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Retour dans les années 70 pour s'intéresser à l'affaire du dissident soviétique Léonid Pliouchtch, enfermé de force dans un hôpital psychiatrique. Autour du célèbre mathématicien français Laurent Schwartz se forme un comité de soutien en faveur du confrère ukrainien : le Comité des mathématiciens. Ainsi, il contribue à sa libération. Par la suite, Léonid Pliouchtch sera expulsé de l'Union soviétique sous l'ère Léonid Brejnev. En plateau, Jean-Pierre Gratien est en compagnie de l'une des anciennes chevilles ouvrières de ce Comité des mathématiciens, Michel Broué, de l'historienne et écrivaine Galia Ackerman, et du journaliste Laurent Joffrin.LCP fait la part belle à l'écriture documentaire en prime time. Ce rendez-vous offre une approche différenciée des réalités politiques, économiques, sociales ou mondiales....autant de thématiques qui invitent à prolonger le documentaire à l'occasion d'un débat animé par Jean-Pierre Gratien, en présence de parlementaires, acteurs de notre société et experts.Abonnez-vous à la chaîne YouTube LCP : https://bit.ly/2XGSAH5 Suivez-nous sur les réseaux ! Twitter : https://twitter.com/lcpFacebook : https://fr-fr.facebook.com/LCPThreads : https://www.threads.net/@lcp_anInstagram : https://www.instagram.com/lcp_an/TikTok : https://www.tiktok.com/@LCP_anNewsletter : https://lcp.fr/newsletterRetrouvez nous sur notre site : https://www.lcp.fr/#LCP #documentaire #debat

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00:00:00Générique
00:00:02...
00:00:16Bienvenue à tous.
00:00:17Retour aux années 70, aujourd'hui, dans Débats d'octobre,
00:00:21pour s'intéresser à l'affaire du dissident Léonid Plioutsch,
00:00:25une affaire que va vous faire découvrir
00:00:27ou redécouvrir, le documentaire exclusif qui suit,
00:00:30ces mathématiciens qui firent plier le Kremlin,
00:00:33réalisés par Mathieu Schwarz.
00:00:35Ce dernier n'est autre que le petit-neveu
00:00:38du célèbre mathématicien français Laurent Schwarz,
00:00:41qui anima un comité de soutien en faveur de son confrère ukrainien
00:00:45et contribua ainsi à sa libération,
00:00:48puis à son expulsion de l'Union soviétique
00:00:51sous l'air Léonid Brezhnev.
00:00:53Je vous laisse regarder ce film,
00:00:54et je vous retrouverai juste après, sur ce plateau,
00:00:57en compagnie de l'une des anciennes chevilles ouvrières
00:01:00de ce comité des mathématiciens, Michel Brouet,
00:01:03de l'historienne et écrivaine Galia Ackermann
00:01:06et du journaliste Laurent Geoffrin.
00:01:08Avec eux, nous reviendrons sur les dessous
00:01:11de cette fameuse affaire Léonid Plioutsch.
00:01:14Bon doc.
00:01:28Mon grand-oncle s'appelait Laurent Schwarz.
00:01:34De lui, j'ai gardé l'image d'un brillant mathématicien.
00:01:41Première médaille fixe française, l'équivalent du prix Nobel.
00:01:46Une tête, comme on dit.
00:01:48A l'image de la sienne avec son grand-frère,
00:01:51l'équivalent du prix Nobel.
00:01:53Une tête, comme on dit.
00:01:55A l'image de la sienne avec son grand front, si reconnaissable.
00:02:04Il avait aussi une passion pour les papillons,
00:02:07avec une des plus belles collections du monde.
00:02:11Et puis, il y avait son engagement politique,
00:02:14une conscience de gauche pour l'indépendance de l'Algérie,
00:02:18contre la guerre au Vietnam.
00:02:21Quand j'étais petit, je traquais son nom sur les pétitions,
00:02:25et je n'étais jamais déçu.
00:02:27Il apparaissait invariablement.
00:02:29Une rumeur assure même que ses étudiants lui firent signer
00:02:33une pétition contre les pétitions.
00:02:37Mais il y a un combat qui m'avait échappé,
00:02:40l'un des plus étonnants pourtant, l'affaire Léonid Plioutsch.
00:02:45Jusqu'à ce que je rencontre Michel Brouet.
00:02:48Michel, c'était un ami et un disciple de mon grand-oncle.
00:02:52Sympa, votre petite cuisine, avec le...
00:02:55Avec le jardin derrière, c'est sûr.
00:02:58Là, le voilà à l'époque.
00:03:00C'est lui qui m'a conté cette histoire à peine croyable.
00:03:04Comment des mathématiciens ont tiré un prisonnier
00:03:08des griffes du KGB ?
00:03:10Comment, en pleine guerre froide,
00:03:12ils ont fait plier la puissante URSS de Brejnev ?
00:03:19Comment ils ont poussé le Parti communiste français
00:03:22à un tournant historique ?
00:03:24Comment, mais pas trop vite ?
00:03:26Allez, en route.
00:03:28Reprenons l'affaire comme Michel me l'a racontée.
00:03:32Bon...
00:03:34Alors, on commence ?
00:03:36On commence par le début ?
00:03:38Je sais pas ce que c'est, le début.
00:04:04L'histoire commence en 1973.
00:04:07L'Europe est alors partagée en deux,
00:04:10séparée par un mur.
00:04:12L'Est contre l'Ouest,
00:04:14le communisme contre le capitalisme.
00:04:17La guerre froide.
00:04:19Dans l'Union soviétique de Léonide Brejnev,
00:04:22se déroule la guerre froide.
00:04:24L'Union soviétique,
00:04:26c'est l'Union soviétique
00:04:28contre l'Union soviétique.
00:04:30L'Union soviétique,
00:04:32c'est l'Union soviétique
00:04:34contre l'Union soviétique.
00:04:38Et la guerre froide,
00:04:40c'est la guerre froide
00:04:42contre l'Union soviétique.
00:04:44L'Union soviétique,
00:04:46c'est la guerre froide
00:04:48contre l'Union soviétique.
00:04:50Le comité de la guerre froide
00:04:53est le cadran des affaires
00:04:55engendrés comme une carrière.
00:04:58est inquiet. Deux mathématiciens ont été arrêtés, son ami Yuri Shiranovitch et un autre totalement
00:05:05inconnu, Leonid Klyuch. On leur reproche de faire circuler des écrits anti-soviétiques. Ils sont en
00:05:12grand danger. Sakharov en parle à une amie, la psychologue française d'origine russe Tania Maton,
00:05:20avec mission d'alerter l'opinion internationale. Tania Maton choisit d'avertir mon grand-oncle,
00:05:27Laurent Schwarz. Pourquoi est-ce que c'est lui qui est contacté à ce moment-là ? Qu'est-ce
00:05:36qu'il représente à ce moment-là ? Parce que c'était le mathématicien probablement à l'époque
00:05:40le plus célèbre en France et il était très connu pour ses prises de position et ses actions
00:05:44politiques. C'est tout à fait normal que Tania Maton ait contacté Laurent Schwarz. Et toi,
00:05:49tu étais quoi alors à l'époque ? Moi, j'étais jeune, tout petit, j'avais 27 ans. J'étais
00:05:53chercheur au CNRS. Chercheur au fond, presque débutant au CNRS. Mon grand-oncle se rend alors
00:05:59rue de Grenelle à Paris, où siège l'ambassade soviétique. Il est accompagné de quelques
00:06:05collègues, dont le jeune Michel Brouet. On a été reçus poliment mais mensongèrement,
00:06:11comme souvent dans les ambassades. Monsieur le professeur, enchanté de vous avoir reçu,
00:06:15mais tout ça n'est pas vrai. Et par rapport à Tchiranovitch, Piyutch, il voyait qui c'était ? Non,
00:06:20il savait qui était Tchiranovitch, parce qu'il était le traducteur de Sakharov. Piyutch,
00:06:23ils ont prétendu qu'ils ne le connaissaient pas, qu'il fallait qu'ils enquêtent. Mais
00:06:26les autorités soviétiques avaient l'intention de faire disparaître ce cas, c'était clair.
00:06:30Les mathématiciens n'entendent pas en rester là. Trois d'entre eux vont créer un comité de
00:06:38soutien. Trois hommes qui forment un drôle d'attelage. Laurent, mon grand-oncle, habitué
00:06:45des combats pour les droits de l'homme et qui possède d'importants réseaux. Henri Cartan,
00:06:49un autre mathématicien réputé, plutôt centriste, moins engagé politiquement. Enfin Michel Brouet,
00:06:55jeune chercheur, qui milite dans une organisation trotskiste. Il y avait les âges qui nous
00:07:00distinguent. Il y avait Cartan, je ne sais pas, il est né, j'en sais rien, en 1905. Laurent
00:07:05Chouard s'est né en 1915 et moi j'ai été né en 1946. Il y a des différences de générations.
00:07:10Bon mais ça a toujours marché. C'est Michel Brouet, la cheville ouvrière.
00:07:20Pour mobiliser la communauté scientifique, il édite seul, dans son garage, un bulletin d'information.
00:07:31Ah oui, c'est le tout premier, premier, premier, que j'ai tapé à la machine. Je tapais avec pas
00:07:38beaucoup d'interdits, mais je pense que j'économisais les feuilles. Donc il est petit,
00:07:42il est bien rempli. Le premier date de février 1974, le deuxième, 2 avril 1974. Le bulletin
00:07:50numéro 3 devient plus présentable, il date de juillet, donc c'est à peu près tous les trois
00:07:54mois. Mais il est en anglais celui-là ? Il est en anglais, oui. Internet n'existe pas,
00:08:00mais les mathématiciens ont l'habitude de travailler en réseau. Les bulletins de Michel
00:08:06font le tour du monde. Des comités de soutien se forment dans une quinzaine de pays. Aux États-Unis,
00:08:10en Italie, au Japon. En quelques mois, la mobilisation donne son premier effet.
00:08:16Chiranovitch, sans doute parce qu'il est proche de Sakharov, est libéré. Les soviétiques pensent
00:08:22avoir réglé la question. Ce n'est en fait que le début de l'affaire Pliouch.
00:08:32Ils ont pensé que ce débarrassant de Chiranovitch, qui était le cas le plus people,
00:08:39si je puis dire, on leur foutrait la paix avec Pliouch. Mais ils se sont gourés. Nous on a tout
00:08:45de suite compris qu'il fallait mettre le paquet sur Pliouch. Mais qui est donc ce Léonid Pliouch ? De
00:08:53lui, on ne connaît qu'une photo prise quand il avait 20 ans. Lors de son arrestation, il en a 34.
00:08:58Il est marié, père de deux enfants. C'est un chercheur en mathématiques qui travaille à
00:09:04l'institut de cybernétique de Kiev. Car Pliouch est ukrainien, et il le revendique.
00:09:10J'ai rencontré l'historienne qui le connaît sans doute le mieux.
00:09:17Sophie Cuéré est une spécialiste des dissidents soviétiques.
00:09:28C'est un jeune intellectuel qui peu à peu s'engage dans une dissidence,
00:09:36c'est-à-dire une critique en réalité intérieure du régime soviétique.
00:09:42Et il se bat pour quoi lui ?
00:09:43Les droits civiques, les libertés, donc liberté de publication, liberté d'expression. Et ça c'est
00:09:51donc une dissidence de l'intérieur qui veut plutôt améliorer le socialisme, le rendre à ses valeurs.
00:09:58Ça a été un vrai choc pour moi. J'ai regardé ce qui avait motivé l'arrestation de Pliouch,
00:10:03j'ai regardé ses prises d'opposition politique, et ça m'a ahuri. C'était une légende l'opposition
00:10:09de gauche au stalinisme pour moi. Ils avaient tous été détruits, ils avaient tous reçu leur balle
00:10:13dans la nuque. Ben non, il en restait un qui était assez gonflé pour le faire savoir. Donc ça m'a
00:10:17immédiatement motivé et je l'ai écrit quelque part, j'ai le souvenir d'avoir pris, ça paraît très
00:10:24prétentieux de dire ça ou très fou, mais d'avoir pris la décision qu'on le libérait. J'ai mis toute
00:10:29ma ténacité à ça. Pour Léonide Pliouch, les ennuis avaient commencé avec son arrestation en janvier
00:10:371972. Surveillée depuis plusieurs années, on lui reproche de faire circuler des écrits qui critiquent
00:10:44le régime. Sophie Cuiret a récupéré l'énorme dossier du KGB monté contre ce modeste chercheur.
00:10:53C'est essentiellement des milliers de pages d'interrogatoires et de rapports sur l'année
00:11:021972, donc l'instruction par le KGB de Kiev du cas Pliouch. Donc c'est beaucoup d'interrogatoires,
00:11:09de proches, d'enquêtes de voisinage, c'est ça ? Exactement. Donc on a par exemple l'inventaire
00:11:14et les mêmes, les photographies des perquisitions qui sont menées chez lui. Ils avaient effectivement
00:11:20construit une petite cachette sous leur bibliothèque, sous leur parquet. Et donc on dissimule là la
00:11:27littérature clandestine. Et puis encore plus peut-être dangereux, la presse qui vient de
00:11:33l'étranger. Donc ça circule clandestinement et évidemment c'est tout à fait dangereux d'avoir
00:11:39ça chez soi. Après un an de prison, Pliouch est jugé en son absence et incarcéré à l'hôpital
00:11:46psychiatrique de Dnipropetrovsk. C'est la nouvelle doctrine du régime, faire des opposants, des
00:11:52malades mentaux. Il y a des cliniques spéciales qui ont été créées dans l'entre-deux-guerres pour
00:11:58ces cas-là. Et à partir donc des années 1960, on utilise cet outil de la psychiatrie légale
00:12:05comme outil de répression politique. On accusait de folie, de folie paranoïaque les opposants.
00:12:12Ils étaient fous. Pour penser qu'il était nécessaire de s'opposer au régime, il fallait être fou.
00:12:16Schizophrénie, tendance paranoïaque, menace pour la société, délire réformiste,
00:12:23d'idée réformiste qui se transforme donc en délire mégalomaniaque, donc danger aussi pour lui-même.
00:12:28Mais Léonide a un atout que personne n'a vu venir. Il est marié à une femme à la volonté de faire.
00:12:38Malgré les pressions exercées sur elle et sur ses deux enfants, Tatiana Pliouch soutient sans
00:12:45faille son mari. C'est elle qui a alerté Sakharov. Sans elle, il n'y aurait pas eu d'affaire Pliouch.
00:12:51C'est elle qui l'a défendue contre vents et marées, avec un courage. Elle n'était même pas
00:12:55courageuse, elle était inébranlable. On avait l'impression qu'on ne pouvait pas la toucher
00:12:59tellement elle était forte. Cette femme admirable, m'apprend Michel Brouet, est toujours vivante.
00:13:06C'est bien loin de la fureur du monde, à Bessèges, dans un petit village des Sévènes,
00:13:15que Tatiana Pliouch se repose. Elle est fatiguée et elle a du mal à marcher,
00:13:26mais elle est heureuse de pouvoir m'évoquer le combat de sa vie.
00:13:29C'est la seule photo qui existe avant qu'il ait été arrêté.
00:13:45Dans un entretien où elle passe de l'Ukrainien au français, du français au russe, elle revient
00:13:54sur cette période où elle s'est débattue seule, face aux autorités soviétiques.
00:13:58Ils l'ont mis exprès dans une des chambres les plus effrayantes. Et ils ont commencé à le piquer,
00:14:14avec un médicament. Il avait des vêtements sales, déchirés. C'était pour le rabaisser,
00:14:25pour le déshumaniser. Après, la police a commencé à m'appeler pour que je confirme qu'il était fou.
00:14:35Mais je leur disais non, il n'est pas fou. Et je n'écrirai jamais ce genre de choses.
00:14:43Elle affirme que son mari est un mathématicien, donc il est rationnel,
00:14:52il a l'esprit clair. Il n'est en aucun cas fou ni dangereux pour la société.
00:14:58Quand je travaillais au bureau, il y avait une voiture devant la fenêtre. Et si je sortais,
00:15:06il me suivait pour me faire peur. Et puis, j'ai été licenciée.
00:15:12C'est une guerre à l'usure. Mais Tatiana ne plie pas. Et un jour,
00:15:18elle apprend par le réseau des dissidents que de l'autre côté du rideau de fer s'activent
00:15:23des gens dont elle n'a jamais entendu parler. Des mathématiciens comme son mari.
00:15:27Car à l'ouest, en août 1974, l'affaire Plioutsch a pris une nouvelle dimension.
00:15:36Cet été-là, Vancouver, au Canada, accueille le congrès international des mathématiciens.
00:15:46Tous les quatre ans, il y a un congrès international de mathématiques. C'est
00:15:52au cours de ce congrès international, par exemple, que sont décernées les médailles
00:15:55fils. Mais le congrès international est vraiment organisé par les mathématiciens,
00:15:59par la communauté mathématique. Ce n'est pas un endroit où,
00:16:02normalement, on va parler politique. Ah non, pas du tout. Il faut respecter.
00:16:06On respecte justement le congrès international des mathématiciens. C'est une affaire de mathématiques.
00:16:11Mais du coup, vous n'avez pas respecté ça. On n'a pas respecté ça. Mais on n'a pas respecté ça
00:16:15parce qu'il y avait une espèce d'unanimité, c'est beaucoup dire. Mais il y avait une espèce
00:16:20de bienveillance, oui. Le comité va donc enfreindre les règles du congrès.
00:16:25Et profiter de l'occasion pour organiser un meeting de soutien à Pliouge.
00:16:29Mon grand-oncle n'a pu faire le voyage. Mais le vétéran Henri Cartan fait feu de tout bois.
00:16:35Moi, je me souviens avoir distribué des tracts avec Cartan. C'était ahurissant.
00:16:40Les gens, tout le monde connaissait Cartan dans le milieu des mathématiques.
00:16:43Et le voir distribuer des tracts pour appeler à un meeting, c'est un événement. Bon, voilà.
00:16:47Le congrès est présidé par l'Américain Lippmann Bers, très engagé pour les droits de l'homme.
00:16:54Il est depuis le premier jour un soutien du comité. C'est même lui qui en aurait soufflé l'idée.
00:16:59Dans son discours, il rapproche Pliouge d'Angela Davis, la militante noire américaine.
00:17:05Il y a un an environ, une jeune professeure passait en jugement aux États-Unis. C'était
00:17:12une jeune femme noire. Elle s'appelait Angela Davis. Un groupe d'intellectuels soviétiques
00:17:17de renom envoya une lettre pour sa défense. Nous exigeons à notre tour le droit de protester
00:17:23contre une injustice ou qu'elle se produise. La comparaison fait mouche. Les mathématiciens
00:17:31ont fait de Pliouge un symbole de l'injustice. Et c'est bien l'intention du comité, faire
00:17:38de Pliouge un symbole. Mon grand-oncle l'évoque dans ses mémoires. Dès le début, il a une
00:17:46idée derrière la tête. Il veut s'appuyer sur une autre affaire. Nous mettions en application
00:17:55la leçon apprise lors de la création du comité Audin. Car le comité a une préhistoire.
00:18:03Bien avant l'affaire Pliouge, il eut donc l'affaire Audin. Maurice Audin, mathématicien
00:18:09français disparu en pleine guerre d'Algérie. Retour quinze ans plus tôt, en 1957. Maurice
00:18:21et sa femme Josette habitent en Algérie avec ses trois enfants. Ils sont enseignants en
00:18:26mathématiques, communistes et militants pour l'indépendance de l'Algérie. Maurice prépare
00:18:32sa thèse. Il doit la soutenir à Paris et il a demandé à mon grand-oncle Laurent Schwarz
00:18:37de faire partie du jury. La suite, c'est un autre mathématicien célèbre qui me le
00:18:44raconte. Et un jour, pendant ce qu'on appelait à l'époque les événements d'Algérie,
00:18:52Maurice Audin se retrouve arrêté au petit matin, emmené et il n'y a plus jamais de
00:18:57nouvelles de lui. Et quelques temps après, l'armée française explique à la famille
00:19:04que Maurice s'est enfui. Il est considéré comme déserteur et peint de l'histoire du côté
00:19:13des autorités françaises. Mais pas du côté des mathématiciens, qui vont frapper un grand coup.
00:19:21À la Sorbonne, devant un parterre de personnalités, mon grand-oncle fait passer sa thèse à Maurice
00:19:33Audin, in absentia, en son absence. L'événement a un énorme retentissement.
00:19:43Et commence alors tout un scandale de la part de la communauté mathématique, de la part de la
00:19:49communauté communiste. Où est Maurice Audin ? Que s'est-il passé avec Maurice Audin ? Etc, etc.
00:19:56Et donc, du fait qu'il était à une époque où il y avait des disparitions sans arrêt,
00:20:00des tortures sans arrêt, Maurice Audin devient un emblème de ces exactions commises par l'armée
00:20:08française et de cette répression sanglante. C'est ainsi que naît un comité qui exige la
00:20:16vérité sur Maurice Audin, mais qui plus largement dénonce la torture en Algérie.
00:20:23En 2010, Cédric Villani, nouvelle médaille fils française, profite de sa notoriété pour reprendre
00:20:29le combat de ses pères. Sous son impulsion, en 2018 enfin, le président Macron, lors d'une visite à
00:20:37la veuve de Maurice Audin, reconnaît la responsabilité de la France. Il a fallu
00:20:43attendre 61 ans pour que le président de la République enfin reconnaisse une affaire d'État.
00:20:51Oui, Maurice Audin a été assassiné. Oui, la torture faisait partie d'un système
00:21:00Le mathématicien Maurice Audin a donc été le symbole de la lutte contre la torture en Algérie.
00:21:05Le mathématicien Léonide Kliutsch doit être lui le symbole de la dissidence en Union soviétique.
00:21:11En choisissant un individu au lieu d'une collectivité, nous mettions en application
00:21:19la leçon apprise lors de la création du comité Audin. La défense d'une seule personne particulière
00:21:25contribue à la défense de toutes les autres victimes et la renforce.
00:21:30Et c'est là dessus qu'on a été tous tous les trois d'accord d'emblée et très très d'accord.
00:21:35On a été extrêmement critiqués. Oui, vous vous occupez d'un d'entre eux. Oui, une seule personne alors
00:21:40qu'il y a des centaines de prisonniers. Et pourquoi vous vous occupez des mathématiciens et pas des
00:21:44ouvriers du bâtiment, etc. On disait on s'occupe de quelqu'un parce qu'on va le faire libérer et ça
00:21:50va compter. On a un point précis. Si on se bat pour renverser le régime soviétique, on n'y arrivera pas,
00:21:55nous, les petits mathématiciens.
00:21:59Pendant ce temps, à l'hôpital de Dienpopetrovsk, le temps presse.
00:22:05Dans ces rares visites autorisées, Tatiana observe avec angoisse son mari dépérir.
00:22:13Il avait peur, il avait peur. Il ne voulait même plus sortir parce que, vous comprenez, il était malade.
00:22:22Il lui faisait des piqûres, lui donnait des médicaments et il perdait peu à peu sa conscience.
00:22:32Vous avez envoyé une lettre carrément à Brezhnev. Oui, j'ai écrit partout, partout.
00:22:40Et vous avez eu des réponses ? Non, on ne m'a pas répondu.
00:22:48À Paris, le comité tient ses réunions à l'Institut de Recherche Henri Poincaré.
00:22:54On comprend qu'il reste peu de temps pour sauver Pliouch. Il faut sortir du milieu, élargir les soutiens.
00:23:01Le 23 avril 1975, le comité organise une journée internationale pour Pliouch avec une jeune association
00:23:08qui vient de recevoir le prix Nobel de la paix Amnesty International.
00:23:15Partout, on diffuse un vibrant appel au secours de Tatiana.
00:23:23Le mathématicien Pliouch, ce léonide que j'ai connu et qu'ont connu ses enfants, n'existe plus.
00:23:28Il ne reste qu'un homme à la pointe extrême de la souffrance.
00:23:32Il a perdu toute mémoire et toute faculté de lire, d'écrire, de penser.
00:23:38Il est infiniment malade et épuisé. Je ne demande qu'une chose, qu'on me rende mon mari, qu'on nous laisse quitter ce pays.
00:23:47Au Kremlin, l'affaire Pliouch arrive au pire moment.
00:23:51Pour sortir de la guerre froide, les soviétiques négocient des accords de coopération avec l'Europe de l'Ouest.
00:24:00La question des droits de l'homme empoisonne les débats.
00:24:05Sous la pression de l'Ouest, Moscou vient déjà d'expulser le plus critique de ses dissidents,
00:24:10le prix Nobel de littérature Alexandre Solzhenitsyn.
00:24:13L'homme qui, dans ses livres, a dénoncé le goulag.
00:24:18Donc c'est vrai que ces questions, qui sont multiples, de dissidence, de droit de l'homme ou d'émigration,
00:24:26de liberté de circulation, deviennent vraiment préoccupantes pour le régime soviétique.
00:24:34Le comité espère profiter de ce contexte.
00:24:38Mais Pliouch n'est pas Solzhenitsyn.
00:24:41Les mathématiciens ne sont soutenus par aucun État.
00:24:44Mené par mon grand-oncle, Laurent Schwarz, une nouvelle délégation retourne à l'ambassade soviétique.
00:24:52Ça ne se passe pas hyper bien ?
00:24:54Non, ça ne se passe pas vraiment bien.
00:24:56Il y a un conseiller, je ne sais pas qui nous a reçus, qui a dit que Schwarz était fou, quoi, essentiellement.
00:25:02Schwarz lui a répondu qu'il se trompait, que les mathématiciens étaient bien implantés dans le monde
00:25:08et qu'un jour on connaîtrait le nom de Pliouch.
00:25:11Mais à force de faire du bruit, les mathématiciens agrègent des soutiens.
00:25:15Et l'un d'eux va s'avérer déterminant.
00:25:18Michel Brouet fait alors partie d'une organisation trotskiste, l'OCI,
00:25:23l'Organisation Communiste Internationaliste, par laquelle passèrent aussi
00:25:27les mathématiciens de l'Université de Paris.
00:25:30Les mathématiciens de l'Université de Paris, c'est-à-dire les mathématiciens de l'Université de Paris,
00:25:35l'OCI, l'Organisation Communiste Internationaliste, par laquelle passèrent aussi
00:25:40Lionel Jospin ou Jean-Luc Mélenchon.
00:25:44Très engagée contre le stalinisme de l'Union soviétique,
00:25:48elle est dirigée par un certain Pierre Lambert.
00:25:52Lambert suivait ça avec intérêt, il se rendait bien compte qu'il s'était passé quelque chose.
00:25:56Il m'a appelé, Petit Père vient me voir, parce qu'il m'a appelé Petit Père, vient me voir,
00:25:59donc je vais le voir.
00:26:00Il me dit, tu as laissé un sentiment que vous êtes au bout de ce que vous pouvez faire.
00:26:03Je lui dis, oui, je ne vois pas ce qu'on peut faire de plus là, on ne peut pas.
00:26:06Appel à un meeting à l'habitualité.
00:26:08Je lui dis, dévoue, on n'a pas les moyens.
00:26:10On n'a pas les moyens, nous, mathématiciens, de remplir...
00:26:12Appel, je te dis.
00:26:14C'était la méthode de Lambert.
00:26:15J'ai compris que ça voulait dire qu'ils allaient s'engager.
00:26:19Or, à l'OCI, l'engagement n'est pas un mot en l'air.
00:26:24Laurent Mauduit, journaliste à Mediapart, est un ancien de l'OCI.
00:26:29Il vient de coécrire un livre sur l'histoire de l'organisation.
00:26:33Et il n'a rien oublié de ce qui fut une des plus belles fiertés de sa vie de militant.
00:26:39Je garde un souvenir formidable de ces combats qu'on amenait,
00:26:44notamment pour libérer Léonide Kliutsch,
00:26:46parce que ça correspondait exactement à l'idéal que nous avions d'un socialisme à visage humain.
00:26:53À l'OCI, l'affaire Kliutsch devient la priorité.
00:26:57Les militants se donnent sans compter pour organiser le fameux meeting.
00:27:03Dans notre livre, on emploie le terme de cloître laïque.
00:27:07On militait pour la révolution, la révolution socialiste,
00:27:11et on y passait nos jours et nos nuits.
00:27:14Les cotisations, c'était 10 % de nos salaires, de nos rémunérations.
00:27:18Vous donniez 10 % de votre salaire ?
00:27:2010 %, oui.
00:27:21Même militant de base, 10 % du salaire ?
00:27:23Militant de base, tout le monde.
00:27:25À l'époque, j'étais surveillant dans un lycée public.
00:27:28Le soir, je surveillais les dortoirs, je donnais 10 %.
00:27:31Et donc, l'OCI a connu entre 4 000 et 5 000 militants au milieu des années 70.
00:27:365 000 ou 6 000 militants, militants à temps plein, jour et nuit.
00:27:40C'était une force de frappe.
00:27:42Et puis, avec toutes les succursales de l'OCI,
00:27:45notamment à l'université, grâce à l'UNEF, qui était contrôlée par elle,
00:27:49qui était très importante.
00:27:51Donc, là, l'OCI s'est vraiment engagée dans la campagne.
00:27:54Et de partout en France, nous sont revenus des appels aux meetings.
00:28:02C'est des tracts, c'est des pétitions, c'est...
00:28:06Toute la vie de l'organisation, pendant plusieurs semaines,
00:28:10tourne autour de la préparation du meeting.
00:28:13On en fait un événement qui devient un événement national.
00:28:17Pendant ce temps, mon grand-oncle, Laurent Schwartz, active ses réseaux.
00:28:21Deux journaux s'engagent dans l'affaire Pliouch.
00:28:24Le quotidien Le Monde,
00:28:26et un magazine qui est alors une référence à gauche, le Nouvel Obs.
00:28:31J'entre au Nouvel Obs en 71, si je me souviens bien.
00:28:34Et très, très vite, je vais me spécialiser par goût,
00:28:38par intérêt politique et par culture politique aussi,
00:28:42dans les pays communistes d'Europe centrale.
00:28:46Aujourd'hui député européen,
00:28:48Bernard Guetta est alors un jeune journaliste.
00:28:51C'est lui qui aura en charge l'affaire Pliouch.
00:28:55Donc très vite, je me suis trouvé totalement impliqué.
00:29:01J'étais plus que journaliste, j'étais militant de cette cause,
00:29:06de la défense des dissidents.
00:29:08Et donc j'ai beaucoup vécu avec ce tout petit monde du comité des mathématiciens.
00:29:16La machine est lancée.
00:29:17Le 23 octobre 1975, le comité organise à la mutualité
00:29:22salle mythique des grandes manifestations de gauche,
00:29:25un meeting pour la libération de Pliouch.
00:29:31La liste des soutiens est impressionnante.
00:29:37Ceux qui n'ont pas pu venir, comme Yves Montand et Simone Signoret,
00:29:41ont envoyé un télégramme de soutien.
00:29:45Cher Michel Brouet, nous quittons Paris pour tourner en extérieur.
00:29:49Nous ne serons donc pas à la mutualité le jeudi 23 octobre.
00:29:53Nous vous demandons instamment de nous compter cependant,
00:29:56parmi tous ceux qui essaieront ce soir-là,
00:29:58d'obtenir la liberté pour Léonide Pliouch.
00:30:03À la tribune, Henri Cartan, Michel Brouet et Laurent Schwarz,
00:30:07les trois fondateurs du comité, découvrent une salle archi-comble.
00:30:12La grande salle de la mutualité a pété de monde.
00:30:15Personne n'a compté, mais c'était un événement inouï.
00:30:18Il y avait une espèce de joie.
00:30:21Je crois qu'on sentait qu'on allait vers la victoire.
00:30:24C'est peut-être ça, le début de la graine
00:30:27qui a conduit ensuite à l'effondrement du mur.
00:30:30On n'a sans doute pas mesuré à l'époque
00:30:33de ce premier très grand meeting en défense d'un emprisonné.
00:30:37Ce sera l'aile de papillon.
00:30:40Il y aura un effet formidable.
00:30:43Ça va changer le cours de l'histoire.
00:30:48Un point va notamment ébranler la gauche française.
00:30:51Comme le remarquent les journaux,
00:30:53il y a deux absents de marques au meeting.
00:30:56La CGT et surtout le Parti communiste français.
00:31:00Pire, les communistes ont organisé un contre-meeting,
00:31:03porte de Versailles.
00:31:05Ils n'ont pas voulu s'associer à une action
00:31:08qui mette en cause l'Union soviétique.
00:31:11Pierre Laurent, alors jeune militant communiste,
00:31:14a suivi les consignes.
00:31:22Il y a eu un coup de poing.
00:31:26Il est pourtant troublé par l'affaire Pliouch.
00:31:29J'ai eu mon bac en 1974.
00:31:32Je suis rentré à la fac à Jussieu.
00:31:35Une fac dans laquelle le sort d'un mathématicien
00:31:38avait de la résonance.
00:31:40C'était une période où la question de la démocratie
00:31:43et notre prise de distance avec les pays socialistes
00:31:46de l'époque sur cette question étaient très importantes.
00:31:49Car le parti est en pleine ébullition.
00:31:52Les communistes ont établi un programme commun
00:31:55avec les autres forces de gauche.
00:31:58Et les liens avec l'URSS sont au cœur des débats.
00:32:04A la fois, le Parti communiste était en train
00:32:07de mettre nettement la question de la démocratie
00:32:10au cœur de son projet.
00:32:12Mais en même temps, les dirigeants communistes
00:32:15ne voulaient pas, dans leur esprit, je pense,
00:32:18jeter le bébé avec l'eau du bain.
00:32:21Donc il y avait des hésitations
00:32:24durant toutes les années 1970 sur ces questions.
00:32:34Je suis allé rencontrer un homme
00:32:36qui était alors au cœur de ces hésitations.
00:32:42Installé dans sa ville natale de Clermont-Ferrand,
00:32:45Pierre Jutkin, 94 ans,
00:32:49était alors à la direction du parti.
00:32:53Depuis deux à trois ans, j'étais entré
00:32:56dans un processus qui était la négociation
00:32:59avec François Mitterrand et le Parti socialiste
00:33:02en vue d'aboutir à un programme commun
00:33:05de gouvernement et à une alliance
00:33:08entre les communistes et les socialistes.
00:33:11Cette mention est très importante
00:33:14pour situer l'affaire dont nous allons parler.
00:33:17Ce n'est pas venu comme un coup de tonnerre
00:33:20dans la chaise serein.
00:33:25Un coup de tonnerre, c'est bien ce que provoque
00:33:28l'affaire Pliouch au sein du parti.
00:33:31Car désormais, il faut choisir son camp.
00:33:35Il y a encore beaucoup de militants et de dirigeants
00:33:38qui ont vécu la libération,
00:33:41la période d'après-guerre,
00:33:44qui ont un souvenir très fort du rôle
00:33:47de l'Union soviétique pendant la guerre
00:33:50et qui ne veulent pas qu'on rompe les liens
00:33:53avec l'Union soviétique.
00:33:56Il y avait une théorie, une idée
00:33:59qui courait chez un certain nombre de dirigeants,
00:34:02pour la plupart assez anciens, mais pas tous,
00:34:05du Parti communiste français,
00:34:08selon laquelle si on heurtait trop de fronts
00:34:11politiques existants chez les communistes,
00:34:14ils allaient quitter le parti.
00:34:17Pourtant, deux jours après le meeting,
00:34:20l'impensable se produit. Dans un éditorial,
00:34:23René Andrieux, le rédacteur en chef de l'Humanité,
00:34:26le journal du parti, prend ses distances avec Moscou.
00:34:29Le cas de Léonide Pliouch ne nous est pas indifférent
00:34:32et nous avons cherché depuis bien longtemps
00:34:35à obtenir des informations à ce sujet.
00:34:38Et malheureusement, jusqu'ici, la preuve du contraire
00:34:41n'a pas été administrée, que ce mathématicien
00:34:44est interné dans un hôpital psychiatrique.
00:34:47Uniquement parce qu'il a pris position
00:34:50contre certains aspects de la politique soviétique
00:34:53ou contre le régime lui-même, nous ne pouvons
00:34:56que confirmer avec la plus grande netteté
00:34:59notre total désapprobation et l'exigence
00:35:02qu'il soit libéré le plus rapidement possible.
00:35:05C'était d'une clarté absolue.
00:35:08C'est une prise de position du Parti communiste français
00:35:11parce qu'Andrieux, à l'époque, n'écrit pas ça
00:35:14sans l'accord du directeur de l'Humanité
00:35:17qui est un membre du bureau politique.
00:35:20Donc un éditor comme ça, c'était l'expression
00:35:23de la position du Parti communiste français.
00:35:26C'est alors que Tatiana Pliouch
00:35:29prend tout le monde de cours.
00:35:33Profitant de la situation, elle envoie d'Ukraine
00:35:36une lettre publique de remerciement à Georges Marchais,
00:35:39le numéro 1 du Parti communiste français.
00:35:57Effectivement, elle écrit cette fameuse lettre
00:36:00à Georges Marchais où elle lui dit
00:36:03« Dans ce cas, j'espère que ça va aller encore plus loin
00:36:06et que mon mari va être libéré. »
00:36:09Cette lettre va être publiée dans le monde.
00:36:23Sans l'avoir voulu, Georges Marchais se retrouve ainsi propulsé,
00:36:26soutien officiel des dissidents.
00:36:31Au Kremlin, c'est la panique.
00:36:33Le chef du KGB, Yuri Andropov,
00:36:36rappelle à l'ordre les communistes français.
00:36:39Dans un courrier confidentiel à la direction du Parti,
00:36:42il fait allusion à l'éditorial de l'Humanité
00:36:45et à la lettre de Tatiana. Et il alerte.
00:37:00C'est pas une retraite, mais une nécessité vitale.
00:37:06Mais l'incendie est devenu incontrôlable.
00:37:09La suite, Tatiana s'en souvient minute par minute.
00:37:12Un matin, le téléphone sonne
00:37:15dans son petit appartement de Kiev.
00:37:18J'ai été appelée par la police.
00:37:21Une police spéciale,
00:37:24celle qui délivre les documents pour quitter le pays.
00:37:28Et là, ils m'ont annoncé que je pouvais m'en aller avec lui.
00:37:35Qu'on nous autorisait à partir.
00:37:38Les soviétiques, ils vous ont pas donné finalement de raison pour la libération ?
00:37:41Non.
00:37:44Ils n'ont donné aucune raison.
00:37:47Ils ont juste donné l'ordre que l'on parte.
00:37:53Et quand ils l'ont amenée à la gare,
00:37:56ils l'avaient très bien habillée.
00:37:59Avec des beaux vêtements.
00:38:02Et ils lui avaient mis des...
00:38:05Comment ça s'appelle ?
00:38:08Des boutons de manchette, on dirait en français.
00:38:11C'est ça, des boutons de manchette.
00:38:14C'était très drôle.
00:38:17Et moi,
00:38:20j'ai enlevé les boutons de manchette et j'ai enlevé les vêtements
00:38:23et j'ai tout jeté.
00:38:26Et je leur ai dit, allez vous faire foutre.
00:38:29Et j'ai tout jeté.
00:38:54Il vient de passer 4 ans emprisonné dans un hôpital psychiatrique.
00:39:01Le train s'arrête.
00:39:04Personne n'avait jamais lu Plouche.
00:39:07Et il descend un homme.
00:39:10C'était extrêmement impressionnant.
00:39:14On le voit, il était tout gonflé.
00:39:17Je sais pas si c'était les traitements de psychotropes
00:39:20ou s'il y avait eu de la cortisone.
00:39:23Et donc on voit un homme,
00:39:26je ne dirais pas agarre parce qu'il était très digne,
00:39:29très retenu, mais on sentait qu'il était totalement perdu.
00:39:32Il n'était jamais sorti du monde soviétique.
00:39:35Il ne savait pas ce qui lui arrivait.
00:39:38Il ne savait pas ce qui lui arrivait.
00:39:44T'étais ému quand tu l'as vu ?
00:39:47C'était incroyable.
00:39:50Je croyais au Père Noël à ce moment-là, c'était fantastique.
00:39:53Il y avait ce sentiment d'une victoire politique
00:39:56et il y avait le sentiment qu'on venait d'arracher
00:39:59un homme aux griffes du KGB.
00:40:02C'était pas rien.
00:40:05On a gagné le bras de fer.
00:40:08On a agi pour, en toute conscience, on a fait ce qu'il fallait.
00:40:11Le miracle, c'est qu'on a gagné.
00:40:14On a agi correctement, mais le miracle, c'est parce que
00:40:17ça a commencé à branloter sec de ce côté-là.
00:40:2076, c'est 13 ans avant la chute du mur de Berlin.
00:40:26C'est ça qui s'est exprimé, on ne l'a pas compris tout de suite.
00:40:30À ce moment-là du récit de Michel Brouet,
00:40:33je m'interroge.
00:40:36Pourquoi ce sont des mathématiciens qui ont obtenu un tel succès ?
00:40:39Est-ce la force de leur réseau ?
00:40:42De parler un langage universel ?
00:40:45L'importance des maths pour les autorités soviétiques ?
00:40:48Mon grand-oncle avait une autre théorie.
00:40:51Les mathématiciens seraient prédisposés à la révolte.
00:40:57Les mathématiciens transportent leur rigueur
00:41:00de raisonnement scientifique dans la vie courante.
00:41:03La découverte mathématique est subversive
00:41:06et toujours prête à renverser les tabous
00:41:10La liberté de penser, c'est l'ingrédient numéro un des maths,
00:41:13y compris pour faire des maths.
00:41:16Quand on interdit à un type de penser ce qu'il veut,
00:41:19c'est juste contraire aux maths.
00:41:27J'étais curieux de savoir ce qu'en pensait
00:41:30le mathématicien le plus célèbre de France.
00:41:34Avec tout le respect dû à la grande figure de Laurent Schwarz,
00:41:37personnellement, je ne suis pas sûr.
00:41:40L'expérience montre que, par exemple,
00:41:43face à une dictature, face à un régime injuste,
00:41:46on trouve chez les scientifiques,
00:41:49chez les mathématiciens, toutes les attitudes.
00:41:52Depuis le résistant le plus courageux
00:41:55jusqu'au collaboreux le plus honteux.
00:41:58La question ne vous a pas surpris tant que ça ?
00:42:01C'est une question à laquelle vous avez déjà réfléchi ?
00:42:04Je n'ai pas de parler tel ou tel profil de mathématicien
00:42:07et d'insister sur le fait qu'en mathématiques, on dit le vrai.
00:42:10C'est l'objectif de tout, trouver la vérité et la dire.
00:42:13Maintenant, j'ai vu passer dans les recherches, dans les exemples,
00:42:16tant contre-exemples justement à cette règle
00:42:19que j'en suis un peu revenu.
00:42:22Subversives les maths, ou non ?
00:42:25Voilà un sujet de méditation.
00:42:34Mais revenons à notre affaire.
00:42:37Le 11 janvier 1976, Leip-Liutsch quitte l'Autriche pour la France
00:42:40avec un Léonide toujours défait.
00:42:46A Orly, il est attendu par la presse du monde entier.
00:42:49Mais c'est sa femme qui répond aux journalistes.
00:42:56Il a refusé de parler devant les journalistes,
00:42:59on ne voulait pas être vu, on le comprenait.
00:43:02C'était imposé, il était abruti.
00:43:08Je voyais vraiment quelqu'un qui venait de souffrir affreusement.
00:43:11Je m'étais facilement à sa place de dire,
00:43:14mais j'arrive où ?
00:43:21Marie-Claude est alors la femme de Michel Brouet.
00:43:24Elle va vite devenir une intime de la famille Pliutsch.
00:43:27Et pour cause.
00:43:31Les 4 Pliutschs vont donc s'installer chez les 4 Brouets
00:43:34dans leur pavillon HLM de Montreau, en Seine-et-Marne.
00:43:41Ah oui, ça c'était un peu difficile.
00:43:44On avait mis nos deux filles dans une même chambre,
00:43:47les enfants Pliutschs dans l'autre chambre,
00:43:50et nous on couchait dans le bureau sur un bâtard pneumatique.
00:43:53On avait laissé notre chambre au couple Pliutsch.
00:43:56C'était un peu dur, on n'a pas beaucoup dormi.
00:44:00Des fois quand l'interprète restait couché,
00:44:03on mettait un bâtard pneu de plus à côté.
00:44:06Ça arrivait.
00:44:09Le téléphone sonne de jour comme de nuit.
00:44:12Tout le monde veut voir le nouveau dissident.
00:44:15Il faut alors protéger un Pliutsch encore très faible
00:44:18de la tornade médiatique.
00:44:23Ils ne voulaient voir personne,
00:44:26ce qui a créé une espèce de tension médiatique.
00:44:29Les 62 journalistes voulaient absolument être les premiers
00:44:32à parler à Pliutsch, et lui ne voulait pas,
00:44:35donc on a respecté ça.
00:44:38Je me rappelle Jean-Pierre Elkabache me disant
00:44:41« Je viens prendre votre petit-déjeuner chez vous ».
00:44:44Je lui disais « Non, excusez-moi, je ne vous ai pas invité ».
00:44:47Il a fallu se défendre pendant quelques semaines.
00:44:50Il y avait des journalistes, je me rappelle,
00:44:54pour vous filmer ?
00:44:57Oui, c'est ça.
00:45:00Tout le monde se précipitait à Montreau, c'est vrai.
00:45:03Il y a un sénateur américain qui a fait le voyage
00:45:06Washington-Paris, Paris-Montreau,
00:45:09juste pour parler une heure avec lui.
00:45:12Il voulait absolument l'inviter à témoigner devant le Sénat.
00:45:15Et Pliutsch refusait.
00:45:18Il était sous pression.
00:45:21Vous savez, quand finalement j'étais en urse
00:45:24dans mon hôpital psychiatrique,
00:45:27je savais à qui j'avais à dire non.
00:45:30Maintenant que je suis là, avec tous ces gens qui cherchent à m'influencer,
00:45:33je ne sais plus. Les oui, les non, je suis perdue.
00:45:36En attendant de se remettre,
00:45:39le dissident et sa famille découvrent la vie quotidienne
00:45:42dans une banlieue ouvrière française.
00:45:46Ça, c'est lui avec ses deux enfants dans la neige à Montreau.
00:45:49C'était l'hiver, c'était en janvier.
00:45:52Et il trouvait ça comment, Montreau ?
00:45:55Il était super content. Il disait qu'il était arrivé dans une ville de prolétaires
00:45:58et qu'il ne pouvait pas rêver mieux.
00:46:01Il était super content dans une ville de prolétaires.
00:46:04Moi, je me souviens, j'allais faire les courses avec Tania.
00:46:07La première fois que je l'ai amenée avec moi à la boucherie,
00:46:10et de pouvoir dire, je voudrais ça,
00:46:13puis vous me donnez ça aussi.
00:46:16J'étais surprise de voir l'étal.
00:46:19Et puis, il suffisait que je dise, je voudrais bien de ça, de ça, de ça.
00:46:22Hop, on remplissait mon cabas, je payais.
00:46:25Pas de problème.
00:46:28Marie-Claude !
00:46:31Je me rappelle quand on allait au magasin avec sa femme.
00:46:37La première fois, je suis tombée dans les pommes.
00:46:40Parce que j'ai vu tous ces magasins.
00:46:44On passe devant une bijouterie.
00:46:47Elle voit une vingtaine de montres.
00:46:50Elle me dit, mais Marie-Claude,
00:46:53pourquoi tant de montres ?
00:46:56Une, ça suffit.
00:46:59Vous entendez ça, vous vous dites,
00:47:02c'est vrai qu'on ne vit pas du tout avec les mêmes dimensions.
00:47:14Le 3 février, près d'un mois après sa libération,
00:47:17Léonid Pliouch se sent enfin prêt à parler.
00:47:25Devant de très nombreux journalistes,
00:47:28il raconte son calvaire en hôpital psychiatrique.
00:47:31Il tient aussi à rappeler ses idéaux communistes,
00:47:34malgré tout ce qu'il a vécu.
00:47:37Mais épuisé par l'exercice,
00:47:40il refuse de s'étendre sur sa situation.
00:48:11Pardon.
00:48:19L'affaire Pliouch semble désormais définitivement terminée.
00:48:25Pourtant, elle n'a pas encore produit son effet majeur.
00:48:33Le comité est désormais connu dans le monde entier.
00:48:36On lui demande de s'engager sur d'autres causes.
00:48:39Et Michel Brouet reprend l'édition de ses bulletins.
00:48:48Or, il est un lieu où l'affaire Pliouch a laissé des traces.
00:48:53Au Parti communiste français,
00:48:56l'alignement sur l'URSS s'est fissuré.
00:48:59Le comité va en profiter.
00:49:04Un an jour pour jour après le meeting pour libérer Pliouch,
00:49:07il organise un nouveau rassemblement à la mutualité.
00:49:11Cette fois, le comité défend six victimes d'atteinte au droit de l'homme.
00:49:16Trois sont emprisonnées à l'Est,
00:49:18comme le soviétique Vladimir Bukovsky.
00:49:21Mais pour ne pas être taxé d'anti-soviétisme,
00:49:24le comité y associe trois victimes des dictatures sud-américaines,
00:49:27comme le mathématicien José Luis Macera.
00:49:31Et en guest star du meeting,
00:49:33Léonide Pliouch.
00:49:37...
00:49:42Pour le Parti communiste, c'est le moment de vérité.
00:49:45Va-t-il cette fois encore laisser sa chaise vide ?
00:49:48Comment refuser de participer à un tel rassemblement ?
00:49:51Vous êtes contacté par mon grandon, par Laurent Schwarz,
00:49:54qui vous dit qu'il faut venir ce coup-ci.
00:49:56Il insiste.
00:49:58Il insiste, Laurent Schwarz.
00:50:00Mais là, il insiste amicalement.
00:50:04Je sentais, quand j'y repense,
00:50:07mais est-ce que je reconstruis ?
00:50:10Dans sa voix,
00:50:12une façon de me presser,
00:50:15un certain intérêt,
00:50:17qui voulait dire, au fond,
00:50:19vous avez une occasion à saisir.
00:50:21Pour Pierre Jutin, aucun doute.
00:50:23Il faut y aller.
00:50:25Mais la question des liens avec l'URSS est très sensible,
00:50:28alors que le parti est en pleine négociation
00:50:30pour une union de la gauche.
00:50:32Les jours passent.
00:50:34Le meeting approche,
00:50:36quand le bureau central décide enfin de se réunir.
00:50:39Les membres du bureau politique présents
00:50:41se retrouvent entre eux
00:50:43et marchaient,
00:50:45en quelques mots,
00:50:47Jean Canapa et Pierre
00:50:49vont vous résumer les raisons
00:50:51pour lesquelles nous pensons qu'il faut y aller.
00:50:54Nous combattons toutes les répressions dans le monde entier.
00:50:57Nous ne confondons pas le socialisme
00:50:59avec la répression, etc.
00:51:02Et à ce moment-là,
00:51:04un très ancien membre du bureau politique
00:51:06prend la parole et dit
00:51:08si Pierre y va pour dire ça,
00:51:10je suis d'accord.
00:51:14C'était la bascule.
00:51:16Tout le monde a dit d'accord
00:51:18et le temps presse.
00:51:20– Et c'est vraiment au dernier moment
00:51:22que vous avez pris cette décision ?
00:51:24– On a travaillé l'après-midi,
00:51:26la dactylo a tapé
00:51:28et je suis allé à l'habitualité
00:51:31pour essayer d'apprendre.
00:51:41– La salle est ouzaguée.
00:51:43Pour la première fois,
00:51:44un membre du Parti communiste vient participer
00:51:46à un meeting pour la défense
00:51:48de dissidents.
00:51:51– J'entrai dans l'arène.
00:51:53J'entrai dans l'arène.
00:51:55D'ailleurs,
00:51:57il y avait un journaliste de l'humanité
00:51:59Nous n'accepterons jamais que dans quelques pays que ce soit,
00:52:06on recourt au nom du socialisme
00:52:11à des méthodes qui violent les droits de la personne humaine.
00:52:15– Applaudissements –
00:52:20Je dis, on m'a applaudi, il y avait une immense surprise,
00:52:25une immense surprise, parce que ce que j'ai dit c'était nous défendons,
00:52:29le socialisme est incompatible avec ce genre de pratiques,
00:52:33voilà, avec ces répressions.
00:52:36La conclusion a moins de succès.
00:52:37Juchin ne peut faire autrement que de rappeler l'attachement du parti à l'URSS.
00:52:41– Antifasciste, nous sommes et nous serons toujours.
00:52:47Antisoviétique, jamais.
00:52:49– Applaudissements –
00:52:51Écoutez, franchement, à chaque jour suffit sa peine.
00:52:56L'essentiel était fait, et l'essentiel ce n'était pas tellement ce que je disais,
00:53:00que le fait que je le dise, ce n'était pas seulement que je sois là,
00:53:05c'est que je serre la main de Plioutch, évidemment.
00:53:10– Un communiste qui serre la main d'un dissident, c'est une petite révolution.
00:53:16– Plioutch arrive par la droite, j'étais encore debout je crois,
00:53:21j'allais m'asseoir, il s'avance, je crois que quelqu'un lui serre la main,
00:53:25je ne sais pas qui, et moi je m'avance, il a la main tendue, moi aussi je serre la main,
00:53:30je n'ai pas du tout pensé que je serrais la main de Léonide Plioutch,
00:53:33j'ai pensé que je serrais la main de quelqu'un à Évique qui j'allais faire un meeting
00:53:38pour défendre sa position, qui était une position de défense des droits de l'Homme
00:53:41et de la liberté, point à la ligne.
00:53:44Et ça a été la poignée de main scandaleuse.
00:53:50– La fameuse photo de Juchin serrant la main à Plioutch,
00:53:53ça a évidemment été un événement qui a eu beaucoup de résonance,
00:53:57il y en avait beaucoup qui étaient satisfaits qu'on bouge enfin,
00:54:01mais il y en avait aussi qui n'étaient pas contents,
00:54:04qui considéraient que c'était nourrir l'anticommunisme, que de participer à ça.
00:54:10– Alors le lendemain, si je peux me permettre,
00:54:13– Oui, on va y venir.
00:54:14– Le lendemain, coup de téléphone de l'ambassade soviétique.
00:54:18– Directement, coup de téléphone.
00:54:20– L'ambassade soviétique fait part de sa stupéfaction,
00:54:24je ne me rappelle plus les mots, son bécondentement,
00:54:28dit mais, qu'a fait le camarade Juchin ?
00:54:31– L'agence TASS, organe officiel de Moscou, ne cache pas sa colère.
00:54:38– Comment les représentants du PCF se sont retrouvés parmi les participants
00:54:42à une sale entreprise de ce type et d'autant plus incompréhensible
00:54:46pour l'opinion publique soviétique ?
00:54:48– Oui, là, c'est clair, je ne suis pas allé passer mes vacances
00:54:50en Union soviétique l'année suivante.
00:54:52– La déclaration de Juchin est imprimée à 6 millions d'exemplaires par l'Humanité.
00:54:59Le Parti communiste français s'oppose à l'URSS, c'est historique.
00:55:05– L'affaire Pliou, c'est la première dans laquelle il y a un engagement officiel
00:55:10de la direction du Parti communiste.
00:55:12Pour la première fois, il y a un acte concret
00:55:15qui concrétise la prise de distance avec l'Union soviétique
00:55:20sur cette dimension des libertés.
00:55:23Et en fait, ça va continuer, mais c'est sûr que c'est un moment…
00:55:28c'est un des moments charnières.
00:55:33– Quelques mois plus tard, communistes et socialistes scellent l'Union de la gauche
00:55:38qui les mènera au pouvoir en 1980.
00:55:46Pliouch, lui, s'installe en France définitivement.
00:55:50À la fin de notre entretien, Tatiana a tenu à m'emmener faire un tour.
00:55:55Elle voulait me conduire jusqu'au cimetière, à quelques centaines de mètres de la maison.
00:56:00C'est dans ce petit village sévenole que s'éteint en 2015
00:56:04l'Ukrainien qui fit trembler Brezhnev.
00:56:08Tatiana est partie à son tour, quelques mois après ma visite.
00:56:22Quant au comité des mathématiciens, il ne prend fin qu'en 1989
00:56:26avec la chute du mur de Berlin.
00:56:29Mais est-ce bien certain ?
00:56:31Mon grand-oncle est le premier à partir en 2012
00:56:34Henri Cartan, lui, survivra jusqu'à 104 ans, avant de disparaître 6 ans après.
00:56:40Mais le petit jeune du trio, Michel Broué, est toujours là, et il n'a pas renoncé.
00:56:47– Michel, qu'est-ce que c'est que cette affiche-là ?
00:56:49– C'est un jeune mathématicien, je vais dire soviétique, non, russe,
00:56:52qui a été arrêté, condamné à la suite d'un certain nombre de provocations,
00:56:56à de nombreuses années de prison.
00:56:58Et il y a un comité international qui organise une campagne pour Mitafkov
00:57:01qui la tienne, qui la prolongera, qui organise des journées internationales
00:57:05de mathématiques, pour l'instant, sur Mitafkov.
00:57:08– Tu veux dire qu'il y a à nouveau un comité des mathématiciens ?
00:57:11Ça n'a pas arrêté ?
00:57:12– Ça n'a pas vraiment arrêté, mais il y a des jeunes,
00:57:15il y a des gens qui travaillent plus que moi maintenant,
00:57:17mais non, je n'ai pas envie d'arrêter.
00:57:21– En quittant Michel, j'ai repensé à la dernière phrase des mémoires de mon grand-oncle.
00:57:26On a souvent tendance à considérer les scientifiques
00:57:29comme des gens peu soucieux de morale, nuisibles,
00:57:32enfermés dans leur tour d'ivoire et indifférents au monde extérieur.
00:57:36Le comité des mathématiciens est une brillante illustration du contraire.
00:57:44– Au cœur des années 70, l'affaire Plioutsch a fait couler beaucoup d'encre
00:57:49comme vient de nous le rappeler ce documentaire exclusif
00:57:52réalisé par Mathieu Schwartz.
00:57:54Ce dernier n'est autre que le petit-neveu du célèbre mathématicien français Laurent Schwartz
00:58:00qui anima, vous venez de le voir, un comité de soutien
00:58:03en faveur de son confrère ukrainien et contribuant ainsi à sa libération
00:58:08puis à son expulsion de l'Union soviétique sous l'air Léonide Brezhnev.
00:58:13Nous allons y revenir maintenant avec nos invités présents aujourd'hui
00:58:16sur ce plateau de débats doc.
00:58:17Michel Brou est avec nous, bienvenue.
00:58:19On vous a vu assez longuement d'ailleurs dans ce documentaire.
00:58:22Et pour cause, vous êtes mathématicien élu des anciennes chevilles ouvrières
00:58:27de ce fameux comité des mathématiciens piloté par Laurent Schwartz.
00:58:30Vous avez co-fondé ce comité à l'époque, vous aviez 27 ans,
00:58:34c'est ce qu'il nous a dit dans ce film.
00:58:36– Au début, ça a duré longtemps.
00:58:38– Et votre dernier ouvrage s'intitule
00:58:40« Pour voir clair, zigzag, entre les mathématiques, l'art, la politique et la vie,
00:58:45publié aux éditions du Seuil ».
00:58:47Galia Ackermann est également avec nous.
00:58:49Bienvenue à vous, Galia Ackermann.
00:58:51Vous êtes écrivaine, historienne et journaliste,
00:58:53spécialiste du monde russe et ex-soviétique
00:58:57que vous avez eu l'occasion de rencontrer maintes fois,
00:58:59Léonide Pliouche, en France, dans les années 80.
00:59:02Vous le rencontrez pour la première fois en 1985.
00:59:06Et votre dernier ouvrage s'intitule, lui,
00:59:08« Le Livre noir de Vladimir Putin ».
00:59:11Et votre dernier ouvrage s'intitule, lui,
00:59:13« Le Livre noir de Vladimir Putin »,
00:59:15co-écrit avec votre confrère historien Stéphane Courtois
00:59:20et publié chez Robert Laffont.
00:59:23Et puis enfin avec nous, Laurent Geoffrin.
00:59:25Bienvenue à vous aussi.
00:59:26Vous êtes journaliste, éditorialiste,
00:59:28très bon connaisseur de l'histoire de la gauche française.
00:59:31Vous dirigez le quotidien Le Journal,
00:59:34quotidien numérique à découvrir en ligne,
00:59:36doublé d'ailleurs d'une newsletter.
00:59:38Et votre dernier livre a pour titre
00:59:40« La conquête de la liberté »
00:59:42de Mirabeau à Mitterrand.
00:59:44C'est un ouvrage disponible, lui, aux éditions Talendier.
00:59:48Michel Brouet, on l'a vu, on l'a compris dans ce documentaire,
00:59:51c'est vous qui, le premier,
00:59:53accueillez Léonide Pliouche en France
00:59:55après sa libération en 1976.
00:59:59Vous l'accueillez durant plusieurs semaines,
01:00:01à votre domicile.
01:00:02Deux mois.
01:00:03Deux mois.
01:00:04Est-ce qu'à cette occasion,
01:00:06il s'est confié un temps soit peu
01:00:08sur ce qu'ont été les conditions de sa détention
01:00:10durant quatre ans en Union soviétique,
01:00:12à la fois en prison,
01:00:14puis dans deux hôpitaux psychiatriques,
01:00:16dont l'un en Ukraine ?
01:00:18Est-ce qu'il s'est confié un temps soit peu
01:00:20sur ce qu'ont été ses années de détention ?
01:00:22Il ne s'agit pas de se confier, il suffisait de le regarder.
01:00:24Quand il est descendu du train,
01:00:26il était sorti depuis trois jours de l'hôpital.
01:00:28On avait pris le soin, si je puis dire,
01:00:31de l'habiller avec des boutons de manchette,
01:00:33comme l'a raconté sa femme Tania.
01:00:35Elle s'était pressée de jeter ses habits du KGB.
01:00:38On l'avait bronzé, figurez-vous.
01:00:40On l'avait foutu sur une lampe à bronzer
01:00:42après l'avoir gavé de neuroleptiques.
01:00:44Mais il n'était pas en forme.
01:00:46Il était fatigué.
01:00:47Il voulait surtout se reposer, reprendre ses esprits,
01:00:49dégonfler,
01:00:51à tous les sens du terme.
01:00:53Et donc, ça a été un petit peu pénible,
01:00:55parce qu'il y a eu deux mois,
01:00:57en tout cas un mois,
01:00:59où il fallait le protéger des journalistes.
01:01:01Et nous avions affaire à une campagne
01:01:03avec mon espèce de sambardard de chien,
01:01:05qui était un adorable animal.
01:01:08Il était un chien policier féroce
01:01:12qui mordait les journaux,
01:01:14les cuisses des journalistes.
01:01:16Il ne s'est pas confié.
01:01:18Je l'ai vu, j'ai vécu avec lui.
01:01:20On a vécu avec lui pendant deux mois,
01:01:22donc oui, on l'a connu.
01:01:24Est-ce qu'il avait conscience
01:01:26de la mobilisation qui avait facilité
01:01:28à la fois sa libération,
01:01:30puis son expulsion d'Union soviétique ?
01:01:32Cette fameuse mobilisation,
01:01:34notamment des mathématiciens.
01:01:36Est-ce qu'il en avait conscience ?
01:01:38Il a eu le temps de discuter avec sa femme,
01:01:40et nous étions, nous, en contact
01:01:42avec sa femme quasi direct.
01:01:44On était en contact avec Sakharov,
01:01:46plus exactement avec la femme de Sakharov,
01:01:48Hélène Abonner, qui était en contact
01:01:50avec la femme de Pliouche, Tania Pliouche.
01:01:52Le contact était quasi direct.
01:01:54Il n'a pas pu ne pas le voir,
01:01:56vu que la France, pour ne pas dire le monde entier,
01:01:58a débarqué dans cette petite ville de Seine-et-Marne
01:02:00qui s'appelle Montreau.
01:02:02Ils venaient tous voir Pliouche,
01:02:04essayer de le convaincre de venir chez eux.
01:02:06C'était un peu pénible.
01:02:08J'ai dû refuser à Jean-Daniel
01:02:10de venir prendre son petit-déjeuner.
01:02:12Un certain nombre de journalistes disaient
01:02:14qu'ils allaient prendre leur petit-déjeuner chez eux.
01:02:16Je suis désolé, mais non.
01:02:18Ca a été rappelé dans ce film,
01:02:20mais tout part de Sakharov,
01:02:22qui lui est en Union soviétique.
01:02:24Il n'est pas mathématicien,
01:02:26Sakharov est physicien, père fondateur
01:02:28de Pliouche en 1953.
01:02:30Tout part d'un autre dissident
01:02:32qui lui choisira la résistance intérieure.
01:02:34Il restera en Union soviétique jusqu'au bout,
01:02:36en exil à Gorky,
01:02:38à 400 km de Moscou.
01:02:40Tout part de Sakharov.
01:02:42Il était moins maltraité
01:02:44que les autres parce qu'il était Sakharov.
01:02:46Il a choisi de ne pas se taire.
01:02:48C'est lui qui nous a
01:02:50alertés sur le sort de Pliouche
01:02:52que personne ne connaissait.
01:02:54C'est lui qui nous a poussés
01:02:56à nous occuper.
01:02:58La campagne pour fixer les délais,
01:03:00elle a débuté au printemps 1974
01:03:02à l'appel de Sakharov
01:03:04et elle s'est terminée en janvier 1976
01:03:06quand il a été libéré
01:03:08et il est devenu un personnage public
01:03:10qu'on a bizarrement oublié.
01:03:12On va y revenir.
01:03:14Sur les conséquences que ça a eues,
01:03:16sur l'union de la gauche,
01:03:18sur l'évolution du PC
01:03:20et indirectement sur l'évolution de l'URSS.
01:03:22On va en reparler, je pense.
01:03:24Il y a ce fameux comité des mathématiciens
01:03:26que beaucoup ont sans doute découvert
01:03:28dans ce film.
01:03:30Mais pas seulement.
01:03:32Il y a eu d'autres acteurs
01:03:34qui ont contribué à cette libération
01:03:36et cette expulsion
01:03:38de Léonide Pliouche.
01:03:40Et pas seulement de Léonide Pliouche.
01:03:42En fait, il faut mettre
01:03:44peut-être ce film
01:03:46et l'histoire qu'il raconte
01:03:48tout à fait extraordinaire
01:03:50de Léonide
01:03:52dans un contexte très large.
01:03:54En fait, le public
01:03:56en Occident a commencé
01:03:58à découvrir
01:04:00les dérives, si l'on peut dire,
01:04:02du régime
01:04:04autoritaire, voire totalitaire
01:04:06soviétique.
01:04:08Avec par exemple l'affaire
01:04:10de Pasternak, le docteur Zhivago.
01:04:12Avec l'affaire
01:04:14de Signavski et Daniel
01:04:16qui étaient deux écrivains qui ont envoyé
01:04:18leurs écrits en Occident
01:04:20et ont été condamnés à la prison
01:04:22pour cela, etc.
01:04:24C'est-à-dire qu'en Occident,
01:04:26il y a eu déjà des gens,
01:04:28pas seulement la gauche,
01:04:30mais aussi toutes sortes
01:04:32de personnalités publiques
01:04:34qui s'intéressaient à ce qui
01:04:36se passait en Union soviétique.
01:04:38En 1974,
01:04:40aussi, il y a eu
01:04:42ce qu'on appelle la troisième
01:04:44corbeille des accords d'Helsinki
01:04:46où l'Union soviétique
01:04:48a promis
01:04:50de respecter,
01:04:52il a signé les documents
01:04:54à respecter les droits de l'homme,
01:04:56il n'en était rien.
01:04:58Donc il y a eu tout un mouvement
01:05:00des groupes Helsinki
01:05:02en Union soviétique qui faisaient
01:05:04du monitoring des violations des droits de l'homme.
01:05:06Et donc,
01:05:08si vous voulez, il y avait
01:05:10on peut dire une profusion
01:05:12de comités
01:05:14dont
01:05:16les comités de mathématiciens
01:05:18mais aussi des comités de physiciens
01:05:20mais aussi toutes sortes d'autres comités
01:05:22qui défendaient à la fois
01:05:24les dissidents, ceux qui ont été
01:05:26emprisonnés ou envoyés
01:05:28en asile psychiatrique,
01:05:30ce qui est une
01:05:32forme de torture pire que
01:05:34le camp.
01:05:36Et donc,
01:05:38aussi, les refusniks,
01:05:40c'est-à-dire les juifs
01:05:42qui voulaient quitter l'Union soviétique,
01:05:44là aussi d'ailleurs,
01:05:46les groupes de mathématiciens
01:05:48et de physiciens étaient très actifs
01:05:50dans ce combat. Ensuite,
01:05:52il y avait un combat plus large
01:05:54avec
01:05:56la publication de l'Archipel du Goulag
01:05:58en 1974, quand il y a
01:06:00les nouveaux philosophes qui disent
01:06:02que peu importe
01:06:04que les idéaux, les doctrines
01:06:06des régimes totalitaires
01:06:08sont
01:06:10différents, ce qui compte
01:06:12c'est qu'ils utilisent
01:06:14les mêmes camps
01:06:16et donc la même
01:06:18répression. Ça, c'est
01:06:20Glucksmann et Bernard-Henri Lévy.
01:06:22Et donc...
01:06:24– Ce qu'on appelait les nouveaux intellectuels à l'époque.
01:06:26– Les nouveaux philosophes.
01:06:28– Les nouveaux philosophes, pardon.
01:06:30– Et donc,
01:06:32c'était un contexte
01:06:34de foisonnement quand l'opinion publique
01:06:36française a commencé
01:06:38à se réveiller un peu.
01:06:40Il y avait, bien sûr,
01:06:42les gens de gauche
01:06:44qui ont
01:06:46soutenu ce mouvement,
01:06:48mais il y avait aussi des gens qui n'étaient pas
01:06:50à gauche, mais simplement anti-totalitaire
01:06:52comme Ionesco,
01:06:54comme Raymond Aron,
01:06:56comme André Glucksmann,
01:06:58comme Elie Wiesel,
01:07:00pour parler des étrangers,
01:07:02et beaucoup d'autres.
01:07:04– Et c'était aussi le début d'Amnesty International.
01:07:06– Bien sûr.
01:07:08– Rapidement...
01:07:10– Oui, je voudrais juste faire rebondir sur ce que vient de dire Galia Eckermann.
01:07:12Les mathématiciens sont intervenus,
01:07:14elle a cité le procès Signevski-Daniel,
01:07:16il y a eu
01:07:18le congrès international des mathématiciens,
01:07:20dont on reparlera peut-être, qui a lieu tous les 4 ans,
01:07:22à Moscou. Et lors de ce congrès de
01:07:24Moscou,
01:07:26la médaille fils devait être décernée
01:07:28à Alexandre Grotendieck. Je ne sais pas si quelqu'un ici
01:07:30a entendu le nom d'Alexandre Grotendieck,
01:07:32qui est considéré comme l'un des
01:07:34grands mathématiciens de l'Histoire, disons.
01:07:36Et Grotendieck a refusé
01:07:38d'aller à Moscou recevoir la médaille fils,
01:07:40par solidarité avec Signevski-Daniel.
01:07:42Et c'est Henri Cartan,
01:07:44l'un des membres du comité des mathématiciens,
01:07:46qui est allé prendre la médaille et la lui a ramenée.
01:07:48C'est juste une petite anecdote, mais ça ne date pas,
01:07:50vous voyez, c'était ensemble.
01:07:52– On va voir un extrait du film,
01:07:54nous sommes en octobre 1975,
01:07:56et il y a ce fameux
01:07:58meeting à la mutualité,
01:08:00salle quasi légendaire
01:08:02pour la gauche française,
01:08:04qui organise donc un meeting
01:08:06pour le soutien de Léonide Pliouch.
01:08:08Un point
01:08:10va notamment ébranler la gauche française.
01:08:12Comme le remarquent les journaux,
01:08:14il y a deux absents de marques au meeting,
01:08:16la CGT et surtout
01:08:18le parti communiste français.
01:08:24Pire, les communistes
01:08:26ont organisé un contre-meeting, porte de Versailles.
01:08:28Ils n'ont pas voulu s'associer
01:08:30à une action qui met en cause l'Union soviétique.
01:08:32Laurent Joffrin,
01:08:34ce fameux meeting
01:08:36de soutien
01:08:38qui a lieu à la mutualité,
01:08:40est boycotté à la fois par la CGT
01:08:42et par le parti
01:08:44communiste français, et ça, ça illustre
01:08:46sans doute assez bien les remous
01:08:48qu'allait provoquer non seulement
01:08:50cette affaire Pliouch, mais qui avait sans doute
01:08:52commencé à provoquer aussi l'affaire
01:08:54Alexandre Sotjenitsyn, l'archipel du Goulag
01:08:56évoqué à l'instant par Galia Kamann.
01:08:58Ça a vraiment créé une fissure,
01:09:00cette question des dissidents
01:09:02à gauche française.
01:09:04La dénonciation des exactions soviétiques
01:09:06date de 1920.
01:09:08Déjà,
01:09:10Blum avait dénoncé la dictature
01:09:12du parti.
01:09:14Souvarine était un
01:09:16communiste dissident
01:09:18qui était parti à l'ouest, qui avait raconté tout ça.
01:09:20Orwell l'avait fait.
01:09:22Il y avait plein de gens.
01:09:24Mais c'était assez confidentiel
01:09:26parce qu'il y avait une sorte de candidaton
01:09:28à gauche qui consistait à dire
01:09:30bon, c'est vrai que
01:09:32les bolcheviques et les staliniens ont des méthodes
01:09:34dures, mais c'est le camp quand même
01:09:36du progrès, c'est le camp du socialisme.
01:09:38Donc on n'en parlait pas trop.
01:09:40Et à partir des années 70,
01:09:42après 68 en fait,
01:09:44ce sont des gens de gauche très
01:09:46visibles, ou des journaux
01:09:48ou des institutions qui
01:09:50tout d'un coup
01:09:52mettent le doigt sur la répression
01:09:54en Union soviétique.
01:09:56Donc l'accueil de Solzhenitsyn,
01:09:58par exemple, on aurait pu penser que c'est le Figaro
01:10:00ou je ne sais quel canard de droite
01:10:02qui aurait dit Solzhenitsyn, pas du tout.
01:10:04C'est l'observateur
01:10:06qui publie des papiers interminables
01:10:08sur Solzhenitsyn, et c'est Libération,
01:10:10la première Libération à l'époque,
01:10:12qui fait grand cas de
01:10:14l'archipel de Goulag.
01:10:16Le Goulag est un mot qui avait été popularisé
01:10:18bien avant, dans les années
01:10:2040 par David Rosset, qui était
01:10:22un type de gauche aussi. Mais c'était
01:10:24fait par une espèce de
01:10:26bien-pensance, on pourrait dire,
01:10:28on ne le disait pas à l'époque, mais c'est ça.
01:10:30On n'osait pas trop attaquer l'Union soviétique
01:10:32parce qu'il y avait la guerre du Vietnam,
01:10:34il y avait l'impérialisme américain,
01:10:36la lutte contre le capitalisme, on n'osait pas le faire.
01:10:38Et ces affaires de
01:10:40dissidents, l'affaire Solzhenitsyn,
01:10:42plus toutes celles que vous venez de citer...
01:10:44Moi, j'étais militant socialiste à l'époque,
01:10:46donc on était pour l'Union de la gauche,
01:10:48mais on était contre les communistes.
01:10:50C'était ça, le paradoxe.
01:10:52Le sort des dissidents
01:10:54nous intéressait beaucoup.
01:10:56C'est une manière de dire qu'on veut bien
01:10:58s'allier avec vous, mais il faut que vous abjuriez
01:11:00des dogmes staliniens.
01:11:02Et le Parti communiste était
01:11:04en pleine fêlure, c'est ce que
01:11:06vous avez dit. Il y avait une partie,
01:11:08la majorité du parti, qui voulait garder
01:11:10la ligne ancienne,
01:11:12qui était celle de Thorez et qui était celle
01:11:14de Marchais.
01:11:16C'est-à-dire...
01:11:18Et qui était aussi celle du Parti communiste
01:11:20et de l'Union soviétique.
01:11:22Oui, c'était la même.
01:11:24Sous Thorez, il y avait un agent de l'international
01:11:26qui donnait les ordres directement.
01:11:28Après, il n'y avait plus ça,
01:11:30mais il y avait toujours le lien avec l'Union soviétique.
01:11:32Mais au sein du parti, de manière invisible,
01:11:34il y avait des gens qui disaient
01:11:36qu'on ne pouvait plus faire ça.
01:11:38Si on est intégré dans la vie démocratique
01:11:40de la République française,
01:11:42on ne pouvait plus défendre le goulag.
01:11:44Mais ça, ils ne le disaient pas trop.
01:11:46Il y avait eu Garaudi, qui s'était fait exclure.
01:11:48Là, le vert était dans le fruit.
01:11:50C'est-à-dire frappant
01:11:52pour l'histoire du communisme.
01:11:54C'est un régime
01:11:56qui s'est effondré sur lui-même.
01:11:58Le nazisme, il a fallu aller à Berlin
01:12:00avec des chars pour le faire tomber.
01:12:02Le communisme
01:12:04est un régime, à partir de la mort de Staline,
01:12:06qui n'est plus sûr de lui.
01:12:08Il n'est plus sûr tout à fait de ses idées.
01:12:10Il se pose des questions.
01:12:12On a promis l'émancipation
01:12:14du prolétariat.
01:12:16On a mis des millions de gens
01:12:18dans des camps de concentration.
01:12:20On a promis l'abondance,
01:12:22le bien-être des ouvriers.
01:12:24A l'ouest, on vit beaucoup mieux,
01:12:26y compris les ouvriers.
01:12:28Dans le film, on le voit bien.
01:12:30La femme de Pliouch va faire les courses.
01:12:32Elle dit que dans les magasins, il y a tout.
01:12:34Pourquoi ? Parce que dans les magasins
01:12:36du bloc soviétique, il n'y avait rien.
01:12:38On ne pouvait pas. C'était la pénurie.
01:12:40Qu'est-ce qu'on peut dire des soutiens politiques
01:12:42à ce qui était, vous, votre action
01:12:44de ce comité des mathématiciens ?
01:12:46L'OCI, qui est cité dans ce film,
01:12:48vous a aidé à aider ce comité
01:12:50et les comités qui soutenaient Pliouch
01:12:52à faire ce fameux meeting
01:12:54de la mutualité d'octobre 1975.
01:12:56Qu'est-ce qu'on peut dire
01:12:58du soutien des partis politiques
01:13:00à l'époque ?
01:13:02Pour illustrer ce que vient de dire Laurent Joffrin,
01:13:04on a assisté, cette fois-ci en direct,
01:13:06entre le printemps 1974
01:13:08et le printemps 1976,
01:13:10à l'élargissement de cette fêlure
01:13:12du Parti communiste français
01:13:14et donc, partant, d'une espèce de fêlure
01:13:16dans le Parti communiste d'Union soviétique
01:13:18que ma collègue Sophie Curé,
01:13:20dans le film, on la voit d'ailleurs, rapporte.
01:13:22Il était question de l'affaire Pliouch,
01:13:24moi, j'en reviens pas, j'en reviens toujours pas,
01:13:26à la direction du KGB.
01:13:28Andropov a parlé de l'UE-Campagne
01:13:30que nous menions, c'est pété.
01:13:32C'était dans mon petit garage à Montreux,
01:13:34à tourner ma rodeo, et Andropov en parlait.
01:13:36Mais ça se traduisait très concrètement.
01:13:38En 1974, je me faisais insulter
01:13:40par les membres du Parti communiste,
01:13:42et je, non pas parce que j'avais un rapport
01:13:44avec les trotskistes, parce que je dénonçais
01:13:46les...
01:13:48Si, parce que j'avais un rapport avec les trotskistes,
01:13:50mais aussi, surtout, parce que je dénonçais
01:13:52les conditions de non-démocratie,
01:13:54c'est le moins qu'on puisse dire en Union soviétique.
01:13:56Au printemps 1976, ça a complètement changé.
01:13:58Entre-temps, ça a tourné.
01:14:00Dans l'article de l'Humanité, où on a compris
01:14:02que le Parti communiste était en train de tourner,
01:14:04il était écrit à la fois que le meeting était organisé
01:14:06par des organisations d'extrême droite,
01:14:08ça, c'était les jeunes Ukrainiens, les pauvres,
01:14:10qui visaient l'extrême droite, comme aujourd'hui,
01:14:12mais en même temps qu'il fallait libérer Pliouch.
01:14:14En même temps, il y avait les deux dans l'article de l'Humanité.
01:14:16C'est très symptomatique
01:14:18de ce qui s'est passé en ce moment.
01:14:20On a élargi les phares.
01:14:22C'était lié à l'Union de la gauche aussi.
01:14:24Pour signer le programme commun,
01:14:26il fallait que le Parti accepte
01:14:28la démocratie. Autrement, les socialistes
01:14:30n'auraient jamais signé. Les socialistes sont
01:14:32très conscients des problèmes du stalinisme.
01:14:34Qui a dit que le communiste n'est pas à gauche,
01:14:36il est à l'est. Guy Mollet a dit ça.
01:14:38C'est un socialiste.
01:14:40Les socialistes savaient très bien
01:14:42à quoi s'en tenir avec le Parti communiste.
01:14:44C'est pas réaliste que Mitterrand
01:14:46et le Parti aient dit
01:14:48si on veut gagner, il faut qu'on s'allie avec le PC.
01:14:50En plus, il y avait un droit de nom consistant à dire
01:14:52la classe ouvrière est hors les murs.
01:14:54Elle n'est pas représentée. Donc, on fait l'Union de la gauche
01:14:56comme ça, tous les ouvriers seront au moins
01:14:58représentés par la gauche
01:15:00au gouvernement.
01:15:02Cette volonté
01:15:04d'obliger le Parti
01:15:06à signer des textes
01:15:08où il était question de droit de l'homme,
01:15:10de respect, de liberté de la presse...
01:15:12Parce que Marchand, par exemple,
01:15:14on lui avait posé la question
01:15:16si vous étiez au pouvoir,
01:15:18est-ce que vous pourriez accepter la publication
01:15:20de l'archipel de Goulag
01:15:22et de Sotheby's?
01:15:24Marchand avait répondu
01:15:26bien sûr, il n'aurait pu le publier
01:15:28s'il avait trouvé un éditeur.
01:15:30C'est ça, la phrase.
01:15:34Donc, là, on disait, c'est ridicule.
01:15:36En plus, il y avait un côté ridicule,
01:15:38parce que tout le monde savait ce qui se passait en Urs.
01:15:40Dans les années 30, on ne savait pas très bien.
01:15:42Là, on savait.
01:15:44Quand les communistes défendaient l'Union soviétique,
01:15:46c'était un éclat de rire général.
01:15:48On disait, vous êtes fous, arrêtez avec ça.
01:15:50Et au sein du parti, en plus, ils avaient l'exemple
01:15:52du Parti communiste italien,
01:15:54de ce qu'on appelait l'euro-communisme.
01:15:56L'Italie avait déjà pris des virages
01:15:58avec l'Union soviétique.
01:16:00Et le Parti communiste italien, à l'époque,
01:16:02avait des grands succès électoraux.
01:16:04Il participait de très près à la vie politique italienne.
01:16:06Donc, il y avait des Français
01:16:08dans le Parti communiste français.
01:16:10Alors, ils ne le disaient pas,
01:16:12parce qu'il y avait une espèce de répression permanente.
01:16:14Au fond d'eux-mêmes, ils savaient très bien
01:16:16que Berlinguer avait raison et que Marchand avait tort.
01:16:18Galia Kerman, dans la nécrologie
01:16:20que vous avez consacrée à Léonide Plijus,
01:16:22en 2015,
01:16:24dans la revue Novaya Gazeta,
01:16:26vous dites que Léonide était un gauchiste,
01:16:28un socialiste idéaliste,
01:16:30ce qui le distinguait de nombreux dissidents
01:16:32qui s'étaient installés à Paris.
01:16:34Oui, c'est vrai,
01:16:36parce que, vous savez,
01:16:38pour nous,
01:16:40je suis née et grandie
01:16:42en Union soviétique,
01:16:44pour les gens
01:16:46qui étaient anticommunistes,
01:16:48comme moi,
01:16:50l'idée qu'on puisse défendre
01:16:52l'idéal communiste
01:16:54qui ne s'est jamais réalisé...
01:16:56A l'époque, ça devenait très louche.
01:16:58Ça devenait extrêmement...
01:17:00C'est pas les gens que vous fréquentiez à l'époque.
01:17:02Non, pas du tout,
01:17:04mais ceci dit,
01:17:06vous savez, la plupart des dissidents
01:17:08qui sont arrivés,
01:17:10le cas de Plutch n'était pas un cas unique.
01:17:12Il y avait des dizaines
01:17:14et des dizaines de dissidents
01:17:16qui ont été,
01:17:18simplement, forcés
01:17:20à l'exil.
01:17:22Solzhenitsyn, on l'a mis dans l'avion.
01:17:24Plutch, on l'a transporté
01:17:26direct de l'hôpital psychiatrique.
01:17:28Les autres, on leur disait,
01:17:30c'est la prison où l'exil allait,
01:17:32partait.
01:17:34Et donc, il y avait
01:17:36tout un groupe très important
01:17:38de dissidents,
01:17:40d'écrivains, d'artistes,
01:17:42de peintres, de scientifiques,
01:17:44etc., notamment à Paris.
01:17:46Et la plupart
01:17:48de ces gens n'étaient pas
01:17:50à gauche, il faut le dire.
01:17:52Mais cela n'empêchait pas
01:17:54de mener le combat
01:17:56comment, qu'ils fûtent
01:17:58à gauche ou à droite. Pour nous,
01:18:00ce qui comptait, c'est de combattre
01:18:02la répression et le régime
01:18:04soviétique.
01:18:06Rapidement, il nous reste 6 minutes.
01:18:08Ce que vous racontez, Galia Ackermann,
01:18:10c'est reflété dans le couple Plutch.
01:18:12Ça n'apparaît pas dans le livre.
01:18:14Le maire de Montreau, où Plutch a été
01:18:16accueilli, était communiste, et communiste
01:18:18démocrate. Et il a demandé
01:18:20à rencontrer Plutch pour lui serrer la main.
01:18:22Fureur de Tania Plutch !
01:18:24Tu ne vas pas aller serrer la main d'un communiste !
01:18:26Ils se sont engueulés pendant des jours et des jours
01:18:28parce que Plutch voulait aller serrer la main
01:18:30du maire communiste, et Tania ne le voulait pas.
01:18:32Voilà, ça s'est reflété
01:18:34là. Et quant à
01:18:36l'importance de l'Union de la Gauche,
01:18:38les militants ne le savaient pas, mais les dirigeants le savaient très bien.
01:18:40En 1974,
01:18:42j'étais un tout jeune mathématicien
01:18:44inconnu, mais qui s'occupait du comité Plutch ?
01:18:46J'étais reçu en tête à tête par François Mitterrand
01:18:48avant son voyage en URSS.
01:18:50Et lui, il sentait
01:18:52ce qui se passait.
01:18:54On va parler de la prélibération
01:18:56parce que Léonide Plutch
01:18:58est tombé amoureux de la France, d'une certaine
01:19:00manière. Il n'a plus jamais quitté la France.
01:19:02Il n'est même pas retourné en Ukraine
01:19:04une fois l'indépendance de l'Ukraine déclenchée
01:19:06en 1900. En tout cas, pas installée
01:19:08en Ukraine. Et il est bien
01:19:10installé en France. Il ira
01:19:12notamment à Nanterre,
01:19:14qui accueillera un certain nombre de personnalités
01:19:16issues de la diaspora ukrainienne.
01:19:18Notamment, sur cette
01:19:20prélibération, la manière dont il l'a vécue,
01:19:22ce qui a été son partour par la suite,
01:19:24qu'est-ce qui vous frappe le plus,
01:19:26vous, Michel Boué ?
01:19:28C'est sa continuité. Et en particulier
01:19:30son nationalisme au sens
01:19:32noble du terme. Le nationalisme
01:19:34peut être cracra, mais le nationalisme ukrainien
01:19:36était
01:19:38quelque chose qui l'a fait vivre jusqu'au bout.
01:19:40Au moment de la Première Révolution,
01:19:42il me téléphonait l'un après l'autre
01:19:44en disant, fais quelque chose. Mais oui, mais bon...
01:19:46On peut faire quelque chose
01:19:48pour un mathématicien emprisonné, on peut pas
01:19:50faire quelque chose pour un peuple emprisonné.
01:19:52Et il s'engage résolument dans la lutte
01:19:54pour les droits de l'homme, néanmoins.
01:19:56Il prend la défense des votes pipaule vietnamien.
01:19:58Il est d'un certain nombre de ses combats.
01:20:00Sur l'Ukraine,
01:20:02c'est important parce que
01:20:04il écrira un livre sur l'Ukraine.
01:20:06Et d'ailleurs, vous lui avez soufflé à l'oreille
01:20:08d'écrire ce livre
01:20:10qui s'intitule A nous l'Europe.
01:20:12C'est un plaidoyer en faveur de l'intégration européenne
01:20:14de l'Ukraine.
01:20:16C'était prémonitoire.
01:20:18C'était complètement prémonitoire,
01:20:20mais il faut quand même revenir
01:20:22un peu sur l'histoire de Plutch.
01:20:24Parce que Plutch, avant
01:20:26son arrestation, avant son
01:20:28envoi dans un hôpital psychiatrique,
01:20:30il était déjà actif
01:20:32dans la lutte
01:20:34pour les droits de l'homme.
01:20:36Et en Ukraine, la situation était très particulière.
01:20:38Il y avait tout un mouvement
01:20:40de l'intelligence ukrainienne
01:20:42pour le droit tout simplement d'écrire
01:20:44dans leur langue.
01:20:46Parce que la langue elle-même était opprimée.
01:20:48Le sentiment
01:20:50national ukrainien a été opprimé.
01:20:52Et donc, Léonide,
01:20:54il a servi en quelque sorte,
01:20:56il a fait de la navette
01:20:58entre Moscou et Kiev
01:21:00et il a rapproché,
01:21:02il a servi
01:21:04de messager entre
01:21:06les dissidents,
01:21:08les opposants
01:21:10de Russie, essentiellement Moscou,
01:21:12et les opposants de Kiev.
01:21:14Et quand
01:21:16il est installé
01:21:18en Anterre,
01:21:20comme d'ailleurs, je ne sais pas pourquoi,
01:21:22mais c'était le cas de beaucoup de gens
01:21:24qui ont fait des études
01:21:26de mathématiques, de physique, d'ingénieurs,
01:21:28qui se sont intéressés
01:21:30après, complètement,
01:21:32sont versés dans les sciences humaines.
01:21:34Et donc,
01:21:36lui, il s'intéressait énormément
01:21:38à la culture ukrainienne.
01:21:40Il a fait des livres qui ont été publiés
01:21:42en Ukraine, parce qu'il les a écrits
01:21:44en ukrainien, sur
01:21:46les grands écrivains
01:21:48ukrainiens, des analyses
01:21:50très fines.
01:21:52Et ce livre que
01:21:54vous avez montré, l'Ukraine à nous l'Europe,
01:21:56c'est un livre qui
01:21:58retrace et réinterprète
01:22:00l'histoire ukrainienne
01:22:02pour montrer que
01:22:04l'Ukraine fait partie de l'Europe.
01:22:06Et ça, c'était quelque chose
01:22:08dont, à l'époque, on n'entendait pas encore
01:22:10parler. Dans ce sens, oui,
01:22:12il a été prémonitoire.
01:22:14– Elle vous inspire quoi, cette histoire
01:22:16Plioutsch ? Après sa libération,
01:22:18après ce parcours, etc., ça illustre
01:22:20quelque chose ? – Une frappe, c'est une chose
01:22:22qu'on ne souligne pas assez, c'est la force
01:22:24d'une idée.
01:22:26Parce qu'en principe, l'Union soviétique,
01:22:28ça ne pouvait pas tomber.
01:22:30On a pareil l'État, une armée surpuissante,
01:22:32un parti qui contrôlait les
01:22:34moindres aspects de la vie sociale.
01:22:36Et pourtant, il y a d'autres facteurs qui ont joué,
01:22:38notamment l'échec économique,
01:22:40mais c'est quand même la force de l'idée.
01:22:42C'est pour ça que les dictateurs
01:22:44ont peur des idées.
01:22:46Mais cette idée de droit de l'homme, qui est une flamme
01:22:48toute fragile, et qui
01:22:50trotte dans la tête des gens, et qui n'a pas
01:22:52d'existence concrète, souvent,
01:22:54ça finit par
01:22:56lézarder les édifices
01:22:58les mieux construits.
01:23:02Comme l'étincelle de l'idée,
01:23:04ça finit par faire tomber le système.
01:23:06Encore une fois, le système est tombé.
01:23:08Là, on a vu Andropov.
01:23:10Andropov a succédé après Genève.
01:23:12Et il avait été le patron du KGB,
01:23:14précédemment.
01:23:16Le KGB était l'endroit où on connaissait le mieux
01:23:18les faiblesses du système soviétique.
01:23:20Quand Andropov est arrivé, il a commencé
01:23:22à dire qu'il fallait peut-être qu'on réforme,
01:23:24et il a facilité la prise
01:23:26de pouvoir par Gorbatchev, qui, lui, était
01:23:28un communiste
01:23:30convaincu, mais qui était
01:23:32crouchevien, au départ.
01:23:34Là aussi, c'était souterrain, parce que dans le monde soviétique,
01:23:36tout est caché, tout est secret.
01:23:38Et puis, arrivé au pouvoir,
01:23:40il a fini par dire, maintenant, on va appliquer
01:23:42nos idées de liberté.
01:23:44Parce que le communisme, ça doit être la liberté.
01:23:46Et donc,
01:23:48c'est la force autonome de l'idée
01:23:50qui est incroyable.
01:23:52Et puis, dernière question,
01:23:54est-ce qu'il y a encore des dissidents ?
01:23:56Est-ce qu'il y a encore des comités de mathématiciens
01:23:58qui se mobilisent
01:24:00en faveur d'un certain nombre de dissidents,
01:24:02de mathématiciens dissidents
01:24:04dans d'autres pays du monde,
01:24:06aujourd'hui, en 2025 ?
01:24:08Oui, bien sûr. Il n'y a pas des comités de mathématiciens.
01:24:10Il y en a un. Le monde mathématique est unique.
01:24:12Celui-là ? Non, ce n'est pas le même.
01:24:14Il n'a pas constitué les mêmes individus.
01:24:16Les mêmes ne sont pas très actifs.
01:24:18Il y a en particulier
01:24:20un jeune mathématicien russe
01:24:22qui s'appelle Atsat Miftakov,
01:24:24qui a été emprisonné sur une provocation
01:24:26énorme. On l'a condamné à six ans de camp
01:24:28pour avoir cassé une vitre.
01:24:30Il vit dans des conditions épouvantables. Bien sûr qu'on continue.
01:24:32Bien sûr.
01:24:34Et aussi, je voudrais dire que,
01:24:36en référence au combat de Pliuch
01:24:38et de l'Ukraine,
01:24:40non seulement hier soir, j'ai rencontré sa petite-fille,
01:24:42Julie, qui est la seule Julie Pliuch
01:24:44qui reste de sa famille,
01:24:46mais c'est avec elle que j'ai manifesté
01:24:48contre l'invasion de l'Ukraine, il y a deux ans.
01:24:50Voilà. On en restera là ? C'est le mot de la fin ?
01:24:52Avec un grand merci, vraiment,
01:24:54à tous les trois.
01:24:56Après ce documentaire,
01:24:58dans ce Débat Doc consacré
01:25:00à ces mathématiciens qui ont fait
01:25:02plier le Kremlin,
01:25:04un formidable documentaire signé
01:25:06par Matthieu Schwarz,
01:25:08vos réactions, ça sera sur hashtag
01:25:10Débat Doc. Merci aussi à
01:25:12Félicité Gavaldar, Victoria Bellé,
01:25:14qui, comme à l'accoutumée, m'ont aidée à préparer
01:25:16cette émission, et je vous donne tout simplement rendez-vous
01:25:18pour un prochain Débat Doc, ça sera bien entendu
01:25:20avec son documentaire
01:25:22et son débat. A très bientôt.

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