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LCP fait la part belle à l'écriture documentaire. Elle offre une approche différenciée des réalités. Il y est question d'Histoire, de géopolitique, de société, de politique...

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00:00Dès leur arrivée au pouvoir, en janvier 1933, les nazis ont voulu mettre en ordre l'image que le monde avait d'eux.
00:19Les villes comme les rues sont devenues des décors de défilés et de rituels, joués et rejoués.
00:25Un spectacle permanent, durant lequel les nazis célébraient une communauté du peuple, imaginaire, basée sur la suprématie d'une race, aryenne, blanche et non-juive.
00:41Parmi la foule des spectateurs, il y avait des centaines de journalistes étrangers qui ont couvert la naissance de ce nouveau régime.
00:49Si certains d'entre eux ont accepté les règles comme les secrets des nouveaux maîtres de l'Allemagne,
00:54d'autres ont fait le choix de raconter le hors-champ de la dictature, au risque d'être reconduits à la frontière, comme ce journaliste britannique.
01:18Presque un siècle plus tard, que nous apprennent ces articles lus et publiés à l'aube du Troisième Reich ?
01:25Que savait-on de la vie des allemands, partisans comme ennemis du régime ?
01:30Qu'est-ce qui a été dit et caché des premiers mensonges et crimes d'Hitler, avant la guerre, avant la catastrophe ?
01:48L'histoire des partisans nazis
01:5810 février 1933. Les partisans nazis se retrouvent une nouvelle fois au Sportpalace de Berlin.
02:05Dès sa nomination à la chancellerie, leur chef, Adolf Hitler, a obtenu du président Hindenburg la dissolution du Parlement.
02:14Mais à quelques jours du scrutin, en pleine nuit, le Reichstag, symbole de la République de Weimar, sombre dans les flammes.
02:23Dès l'aube, les journalistes étrangers sur place transmettent leurs articles par téléphone à leur rédaction.
02:30Parmi eux, le correspondant permanent du Chicago Daily News, l'américain Edgar Hansel Maurer.
02:3828 février 1933. Le Reichstag allemand a été ravagé par les flammes la nuit dernière.
02:46On prétend que l'incendie serait l'oeuvre d'un incendiaire néerlandais, Marinus van der Leube, membre du Parti Communiste.
02:55On suppose qu'il aurait réussi à se faufiler ou aurait été introduit par des amis du parti dans le bâtiment du Reichstag, qui est très soigneusement surveillé.
03:04Le chancelier Adolf Hitler, le viche chancelier Franz von Papen et le ministre Hermann Göring sont personnellement arrivés sur les lieux du bâtiment en flammes en un temps record.
03:16Alors que des communistes individuels exprimaient leur totale incrédulité quant au fait que leur parti puisse avoir eu quelque chose à voir avec un incendie criminel, le gouvernement a agi avec une énergie inattendue.
03:30Cet incendie du Reichstag va donner le prétexte aux nazis de faire tomber la chape de plomb de la dictature.
03:37De quelle manière ? Le lendemain, le 28 février 1933, le président du Reich, poussé par son chancelier Hitler, va signer une ordonnance sur la protection de l'État et du peuple allemand.
03:52Cette ordonnance, elle abroge un nombre considérable de libertés individuelles, la liberté de réunion, la liberté de la presse. Elle autorise l'État à non seulement mettre en détention les gens, mais à faire des fouilles chez eux, etc.
04:10Pendant les cent premiers jours, mais on peut l'élargir aussi à toute l'année 1933, le régime nazi va vraiment cibler les opposants politiques et s'émet la terreur.
04:24La répression contre les communistes, les syndicalistes, les socialistes, allemands non juifs ou allemands juifs sera féroce.
04:34Et portée notamment par les paramilitaires SA qui là vont vraiment passer à des méthodes de torture, à des incarcérations sans fondement juridique.
04:48Dans cinq jours auront lieu des élections, au cours desquelles le parti d'Hitler espère, avec ses alliés nationalistes, obtenir une majorité complète, ce qui leur permettrait de concrétiser leur revendication pour quatre années de règne ininterrompue.
05:02Le 5 mars 1933, les bureaux de vote ouvrent. Près de douze millions d'Allemands votent pour des candidats communistes et sociodémocrates. Un score insuffisant pour renverser le gouvernement d'Hitler qui obtient le vote des pleins pouvoirs.
05:25Progressivement, par décret successif, la dictature s'abat sur l'ensemble du Reich et détruit peu à peu la république de Weimar. Quelques touristes se retrouvent pris dans la nasse du nouveau régime. La presse internationale s'en fait l'écho.
05:43Wolf, qui est venu en Allemagne il y a trois semaines pour une visite, a juré qu'à 5h du matin, samedi, cinq hommes en uniforme ont fait irruption dans sa chambre, l'ont battu et l'ont emmené dans un endroit qu'ils pensaient être le quartier général des nazis.
05:58Là, ils l'ont retenu prisonnier, ligoté et baillonné dans une pièce sombre pendant deux heures. Puis, ils lui ont fait signer une déclaration comme suit. « Je suis juif. Je partirai pour Paris par le premier train. Je promets de ne plus jamais revenir en Allemagne. Aucune violence n'a été commise et aucun bien ne m'a été enlevé. »
06:22La SA a ouvert, dès fin janvier 1933, plusieurs centaines de camps de concentration sauvage, dans des caves, dans des cinémas, dans des entrepôts, dans des brasseries, dans des locaux commerciaux, au cœur même des villes, où elles se livraient à toutes sortes d'exactions.
06:39Ils l'ont ensuite emmené en voiture dans la forêt de Grönwald, dans la banlieue ouest de Berlin. Wolf a juré et a été jeté hors de la voiture. Il est retourné au consulat général, a rapporté l'affaire et est reparti. Wolf aurait admis avoir fait des remarques défavorables sur Hitler, en public, avant l'agression.
07:01« C'était désastreux en termes de politique de communication à l'égard de la population allemande et à l'égard de l'étranger, dans la mesure où la hiérarchie nazie voulait se poser en pacificatrice et ordonnatrice du pays. »
07:16De ces violences des groupes SA nazis, il demeure quelques images. Cet homme était député social-démocrate. Cela nettoie des tags anti-hitlériens. Celui-ci, enfin, aux pantalons coupés, était avocat, allemand et juif.
07:37Alors qu'il était venu porter plainte, on le tabassa, puis le jeta dans la rue avec cette pancarte « Je ne me plaindrai plus à la police ». De nombreux journaux américains choisissent cette photo pour illustrer la terreur nazie.
07:52On sait ce qui se met en place. On sait les premières mesures de persécution, les vitrines cassées, etc. Il y a des images fortes, l'humiliation des juifs, les premières mesures d'exclusion sociale, qui sont doublées par la mise en place d'un régime, d'une vraie dictature. Donc tout ça, je pense, est facilement assimilé, en fait, par l'opinion publique.
08:18Sa propre image à l'étranger est très importante pour le régime. C'est pourquoi on crée le ministère de la propagande, avec Goebbels comme nouveau ministre, et qu'on le dote de ressources financières abondantes. Le principal objectif est avant toute chose de rayonner vers l'extérieur.
08:36C'est une mission qu'il va remplir avec un immense talent, puisque c'est quelqu'un d'extrêmement intelligent. C'est le seul diplômé de l'enseignement supérieur du cercle dirigeant en Asie. Il est docteur en littérature et il est responsable de la propagande du parti nazi depuis quelques années à l'échelle du Reich.
08:51Donc là, il prend possession d'un ministère que l'on crée pour lui, et en l'occurrence, il va donner à voir le monde tel que les nazis veulent qu'on le voit.
09:01Pour cela, le gouvernement publie un décret qui condamne toute personne faisant des déclarations susceptibles de nuire au Reich. Les Allemands sont réduits au silence. Les journalistes étrangers, eux, perdent leurs témoins, comme le souligne la plume à serbes d'Edgar Hanselmaurer.
09:24De toute évidence, avec le pouvoir entre ses mains, selon cette disposition de décider ce qui est vrai ou non, le gouvernement pourrait être encore plus efficace pour empêcher la connaissance de la barbarie récente à la majorité des Allemands.
09:40Parallèlement à l'annonce de ces décrets, une campagne fantastique est menée pour discréditer les correspondants des journaux étrangers en Allemagne, accusés d'exagérer à l'infini l'abomination dans le pays.
09:54Edgar Maurer, finalement, par rapport à la communauté des journalistes occidentaux à Berlin, c'est l'exception. C'est-à-dire, c'est celui qui ne va pas jouer le jeu. Dès avant l'arrivée des nazis au pouvoir, il va écrire un livre dans lequel il raconte la pression quotidienne que font peser les SA à Berlin et dans toutes les villes de l'Allemagne, d'ailleurs.
10:14Donc déjà, quand ils arrivent au pouvoir, les nazis l'ont dans le collimateur, celui-là. Ils ont décidé de se le faire.
10:21Après l'accession au pouvoir de Hitler, la pression sur les journalistes étrangers en Allemagne s'est bien sûr accrue.
10:30Le régime a ainsi pris toutes sortes de mesures pour surveiller les téléphones et les télégrammes.
10:37Certains journalistes avaient même l'impression que leur domicile était fouillé lorsqu'ils n'étaient pas chez eux.
10:44Alors que dans les premiers mois du nazisme, on pouvait imaginer que des opposants se retrouvent la nuit, notamment dans le jardin zoologique de Berlin, à la faveur de l'obscurité, pour se passer des notes, des pièces, des infos.
11:03À partir d'un certain moment, c'est terminé.
11:05En ce printemps 1933, l'impact des articles des correspondants américains, dont ceux de Maurer, donne naissance à un mouvement de protestation sans précédent contre l'Allemagne nazie.
11:18Le 27 mars, plus de 50 000 personnes se retrouvent au Madison Square Garden.
11:23Face à l'émotion internationale, le ministre de la propagande allemand, Joseph Goebbels, imagine un coup de force politique et médiatique.
11:32Hitler et Goebbels, complètement pris dans leur paranoïa antisémite, estiment qu'évidemment, la presse internationale est tenue par les juifs.
11:40Pour eux, c'est complètement logique, et donc leur idée machiavélique, qui aujourd'hui apparaît comme totalement folle, c'est de dire,
11:46Le 1er avril 1933, Joseph Goebbels ouvre symboliquement la journée de boycott contre les magasins juifs d'Allemagne.
11:56Dans les rues des grandes villes, des dizaines de journalistes et envoyés spéciaux s'éloignent de l'hôpital,
12:02pour s'assurer qu'il n'y ait pas d'attaquants.
12:04Joseph Goebbels ouvre symboliquement la journée de boycott contre les magasins juifs d'Allemagne.
12:11Dans les rues des grandes villes, des dizaines de journalistes et envoyés spéciaux étrangers sont là,
12:17dont l'écrivain français Roger Vaillant, présent à Francfort pour Paris Soir.
12:23Voici comment cela se passa.
12:25Devant chaque porte de magasin juif, c'est-à-dire devant deux portes sur trois, il y eut soudain un nazi en uniforme.
12:32Les uns très jeunes, presque des enfants, souriaient aux jeunes filles et rougissaient si elles les regardaient avec insistance.
12:40D'autres aux visages ridés, dignes comme des magistrats.
12:44Tous graves et un peu solennels.
12:48La scène à laquelle Vaillant assiste et qui m'a frappé, c'est qu'il y a une armoire à glace qui se trouve devant la porte du magasin.
12:56Arrive une jeune femme, 18-20 ans, le SA lui dit n'entrez pas.
13:02Et Vaillant voit le SA rougir, manifestement intimidé par ce contact avec une jeune femme qu'il ne sait pas très bien comment appréhender.
13:13Des passants firent brusquement cercle.
13:15La jeune fille n'avança plus, ne rentrant pas non plus.
13:19Elle resta là, immobile.
13:21Alors le nazi lui dit, vous êtes libre d'entrer tout de même si vous le voulez.
13:26Elle hésita encore un peu, puis soudain entra résolument.
13:31Le nazi resta immobile et silencieux.
13:33Le cercle des passants se dissipa.
13:37Comme il est écrivain, il aime bien cette scène, donc il en fait un peu le moment fort de son reportage.
13:43Et du coup évidemment ça atténue totalement pour les lecteurs la portée historique de ce boycott.
13:50Mais comment on peut lui reprocher ?
13:52Ça aujourd'hui, presque un siècle plus tard évidemment, avec dans la tête et dans les yeux tout ce qui s'est passé depuis.
13:59Mais sur le moment il n'en perçoit pas la portée politique.
14:04J'ai eu l'impression d'une grande manifestation totale.
14:08La foule, les spectateurs étaient très paisibles.
14:11Les hitlériens jouaient leur rôle très sérieusement.
14:14La mise en scène avait été minutieusement réglée.
14:18De grandes autos, pavoisées de drapeaux rouges à la croix gammée, passaient lentement avec des pancartes sur lesquelles on lisait
14:25« n'achetez pas dans les magasins juifs ».
14:29À midi dans les milieux officiels, on nous dit qu'aucun incident ne s'est encore produit dans la ville.
14:35Il ne s'agit d'ailleurs aujourd'hui que du prologue.
14:40Ce qui est clair c'est que c'est la volonté du parti, que ce soit calme et bien huilé.
14:44Parce que ce que détestent les nazis, ça peut paraître paradoxal, c'est les effusions de violences, le sang.
14:49Ils veulent montrer qu'ils sont capables de régler ce que eux-mêmes appellent la question juive
14:55d'une manière rationnelle, dépassionnée et organisée.
15:00Mais ensuite il faut toujours se méfier.
15:02C'est des images de propagande et donc on sait que pour ce boycott, comme pour d'autres événements,
15:06il y a évidemment des formes de violence mises en place par le parti, par en bas, les militants, mais aussi par la population.
15:13Le boycott des commerces juifs qui commence dès 1933
15:18est une sorte de test pour la presse allemande qui s'exprime encore contre le régime
15:24et qui doit être mise au pas.
15:27Et bien sûr aussi pour la presse étrangère qui produit des récits hostiles au régime.
15:33C'est-à-dire qu'il y a une sorte de guerre journalistique entre la presse américaine et la presse allemande.
15:39Et le régime observe.
15:43Dans les jours qui suivent, plusieurs journaux internationaux racontent le hors-champ du boycott.
15:50C'est le cas du Manchester Guardian.
15:53Il n'est pas vrai que la terreur brune a cessé.
15:57Dans un village, une femme qui tenait une auberge fréquentée par des hommes du Reichsbanner
16:02a été traînée dans les rues après que ses cheveux ont été coupés.
16:08A Worms également, un certain nombre de juifs ont été arrêtés,
16:12enfermés dans une porcherie et battus sur les fesses.
16:16Ensuite, on les a fait se frapper mutuellement.
16:22Le 7 avril, jour de la promulgation d'une loi qui exclut les juifs de la fonction publique,
16:28Adolf Hitler s'adresse aux diplomates.
16:31En costume, le chancelier décrit la révolution nazie et tempère ses excès.
17:02Comme on le constate au fil des ans, le national-socialisme devient avec le temps
17:08un mouvement transnational et finalement mondial.
17:12Hitler a l'intention notoire de conquérir le monde sur le plan politique et militaire.
17:19Il cherche aussi à le conquérir sur le plan médiatique
17:24et donc relativement tôt à gagner des batailles sur ce front.
17:29Il veut remporter ses victoires avant que n'éclate la véritable guerre.
17:36Dans les rangs des partisans et des compagnons internationaux,
17:39quelques journalistes étrangers acceptent de se prêter au jeu de la propagande.
17:59Les nazis n'ont pas eu à faire beaucoup d'efforts, au fond, pour imposer leur vision du monde,
18:05en l'occurrence ici leur vision de la biologie, du peuple, de la race.
18:08Ça a été leur très grande force que de faire fond sur des idées très banales, très courantes,
18:15non seulement en Allemagne mais dans tout l'Occident européen et nord-américain.
18:20Plusieurs patrons de presse américains, notamment,
18:22viennent visiter l'Allemagne au cours de l'année 1933 et sont impressionnés.
18:28Sont impressionnés par une Allemagne qui se remet au travail, par une Allemagne où règne l'ordre.
18:34Ça leur plaît, ça, à des patrons capitalistes.
18:38On a un certain nombre d'exemples qui seront racontés aujourd'hui,
18:41mais ce n'est pas la première fois que l'Allemagne,
18:44Ça leur plaît, ça, à des patrons capitalistes.
18:48On a un certain nombre d'exemples qui seront racontés ultérieurement dans les souvenirs,
18:52de débats entre les journalistes sur place et leurs patrons,
18:56les journalistes disant, attention, il y a quand même des problèmes avec l'opposition,
19:02avec les juifs, et les patrons disant, moi, ce que je vois, c'est un pays formidable où l'ordre règne.
19:09Parmi les expériences nazies qui soulèvent la curiosité de la presse internationale,
19:13il y a les camps de concentration.
19:17Ouverts depuis mars 1933, la dictature nazie y organise des visites pour certains journalistes étrangers.
19:27Aujourd'hui, cela semble étrange que le régime nazi n'ait pas fait des camps de concentration à sujet de tabous.
19:36On voulait faire preuve d'une certaine transparence.
19:40C'était bien sûr des villages Potemkin.
19:42Quand les journalistes étrangers venaient visiter les camps de concentration,
19:46tout y était merveilleux et magnifique.
19:52On vendait les camps aux journalistes étrangers comme des centres de redressement pour les égarés politiques.
20:01Ces ennemis du régime, les sociodémocrates, les communistes, les syndicalistes, les juifs, etc.,
20:06qui sèment le chaos en Allemagne, sont ramenés à la raison et à récipissance
20:12dans le cadre d'un lieu parfaitement géométrisé, ordonné,
20:17où on fait de la gymnastique obligatoire le matin, où l'on est astreint à un travail,
20:22astreint à la discipline, à la propreté, etc.
20:26C'est un véritable lieu de promotion de la volonté et des réussites du régime.
20:32On a des photographies officielles qui sont véhiculées dans la presse,
20:37où on voit justement l'appel, par exemple.
20:41On voit aussi l'espace où ils vivent.
20:46On laisse un tout petit peu entrevoir ce qu'est un camp de concentration.
20:51C'est d'un côté une volonté aussi pour communiquer la terreur et s'aimer la terreur,
20:56mais d'autre côté aussi, ce n'était pas aussi réfléchi.
21:01On teste un peu ce que ça donne dans la société civile nazie.
21:06Une promotion éphémère qui ne dure que le temps des premiers mois.
21:10Pour entendre des voix discordantes sur les camps, c'est dans la presse militante qu'il faut se plonger.
21:15Dans la presse française engagée contre le régime hitlérien,
21:19il y avait le populaire, dirigé alors par le socialiste Léon Blum.
21:24En juin 1933, c'est lui qui envoie Daniel Guérin chercher les dernières voies de l'autre Allemagne.
21:36À quelques centaines de kilomètres d'ici, des hommes comme nous se meuvent dans un autre monde,
21:42un monde fermé, où rien de ce qui compose nos habitudes de penser, de sentir, de combattre, n'est plus admis.
21:49Un socialiste voyageant aujourd'hui de l'autre côté du Rhin,
21:53a comme l'impression d'explorer, après un tremblement de terre, une cité en ruine.
21:58La peste brune a passé par là.
22:03Ce qui est intéressant dans le cas de Daniel Guérin, c'est qu'on a là quelqu'un qui vient en électron libre un peu.
22:10Il vient, il va rester plusieurs semaines, un mois, et puis après il repart.
22:13Il a une liberté pour raconter ce qu'il a vu, que n'ont pas les journalistes en poste à Berlin,
22:23qui doivent gérer les rapports avec le pouvoir nazi jour après jour,
22:29et qui sont toujours sous le coup d'une menace latente d'expulsion.
22:36Dans son périple, il fait d'abord face à la révolution nazie.
22:39Il s'infiltre dans ses lieux, interroge ses jeunes partisans, se plonge dans la littérature et les chants du régime.
22:46Au cinquième jour, le journaliste français croise un ami révolutionnaire, étudiant en droit, dont il fait le portrait.
22:55Je ne doute pas à l'instant qu'il soit resté fidèle à ses convictions.
22:59Pourtant, quel étrange décor.
23:02Sur la table, sur le lit, sur le plancher, il n'y a rien.
23:05Ce que cela signifie ?
23:08Mon pauvre vieux, mais tout simplement que je prépare des examens de droit.
23:12Parfaitement.
23:14Tu sais ou tu ne sais pas que pour être un juge allemand, il faut avoir compris l'essence intime du national-socialisme.
23:22Alors tu comprends, ces messieurs vont me faire subir un interrogatoire de cinq heures sur cette essence intime.
23:28Et je m'y prépare.
23:30La question qu'on doit se poser, c'est aussi, qui est un nazi ?
23:34Est-ce qu'un nazi, c'est une personne qui fait, qui est membre du parti nazi ?
23:40Ou être nazi, est-ce que ça signifie se comporter en nazi, faire du nazisme dans la vie quotidienne ?
23:50Si on choisit cette dernière définition, on ne peut pas dire qu'on est un nazi.
23:56Si on choisit cette dernière définition, alors évidemment, on doit dire que la majorité de la société allemande était nazie.
24:05Parce qu'on commence à s'adapter.
24:10C'est justement là où on peut dire que les gens font le nazisme.
24:15Et peu importe s'ils sont convaincus ou pas, rien par le fait d'assister à un tel spectacle,
24:21donnent de la légitimité à ce régime et contribuent à cette hégémonie qui devient la culture nazie.
24:38Après plusieurs semaines de divagation, à Hambourg, près des chantiers des grands ports et dans les vieilles rues des quartiers d'Altona,
24:46Daniel Guérin pense trouver enfin l'autre Allemagne.
24:52Soudain, sur le trottoir, de grandes lettres blanches fraîchement tracées.
24:57Le communisme vit.
25:01Et si vous pénétrez dans les impasses nauséabondes, sous les voûtes obscures, vous pouvez lire sur tous les murs de semblables inscriptions.
25:08« Abba Hitler, vive la révolution ! »
25:13Dès l'hiver 1933, la vie publique est impossible pour un opposant au régime.
25:19Et singulièrement pour un syndicaliste et un militant de gauche.
25:24Vous avez des militants de base ou des sympathisants de base qui peuvent pratiquer non plus de la politique, mais de l'infrapolitique.
25:32Du graffiti, du papillon, distribué sous forme de papier, parfois même rédigé à la main,
25:39qui peut également rester bras croisés lors d'une cérémonie où tout le monde est censé tendre le bras dans le salle du nazi.
25:49Donc vous avez tous ces éléments d'un registre infrapolitique qui sont mobilisés par des gens qui,
25:59très courageusement, veulent montrer qu'il existe une autre Allemagne, qu'elle est dormante peut-être,
26:07parce qu'écrasée par une chape de plomb et par une botte, mais qu'elle demeure.
26:12Le 14 juillet 1933, le mouvement national-socialiste devient le seul parti autorisé sur l'ensemble du Reich.
26:21Toute critique se limite désormais aux secrets des maisons et à l'intimité.
26:28Les journalistes étrangers les plus virulents, eux, sont expulsés.
26:33Après des semaines de pression et de menaces, Edgar Hanselmorrer quitte l'Allemagne,
26:37en août 1933.
26:40L'expulsion de Morrer va avoir un effet dissuasif très fort sur la communauté des correspondants occidentaux à Berlin,
26:50en leur montrant bien qu'il y a certaines limites qu'il ne faut pas franchir.
26:56L'expulsion doit rester le dernier recours.
26:59On ne peut pas l'utiliser de manière inflationniste et se débarrasser constamment de tout le monde.
27:03On tolère donc de nombreux articles critiques et négatifs.
27:08Mais disons qu'il est toujours judicieux, deux à trois fois par an, d'expulser quelqu'un.
27:13Cela arrive toujours.
27:33La vérité, qui est parfois inattirable pour certains,
27:37et je suis convaincu que si je n'étais pas un sujet britannique,
27:41je n'aurais pas passé dix jours en prison, peut-être plusieurs mois, sans jamais être mis au trial.
27:48C'est une caractéristique des conditions de l'Allemagne moderne,
27:54sur laquelle je pense que le monde ne sait pas trop.
27:57À l'automne 1933, Joseph Goebbels se rend à Genève, au siège de la Société des Nations.
28:28Hitler est présenté, et se présente lui-même à la presse internationale,
28:32dans des grands entretiens très complaisants, qui font la une de journaux français, britanniques, américains.
28:38Il se présente comme la Friedenskanzler, le chancelier de la paix.
28:42Et l'argumentation est très convaincante.
28:44Je suis un ancien combattant, j'ai connu l'horreur des tranchées, plus jamais ça.
28:53Et c'est évidemment ce que l'on a envie d'entendre à l'étranger.
28:57Donc on achète ça, on le reçoit et on l'accepte.
29:01Parce que c'est doux aux oreilles d'opinions publiques,
29:05qui évidemment sont horrifiées par une guerre qui a fait 20 millions de morts,
29:09et qui est au fond la venveille.
29:15Donc les nazis, c'est la paix, disent-ils.
29:19La guerre, c'est les juifs, c'est les communistes, c'est les sociodémocrates.
29:24Et ça, c'est parfaitement reçu à l'étranger.
29:28Hitler manie avec un cynisme absolu, un double standard,
29:33dans la parole, toujours apaisé, toujours dire que tout va bien aller,
29:38toujours appeler à la paix et faire exactement l'inverse dans les actions.
29:41En fait, Hitler sait qu'il va à la guerre.
29:44La remilitarisation de l'Allemagne, c'est très très tôt dans le Reich.
29:47Mais il ne veut pas que ça déclenche une conflagration internationale au mauvais moment.
29:54Fin octobre, l'Allemagne quitte la Société des Nations,
29:58pour protester contre les contraintes du traité de Versailles qui pèsent sur son armée,
30:02qu'elle reconstruit pourtant de façon clandestine.
30:08C'est un tabou, mais c'est aussi un secret de pollutionnel.
30:12Chacun essaie donc d'y faire face à sa manière.
30:15Mais parmi ceux qui souhaitent rester plus longtemps à Berlin,
30:18qui souhaitent être accrédités comme correspondants étrangers,
30:20qui apprécient ce travail et souhaitent passer les prochaines années auprès de ce régime,
30:25aucun n'écrit à ce sujet de manière très critique.
30:30C'est impossible à dissimuler.
30:33Quand vous produisez des armements pour passer d'une armée de 100 000 hommes
30:38à une armée de 3 millions puis de 5 millions d'hommes,
30:41quand vous multipliez par 30 et 50 les effectifs,
30:44et donc les équipements afférents,
30:47c'est évident que ce n'est pas dissimulable.
30:51Les nazis essaient au maximum de masquer certaines opérations,
30:55mais ils n'y parviennent pas.
31:00Ensuite, c'est la question de la réception.
31:03Qui voit quoi et qui croit à ce qu'il voit ?
31:07Et pourquoi ?
31:10À Londres, en mai 1934, un journal brise l'OMERTA.
31:16Le Daily Express révèle l'existence d'un aérodrome caché
31:20dans la voile la nouvelle aviation nazie.
31:23Un article signé de Pembroke Stephens, qui fait le tour du monde.
31:29C'est le plus vaste que j'aie jamais vu.
31:32Ses dimensions dépassent celles de Cromdorne et du Bourget.
31:36Malgré cela, totalement entouré de bois,
31:39invisible de la route et du chemin de fer,
31:42il est extrêmement difficile à découvrir.
31:46Le Reich n'a pas pour le moment de flotte aérienne,
31:48ou plus exactement, cette flotte n'est pas perceptible.
31:52Elle se trouve répartie éparse,
31:55et en pièces détachées dans diverses parties du territoire.
32:00Tous les travailleurs affectés à la fabrication des armements
32:03doivent s'engager par un serment écrit à garder un secret absolu.
32:09En vertu des nouveaux codes,
32:11toute révélation faite à un étranger est punie de mort.
32:14Ce qui est le plus intéressant à propos de l'affaire Pembroke Stephens,
32:18c'est que très peu se sont montrés solidaires avec lui.
32:21De très nombreux journalistes américains, britanniques, français, italiens,
32:25ont déclaré qu'il était allé trop loin.
32:29Ce sont des révélations que n'importe quel pays considérerait comme de l'espionnage.
32:33Vous ne pouvez pas voyager à travers un pays,
32:36photographier ses installations militaires,
32:39et parler aux gens de ce qu'il y a produit, de ce qu'il y a fait.
32:41Aucun pays n'accepterait ça longtemps.
32:46Mes amis se sont moqués de moi à l'époque.
32:49Mais les événements m'ont conforté dans l'idée qu'il est impossible de dire la vérité,
32:52la vraie vérité sur l'Allemagne,
32:55et de rester un correspondant accrédité à Berlin.
32:59À partir du moment de l'expulsion de Maurer,
33:02tous les correspondants occidentaux accrédités qui restent à Berlin
33:06acceptent de jouer le jeu.
33:08C'est-à-dire de ne pas être trop curieux
33:11sur les problèmes économiques,
33:14les conditions de vie des allemands,
33:17qui ne sont pas non plus mirifiques,
33:20et évidemment,
33:23le totalitarisme croissant du régime
33:26à l'égard de ses oppositions,
33:29et les persécutions croissantes à l'égard des juifs.
33:39L'année 1934 est marquée par de nouveaux coups de force d'Hitler.
33:44Dans la nuit du 29 au 30 juin,
33:47le chancelier donne l'ordre d'assassiner une centaine de figures nazies opposées à lui,
33:51dont le chef SA, Ernst Röhm.
33:56Quelques semaines plus tard,
33:59le président Hindenburg décède.
34:02Hitler s'octroie alors le titre de Führer.
34:05L'influence du pouvoir nazi se déploie désormais
34:08sur les territoires de l'Ancien Empire,
34:11notamment en Sarre.
34:15Cette terre fut de façon alternative française et allemande.
34:19Après la Première Guerre mondiale,
34:22et conformément au Traité de Versailles,
34:25c'est la Société des Nations qui l'administre.
34:28En janvier 1935, un référendum doit trancher de son futur.
34:32Le statu quo, leur attachement à la France ou à l'Allemagne.
34:36Parmi les journalistes étrangers présents pour couvrir le vote,
34:40l'une des plus célèbres de France, Andrée Violis.
34:44Andrée Violis dit que l'atmosphère est irrespirable en Sarre.
34:48Et elle recueille beaucoup de témoignages sur les violences physiques
34:53que subissent les partisans du statu quo
34:57et les opposants au régime hitlérien
35:00et les opposants au rattachement à l'Allemagne.
35:02Elle est invitée chez eux.
35:05Elle voit bien qu'ils sursautent quand on frappe à leur porte.
35:10Ils sont obligés de mettre à l'abri leur famille.
35:156 janvier 1935.
35:18La foule coule par flots serrés et ordonnés,
35:21à la fois de la rue qui descend de la gare
35:24et de celle qui vient des faubourgs.
35:27Sombres masses, mornes et disciplinées.
35:29Hommes et femmes, bras dessus, bras dessous.
35:33Voici le défilé des drapeaux.
35:36400 magnifiques drapeaux des sections du Deutsche Front.
35:39Des cris, des chants confus s'élèvent.
35:42Le spectacle est assez émouvant.
35:45L'après-midi, se furent en nombre à peu près égal
35:48les partisans du statu quo.
35:51Max Braun, le leader socialiste, dénonce les crimes d'Hitler
35:55parmi lesquels sa politique de haine envers la France.
35:59Chaque voix contre Hitler, conclut Max Braun,
36:02est une voix pour l'autre Allemagne, celle que nous aimons,
36:05notre patrie, celle de la liberté.
36:08Andrée Violi s'est très inquiète quand même
36:11sur l'organisation du plébiscite
36:14puisqu'elle pense que la sincérité du vote
36:18sera difficilement obtenue.
36:23Elle voit bien, elle a groqué de nombreux témoignages
36:26sur les manipulations auxquelles s'adonnent
36:30les partisans du rattachement à l'Allemagne
36:33en allant chercher des voix auprès des aliénés,
36:38de gens qui n'habitent plus en Sarre.
36:44Le 13 janvier 1935, au soir des résultats du référendum,
36:49près de 90% des votants, soit plus de 477 000 sarrois,
36:53ont appelé à la réunification avec l'Allemagne.
36:56Ce qui, pour la première fois, s'agrandit.
37:07La question de la Sarre est une question
37:10parfaitement anodine de leur point de vue.
37:13Il s'agit de rendre à l'Allemagne un territoire allemand
37:17sur le fondement même des principes
37:20indiqués par les vainqueurs en 1918.
37:22Le droit des peuples a disposé de même.
37:23Et c'est d'ailleurs comme ça que ça va être perçu à l'étranger.
37:28Pourquoi est-ce qu'on va s'en émouvoir ?
37:30Pourquoi est-ce qu'on s'en émeuverait, au fond ?
37:33L'Allemagne envahit l'Allemagne, la belle affaire.
37:38Pour son dernier article, André Violis se rend à la frontière,
37:42où elle assiste au départ de nombreuses familles.
37:46À peine quelques heures se sont-elles écoulées
37:49depuis le plébiscite, et c'est déjà le début des violences.
37:51Quant aux barrages de police,
37:54ils viennent d'être rétablis sur tous les points de la frontière.
37:57160 malheureux s'y sont présentés au cours de la nuit.
38:01Un certain nombre, faute des visas exigés par les nouveaux règlements,
38:05durent être refoulés.
38:07Un homme qui s'était déjà enfui d'Allemagne
38:10parce qu'on le menaçait de stérilisation,
38:12arrivait devant nous.
38:14Il lui fallut rebrousser chemin.
38:16Je le vis, avec sa femme et un enfant,
38:18s'en aller, dos courbés, tête basse,
38:21avec ses bagages, dans un sentier couvert de neige.
38:25Quand on relie à la lumière, évidemment,
38:28de ce qu'on sait, de ce qui s'est passé par la suite,
38:31voilà, elle...
38:33Tout était là, en fait, déjà.
38:35Et y compris la barbarie,
38:38enfin, la torture,
38:40contre les opposants politiques.
38:43Alors que le pouvoir nazi célèbre le retour de la SAAR,
38:47une nouvelle vague de persécutions antisémites
38:49s'abat sur l'ensemble du Reich.
38:52Les Allemands en couple avec des Juifs sont pris pour cible.
38:57Toute personne qui a des relations sexuelles
39:01avec une personne juive
39:04est targuée si elle est dénonciée.
39:08Et donc, on met en place des rituels
39:12d'humiliation publique,
39:14qui sont vraiment des pylories modernes.
39:17On a énormément de personnes qui assistent,
39:19des enfants qui regardent,
39:21des femmes qui applaudissent, qui rigolent.
39:24Et évidemment, ça a un impact énorme
39:28sur la société.
39:31Si certaines de ces photos sont publiées
39:34dans la presse allemande nazie,
39:36aucune n'apparaît dans la presse étrangère généraliste.
39:39La persécution antisémite de l'été 1935
39:42se limite à quelques articles,
39:44en page intérieure,
39:46sans photo.
39:48Au début, il y a forcément une espèce de pitch
39:51à la fois d'horreur, d'annéation,
39:53de curiosité également,
39:55qui par la suite tend un peu à s'estomper.
39:58S'estomper sous le coup, non pas d'une lassitude,
40:02mais d'une forme de normalisation
40:05qui, on finit par intégrer le fait
40:07qu'on a un régime à côté qui persécute.
40:10Mais finalement, c'est une menace, etc.
40:13Mais la vie continue.
40:14Ces violences publiques-là
40:16préexistent à la norme
40:19qui va intervenir plus tard,
40:21puisque ce sont les lois de Nuremberg
40:23qui, de manière explicite,
40:25en septembre 1935,
40:27interdisent tout mariage interracial,
40:29mais en amont de cela,
40:31toute relation sexuelle interraciale,
40:33pour éviter toute mixtion des fluides
40:35et toute mixtion des sangs.
40:45Il faut dire que ces lois sont votées à la sauvette,
40:49à Nuremberg,
40:51où le Parlement, ou ce qu'il en reste,
40:53a été rassemblé,
40:55dans la nuit,
40:57et le lendemain et jour suivant,
40:59les lois de Nuremberg,
41:01c'est deux petits paragraphes
41:03dans les articles de la presse internationale.
41:06Ce n'est pas un événement politique
41:08ou militaire comme les autres.
41:10On ne peut pas l'illustrer
41:12avec des photos, avec des images.
41:14Elles n'existent pas.
41:16C'est une mesure administrative et législative.
41:19Aujourd'hui, on le considère
41:21comme un événement majeur,
41:23un événement clé dans la persécution
41:25et la privation des droits
41:27de nombreuses personnes en Allemagne,
41:29en particulier des Juifs.
41:31Mais à l'époque,
41:33tout comme le boycott des Juifs en 1933,
41:35si on en fait mention,
41:37il n'est alors pas du tout perçu
41:39comme quelque chose de si crucial.
41:45De ce congrès de Nuremberg de 1935,
41:48les envoyés spéciaux présents
41:50ne retiennent qu'une image,
41:52celle de l'armée.
41:56Les exercices en eux-mêmes,
41:58comme tous ceux dans ce genre,
42:00présentés dans le cadre artificiel
42:02d'un terrain de manœuvre,
42:04n'avaient pas d'autre intérêt
42:06que celui d'un spectacle.
42:08Ce qui retient l'attention
42:10devant le matériel terrestre
42:12de la nouvelle armée allemande,
42:14la vitesse et l'emploi général
42:16de moteurs extrêmement puissants
42:18pour tous les véhicules,
42:20y compris les motociclettes
42:22et les sidecars.
42:24Tout cela va vite
42:26et s'arrache bien du terrain.
42:28Hitler souhaite toujours
42:30jouer, encore une fois,
42:32d'une politique insaisissable.
42:34Montrer la Wehrmacht,
42:36c'est en même temps,
42:38c'est un jeu,
42:40c'est un jeu dangereux,
42:42c'est-à-dire c'est une manière
42:44de mettre un coup de canif
42:46dans chacune des conditions
42:48du traité de Versailles,
42:50et en même temps,
42:52c'est aussi un discours
42:54vers la population allemande.
42:56C'est une manière de dire
42:58« Regardez, nous restaurons
43:00la tradition de l'armée allemande »
43:02qui était quand même chérie
43:04par un certain nombre d'acteurs
43:06du camp national, pour le dire vite.
43:08Mais ce qui frappe plus
43:10que tous les progrès,
43:12si grands soient-ils,
43:14c'est que la nation soulevait
43:16littéralement les hommes en marche
43:18et à chaque pas,
43:20dans la foule,
43:22ce n'était qu'une longue succession
43:24de saluts adressés aux officiers
43:26avec une ferveur,
43:28un respect qui ne trompe pas
43:30sur l'esprit d'un peuple.
43:32Le régime nazi se fonde
43:34sur plusieurs relais
43:36pour susciter l'adhésion
43:38ou l'obéissance de sa population.
43:40Et ce qu'on perçoit un peu aujourd'hui
43:42mais dont on ne comprend pas
43:44la structure de l'acclamation nationale.
43:46C'est-à-dire que participer
43:48dans son corps, dans sa chair
43:50à des événements publics,
43:52ça sculpte une opinion
43:54de manière extrêmement puissante,
43:56d'autant qu'ensuite on en tire
43:58des jolies images,
44:00les films de Leni Riefenstahl,
44:02« Triomphe de la volonté »,
44:04« Fête des peuples »,
44:06on voit ces grandes foules
44:08dans des stades, dans les rues,
44:10pavoisées, avec la croix gammée
44:12comme symbole, comme logo du régime
44:14contre l'adhésion.
44:20Janvier 1936.
44:22La journaliste française
44:24Suzanne Bertillon
44:26est venue fêter la nouvelle année à Berlin.
44:29Envoyée spéciale du journal national
44:31et anti-bolchevique « Le Jour »,
44:33elle n'était pas revenue ici
44:35depuis le temps de la République.
44:38Parmi les changements qu'elle note,
44:40« Winterhilfe »,
44:42les secours d'hiver.
44:44Partout, sur les murs,
44:46dans les magasins, dans les restaurants,
44:48dans les journaux,
44:50ce mot frappe le regard
44:52et se grave dans l'esprit.
44:54Des tire-lires, des affiches, des quêtes,
44:56tout pour la Winterhilfe.
44:58On ne parle,
45:00on ne se préoccupe que
45:02de la réussite de la Winterhilfe.
45:04C'est une œuvre magnifique,
45:06me dit l'un des directeurs,
45:08une œuvre grandiose,
45:10un des plus grands bienfaits
45:12du national-socialisme.
45:14Nous secourons
45:16toutes les infortunes,
45:18ou du moins les plus intéressantes.
45:20Les familles nombreuses,
45:22les jeunes ménages
45:24qui n'ont pas d'argent pour s'établir,
45:26les chômeurs méritants.
45:28Le secours d'hiver est vraiment
45:30un peu le symbole
45:32de cette société
45:34de bienfaisance, de bien-être.
45:36Cette solidarité
45:38qu'on célèbre publiquement
45:40et qu'on met en scène
45:42sans arrêt
45:44s'occupe de nos propres citoyens,
45:46ceux et celles
45:48qui font partie
45:50de cette communauté-peuple-race,
45:52ceux qui sont dans les normes.
45:55Nous avons besoin
45:57de fonds énormes
45:59pour arriver à les secourir tous.
46:01Et nous ne pouvons
46:03et ne voulons compter
46:05que sur des dons bénévoles.
46:07Nous souhaitons
46:09que des liens d'affection
46:11et de sollicitude mutuelles
46:13et sans distinction de classe.
46:20C'est une société
46:22qui se pense comme une entité homogène,
46:24évidemment en excluant
46:26énormément de personnes,
46:28soit du point de vue racial,
46:30soit du point de vue social,
46:32soit du point de vue
46:34aussi eugéniste.
46:36Mais la société majoritaire
46:38est une vie assez paisible.
46:40C'est des personnes
46:42qui veulent réussir,
46:44qui veulent avoir une bonne vie
46:46et qui s'engagent
46:48dans un projet politique
46:50qui peut-être au départ
46:52n'était pas le leur.
46:55En cette année 1936,
46:57ce sont les Jeux Olympiques
46:59qui sont dans toutes les conversations.
47:01Depuis des mois,
47:03les correspondants étrangers
47:05racontent la transformation
47:07de l'Allemagne et de sa capitale.
47:09Sous leurs plumes
47:11et devant les objectifs du régime,
47:13la révolution nazie
47:15semble s'achever pour faire naître
47:17un nouveau monde.
47:19La question des Jeux Olympiques
47:21de Berlin est évidemment
47:23une question qui est centrale
47:25pour le régime nazi
47:27qui veut, d'une certaine manière,
47:29normaliser son image
47:31tout en montrant sa puissance.
47:33Et évidemment,
47:35pour les anti-nazis,
47:37c'est un moment aussi
47:39un grand mouvement de boycott
47:41qui est organisé
47:43à travers le monde.
47:45Il y a une mobilisation
47:47mais elle ne prend pas
47:49dans la presse générale
47:51et encore moins dans la presse sportive.
47:53Je dirais la logique
47:55à la fois politique
47:57et puis l'événement sportif
47:59plus les intérêts commerciaux
48:01ou autres prennent le dessus
48:03et finalement c'est un échec.
48:06Le 6 février 1936,
48:07les Jeux Olympiques d'hiver s'ouvrent
48:09à Garmisch-Bartenkirchen.
48:24À l'entrée des villes,
48:26les pancartes antisémites
48:28ont été remplacées par les anneaux olympiques.
48:30Les journalistes en prennent note,
48:32rien de plus.
48:34Les regards sont ailleurs,
48:35vers les pistes et les sportifs.
48:41Hitler et le régime
48:43ont vraiment, si j'ose dire,
48:45mis les petits plats dans les grands
48:47pour présenter un visage
48:49tout à fait apaisé et harmonieux.
48:51Tous les journalistes qui viennent
48:53pour couvrir les Jeux Olympiques
48:55vont avoir l'impression
48:57de vivre dans un pays
48:59parfaitement harmonieux
49:01et où toutes les traces visibles
49:03des discriminations
49:05et de la violence
49:07ne sont pas vues.
49:09Ce qu'il y a de plus intéressant
49:11et de plus fascinant
49:13dans la presse de l'époque,
49:15c'est qu'en fait,
49:17on savait tout
49:19et qu'on pouvait tout savoir.
49:21Aussi, le vieux slogan
49:23« Bad news is good news »
49:25avait déjà cours chez les nazis.
49:27Ils ne voulaient précisément pas
49:29d'une dictature verrouillée et hermétique,
49:31ils ont au contraire
49:33toujours voulu se faire remarquer
49:35comme si rien n'était.
49:37Le 7 mars,
49:39Hitler acte la remilitarisation de la Rhénanie
49:41sans que cela ne soulève
49:43une réaction internationale.
49:46Quelques semaines plus tard,
49:48comme si de rien n'était,
49:50les délégations de sportifs
49:52et des milliers d'étrangers
49:54débarquent à Berlin
49:56pour assister aux Jeux d'été.
49:58Parmi eux,
50:00le journaliste français Gaston Benac.
50:02J'ai retrouvé Berlin en fête,
50:03avec des flammes, de drapeaux,
50:05de banderoles,
50:07accueillants, souriants,
50:09mais terriblement secoués
50:11par l'intense propagande olympique.
50:13À la fièvre brune,
50:15à succéder la fièvre,
50:17j'allais écrire
50:19« La folie olympique ».
50:21Les Jeux olympiques,
50:23c'est évidemment un outil
50:25de soft power
50:27auprès des puissances internationales
50:29pour dire « Regardez tout ce que vous avez entendu
50:31sur les violences,
50:33nous ne faisons que de la propagande,
50:35nous sommes un pays qui fonctionne,
50:37l'Allemagne que vous avez toujours connue,
50:39mais en plus jeune,
50:41en nouveau,
50:43et un certain nombre d'acteurs
50:45vont être charmés.
50:48On voit moins ces jours-ci
50:50d'uniformes bruns.
50:52Et les hitlériens ne se hissent plus
50:54sur des camions pour hurler
50:56comme ils le faisaient
50:58leurs aînes du juif et du catholique
51:00à grands renforts de caricatures ridicules.
51:01Pour combien de temps ?
51:08Dans la manière dont les nazis
51:10se présentent,
51:12se projettent,
51:14se mettent en images,
51:16se mettent en récits et en mots,
51:18tout est faux.
51:20C'est Jean Genet qui le dit très bien.
51:22Jean Genet fait un voyage en Allemagne
51:24à cette époque-là
51:26et il est très décompensé,
51:28il est même un peu éperdu
51:29parce qu'il dit
51:31mais le voleur et le menteur,
51:33c'est moi d'habitude.
51:35Et là, je n'ai même plus
51:37ma singularité, ma spécificité.
51:39Ils sont tous menteurs,
51:41ils sont tous voleurs.
51:43C'est une nation d'escrocs.
51:46Cet été 1936,
51:48les touristes venus assister aux Olympiades
51:50découvrent une dictature
51:52sans heure,
51:54sans violence.
51:56Dans les stades,
51:57les athlètes américains,
51:59anglais, français et allemands
52:01s'affrontent de façon pacifique.
52:04La foule applaudit
52:06et encourage leurs champions.
52:08Le fureur célèbre son triomphe
52:10et l'indifférence du monde
52:12face au démantèlement du traité de Versailles
52:14et de la République.
52:17Alors qu'au même moment,
52:19en Espagne,
52:21aux côtés des nationalistes du général Franco,
52:23des soldats de la Wehrmacht
52:25se battent et meurent au combat.
52:28Si Hitler promet aux puissances européennes la paix,
52:31sa marche vers la guerre a déjà commencé.
52:57Sous-titrage MFP.
53:27Sous-titrage MFP.

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