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Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mercredi 29 janvier 2025 : le comédien Swann Arlaud. Il est, dès mercredi soir, au Théâtre de l'Œuvre, à Paris, dans la pièce "Trahisons" d'Harold Pinter, jusqu'au 30 mars 2025.

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Transcription
00:00Bonjour Swan Harlow, vous êtes l'un des acteurs les plus demandés du cinéma français.
00:04Acteur n'est plus qu'un métier pour vous.
00:06C'est avant tout une passion, une vocation et même une transmission.
00:09Vous êtes issu d'une famille intégrée au monde du spectacle,
00:12ce qui vous a permis de vous imprégner très tôt des coulisses et de l'envers du décor, notamment au théâtre.
00:16Votre carrière, vous avez su la construire solidement, tranquillement,
00:19presque dans l'ombre au départ, avec des débuts sur la pointe des pieds,
00:23des seconds rôles forts jusqu'en 2016 et la sortie de deux films
00:26qui vont vous permettre de montrer toute l'étendue de votre talent.
00:29Je pense à Ni le ciel, ni la terre et les anarchistes.
00:32Et puis, il y aura effectivement ce rôle en 2018 de Pierre Chavange,
00:36ce petit paysan qui essaye de s'en sortir comme il peut avec le César du meilleur acteur.
00:41Et en 2020, le César du meilleur acteur dans un second rôle pour votre interprétation d'Emmanuel
00:44dans Le Grâce à Dieu de François Ozon.
00:46Aujourd'hui, vous êtes au théâtre de l'oeuvre à Paris pour la pièce Trahison d'Harold Pinter
00:50et ce jusqu'au 30 mars prochain.
00:52C'est l'histoire de trois personnes.
00:53Finalement, Emma, qui est galériste, son mari, Robert, éditeur et Géry,
00:58le meilleur ami du mari qui a entretenu pendant sept ans une relation avec Emma.
01:01On assiste donc aux coulisses de cette triangulation amoureuse
01:05avec ses contradictions, la relation étroite ou à distance avec nos sentiments,
01:09les non-dits amoureux souvent inavouables.
01:12Est-ce qu'on peut tout avouer, d'ailleurs ?
01:13Swan Harlow, est-ce qu'il faut tout avouer, même ?
01:16Non, je ne crois pas, surtout pas.
01:19Qu'est-ce qui vous a attiré dans cette pièce ?
01:23Le texte, la langue.
01:25Alors, c'est assez particulier parce qu'évidemment, nous, on la joue en français,
01:27mais au départ, c'est un texte en anglais.
01:30Et dans l'anglais, il y a cette possibilité
01:35partout du double sens, du sens caché, un peu plus qu'en français.
01:43Puisqu'en fait,
01:45alors peut-être que ce n'est pas vrai, mais j'ai l'impression que les mots anglais
01:51ont plus de sens.
01:53C'est comme si nous, on avait plus de mots pour dire une seule chose
01:56et qu'un mot peut dire plusieurs choses.
01:58Donc, ça permet de s'amuser avec ça.
02:00Et ce qui est marrant, là, c'est qu'en fait, c'est une pièce qui est à l'envers,
02:05c'est-à-dire qu'on commence à la fin et on termine au début.
02:07Donc, on remonte le temps.
02:09Donc, c'est ça qui fait qu'on a une lecture particulière de chaque tableau.
02:13C'est qu'on sait ce qui s'est passé après.
02:15Donc, on voit les tableaux différemment.
02:18On est dans le secret.
02:20Et il y a un grand plaisir à ces espèces de multicouches comme ça.
02:25C'est très jouissif à jouer.
02:27Ça démarre par un aveu.
02:28Alors, on se dit, tiens, ça y est, on va assister à l'aveu de la femme
02:31auprès de son mari. Pas du tout.
02:33Elle avoue auprès de son amant qu'elle a avoué à son mari leur relation.
02:36Elle ment, on ne va pas tout dire, mais elle ment dès le départ.
02:40Ça en dit long sur notre capacité à mentir, finalement, Swan.
02:45Oui, je crois que c'est inhérent à l'être humain.
02:50On s'arrange toujours.
02:51Ce qui est marrant, c'est qu'il y a vraiment aussi la question du mensonge quotidien.
02:56Ça, ce n'est pas tout à fait dans la pièce, d'ailleurs,
02:57mais on peut mentir sur des choses complètement idiotes, quoi.
03:01De dire, t'es venu comment ? On est venu en métro, je suis venu en vélo.
03:04Mais pourquoi on dit ça ? Qu'est ce que ça change ?
03:06Mais on fait ça beaucoup.
03:08Et là, en effet, ce n'est pas des grands méchants,
03:11mais tout le monde se trahit un peu.
03:13Et en même temps, il y a de l'amour partout.
03:15C'est-à-dire que ces petites trahisons sont aussi parce qu'ils s'aiment
03:20les uns les autres et qu'ils ne veulent pas se faire mal.
03:22Et donc, c'est presque pire ou en tout cas, ça ne fait pas mal là où on pense.
03:26C'est assez étrange.
03:27Pourquoi vous êtes si peu sur les planches,
03:30alors que finalement, c'est un peu ce qui vous a attiré enfant ?
03:33C'est dur pour la vie, le théâtre.
03:36C'est dur pour la vie quand on a une vie de famille, des enfants.
03:41On joue à 21 heures, là, on va jouer à 21 heures,
03:45presque tous les soirs pendant deux mois.
03:49C'est compliqué.
03:51Enfant, c'est ce qui vous a fait craquer le théâtre ou pas ?
03:53Pas du tout.
03:55Qu'est-ce qui vous a fait basculer, alors ?
03:57Rien ne m'a fait basculer.
03:59Moi, je voulais faire autre chose.
04:02Je voulais faire de la peinture, je voulais faire du dessin.
04:04J'ai fait une école d'art, les arts décoratifs à Strasbourg.
04:10Non, je m'y suis un peu refusé.
04:13D'abord parce que, en fait, comme je viens quand même d'une famille
04:17qui travaille dans le spectacle, alors eux, ils sont plutôt de l'autre côté,
04:19mais j'avais des grands-pères comédiens, une grand-mère aussi.
04:23Je m'y suis toujours un peu refusé.
04:25Personne ne m'a poussé là, en fait.
04:29Et puis, par la force des choses, après, j'ai commencé à faire des castings
04:33pour jouer des petits rôles, etc.
04:35J'étais assez heureux sur un plateau, mais j'envisageais pas d'en faire un métier.
04:41Et puis, c'est avec le temps, par la force des choses,
04:44que j'ai compris ce que ça voulait dire, que ce métier.
04:50Ça a changé quoi, les deux films de 2016 ?
04:53Ni le ciel, ni la terre, les anarchistes ?
04:59Ça a changé.
05:01D'un coup, c'est des films...
05:07Ça ne veut rien dire, des films importants, mais en tout cas,
05:10c'est des films qui existent, que les gens ont vus.
05:16C'est des rôles très différents.
05:17C'est des rôles, en fait, et là, la chose difficile pour ce métier,
05:25c'est qu'à priori, on met des années avant de pouvoir vraiment le faire.
05:31C'est-à-dire qu'avoir un jour, deux jours, trois jours sur un truc
05:35et avoir quelques phrases à dire, en fait, c'est une torture.
05:38Il n'y a rien de plus difficile.
05:39Et on ne peut pas vraiment déployer quelque chose.
05:44À partir du moment où on va nous donner un rôle, vraiment,
05:47là, on peut déployer quelque chose, là, on est au travail
05:50et là, on a droit de se tromper et on va garder ce qui est bien.
05:53Et après, ils vont bidouiller avec ça.
05:56Donc, il y en a d'autres avant, mais c'est vrai que c'est une année
06:00comme ça où les deux films ont été à la semaine de la critique à Cannes.
06:04Ils ont été vus, donc d'un coup, je pense que quelque chose s'est passé.
06:09Après, quoi ?
06:12Est-ce que s'il n'y avait pas eu ces films-là,
06:14j'aurais quand même fait Petit Paysan ?
06:15Je n'en sais rien, peut-être, peut-être pas, je ne suis pas capable de dire.
06:18De sortir, justement, de passer de l'autre côté,
06:22c'est-à-dire vraiment sous les feux des projecteurs, sous le feu des projecteurs,
06:25grâce à un film aussi fort que Le Petit Paysan, où là, vous incarnez,
06:28là, pour le coup, vous représentez aussi des gens qui n'ont pas la voix
06:32de s'exprimer, qui se battent tous les jours.
06:36On est toujours dans l'actualité de la difficulté de ces personnes-là.
06:40Ça donne une fierté, ou pas, d'obtenir en plus un César du meilleur acteur
06:46pour un rôle qui est très fort, qui représente plein de gens ?
06:51Une fierté, je ne sais pas.
06:55Je ne sais pas si c'est une fierté...
06:59Ce qui est fort, ce qui est puissant, en fait, c'est ce qui nous est rendu.
07:06Parce qu'en fait, je veux dire, ce métier-là, on ne le fait pas pour les autres.
07:12Même si on se met au service de personnages, d'histoires, etc.
07:17On le fait quand même pour soi.
07:19Et donc, par contre, on y donne tout ce qu'on a.
07:23On se débarrasse de quelque chose, on pose quelque chose, on dépose quelque chose.
07:27Et donc, quand ça nous est rendu, c'est-à-dire quand les gens viennent,
07:31et je me souviens, on avait fait une avant-première à Saint-Dizier,
07:36près de là où on a tourné, près de là où la famille d'Hubert Charuelle habite, etc.
07:40On avait fait une projection là-bas où il y avait beaucoup de monde
07:44et notamment beaucoup de paysans,
07:47de gens qui ne vont pas forcément très souvent au cinéma.
07:50Leur émotion à eux, qui viennent, eux, serrer la pince et dire merci
07:55et nous prendre dans les bras et tout ça, c'est ce qu'on reçoit, quoi, qui est très, très fort.
08:00Je ne sais pas si c'est de la fierté, mais en tout cas, c'est de la joie, c'est du partage.
08:04Et c'est de se dire que, tiens, si ça se trouve, en fait, ça a peut-être un peu de sens de faire ça.
08:09Ça sert un peu, peut-être, à quelque chose.
08:10Enfin, je veux dire, la question du sens et de l'utilité de ce qu'on fait, elle questionne parfois.
08:17Donc, il y a un avant et un après quand on vit ce genre de moment.
08:21Oui, oui, oui.
08:24Dans cette pièce de théâtre d'Harold Pinter, ce qui est fort,
08:26c'est l'équilibre qu'il y a entre les hommes et les femmes.
08:31C'est vrai, finalement, c'est quand même un texte qui ne met pas plus un sexe en avant qu'un autre.
08:37Vous avez toujours défendu les femmes, d'ailleurs, Swan.
08:40Quand il y a eu le mouvement MeToo, vous avez porté le ruban blanc.
08:43Quand Adèle Haenel a quitté la 45e cérémonie des Césars, vous avez soutenu Adèle Haenel.
08:49Ça aussi, c'est important dans une pièce de théâtre de faire attention à ça,
08:53de comment on traite justement un sujet avec les deux représentations.
08:59C'est marrant, parce que ça, on l'a pas mal questionné.
09:03Parce qu'en fait, c'est quand même...
09:05Il y a quand même deux mecs et une femme.
09:11Et ils sont quand même...
09:12C'est quand même une autre époque.
09:13Ça a été écrit, je ne sais pas, dans les années 70.
09:17D'ailleurs, l'entraide des années 77, enfin, c'est le point de départ.
09:22Oui.
09:22Voilà, donc on est dans les années 70.
09:24Et donc, c'est quand même des hommes de cette époque-là.
09:30Et en fait, le sujet de la pièce, ce n'est pas comment elle, elle va s'en sortir.
09:35Mais au départ, c'est quand même une femme au foyer qui s'occupe de ses enfants.
09:40Et puis finalement, qui va s'extraire de ça, qui va devenir galeriste,
09:43qui va quitter ses hommes.
09:46Mais ce n'est pas ça le sujet de la pièce.
09:47Mais en tout cas, on l'a questionné,
09:48puisque eux, ils sont quand même dans leur rôle un peu de mec.
09:52Testostéronique.
09:53Cette femme, elle leur appartient.
09:55Enfin, je ne sais pas, on y a pensé.
09:59Et en fait, il y a quelques...
10:00Parce que Pinter était très engagé, très militant.
10:05Et parfois, moi, j'ai posé la question.
10:06J'ai dit, mais enfin, on est sûr que quand même,
10:09la pièce n'est pas un peu misogyne et tout.
10:11Donc, on a cherché.
10:12Et en effet, dans certaines phrases, dans certaines choses et tout,
10:15c'est des choses assez simples, assez discrètes.
10:20Mais quand on veut bien creuser,
10:21on se rend bien compte de ce que lui, il a essayé de montrer.

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