charlotte Jarrix.
03:41On s'est croisés par hasard quand je suis moi-même allée à Auschwitz en 2007.
03:47Toute la journée j'étais vers lui mais je n'osais pas l'approcher parce qu'il m'impressionnait.
03:54Je le suivais partout et je n'ai pas osé lui parler.
04:00Et puis en revenant sur Léon, je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose de son histoire parce qu'elle était hors normes.
04:06Benjamin a connu sept camps durant la guerre.
04:10Il a souffert mille épreuves que Charlotte a décidé de mettre en scène.
04:17En 2020, à l'aube de ses 94 ans, Benjamin va se raconter à Charlotte.
04:23Un témoignage filmé, inédit et exclusif d'un juif de Pologne déporté dès son plus jeune âge.
04:32Je suis né en Pologne dans un village qui s'appelle Hannopol dans le district de Lubin.
04:39Je suis natif dès 1926.
04:50J'ai découvert l'antisémitisme quand je suis rentré à l'école la première année, j'avais sept ans.
04:58En 1938, ils ont placardé tout le village, toutes les grandes villes.
05:09Les juifs étaient sales, les juifs étaient bois dans le son, les juifs étaient des parasites.
05:16Parce que, attention, j'ai oublié de vous dire que les juifs nés en Pologne n'étaient pas considérés comme des citoyens à part entière.
05:24C'étaient des citoyens de troisième zone.
05:29Les juifs représentent une minorité importante de la population polonaise avant la guerre, environ 10%.
05:36Typiquement, la petite ville d'Hannopol, où est né Benjamin Orenstein, compte environ 1800 juifs en 1939.
05:47Dans cette famille, il parle yiddish, la mère de famille allume les bougies de l'hôtel.
05:51Il fait un dîner pour Shabbat.
06:16En 1935, il y a un déchaînement d'antisémitisme populaire.
06:21Il y a de nouvelles mesures qui sont prises contre les juifs, en particulier des restrictions économiques.
06:27À partir de 1935, il y a des pogroms, il y a des juifs qui sont assassinés dans la rue.
06:33Dans ce contexte de fort antisémitisme de la part des Polonais, la Seconde Guerre mondiale éclate.
06:41Le 1er septembre 1939, l'Allemagne nazie écrase la Pologne en moins d'un mois.
06:48J'avais à peine 13 ans quand la guerre a éclaté.
06:51J'étais à l'étranger.
06:53J'étais à l'étranger.
06:55J'étais à l'étranger.
06:57J'étais à l'étranger.
06:59J'avais à peine 13 ans quand la guerre a éclaté.
07:03Deux jours après qu'ils sont rentrés dans le village,
07:06ils ont sorti tous les livres sacrés dans la cour, ils ont brûlé,
07:11et à la place, ils ont fait rentrer les chevaux.
07:17Alors il y avait une panique, mais terrible.
07:21Les femmes pleuraient, s'arrachaient les cheveux de la tête.
07:24C'était vraiment quelque chose d'atroce, je me souviens.
07:26Mais c'était encore rien par rapport à ce qui nous attendait.
07:34Dès l'automne 1939, les nazis profanent les synagogues.
07:39Le port d'un brassard blanc, sur lequel est imprimée une étoile de David bleue ou noire,
07:44est obligatoire pour les Juifs.
07:47Les violences s'intensifient.
07:49On voit des pratiques d'humiliation.
07:52La plupart sont religieux et portent la barbe.
07:54On va les raser de force.
07:57Ils attrapaient ces Juifs, et ils leur coupaient la barbe avec leur baïonnette.
08:02Et souvent, un morceau de visage partait aussi avec.
08:11Mon père, il avait une barbe.
08:13On adorait, ma sœur et moi, s'asseoir sur ses genoux
08:16et d'étirer des pointes de la barbe.
08:19Et un jour, il rentre, sans la barbe, avec une casquette de paysan.
08:27On a eu un choc, ma sœur et moi.
08:30On a éclaté en sanglots, on ne pouvait pas s'arrêter.
08:33On a eu un choc, ma sœur et moi.
08:36On a éclaté en sanglots, on ne pouvait pas s'arrêter.
08:38On a eu un choc, ma sœur et moi.
08:40On a éclaté en sanglots, on ne pouvait pas s'arrêter.
08:49C'est terrible pour les Juifs parce que ça veut dire qu'ils ont peur de sortir dans la rue.
08:53Tout de suite, il y a une limitation mentale à leur circulation.
08:58Et puis, ils sont particulièrement visés, les Juifs justement,
09:02qui ressemblent le plus aux Juifs traditionnels, c'est-à-dire les Juifs religieux.
09:04L'histoire des Polonais en général et des Juifs polonais en particulier,
09:09elle est très différente de ce qu'on va voir en Europe occidentale,
09:12avec des persécutions qui commencent beaucoup plus tôt face aux Juifs,
09:16et puis qui sont d'une intensité extrême.
09:19La Shoah en Pologne, c'est vraiment la quintessence de la violence
09:24et de la destruction massive des Juifs.
09:27L'occupant nazi impose à tous les Polonais, Juifs ou non, le travail forcé.
09:33Au printemps 1941, le père de Benjamin doit partir dans un camp de travail pour Juifs.
09:39À 14 ans et demi, son fils prend sa place pour le sauver.
09:44On savait que si on le laissait là-bas, il ne sortira pas vivant,
09:49parce qu'il avait déjà 60 ans passé.
09:53Mon frère me demandait de bout en blanc,
09:56« Est-ce que tu es prêt à faire l'échange avec papa ? »
10:00J'ai dit oui.
10:02J'ai dit oui tout de suite, sans connaître ce que c'est un camp,
10:07et surtout un camp des Juifs.
10:09Je n'avais jamais quitté la maison.
10:18C'est le premier camp de Benjamin,
10:20le premier des sept camps qu'il va endurer.
10:23La découverte de l'univers concentrationnaire,
10:26le début du calvaire.
10:27Le jeune garçon de 14 ans et demi est détenu à quelques kilomètres de chez lui,
10:32avec près de 600 compagnons Juifs d'infortune.
10:37Je ne sais pas combien de temps que je suis resté dans ce camp.
10:43Quatre semaines, cinq semaines, je n'arrive pas à le dire.
10:48On a travaillé très dur,
10:51surtout avec une hygiène sanitaire inexistante.
10:55On n'avait pas mangé de la vermine.
10:59Mais le jour le plus atroce, c'était le dimanche.
11:06Parce que le dimanche, on allait à la Vistule pour prendre son bain.
11:11Ça se passait de la manière suivante, on nous mettait en rang,
11:15on nous donnait l'ordre de marcher, courir,
11:17chanter sur le coup de fouet et le coup de matraque.
11:32Benjamin parvient à s'évader avant l'été 1941.
11:36Mais le répit ne dure qu'une année.
11:39La solution finale est en place.
11:47L'été 1942, c'est l'été de la liquidation des Juifs de Pologne.
11:51C'est-à-dire que le génocide lui-même,
11:54l'assassinat systématique de tous les Juifs commence.
11:57Après des années de persécution,
12:00il y a eu énormément de Juifs qui sont morts dans les ghettos.
12:03Et la politique change radicalement.
12:06Les camps d'extermination, les camps de la mort,
12:09sont créés à cet effet pour assassiner les Juifs de Pologne.
12:13Et ce sont des camps pour la plupart régionaux.
12:15C'est-à-dire Chelmno, Belzec, Sobibor,
12:19et pour la liquidation des Juifs de Pologne, Treblinka,
12:22qui n'est pas loin de Varsovie.
12:33La conférence de Wannsee, 20 janvier 1942,
12:36dans une banlieue opulente de Berlin,
12:39c'est la seule grande conférence au niveau ministériel
12:42sur le sort des Juifs d'Europe,
12:45le compte rendu précis et complet.
12:48Et c'est donc devenu le symbole du côté administratif,
12:52géré, bureaucratique, de la Shoah.
13:02La conférence de Wannsee est considérée
13:05comme l'endroit où a été décidée la solution finale.
13:09En fait, on pense que la solution finale a été décidée plus tôt,
13:13probablement entre novembre et décembre 1941.
13:25Les nazis ont planifié l'élimination des Juifs.
13:30À Hannepol, le 13 octobre 1942,
13:35la population de la ville va être rassemblée,
13:39conduite dans la ville voisine de Krasnik.
13:44Et c'est là que les femmes, personnes âgées, enfants d'un côté,
13:48et hommes et adolescents valides de l'autre vont être séparés.
13:56À 16 ans, Benjamin réussit à être sélectionné
13:59parmi les hommes adultes pour aller travailler.
14:03Nous recherchons 500 Juifs pour aller travailler
14:06dans les camps de Yenisham.
14:08Celui-là.
14:12Celui-là.
14:14C'est mon petit frère, il est jeune, mais il est solide,
14:17il a l'habitude d'être avant des champs.
14:19Vous sélectionnerez le seul uniquement.
14:21Vous vous débarrasserez par la suite de tous les autres.
14:24À ce moment-là, il y a des débats dans le leadership nazi
14:29entre les gens, disons, pragmatiques, qui vont dire
14:32qu'ils ont besoin de la main-d'œuvre juive,
14:35du travail forcé, qui va d'ailleurs être loué
14:38à la plupart des grandes entreprises allemandes,
14:41qui vont venir ouvrir des ateliers en Pologne,
14:44et les idéologues qui pensent qu'il faut terminer
14:47la solution finale tout de suite.
14:49Et pendant quelques mois, les premiers vont gagner.
14:54Et c'est ce qui va arriver à Benjamin Ornstein,
14:57qui va non pas être envoyé dans un camp de la mort,
15:00mais il va rentrer dans le système extraordinairement complexe
15:03du travail forcé, ce qui va paradoxalement lui sauver la vie.
15:09Il fallait avoir la chance, et ça, ça s'appelle la chance.
15:19Faire plus vieux que son âge sauve Benjamin ce jour-là.
15:22Il parvient à rester avec ses trois frères
15:25et sont envoyés à seulement 11 kilomètres de chez eux,
15:28au camp de travail de Kotscheradov.
15:33Leurs sœurs et leurs parents n'auront pas cette chance.
15:42Je n'ai plus revu mon père, je n'ai pas vu ma mère ni ma sœur.
15:50J'ai appris après la guerre, c'est important que je vous le dise,
15:54que tous ces gens-là, ils ont arrêté trois jours et trois nuits à la gare
15:58pour attendre un convoi qui les amène dans le camp de la mort des Belzèques.
16:06Ça doit être eux qui partent.
16:08Oui, ce sont eux, venez, venez !
16:14Il y a papa, maman et Inda.
16:19Où ça ?
16:21Papa, papa, où allez-vous ?
16:29C'est le moment le plus dur.
16:31Il a dit,
16:37tu dois toi obéir à tes frères,
16:40et tout ira bien avec l'aide du Dieu.
16:44J'avais l'impression que je voyais mon père
16:47et que c'était lui qui m'a envoyé.
16:50Je me suis dit,
16:52il faut que je m'occupe de mes frères.
16:55J'avais l'impression que je voyais mon père pour la dernière fois.
17:00Malheureusement, ça s'est avéré exact.
17:25La souffrance, c'est une chose.
17:30La souffrance physique, on peut surmonter.
17:35Mais la souffrance psychique,
17:40ça c'est beaucoup plus difficile.
17:43C'est la souffrance de la vie.
17:46C'est la souffrance de la vie.
17:49C'est la souffrance de la vie.
17:52Ça, c'est beaucoup plus difficile.
17:55Dans quelles conditions mes parents et ma sœur
17:58et le reste de la famille sont morts,
18:01avec ma belle-sœur et ma petite-nièce,
18:05des sept mois ?
18:07Et ça, je trouve que...
18:13que c'est l'enfer.
18:15Parce que même si on est libéré,
18:19on garde toujours cet enfer en eau.
18:42Certaines personnes, il y a déjà au moins 20 ans,
18:45m'ont dit,
18:47« Vous ne croyez pas qu'il est temps de tourner la page ? »
18:50Et moi, je leur ai dit,
18:52« Non, pour moi, ce n'est pas possible de tourner la page.
18:55Parce que moi, je ne vais jamais tourner la page
18:58et je ne l'oublierai pas. »
19:03Et curieusement,
19:06depuis que j'ai commencé à témoigner,
19:09les cauchemars se sont dissipés.
19:12Je me dégage par la parole.
19:15J'ai connu, tout au long de ces années de camp,
19:18la douleur physique, les affres de la soif et de la faim.
19:22Mais je crois que la peur,
19:24même si c'est un sentiment plus subjectif,
19:26demeure la pire des souffrances.
19:28La peur est fugace, mais elle nous habite à jamais.
19:32En publiant ses mots pour sépulture,
19:35Benjamin Orenstein réussit à témoigner.
19:39Il a dépassé ça, vous voyez, face à l'horreur,
19:42il y a quelque chose qui a été plus grand
19:43et je voudrais que vous gardiez ça.
19:45Il y en a qui veulent dire quelque chose ou pas ?
19:47Il s'est échappé au boulot.
19:49En fait, il a été libéré par les Américains à Dora.
19:55Ma grand-mère disait tout le temps,
19:57« Avec Benjamin, on touche du bout du doigt l'histoire. »
20:02C'est ça.
20:04Il était impressionnant.
20:09Un récit dans lequel il se souvient de moments terribles,
20:11comme lorsqu'un commandant de camp
20:14sélectionne au hasard des prisonniers pour les fusiller.
20:20Et là, on est à l'appel, notre groupe.
20:24Il prend le fouet côté manche et il passe.
20:29Il dit « Toi ! Toi ! Toi ! »
20:35Et là, tout est devenu à l'intérieur de moi
20:39un morceau de glace.
20:43Le voir, j'entendais comme si j'étais en apnée
20:47dans une piscine ou dans la mer.
20:50On entend de voir, mais on ne distingue pas.
20:53Je ne sais pas combien d'années Lumières ça a duré,
20:58mais j'ai entendu « Oui, toi ! »
21:01Et il y a un camarade qui sort devant moi.
21:06Inutile de vous dire qu'il y a un cadavre
21:09et qu'il y a un cadavre après, il était mort.
21:12Même si cette paire a duré quelques secondes,
21:16elle reste des traces à tout jamais.
21:23Enfermés au camp de travail de Raroff,
21:26Benjamin Orenstein et ses trois frères
21:29vivent l'enfer concentrationnaire,
21:31d'octobre 1942 à avril 1943.
21:35Dans leur barraquement, ils subissent la puanteur,
21:39la boue, la maladie, la souffrance, le froid et la faim.
21:48À l'époque, ils servaient de la soupe aux orties.
21:53Cet liquide immonde ressemblait à un étang de grenouilles.
21:58C'était verdâtre avec la mousse.
22:04Malgré qu'on n'avait rien pris depuis le matin,
22:07on a repoussé nos gamales.
22:09Tout de suite, il y avait des gens qui se sont jetés dessus.
22:12« Tu bois pas ? » Ils ont bu d'un seul coup, comme ça.
22:15Ils n'avaient rien à manger.
22:17Parce que des fois, il y avait ceux qui avaient de la chance
22:20de trouver des protéines sur nager de verre.
22:31Je ne croyais pas si bien dire.
22:34On souffrait de la faim.
22:37N'essayez même pas de vous imaginer
22:39qu'un être normal, normalement constitué,
22:42ne peut pas s'imaginer.
22:44Il faut voir même si on a une imagination débordante.
22:49Si vous saviez ce qu'on a ramassé comme ordures
22:52pour manger le dimanche,
22:54on passait 90 % de notre temps
22:56à chercher des nourritures de toutes sortes.
23:10En mai 1943,
23:12Benjamin subit un nouveau drame familial.
23:15Les prisonniers sont des pions,
23:17déplacés en fonction des besoins économiques des nazis.
23:20Ainsi, ses frères,
23:22Rahim et Léon,
23:24restent sur place,
23:26alors que Benjamin et son aîné, Jacob Meyer,
23:28sont transférés au camp de Bouddine,
23:30de sinistre réputation.
23:33Après le soulèvement du ghetto de Varsovie,
23:35des centaines de personnes sont déportées à Bouddine.
23:37Tous sont terrorisés par le commandant du camp,
23:40l'impitoyable Feix.
23:47Il a mis son pied sur le garde-boue du camion
23:50et il s'est présenté.
23:52Je me nomme Feix.
23:54Certains d'entre vous ont peut-être déjà entendu parler de moi.
23:57Mais un conseil,
23:59ne vous approchez pas trop de moi.
24:01Il avait raison parce que quand on s'approchait de lui,
24:04on était morts.
24:06Le commandant Feix,
24:08connu pour son sadisme,
24:10va commander ce camp de Bouddine
24:13entre décembre 1942 et l'été 1943.
24:16Et c'est vraiment la période de l'existence de ce camp
24:19où il y a vraiment les conditions,
24:23les pires.
24:25Ils sont entassés jusqu'à 500 par baraque.
24:28Les rations sont vraiment extrêmement réduites.
24:31150 à 200 grammes de pain par jour.
24:34Une mortalité par famine,
24:36évidemment par épuisement, mauvais traitement
24:38et fusillades aléatoires.
24:41Donc on est vraiment dans un camp aux conditions absolument terribles.
24:46Et c'est précisément la période
24:48durant laquelle Benjamin Orenstein est interné.
25:01Des horreurs
25:03qui entrombent Benjamin toute sa vie.
25:06Sa fille Linda se souvient de ces nuits terribles
25:09durant lesquelles, enfant,
25:11elle percevait le martyr que son père avait enduré.
25:15Il m'est arrivé de l'entendre
25:18hurler quelque chose d'indescriptible.
25:22D'aller le réveiller,
25:24lui se rendormait, moi pas.
25:27C'était terrorisant.
25:30Je ne pouvais pas retrouver le sommeil à ce moment-là.
25:33Ce n'était pas possible.
25:35Je ne me sentais pas capable
25:38de dire à mes enfants
25:40maintenant je vais vous raconter ma sortie d'Egypte.
25:43Non, je ne pouvais pas.
25:45Souvent j'ai fait des cauchemars.
25:47Et même en me réveillant,
25:49en étant réveillé, je continuais à hurler.
25:55A Bouddhine,
25:56Benjamin est assigné à la construction de HLM
25:59de la firme allemande Heinkel.
26:01Le cœur brisé,
26:03il assiste impuissant au transfert
26:05de son frère Jacob Meyer,
26:07déporté près de Lublin,
26:09dans le camp de travail où se trouvent ses frères aînés,
26:11Rahim et Léon.
26:13Il est désormais seul.
26:15Au mois d'octobre, novembre,
26:17ils ont sorti un décret
26:19qu'il faut liquider tous les camps
26:21du district de Lublin.
26:23Tous les camps des Juifs, bien sûr.
26:24J'ai appris,
26:26tout de suite après quelques jours,
26:28que mes frères,
26:30avec 632 Juifs dans ces camps,
26:34étaient fusillés.
26:36C'était le coup de grâce
26:38qui était donné pour moi,
26:40parce que maintenant je me suis dit
26:42que je suis vraiment seul au monde.
26:44Alors qu'est-ce que je vais devenir ?
26:47Mais vous savez,
26:49on ne peut pas...
26:51On perd un moment le pédale,
26:53on se dit ça y est, c'est fini,
26:55et puis après tout,
26:57tous ils sont morts, moi aussi.
26:59Mais l'instinct de survie
27:01prend la suite tout de suite.
27:03L'instinct de survie
27:06vous dit
27:08continuez,
27:10peut-être que j'aurai une chance.
27:18À l'automne 1943,
27:20toute la famille Orenstein a été décimée.
27:24À seulement 17 ans,
27:26Benjamin a perdu tous les siens.
27:28Son destin est pareil
27:30à celui d'un brin de paille dans l'océan.
27:34Les affres de la Seconde Guerre mondiale
27:36se poursuivent,
27:38avec parfois
27:40des lignes d'eau.
27:42Il y en a de plus en plus
27:44dans l'océan.
27:46Il y en a de plus en plus
27:48dans l'océan.
27:50Il y en a de plus en plus
27:52dans l'océan.
27:54Il y en a de plus en plus
27:55dans l'océan.
27:57Les affres de la Seconde Guerre mondiale
27:59se poursuivent,
28:01avec parfois
28:03des lueurs d'espoir
28:05qui aident ces hommes à survivre.
28:10Fin 1943,
28:12la rumeur se répand.
28:15À l'Est, les nazis reculent face au Russe.
28:19Les France s'approchait, s'approchait,
28:21d'évacuation, finalement, on nous a évacués, c'était le 2 août.
28:41On nous a ramenés dans un camp des juifs gardés par les Ukrainiens,
28:46le camp s'appelait Ostrowiec.
28:52Ils étaient pires que les SS, ça je vous le garantis.
29:05En août 1944, les soviétiques se rapprochent plus encore.
29:09Les nazis doivent gérer leurs milliers de prisonniers
29:12et reculer en fonction de la ligne de front.
29:15Les transferts de camp en camp se multiplient.
29:19Il y a la crainte que ces camps qui travaillent pour l'armée amande
29:24pour fournir des avions, des munitions, des uniformes
29:28puissent tomber aux mains des soviétiques.
29:31Certains vont plaider pour rapatrier ces usines
29:34plus vers l'intérieur du Reich pour continuer la production
29:37mais plus loin du front, donc ça c'est une première option
29:40et c'est ce qui explique qu'un certain nombre de ces déportés
29:43vont être transférés dans d'autres camps plus à l'intérieur du Reich.
29:48Et l'autre logique qui est parallèle, c'est la logique exterminatrice
29:53qui est de se dire qu'on va se débarrasser de ces juifs
29:57qui ne sont plus utiles à partir du moment
30:00où ces usines, ces camps de travail disparaissent.
30:12Depuis combien de temps roulons-nous ?
30:14Une douzaine d'heures.
30:15Où est-ce qu'ils nous emmènent comme ça ?
30:17Les allemands ont décidé de nous exterminer avant l'arrivée des soviétiques.
30:20La guerre n'est pas finie.
30:48Les prisonniers sont des milliers à affluer simultanément au camp d'Auschwitz.
30:52Des déportés, gérés comme du bétail.
30:59Alors déjà, Benjamin nous expliquait que dans ce type de wagon
31:02ils tenaient 250 personnes à minima.
31:05Ils ont mis 12 heures pour arriver à Auschwitz.
31:08Ils ont été donc contenus dans ces wagons sans eau, sans nourriture.
31:11Ils sont tombés de cette hauteur qu'ils sont en train de monter.
31:15Le train s'est arrêté.
31:17Tout de suite, on entend abouer les chiens et les SS.
31:20« Laissez tout, sortez ! »
31:23« Laissez tout, sortez ! »
31:25Alors bien sûr, on sortait.
31:27Il n'y avait pas d'escalier, ni rien pour en être en sécurité.
31:32Mais on est tombés.
31:34On est tombés.
31:35On est tombés.
31:36On est tombés.
31:37On est tombés.
31:38On est tombés.
31:39On est tombés.
31:40On est tombés.
31:41On est tombés.
31:42Il n'y avait pas d'escalier, ni rien.
31:44On sortait les uns sur les autres.
31:46On tombait parce qu'on était complètement aboutis par la nuit.
31:50C'était vers le matin.
31:52Je ne sais pas si c'était 4h du matin ou 3h30.
31:56Il faisait nuit encore.
31:59On était aveuglés par les projecteurs.
32:07Les convois de Juifs qui arrivent à Auschwitz,
32:10en fait à Birkenau,
32:12vont être sélectionnés par un ou plusieurs médecins SS.
32:16C'est-à-dire que, simplement, en quelques microsecondes,
32:20ce médecin va décider qui des arrivants,
32:23soit va être assassiné tout de suite,
32:26donc va aller à la chambre à gaz,
32:28et dans les deux heures, seront morts,
32:31soit va rentrer dans le système concentrationnaire de Juifs,
32:35qui est gigantesque,
32:37pour être soumise au travail forcé,
32:40et donc mourir, non pas immédiatement,
32:43mais dans les quelques semaines qui suivent,
32:46de faim, de maladie, de mauvais traitements.
32:49Et pour Benjamin Ronstein,
32:51une fois de plus, il a une chance extraordinaire,
32:54il passe la sélection,
32:56et il est sélectionné pour rentrer dans le camp de travail.
32:59Je ne me suis même pas aperçu de la sélection.
33:03Il fallait se mettre en rang devant une baraque.
33:06Une fois rentré à l'intérieur,
33:08je voyais des détenus assis derrière des tables en forme de U.
33:14Les détenus tournent le bras,
33:16et ils tapent avec un stylo.
33:19En rentrant, j'étais Benjamin Ronstein,
33:22en sortant, j'étais B4416.
33:28Auschwitz, c'est le seul camp où les détenus étaient tatoués,
33:32et sur le bras, son numéro de matricule,
33:35qu'il devra répéter constamment dès qu'il est appelé,
33:38et en particulier lors de ces interminables appels,
33:41qui sont des lieux de mort, de torture aussi,
33:44sur la grande place d'Auschwitz.
33:56Malheur à celui-là,
33:58qui ne pouvait pas prononcer son matricule correctement.
34:03B4416.
34:05B4416.
34:07B4416.
34:09B4416.
34:21Quand le jour s'est levé,
34:23la première chose qu'on a constaté,
34:25les gigantismes de ce camp.
34:27On ne voyait pas le bout, tellement c'était grand.
34:32Et cela,
34:33ce que l'éthique Benjamin Ronstein découvre l'organisation millimétrée
34:38du camp d'extermination imaginé par les nazis.
34:41Un camp où il sait que les Juifs sont éliminés.
34:46Benjamin Ronstein avait entendu des rumeurs
34:49de chambre à gaz, de gazage de Juifs,
34:52avant son arrivée à Auschwitz,
34:55mais sans avoir d'informations précises.
34:58sans avoir d'informations précises.
35:01Ce qui est sûr, c'est qu'ils savaient
35:03qu'Auschwitz était un lieu de mise à mort.
35:09Finalement, je descends de quelques marches l'escalier,
35:14on se trouvait sur la pompe de douche.
35:17Chacun de nous savait qu'à Majdanek,
35:20le gaz était répandu par la pompe de douche.
35:23Alors chacun s'éloignait de la pompe de douche.
35:27Je ne sais pas combien de temps ça a duré.
35:30On aurait pu s'enfoncer dans le mur.
35:33On l'aura fait.
35:35Finalement, l'eau coule, il y a un courageux d'eux
35:38qui met un doigt, qui met un pied,
35:42et on entend, c'est de l'eau, c'est de l'eau.
35:44Alors, on a pris la douche
35:48et on nous a amenés dans le camp de Tzigane,
35:52qui, 48 heures avant, avait liquidé 2 000 Tziganes.
36:00Benjamin a été sélectionné pour travailler,
36:03et non pour être liquidé,
36:05contrairement aux milliers de personnes
36:08dont les âmes s'élèvent à travers les cheminées.
36:14C'est ce qui nous a surpris aussi.
36:17C'était la fumée noire rapide
36:20qui partait des cheminées, lourde,
36:23et on sentait...
36:25On sentait la chermine.
36:28Surtout quand il y avait un petit vent,
36:30on la sentait encore davantage.
36:40On respirait par les nez et la bouche.
36:45Dans la bouche, on sentait un goût amer.
36:49Et il fallait vivre avec ça.
36:52La première fois où j'ai parlé à mon père,
36:56je lui ai posé une question
36:59que je pensais facile, ou que je croyais facile.
37:02Je lui ai dit,
37:04« Papa, est-ce que tu peux me parler de la Shoah ? »
37:07Et il a eu une seule réponse,
37:10qui a duré quelques secondes,
37:12et il m'a dit,
37:13« Comment veux-tu que je te parle d'une odeur ? »
37:17Fin de l'histoire.
37:19À ce moment-là, j'avais 13-14 ans.
37:25Je crois que les enfants s'étaient doutés
37:28de pas mal de choses. Ils ne connaissaient pas les détails.
37:31Mais ils avaient peur, surtout, de poser des questions,
37:35de ne pas faire trop mal.
37:38Ça a pris 48 ans,
37:41mon silence.
37:42Musique de tension
37:46Dans un mois, le 11 mai 1987,
37:50s'ouvrira au palais de justice de Lyon
37:52le procès de Klaus Barbie.
37:53Il a fait son lugubre travail à Lyon
37:56avec la légalité française de son côté.
38:01À Lyon, Benjamin a refait sa vie.
38:04Les négationnistes viennent défendre le criminel de guerre,
38:07Klaus Barbie.
38:09Dans les années 90,
38:12on est dans des années où le négationnisme émerge.
38:15C'est une douleur supplémentaire pour les survivants de la Shoah
38:18que de voir leur récit remis en question.
38:21Chambre à gaz ? Ça ne va pas.
38:23C'est une histoire des Juifs.
38:25Ils voulaient toucher de l'argent des indemnités des Allemands.
38:28Ils ont inventé les chambres à gaz.
38:30On ne tuait pas.
38:34Alors, quand j'ai entendu ces gens prétendre
38:37que ça n'existait pas,
38:40ils ont passé tout le mien.
38:44La terre les a avalés.
38:48Et j'ai dit...
38:50Pour moi, c'est inacceptable et insupportable.
38:53J'ai dit, maintenant, il faudra que je rentre dans la danse.
38:57Et puis c'est mon épouse qui m'a poussé, Mireille qui m'a poussé.
39:00Tu vois, tu devrais raconter ton histoire.
39:03Je commence à témoigner.
39:05J'ai fait entre 45 et 50 témoignages
39:09dans l'année scolaire.
39:12J'ai même dépassé les frontières.
39:15Je suis allé à deux reprises à Genève aux Nations unies.
39:33Je dis toujours que nous, les survivants,
39:38on a quelque chose à l'intérieur qui est cassé à tout jamais.
39:42Cette pièce, on ne la retrouvera jamais.
39:45On ne peut pas la reproduire.
39:47Et c'est comme ça qu'on continue à vivre
39:51et finir la vie de cette manière-là.
39:58À 18 ans,
40:00Auschwitz est le cinquième camp où Benjamin Orenstein est détenu.
40:03Il devient mineur à Fürchtengrube,
40:06l'un des plus grands camps externes dépendants d'Auschwitz.
40:11J'avais la chance d'être dans l'école des mineurs.
40:16Nous, on avait un avantage
40:18que seulement ceux qui étaient dans le camp pouvaient comprendre.
40:22Nous, les jeunes mineurs de 20 ans,
40:25on avait une soupe à midi envoyée par le camp.
40:29Et ça, c'était un plus énorme !
40:37Dans ce camp-là, j'avais rencontré,
40:40dans le même baraque et même sur la même hauteur de couchette,
40:45c'était Simon.
40:47Simon Kramer était devenu un copain incontournable.
40:53On partageait tout.
40:56Alors voilà, on savait à quoi se tenir,
41:00que les jours où on aurait plus besoin de nous,
41:03ils vont nous massacrer.
41:25D'août 1944 à janvier 1945,
41:29Benjamin et son ami Simon se soutiennent dans l'horreur.
41:34Leur seul espoir, l'avancée du front russe.
41:40Et comme ils avançaient, il fallait évacuer le camp.
41:44C'était le 13 janvier,
41:46et on sortait à la marge de la mort.
41:56Benjamin et plus de 1 200 prisonniers
41:59entament cette marche de la mort.
42:02Une marche en direction de l'Allemagne,
42:05de jour comme de nuit.
42:15Pourquoi la marche de la mort ?
42:17Parce que les cadavres se trouvaient de deux côtés de la route.
42:22Les retardateurs, s'ils restaient soit assis, soit debout,
42:26qu'ils n'étaient pas dans le rang,
42:28abattus, abattus.
42:30On sentait et on entendait des coups de feu sans arrêt derrière nous.
42:40Je ne sais pas si vous avez déjà fait l'expérience
42:43de marcher avec les sabots de bois sur la neige.
42:48Les saboteurs, les chouis,
42:49ça vous blesse les jambes, les pieds.
42:53On marchait sans arrêt.
42:56Et Simon marchait avec moi.
42:59Simon dormait et moi, je conduisais.
43:02Quand il se réveillait, c'est lui qui me conduisait et moi, je dormais.
43:05On peut dormir debout, je vous certifie.
43:15Finalement, on arrive au bout du quatrième jour.
43:18On voyait les civils, ils nous voyaient défiler comme ça.
43:22On était à moitié morts.
43:23Et on nous amène dans le camp de Gleiwitz.
43:26Et on nous a embarqués sur des plateformes ouvertes, à moins 20.
43:33En montant dans le wagon,
43:35je cherchais Simon.
43:37J'appelais Simon, Simon, Simon, pas de réponse.
43:43La première chose que j'ai faite,
43:45quand on a fait un arrêt quelque part,
43:48c'est courir pour chercher Simon, introuvable.
43:52J'ai jamais trouvé Simon.
44:03Exténué, Benjamin Orenstein arrive au camp de Dora,
44:06le 25 janvier 1945.
44:13C'est un camp de concentration.
44:15C'est un gigantesque camp de travail.
44:17C'est aussi un des camps où a commencé la conquête spatiale.
44:22On a tout un complexe industriel
44:25qui est construit littéralement à la toute fin de la guerre
44:29pour, encore, espérer mettre en place
44:33les fameuses fusées V2 dans un tunnel
44:36bien caché, bien camouflé.
44:38Et on y fait travailler les détenus vraiment jusqu'au bout.
44:42On est en janvier 1945.
44:48Moi, j'ai commencé à avoir mal à la jambe droite.
44:52Et j'ai boité de plus en plus.
44:55Je pouvais plus marcher.
44:57On m'a conseillé d'aller aux rivures,
45:00c'est-à-dire à l'infirmerie.
45:02Et moi, j'ai toujours évité les infirmeries
45:05parce que c'était dangereux.
45:08L'infirmerie, le plus souvent,
45:11c'est l'antichambre de la mort.
45:13Une fois à l'infirmerie, on est considéré comme faible, malade
45:17et donc potentiellement sélectionnable
45:20pour être éliminé et donc pour mourir.
45:24L'infirmerie va pourtant lui sauver la vie.
45:27Pendant ces jours d'attente et d'espoir sans fin,
45:29les Américains avancent par l'ouest.
45:32Une arrivée imminente
45:33qui oblige les nazis à évacuer le camp de Dora.
45:36Incapables de suivre une nouvelle marche,
45:39Benjamin Moribond est abandonné sur place.
45:4215 jours avant la libération du camp,
45:45il y avait une commission de blouses blanches
45:47qui se sont amenées des SS.
45:50Ils ont fait une sélection
45:54des gens,
45:55deux qui pouvaient se tenir sur leurs jambes.
45:59Ils étaient évacués.
46:03Et moi, ce qui m'a sauvé, c'était ma jambe.
46:07Voilà ce qu'il s'appelle un camp, la chance.
46:27Et le 11 avril 1945,
46:31à 15h30,
46:33on a vu les deux premiers Américains
46:35rentrer dans notre ravion.
46:39Bien sûr, ils étaient choqués.
46:43Parce que l'image qu'ils ont dégagée,
46:48l'odeur surtout...
46:55Alors ils se sont agenouillés, ils ont quitté leur casque,
46:58posé leur fusil,
47:00et ils ont, je dois dire, pleuré comme des enfants.
47:04Et pourtant, ils n'étaient pas de nouveau venus.
47:23Pour moi, ça a duré plus de six ans, la guerre.
47:28Six ans et sept camps.
47:31Libérés à 18 ans,
47:33Benjamin pèse moins de 35 kg
47:35et n'a pas grandi depuis ses 14 ans.
47:39Il faudra du temps pour que sa croissance reprenne,
47:42et des années pour qu'il puisse à nouveau verser des larmes.
47:46Parti construire sa vie en Israël,
47:48un cousin installé en France va changer son destin
47:51et l'inciter à le rejoindre à Lyon.
47:55Grâce à un cousin que j'ai retrouvé ici, à Lyon,
47:59qui était déjà là avant la guerre,
48:01j'ai retrouvé la seule et unique photo de ma sœur, Hinda,
48:05parce qu'elle avait envoyé sa photo au cousin.
48:09Voilà, c'est la seule et unique photo que j'ai pu récupérer.
48:15Là, je me suis rappelé que j'avais une famille.
48:20Comme ils sont tous disparus,
48:23ils n'ont pas laissé une photo, rien.
48:26C'est difficile de se rendre compte qu'on n'a pas de famille,
48:30que ce n'est pas la norme.
48:32J'avais juste une grand-mère.
48:34C'était la mère de ma mère.
48:38Mais du côté de papa, personne.
48:40Pas d'oncle, pas de tante, pas de cousine, pas de cousin,
48:44pas de grands-parents.
48:50Hitler voulait nous anéantir complètement.
48:54Et quand moi, j'ai des descendants encore qui portent mon nom,
48:59je m'attribue une toute petite victoire.
49:12L'autre arme de Benjamin, c'est la parole.
49:15En osant compter l'insoutenable,
49:18il perpétue la mémoire auprès de centaines de jeunes
49:20afin d'éveiller les consciences.
49:30La dernière fois que j'ai fait ce voyage,
49:32c'était en décembre 2014.
49:35Quand on est rentrés dans ce bâtiment,
49:37qui s'appelle le Sona,
49:38quand on a passé la porte d'entrée,
49:40Benjamin s'est senti mal.
49:42Il a fait un malaise.
49:43Et on voyait dans ses yeux
49:45toute la réalité derrière ça qu'il avait vécue.
49:49Et à ce moment-là, il a dit,
49:51ça devient trop pour moi, ça devient trop difficile,
49:54il va falloir que j'arrête.
49:56Que je laisse d'autres,
49:58que je laisse d'autres témoigner pour moi.
50:09Le 10 février 2021,
50:11Benjamin Orenstein s'est éteint.
50:14Pour la première fois,
50:16toute la famille Orenstein a eu droit à une sépulture
50:19sur laquelle ses enfants, Linda et Norbert,
50:22et ses petits-enfants peuvent se recueillir.
50:28Avec le soulagement de savoir
50:30que Charlotte Jarrix,
50:32devenue ambassadrice de la mémoire,
50:34a pour rôle de poursuivre le travail
50:36que Benjamin a mené sans relâche.
50:48Je voudrais vous dire une chose.
50:51Je n'ai jamais oublié que ça a eu lieu.
50:56Et de réagir au premier incident.
51:01On ne peut pas rire de 6 millions de victimes.
51:04C'est une tragédie humaine.
51:09Et ce n'est pas seulement la faute des Allemands,
51:11c'est toute l'humanité qui a reçu une jufle.
51:13Alors, toute l'humanité doit surveiller
51:17et être vigilant que ça ne recommence pas.
51:20Il y a un danger que ça recommence.
51:22Rappelez-vous ça. C'est tout ce que je peux vous dire.