Première femme à diriger le 36, quai des Orfèvres, Martine Monteil est née dans la « famille police » : dès son enfance elle se souvient des collègues de son père, lui aussi policier, qui se réunissaient dans la maison familiale. Marquée par leur « joie de vivre », elle intègre presque naturellement ce milieu en 1976 soit un an après l'ouverture de la profession aux femmes.
Devenant par la suite la première femme commissaire, elle n'a jamais considéré son genre comme un obstacle, elle préfère d'ailleurs parler de rapports respectueux entre `humains'. Cette philosophie elle va l'appliquer tout au long de sa carrière en se mettant au service des victimes mais aussi en déplorant les contraintes de ce métier « mal aimé » et délaissé par la jeune génération. Elle l'explique d'ailleurs par une réalité plus violente où la fascination du métier laisse place à une opposition frontale.
Policière pugnace, c'est sous sa direction que le tueur en série Guy Georges a été mis hors d'état de nuire en 1998. En devenant marraine de la 74e promotion des commissaires de police elle porte un regard de tendresse sur son métier passion qu'elle n'a au fond jamais vraiment quitté.
Devenant par la suite la première femme commissaire, elle n'a jamais considéré son genre comme un obstacle, elle préfère d'ailleurs parler de rapports respectueux entre `humains'. Cette philosophie elle va l'appliquer tout au long de sa carrière en se mettant au service des victimes mais aussi en déplorant les contraintes de ce métier « mal aimé » et délaissé par la jeune génération. Elle l'explique d'ailleurs par une réalité plus violente où la fascination du métier laisse place à une opposition frontale.
Policière pugnace, c'est sous sa direction que le tueur en série Guy Georges a été mis hors d'état de nuire en 1998. En devenant marraine de la 74e promotion des commissaires de police elle porte un regard de tendresse sur son métier passion qu'elle n'a au fond jamais vraiment quitté.
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00:00Générique
00:02...
00:19Martine Montaigne, qu'est-ce que ça fait
00:21d'être la première femme partout où l'on passe ?
00:24La première femme commissaire a dirigé la brigade des stups,
00:27la bondane, la brigade de repression du banditisme,
00:29avant de devenir, dans les années 90,
00:31le patron de la PJ, le saint des saints,
00:34autant dire l'aristocratie du métier,
00:36ça dope autant que ça oblige ?
00:38Certainement, mais c'est un cursus qui s'est fait de façon naturelle.
00:42C'est surtout la date phare,
00:45c'est l'ouverture du concours de commissaires de police aux femmes,
00:48en 1975.
00:50Moi, je suis du deuxième concours,
00:53de 1976,
00:55et il est vrai que...
00:57Voilà, c'était très nouveau.
00:59Bien sûr, il faut faire ses preuves, c'est évident,
01:03dans un milieu surtout très machiste.
01:05Ultra-testostéronée, on peut dire.
01:07Comment avez-vous réussi à vous frayer un chemin aussi facilement
01:11dans un milieu, vous l'avez dit, machiste ?
01:14Moi, j'oserais le mot sexiste.
01:15Diriez-vous qu'être première de cordée
01:18vous a donné deux fois le sens des responsabilités ?
01:21Parce que vous avez été première de cordée.
01:24Oui, enfin, il y en a d'autres.
01:26Oui, c'est ça, deuxième promo.
01:28Les premières ont choisi des services de renseignement,
01:31donc elles étaient un peu plus dans l'ombre, si je puis dire.
01:34Donc, bien sûr qu'il y a ce côté exemplaire,
01:39mais vous n'y pensez pas au quotidien, si vous voulez.
01:42Moi, je dois reconnaître,
01:43pour prendre une expression peut-être un peu ordinaire,
01:47mais j'avais les mains dans le cambouis,
01:49et j'avais à coeur, surtout, de faire du bon travail,
01:52d'exécuter mes missions à fond, de rien laisser passer.
01:56En plus, en tant que chef de service,
01:58vous avez aussi la responsabilité de vos hommes,
02:00qui n'est pas la seule responsabilité sur le terrain,
02:03c'est aussi une question d'ambiance,
02:06qu'il y ait une bonne ambiance de service.
02:08Vous voyez, c'est très important.
02:10On peut faire un métier passionnant, certes,
02:14mais aussi avec beaucoup de contraintes,
02:16mais le faire dans une certaine bonne humeur.
02:19Le journaliste et spécialiste de la police,
02:21affirme que les premières femmes commissaires
02:24ont eu envie de se faire une place, de se fondre dans le paysage,
02:27qu'elles ont souvent adopté le langage des hommes,
02:30le comportement des hommes, les valeurs des hommes.
02:33Est-ce que ça a été votre cas ?
02:34Non, vraiment pas.
02:36J'ai toujours dit, d'ailleurs, aux jeunes femmes
02:40qui sont venues me voir après pour éventuellement être conseillées,
02:43que j'ai pu rencontrer,
02:45ne tombez pas dans ce travers.
02:47Je sais, j'ai quelques collègues en tête,
02:50je le vois bien,
02:51qui ont pensé que peut-être elles se feraient mieux adoptées
02:55en étant un peu comme les mecs,
02:57c'est-à-dire avoir un jargon.
02:59Je ne vous dis pas que quand j'étais au stup',
03:01j'ai pas eu de temps en temps des mots assez ordinaires
03:04qui fusaient, notamment si vous êtes à la radio.
03:07On n'est pas là, on ne fait pas du baudelaire.
03:10On est dans l'action.
03:11Mais j'ai toujours évité de jouer les mecs.
03:15Je trouve que ça n'importe rien.
03:17Vous étiez très féminine, en plus du carré de soie,
03:20du sexe à pile,
03:22parce que vous aviez ces trois ingrédients-là.
03:24Que faut-il pour exercer ce métier ?
03:26Et surtout, que faut-il pour être un bon patron
03:29et un bon flic ?
03:30Une colonne vertébrale en titane, un bon estomac ?
03:36Une main ferme dans un gant de velours, je dirais, plutôt.
03:39C'est-à-dire que j'ai du caractère,
03:42je suis quelqu'un de très juste.
03:44Je suis, je crois, humaine.
03:46J'ai une vraie sensibilité,
03:48sous quelques fois des abords qui peuvent être un peu froids,
03:52au départ, et en fait, non.
03:54Mais voilà, j'aime qu'on se respecte les uns les autres.
03:58Si vous voulez, j'ai jamais attiré,
04:01vous voyez, de la part de mes collaborateurs,
04:05des mots ou un geste qui pourrait être ambiguë.
04:10Vous voyez, chacun a sa place,
04:12tout en étant, encore une fois, dans la bonne humeur,
04:15dans le bon esprit.
04:16Vous étiez à l'écoute de vos équipes.
04:18Oui, c'est très important.
04:20Attention, c'est un métier de l'humain.
04:22C'est de l'humain partout.
04:24C'est de l'humain dans vos équipes,
04:26qui sont confrontées à la mort, à la violence, etc.
04:29C'est un métier de l'humain,
04:31surtout, alors je le verrai au fil de mes différents services,
04:35au service, je considère, des victimes,
04:38qui, pour moi, ont toujours été une priorité,
04:40vraiment une priorité.
04:42C'est sans doute à l'abriade criminelle
04:45que ça s'est exprimé le plus.
04:47J'ai essayé vraiment de soutenir ces familles
04:49qui étaient vraiment dans une détresse absolue,
04:52mais même en stupe, vous voyez,
04:54on a tous été un peu comme ça,
04:56c'est-à-dire qu'on a tous essayé de sauver un peu un jeune
05:00qui était en train de se défoncer et d'aller vers la mort.
05:04C'était le cas d'une de vos indiques, je crois.
05:06Oui, oui, oui, bien sûr, bien sûr,
05:08on essaye de les sortir, parce que ça fait de la peine,
05:12il y a une forme d'attachement,
05:13et vous vous dites que c'est pas possible.
05:16Comment apprend-on ce métier ?
05:18Richard Marley raconte avoir appris les ficelles du métier
05:21en lisant Patricia Cornouel.
05:22Vous, c'est dans la cuisine de vos parents
05:25ou à l'école de commissaires ?
05:27C'est un peu tout, c'est-à-dire, dans la cuisine de mes parents,
05:30on avait une très grande cuisine rustique,
05:33et François Lemoyle, qui a créé l'Antigang,
05:36et mon père, donc, était un de ses collaborateurs,
05:40et donc, il habitait pas loin de où nous habitions,
05:43et lui, il habitait Montreuil,
05:45et donc, il donnait rendez-vous à ses équipes
05:47chez mes parents, donc, si vous voulez,
05:50ma mère était une femme au foyer,
05:52alors elle faisait un repas pour tous ses flics
05:55qui attendaient leur patron pour partir, évidemment,
05:58pour la nuit, etc.,
06:00pour des surveillances ou du saut de dessus, quoi.
06:02Je me souviens toujours, il y avait les...
06:05Tous les revolvers étaient sur le buffet de la cuisine,
06:09en haut, quoi, par sécurité.
06:12Ca, c'était une formation accélérée,
06:14d'entendre tous ces flics.
06:15Ce que j'entendais, ce qui m'a marquée,
06:18c'était quand même leur joie de vivre.
06:20Voilà des hommes qui devaient partir pour la nuit,
06:23même par grand froid, grande pluie, tout ce que vous voulez,
06:26et c'était le bonheur, quoi.
06:28Et puis, en plus, ils se racontaient
06:30leurs dernières affaires, etc.,
06:33et c'était toujours avec passion, quoi.
06:35Extraordinaire.
06:36Pour moi, c'était comme un polar, si vous voulez, vivant.
06:39C'est très frappant, Martine Montaigne.
06:41Vous avez raccroché en 2013, après un sans-faute,
06:44et à lire vos mémoires, vous avez vécu,
06:46le mot n'est pas trop fort, une idylle avec cette grande maison,
06:51et ce, malgré la violence, la misère humaine
06:54et parfois l'horreur. Une idylle. C'est fou.
06:57Oui, je suis passée tout à l'heure devant l'ancien
07:00quai des Orfèvres, l'ancien 36,
07:02et à chaque fois que j'y passe,
07:05ça n'est pas sans émotion.
07:06Il n'y a rien à faire, ça me fait...
07:08On va regarder le 36 quai des Orfèvres.
07:13Il est magnifique.
07:14Rires
07:15Il a déménagé, le 36,
07:17à l'austère Place Clichy.
07:21Bonjour, Tristesse.
07:22Rue du Bastion. C'est complètement différent.
07:25Ce bâtiment est magnifique, il est chargé d'âme.
07:28Vous voyez, c'est toute une histoire
07:31des grands criminels et d'un tas d'autres choses.
07:34Maintenant,
07:37il fallait être adapté
07:39pour une police plus moderne,
07:41et la rue du Bastion, c'est ça.
07:43Si vous voulez, certes, c'est plus froid,
07:46vous êtes un peu... Pas comme dans un hôpital,
07:48mais c'est vrai que c'est assez clinique.
07:51Mais d'un autre côté, c'est très moderne et très fonctionnel.
07:55Et ça, il le fallait.
07:56Vous avez été amenée à croiser beaucoup de personnalités
07:59dans l'exercice de vos fonctions.
08:01L'auteur de Bonjour, Tristesse, François Sagan,
08:04pour usage de supéfiants,
08:05mais aussi Jeanne Sieberg, qui venait régulièrement en voisine,
08:09ou Serge Gainsbourg, un habitué du 36 et des Orphèvres.
08:12Qui vous a le plus marquée ?
08:14Et est-ce qu'aujourd'hui, ce fameux 36 qui a déménagé au Bâtignolles
08:18reste encore le carré VIP le plus couru de Paris ?
08:21Il y a toujours et il y aura toujours l'occasion,
08:24pour certaines personnalités un peu connues, de le fréquenter.
08:28J'espère que c'est de façon pas trop rude,
08:31bien sûr,
08:33mais oui, bon, ce sont des choses,
08:36ce sont les hasards de nos enquêtes de la vie.
08:39Et puis, vous en avez certains qui venaient,
08:42vous avez cité Serge Gainsbourg,
08:44Serge Gainsbourg, il venait presque en amie des flics, aussi.
08:47C'était pas forcément...
08:49Il aimait sincèrement les flics.
08:51C'est un généreux donateur, d'ailleurs, de la police.
08:54Il n'est pas le seul. Il y a beaucoup d'artistes
08:57qui sont ou ont été assez fascinés par la police
09:01et qui, donc, venaient plutôt en amie de certains policiers.
09:05Jean-Paul Belmondo, Alain Delon.
09:07Alain Delon aussi, oui.
09:08Ce métier exerce une fascination incroyable
09:11au cinéma, dans les librairies,
09:13les polars se vendent comme des friandises,
09:16et en même temps, comment expliquez-vous
09:18qu'il exerce cette fascination et qu'il soit à ce point
09:21mes aimés, y compris aujourd'hui par ceux qui l'exercent ?
09:24Je pense que ce métier, vous pouvez pas le changer,
09:27un crime restera un crime, les stups, c'est les stups,
09:30un braquage reste un braquage.
09:32Je veux dire, l'action de police,
09:34elle est nécessaire, elle existera toujours.
09:37Maintenant, ce métier, il présente aussi...
09:40Les gens le voient à travers de romans, de polars qu'ils aiment lire,
09:44et c'est ce qui fait d'ailleurs le succès de ces policiers.
09:49Mais nous, on connaît aussi l'envers du décor.
09:53L'envers du décor, c'est un certain nombre de contraintes.
09:56Elles existent, notamment en police judiciaire.
09:58La police judiciaire, c'est du temps long.
10:01Vous démarrez une affaire, vous savez pas quand elle va se finir.
10:04Elle peut durer quelques jours, si on a beaucoup de chance,
10:07mais ça peut prendre des semaines, des mois,
10:10et même en matière criminelle, ça peut durer des années
10:13avant que vous ayez arrêté l'auteur de crime.
10:16J'espère qu'il y en a encore,
10:18pour quitte que ça n'arrête pas, si vous voulez.
10:21Bien sûr que de temps en temps,
10:23on a eu des week-ends qui, oui, sont passés.
10:26Moi, je vais vous dire, le pire que j'ai connu,
10:28j'étais à la brière d'estuve,
10:30on a fait cinq week-ends de surveillance à la suite.
10:33Il y avait des épouses qui me téléphonaient,
10:36mais à l'époque, c'était bien, elles pouvaient savoir
10:39que nous étions vraiment 36, puisqu'elles tombaient sur moi,
10:42et on avait pas de téléphone portable.
10:44J'étais en 36, je suis avec eux, ça existe,
10:46on est sur une affaire.
10:48Il y en a eu quelques-unes qui commençaient à douter
10:50qu'on puisse travailler comme ça, mais on a pas lâché,
10:53on a travaillé cinq week-ends, et on a bien fait,
10:56parce qu'on a réussi une très belle affaire de stupe,
10:59et on a fait la une des journaux.
11:00Vous pensez que l'investissement des jeunes...
11:03C'est-à-dire qu'il y en a qui voient, par exemple,
11:06que j'ai pas envie de sacrifier mes week-ends,
11:08j'ai pas envie de finir tard,
11:10j'ai pas envie de me lever la nuit, c'est dommage.
11:13Oui. Le lien de confiance entre la police
11:16et la population semble rompu,
11:18c'est manifeste lors des manifestations
11:20ou dans certains quartiers chauds.
11:22De quand date, d'après vous, ce divorce ?
11:25Je pense déjà que peut-être
11:28certains hommes politiques pourraient éviter,
11:32si vous voulez, de proférer
11:36des mots qui sont très durs,
11:38du genre... Et odieux, d'ailleurs.
11:41La police tue, etc.
11:42Vous voyez, il y a aussi déjà cette espèce de...
11:45Je dirais pas...
11:46Vous pensez que les politiques n'ont pas soutenu la police ?
11:49Il y en a quand même beaucoup, je pense,
11:52qui soutiennent la police, Dieu merci,
11:54mais la police, elle est nécessaire.
11:56La police, ça n'est pas non plus...
11:58Police, toujours, égale répression, mais police, c'est aussi secours.
12:02D'ailleurs, ça existe, le terme.
12:04Police-secours. Premier intervenant, police-secours.
12:07La police, c'est ça, ce n'est pas l'ennemi.
12:09Et pourtant, aujourd'hui, les policiers se vivent
12:12comme des cibles quand, de leur côté,
12:14certaines populations se sentent racisées,
12:17maltraitées, harcelées.
12:18Chacun a sa vérité. C'est un dialogue de sourds.
12:21Oui, c'est vrai, il y a un peu de ça, oui,
12:24et c'est dommage.
12:26Bah... Je vous dis, c'est malheureusement...
12:28Comment l'expliquez-vous ? C'était moins le cas à votre époque.
12:32C'était moins le cas, mais ça commençait un petit peu...
12:35Je vous dois dire que la police judiciaire,
12:37nous avons été moins confrontés à ça.
12:40Ceux qui souffrent le plus de ça,
12:43c'est la police en uniforme,
12:45c'est la police qui intervient la première partout,
12:47et notamment dans les cités, si vous voulez.
12:50Et là, en fait, le policier devient l'ennemi, si vous voulez.
12:53C'est une bande ennemi, vous voyez ?
12:55Une force d'occupation, pour certains.
12:58Voilà, c'est ça, c'est ça, et ça, c'est dramatique, quoi.
13:01Les policiers, actuellement,
13:04j'allais dire, s'auto-censurent dans l'action.
13:08Ils ont peur, parce qu'ils savent
13:10que le moindre geste... Enfin, ils tirent plus.
13:13Vous voyez, c'est-à-dire qu'on va finir
13:16par complètement les inhiber.
13:17Le problème, c'est que l'action de police,
13:20il faut pas l'oublier, est aussi une action légitime.
13:22C'est une force légitime.
13:24J'imagine que vous avez entendu parler des affaires...
13:27On a beaucoup parlé de l'affaire Théo,
13:29de l'affaire Nael.
13:31Alors, l'affaire Nael, là aussi,
13:33vous voyez, le refus d'obtempérer.
13:35Ce jeune homme serait toujours vivant
13:37si ce n'était pas produit...
13:39Je pense pas... Le policier n'est pas quelqu'un
13:41qui se lève le matin en disant, je vais tuer quelqu'un.
13:44Youpi, non, pas du tout. Pour lui, c'est un échec.
13:47C'est un drame qu'il ne quittera pas toute sa vie.
13:50Les policiers ne sont pas comme ça.
13:52D'ailleurs, les policiers, il faut quand même pas l'oublier,
13:55c'est qu'on a quand même beaucoup de blessés.
13:58Parmi eux, surtout, c'est ces gens de la sécurité publique,
14:01ces garçons et ces femmes qui interviennent
14:03le plus souvent sur la voie publique.
14:06Et puis, nous avons des morts aussi.
14:08C'est pas non plus un métier de tout repos.
14:10La grande perdante, c'est la maison police
14:12qui se vide de ses effectifs.
14:14D'après un rapport de la Cour des comptes,
14:17la profession peine à recruter,
14:19en particulier des officiers de police judiciaire.
14:22L'un des tauliers du 36 se plaignait récemment
14:24des postes vacants à l'APJ, à la crime, au stup',
14:27alors que c'était impensable il y a quelques années,
14:30le pire étant encore le pôle financier,
14:33où ce serait carrément la disette.
14:35Alors, c'est sûr pareil,
14:36c'est cette attractivité qui n'est plus tout à fait la même.
14:39Moi, je me souviens avoir été à la cheffe de la briade criminelle
14:43et quand j'ouvrais un poste,
14:45j'avais 30 candidats, quoi.
14:47On leur faisait même passer, vous voyez,
14:50des sortes de mini-stages pour les tester un petit peu,
14:53pour les évaluer.
14:54Parce que nous avions le choix.
14:56Et maintenant, le collègue qui était dernièrement
15:00me disait que quand j'ouvre un poste,
15:02quand j'en ai deux ou trois, je suis heureux.
15:05Comment expliquez-vous que cette profession enregistre
15:08le plus fort taux de suicide deux fois plus
15:10qu'à l'échelle nationale ?
15:12C'était déjà le cas à votre époque.
15:14Alors, c'est toujours pareil.
15:15Je suis obligée de distinguer la police judiciaire.
15:18Je pense que ça concerne surtout la sécurité publique.
15:22La sécurité publique, c'est celle qui est vraiment en première ligne
15:26face à tous les désordres de notre société,
15:29sur les manifs, sur les émeutes, etc.
15:32Ça devient très dur.
15:34Est-ce que vous vous rendez compte ce qu'ils ont vécu ces temps derniers ?
15:38C'est extraordinaire. Enfin, c'est épuisant.
15:41Bien sûr qu'il y a des relèves, mais quand même.
15:44Il y en a certaines où il n'y en a pas,
15:46parce que c'est tellement chaud, c'est tellement dur.
15:49Ils sont là, et il faut faire front
15:51et s'en prendre plein la figure aussi.
15:53Donc, oui, je pense qu'il faut être fort.
15:57Peut-être qu'il y en a certains qui le sont moins que d'autres.
16:01D'autres accusent la réforme policière de 95,
16:04dite la réforme des corps et carrières,
16:06d'être responsable de ce désamour.
16:08Le corps des inspecteurs aurait disparu
16:10au profit des managers.
16:14Oui, alors, si vous voulez...
16:16Oui, non, toute réforme, quand elle intervient,
16:18elle est toujours mal vécue, si vous voulez dire.
16:21Après, tout doucement...
16:23Vous l'avez vécue, cette réforme ?
16:25Oui, je l'ai vécue, bien sûr.
16:26Mais ça se fond dans la masse.
16:28Là encore, c'est toujours pareil,
16:30je parle avec le prisme de la police judiciaire.
16:35Je suis complètement dedans.
16:36J'ai pas vu, j'ai dit...
16:39Voilà, c'est des...
16:41On est passés à des officiers.
16:43Pour moi, un commandant, c'était un ancien inspecteur divisionnaire.
16:48Il avait plus la même appellation,
16:50mais j'avais les mêmes troupes, les mêmes effectifs.
16:53Vous avez été soumise à cette politique du chiffre,
16:56qui aurait raison de la meilleure volonté.
16:58L'obligation de résultat fragiliserait les policiers
17:01en créant de la concurrence interne et saperait l'esprit collectif.
17:05Alors, c'est pareil.
17:06Vous parlez toujours, et vous posez des questions,
17:09autour de la sécurité publique.
17:11Si la sécurité publique, la bâtonnite, elle est là,
17:14c'est-à-dire sont eux qui font le quotidien,
17:17parce qu'il y a des tonnes d'affaires,
17:19ça déboule, il y a de partout,
17:20il y a de plus en plus de faits constatés, etc.
17:23Donc, évidemment, c'est énorme.
17:25Et nos collègues ont, sur leur bureau,
17:28chacun, des tonnes de procédures.
17:31La police judiciaire, nous,
17:33on nous a jamais imposé la bâtonnite.
17:36Nous...
17:37-"La bâtonnite".
17:39-"La bâtonnite", oui.
17:40Jamais, nous, nous avons une affaire
17:44et il nous faut le temps, si vous voulez, de la résoudre.
17:48La police judiciaire, quelquefois, s'inscrit dans le temps long.
17:51Ca peut durer des semaines, des mois, voire des années.
17:54Quelquefois, on critique,
17:56ah oui, mais la PJ, c'est les seigneurs,
17:58parce qu'on a l'impression qu'on prend notre temps,
18:01et c'est pas nous qui prenons notre temps.
18:03L'exigence vient du travail que nous avons à faire.
18:07C'est-à-dire que ce sont des affaires
18:09beaucoup plus compliquées, très complexes.
18:12Evidemment, elles nécessitent beaucoup plus d'investissement,
18:15beaucoup plus de temps pour parvenir au résultat.
18:18Donc, là, c'est pas la bâtonnite,
18:20c'est l'histoire de dire la résolution d'une affaire.
18:23Ce qui compte, vous avez un crime, il faut trouver l'assassin.
18:26Vous avez une affaire de stup',
18:28il faut essayer de monter jusqu'au réseau,
18:30de trouver la tête de réseau si possible,
18:33c'est encore mieux, donc tout ça, très long.
18:35La sécurité publique, c'est du quotidien.
18:37C'est-à-dire...
18:39C'est l'abattage.
18:40Dans cette zone-là, il y a beaucoup de cambriolages,
18:43il faut tourner dans ce coin-là, alors ils y vont,
18:45ils tournent, et avec un peu de chance,
18:48ils vont peut-être surprendre des gens en flagrant délit,
18:51mais on leur demande beaucoup et très vite.
18:55Vous parlez de la résolution des affaires.
18:58C'est vous qui avez résolu l'affaire Guy Georges.
19:01Y a-t-il quelque chose de l'ordre de l'exaltation
19:03quand on traque un tueur en série ?
19:05Vous utilisez beaucoup le vocab de la chasse,
19:08du gibier, de la traque, de l'EFU.
19:10Oui, j'assume ce choix de vocabulaire.
19:14C'est une traque, c'est une chasse.
19:16C'est très, très fort, c'est surtout très fort.
19:19C'est-à-dire que dans la mesure où on sait,
19:22on a bien compris que c'était un tueur en série,
19:25ce qui est très mal vécu par les enquêteurs,
19:29c'est d'aller sur une scène de crime
19:32et de comprendre que ça doit être encore lui,
19:35qu'il a recommencé.
19:37Et que donc, malgré le travail que vous avez fait en profondeur,
19:41enfin, avec beaucoup de force,
19:43et puis de disponibilité, d'implication,
19:47plein de pistes exploitées, vous vous dites que ça va pas,
19:50il a recommencé, comment ça se fait ?
19:53Qu'est-ce qui va pas ?
19:55Donc, là, on se pose des tas de questions,
19:57on le vit très mal, voilà,
20:00et c'est ce qui est le plus dur.
20:03Vous avez eu peur de ne jamais le trouver, ce tueur en série ?
20:07Pas vraiment, parce qu'on pense quand même
20:10qu'à un moment donné,
20:12il fera une faute, il y aura quelque chose, etc.
20:17Quelle a été sa faute ?
20:19En fait, sa faute,
20:22c'est pas la sienne, c'est notre progrès à nous.
20:25C'est la police scientifique qui a progressé,
20:28parce que si on avait eu un fichier ADN
20:31dès le début de cette affaire,
20:33il n'y aurait pas eu toutes ces victimes.
20:35Donc, la faute, elle est surtout la nôtre, au départ,
20:39c'est-à-dire que les Anglais avaient déjà...
20:41Depuis 10 ans.
20:43Et nous, on l'avait pas, ça a été un de mes combats,
20:46celui du juge Thiel, etc.,
20:48et d'autres, d'ailleurs,
20:49parce que nous, on était ulcérés par ça,
20:52on comprenait pas,
20:53et c'est un laboratoire de Nantes,
20:56du docteur Pascal.
20:58Il était aussi passionné que nous, vous voyez,
21:00mais dans son domaine,
21:02et il voulait vraiment, en fait, nous aider à réussir,
21:05et il sentait que ce matériau, quand même,
21:08était quelque chose de très important,
21:11et donc, on lui donnait, nous, toutes les matières.
21:14Et sous le manteau ?
21:15Sous le manteau, vous savez, qu'on allait porter...
21:18Les échantillons.
21:20Les échantillons, on donnait à un conducteur TGV
21:23qui est à Nantes, il les a récupérés, quoi.
21:27Il a fait un peu...
21:28Un trait de fourmi.
21:30...un fichier par anticipation, quoi.
21:32Voilà, extraordinaire, quand même.
21:34Extraordinaire.
21:35Et c'est donc grâce à lui, indirectement ?
21:38Absolument, c'est grâce à lui,
21:39où, à un moment donné, ça a matché, quoi.
21:42Mais vous savez, avant, il fait tourner les choses,
21:45ça s'est pas tombé tout seul,
21:47alors que le fichier, bah oui, si, ça tombe tout seul.
21:50Maintenant, en très peu de temps,
21:52vous faites une comparaison et vous avez un résultat.
21:55Si on l'avait eu, à l'époque, quand même,
21:58il y aurait eu ces jeunes femmes...
22:00C'est l'un de vos plus grands regrets ?
22:02Oui, c'est un grand regret, parce que...
22:06Parce que d'autres polices l'avaient,
22:08et puis que... Voilà, c'est...
22:12On a connu les familles, aussi,
22:15et on se dit qu'ils auraient toujours leurs filles, quoi.
22:18Si on avait eu cet outil performant un peu avant, quoi.
22:23Vous suivez toujours les faits divers, Martine Montaigne ?
22:26Oui, bien sûr.
22:28Vous êtes passionnée par ça ?
22:29Oui, j'aime bien.
22:30Certaines enquêtes, certaines disparitions,
22:33des choses comme ça...
22:34Ça vous démange ?
22:36Bah...
22:37Oh, j'irais pas jusque-là, quand même.
22:39Bon, moi, j'ai fait mon temps,
22:41j'ai eu vraiment beaucoup de plaisir
22:43à conduire les affaires que j'ai conduites,
22:46mais c'est vrai que, je me dis,
22:48ce dossier doit être très intéressant,
22:50et je m'imagine, à la place des collègues
22:53qui le gèrent, aujourd'hui.
22:55Il y a de la commandise, chez vous.
22:57Oui, vous savez, quand on a exercé un métier avec passion,
23:01il en reste toujours quelque chose, c'est normal.
23:03Avez-vous le sentiment que la violence est montée d'un cran ?
23:07Je dis oui.
23:08On a toujours été confrontés à la violence.
23:10On avait des voyous, dans le temps,
23:12qui les défouraillaient aussi facilement.
23:15Mais, bon, c'était quand même plus rare.
23:21Mais on n'avait pas, surtout...
23:22C'était surtout du grand banditisme.
23:24Là, maintenant, le problème, c'est la violence du quotidien.
23:28C'est du quotidien, c'est encore autre chose, vous voyez ?
23:32C'est-à-dire qu'au point que cette violence,
23:37bien sûr qu'elle s'adresse aux policiers,
23:40et moi, je trouve qu'elle s'adresse aussi beaucoup à la population,
23:44cette violence, elle est un peu partout
23:47et qu'à tout moment, oui, vous pouvez vous faire agresser.
23:51Je pense que cette société ressent ça, maintenant.
23:54Diriez-vous qu'on demande à la police
23:56de réparer tous les maux de la société ?
23:58Ce qui n'était pas le cas avant.
24:00La police, elle peut pas tout faire.
24:02Je veux dire, elle est déjà là pour, malheureusement, les constater,
24:06les réparer quand c'est possible,
24:08mais moi, je pense surtout que ce qu'il faut faire,
24:12c'est s'intéresser à l'éducation.
24:16J'ai une citation de Victor Hugo,
24:18que je fais mienne, qui est...
24:23Les crimes de l'homme commencent au vagabondage de l'enfant.
24:27Voilà, c'est ça.
24:28C'est-à-dire que je pense que c'est l'éducation
24:31qui doit déjà cadrer bien avec une certaine autorité.
24:35La notion d'autorité fait peur.
24:37Mon Dieu, mon Dieu, on va être traumatisés.
24:39Ben non. Je suis dans un lycée extrêmement sévère.
24:42Bon, voilà, public, hein.
24:44Public, très sévère.
24:46Mais je vous assure qu'on en sort vivant,
24:48pas du tout traumatisés, qu'on a une mention au bac,
24:51parce qu'évidemment, on vous a bien poussé,
24:54qu'on vous a collé des zéros,
24:56quand on en a, on colle plus de zéros.
24:58C'est horrible, pourquoi on colle plus de zéros ?
25:00Quand on a rien foutu, faut mettre un zéro.
25:02La prochaine fois, le gars, il essaie peut-être de travailler.
25:06C'est dommage.
25:07Et c'est là que ça commence. Après, c'est trop tard.
25:11Un mot, un dernier.
25:12Qu'auriez-vous envie de dire,
25:14à la fois aux jeunes policiers qui embrassent cette carrière
25:17et à ceux qui nous regardent ?
25:18Écoutez, j'ai été élue, en quelque sorte,
25:22désignée marraine
25:25de la 74e promotion de commissaire de police,
25:29voyez-vous.
25:30Et donc, ces jeunes ont voulu...
25:33D'habitude, on donnait le nom...
25:35Les promotions étaient baptisées du nom d'une personne défunte.
25:39Ils ont voulu une personne vivante,
25:42pour une première fois, et donc, ils m'ont choisie.
25:45J'ai été étonnée.
25:46J'ai été aussi étonnée, d'ailleurs, que l'administration l'accepte.
25:50Toujours est-il que ça a été accepté.
25:53Et alors, j'ai mes oeilles,
25:55avec lesquelles je communique régulièrement,
25:58et j'essaye de leur communiquer mon enthousiasme, si vous voulez.
26:02Ils ont, devant eux, une vie,
26:06un métier qui est quand même passionnant.
26:08C'est surtout ça qu'ils voient.
26:10C'est aussi à eux de le rendre passionnant.
26:12C'est-à-dire que c'est une part de vous-même, aussi.
26:15C'est-à-dire que si vous avez un patron qui arrive
26:18en traînant des pieds, en disant,
26:20bon, et aujourd'hui, il se passe quoi ?
26:22Vous voyez, c'est...
26:23Non, voilà, vous arrivez,
26:25bon, allez, on prend un petit café et on y va,
26:27vous en êtes où, vous, dans telle affaire ?
26:29C'est aussi l'ambiance...
26:31C'est de l'humain, en fait.
26:33C'est de l'humain, on y revient toujours,
26:35c'est de l'humain, et je leur dis
26:38que ça, c'est très important,
26:40et que dans ce métier, il est très gratifiant aussi pour eux,
26:44et je pense qu'ils ont fait le bon choix.
26:47Merci, Martine Montaigne.
26:48Je vous en prie.