Après juin 1944, pour les Français traumatisés par l'occupation allemande, l'espoir se lève. La libération de la France, cette libération tant attendue est enfin là...ou presque. Car elle sera longue, cette Libération : elle s'étendra sur une année. Avec la Bataille de Normandie, la libération de la France ne fait que commencer. Viendra celle de Paris, le débarquement en Provence, mais aussi la libération de Lille et le martyre du Havre, l'attente interminable des ports de l'Atlantique et la terrible Bataille d'Alsace. Chaque région, du sud au nord, de l'ouest à l'est, chaque ville et chaque village connaîtront leur libération. Les populations se soulèveront et les résistants se mobiliseront. Mais l'euphorie se mêlera bientôt à la peur et à l'angoisse. Car les civils devront affronter une dure réalité : le retour de la guerre sur le sol français. Des bombardements raseront des villes entières. Des massacres seront commis, provoquant incompréhension et colère. Voici le récit intime et méconnu, dans la joie et la douleur, des libérations de la France / des Français (notre pays).
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Juin 1944. Pour les Français traumatisés par l'occupation allemande, l'espoir se lève.
00:12Moi, j'étais au septième ciel. Tout le monde était... Je sais pas, il y avait une joie,
00:20une décrit, une liesse. J'avais jamais vu ça. La libération de la France, cette libération
00:28tant attendue, est enfin là. Ou presque. Car elle sera longue, cette libération. Elle s'étendra
00:36sur une année. J'ai pleuré de joie. C'est beau, non ? D'être libérée. Chaque région, du sud au nord,
00:46de l'ouest à l'est, chaque ville et chaque village, tous connaîtront leur libération.
00:52Les populations se soulèveront et les résistants se mobiliseront. J'ai vécu, je peux dire,
01:01une aventure extraordinaire, c'est vrai. Avec la bataille de Normandie, la libération de la
01:08France ne fait que commencer. Viendra celle de Paris, le débarquement en Provence, mais aussi
01:16la libération de l'île et le martyr du Havre, l'attente interminable des ports de l'Atlantique
01:23et la terrible bataille d'Alsace. J'avais plus de parents, j'avais plus de sort, j'avais plus de
01:30maison, j'avais plus rien. L'euphorie se mêlera bientôt à la peur et à l'angoisse, car les
01:40civils devront affronter une dure réalité, le retour de la guerre sur le sol français.
01:46Des bombardements raseront des villes entières, des massacres seront commis,
01:54provoquant incompréhension et colère. On a été libérés, mais là, ce jour-là,
02:02les Allemands se sont vengés. Voici le récit intime et méconnu des libérations de notre pays.
02:32Le 5 juin 1944, les Normands vivent une journée de printemps comme les autres,
02:41essayant d'oublier l'occupation. Quatre années d'un cauchemar sans fin.
02:46Ils ne supportent plus la présence sinistre des Allemands et attendent depuis des mois
02:55un débarquement qui ne vient toujours pas. Ce jour-là, ils ignorent que de l'autre côté de
03:03la Manche, Américains, Britanniques et Canadiens se préparent à engager la bataille de Normandie.
03:15Les civils n'ont pas reçu les tracts envoyés par les Alliés,
03:17qui les exhortaient à fuir les zones de combat. Le vent les a emportés.
03:26Ils vont vivre des heures particulièrement éprouvantes.
03:32Pour préparer le débarquement, des milliers de bombes sont déversées
03:35sur le littoral normand et dans le nord, pour faire diversion.
03:38Vers 4 heures du matin, les bombes ont tombé sur Caen. Quand ces bombardements-là sont arrivés,
03:59ma mère m'a arraché de mon lit, heureusement, puisque une poutre est tombée quelques instants
04:05après sur le lit. Ma mère et ma tante, obligées de soulager leur mère qui hurlait de terreur dans
04:14l'appartement. Et il a fallu toutes les deux, les deux jeunes filles, la prendre dans les bras,
04:19la consoler et puis immédiatement la faire évacuer, aller en courant se réfugier dans
04:25l'abri, tout ça sous les bombes et avec ma grand-mère qui hurlait de terreur.
04:30Et nous sommes restés dans cet abri-là pendant quelques jours. Mais cet abri-là
04:37contenait que six ou dix personnes et on était au moins une vingtaine.
04:40On entendait, on entendait du sifflement, les sons des obus.
04:45De Cabourg jusqu'à l'ouest, tout est en feu. Je reste interdit. Le spectacle est ahurissant. D'un
05:03bout à l'autre, l'horizon est orange, rose, blanc, avec des flashes de magnésium qui,
05:09malgré la distance, m'éblouissent. Dans le ciel, les puissants avions, avec leurs ailes peintes,
05:15pour la première fois de grandes bandes blanches, circulent dans tous les sens. Je me suis toujours
05:22demandé ce qui pouvait agiter la tête de ces aviateurs quand ils lançaient leurs bombes à
05:27quelques mètres des gens affamés qu'ils venaient libérer. Je n'ai pas de réponse.
05:40Le 6 juin 1944, l'armada alliée arrive en vue des côtes normandes.
05:58Sur un front de 35 kilomètres, 5000 navires débarquent des dizaines de milliers d'hommes.
06:09Mais l'opération Overlord se heurte aux défenses du 3e Reich. Les soldats sont
06:19fauchés par les tirs venant des blocos. Des sections entières sont décimées.
06:26Le soir du 6 juin, les alliés tiennent une étroite tête de pont. 125 000 hommes et des
06:32milliers de tonnes de matériel ont été débarqués. Pourtant, ce succès reste fragile. Les alliés
06:39ne sont pas à l'abri d'une contre-offensive de la Wehrmacht. Le commandant en chef des
06:46forces alliées, le général Eisenhower, s'adresse aux Français à la radio.
07:10Si des Français redoutent que la situation s'aggrave, que les alliés soient rejetés à la mer
07:17et que les Allemands utilisent de nouvelles armes terrifiantes, d'autres s'enthousiasment partout
07:23en France. Un jour du débarquement, c'est l'espoir, c'est tout. Alors on était heureux.
07:38Le débarquement, une émotion forte comme on peut ressentir après quatre ans d'emprisonnement
07:52pratiquement avec ces Allemands. Tout le village attendait vivement de voir arriver le premier
08:00Anglais. Ce 6 juin, ça a marqué la fin de la longue période triste, grise qu'avait été
08:09l'occupation. On n'avait pas le droit de parler à personne, on ne pouvait pas dire ce qu'on faisait,
08:15on ne pouvait pas dire ce qu'on pensait. Même à des camarades de classe, il fallait garder le silence.
08:23Pendant ce temps, à Vichy, Pétain, malgré une collaboration sans faille, est menacé par le
08:33maréchal von Rundstedt qui dirige le haut commandement de l'Ouest. Si l'état français
08:40trahit le Troisième Reich, la Wehrmacht sèmera la terreur parmi les civils. Alors Pétain cède,
08:48une fois de plus. Il condamne le débarquement et accable les Alliés. Français, n'écoutez pas ceux
08:57qui, cherchant à exploiter notre détresse, conduiraient le pays au désastre. Obéissez aux
09:03ordres du gouvernement. Pétain est encore soutenu par une partie de la population et notamment les
09:14collaborateurs qui redoutent le succès du débarquement, comme Jacques Doriot, fondateur du
09:20Parti populaire français fasciste, et son bras droit, Albert Begras. Mon père se dit tiens, on est
09:29du mauvais côté, on est foutus. Mon oncle suivait ça, suivait le débarquement et c'était des cris de
09:38joie. Ils étaient au deuxième étage et nous on était au rez-de-chaussée. Je pense pas qu'on
09:45devait pousser les cris de joie. Il y avait une situation qui était une espèce de coupure dans
09:51la vie et on saurait que ça serait une coupure pour toujours. La guerre civile menace, comme la
10:01crainte d'un soulèvement général. Si Pétain et Pierre Laval, chefs du gouvernement, incitent les
10:07français à ne pas s'engager, Joseph Darnan, chef de la milice française, exhorte lui au combat
10:14contre les alliés et les résistants. Depuis 1943, les miliciens arrêtent, torturent et fusillent les
10:22résistants. Désormais, la bride lâchée, ils seront plus barbares que jamais. Ils veulent détruire les
10:30maquis, comme ils l'ont fait quelques mois plus tôt sur le plateau des Glières, en Haute-Savoie.
10:38La milice redoute la mobilisation de l'armée de l'ombre. Les maquis, affaiblis à l'hiver 1943,
10:52se soulèvent à l'approche du débarquement et connaissent un nouvel essor. Entre juin et
10:57juillet 1944, 300 000 hommes enfilent le brassard FFI. La participation française à la libération a
11:06valeur de symbole. Ce n'est pas seulement revivre, c'est jouer le tout pour le tout,
11:11pour sortir de l'humiliation et sauver l'honneur du pays.
11:14Le 6 juin, les maquisards sont montés en masse. Il y a 2000 à 2500 volontaires de plus qui sont
11:30montés ces jours-là. Après, c'est tout un amalgame des gens qui sont venus. Il y avait toutes les
11:37religions, tous les partis politiques qui avaient un but, c'est de foutre les Allemands dehors.
11:44Rien que ça, ça vous dirige, vous donne une ligne, non ?
11:49Sous l'occupation, une minorité a choisi de résister en créant des maquis. En Bretagne,
12:02à Saint-Marcel, dans le Limousin, le sud de la France et les Alpes. En soutenant de grands
12:11maquis comme le Mont Mouchet dans le Massif Central ou le Vercors, De Gaulle espère montrer
12:16aux yeux du monde que, loin d'attendre passivement l'arrivée des alliés qui viennent de débarquer,
12:20ils aideront à briser l'Allemagne nazie.
12:31J'étais dans le maquis en Haute-Corée. Et le maquis m'a beaucoup marqué. C'était une période
12:38fabuleuse. Fabuleuse parce qu'on était des copains, on n'avait pas d'argent, on n'avait pas de métier,
12:46on vivait tous dans le même… pour combattre l'Allemagne. À 20 ans, on ne connaît pas la peur.
12:56On ne sait pas ce que c'est que la peur.
13:04Au moment du débarquement, les résistants coupent les lignes téléphoniques et les routes,
13:08sabotent les voies ferrées pour créer un climat d'insécurité et ralentir les troupes allemandes
13:14qui rejoignent le front de Normandie.
13:28Quelques jours après le débarquement,
13:30les soldats ont pu étendre leurs têtes de pont au prix de combats acharnés.
13:44Les alliés traversent les villages normands et fraternisent avec la population.
14:14Mais les chars-tigres de la Wehrmacht, renforcés par d'autres Panzers, les attendent.
14:18Ils ont pris position pour défendre Caen.
14:22Un mur de feu et d'acier cloue sur place britanniques et canadiens.
14:30L'avance alliée est stoppée nette, comme l'espoir d'une rapide délivrance.
14:45Pour l'anglais Montgomery, qui dirige l'ensemble des forces terrestres alliées,
14:49la ville de Caen est stratégique.
14:51C'est un nœud de communication qui ouvre sur la plaine dont les alliés ont besoin
14:57pour manœuvrer leurs blindés.
14:58Montgomery décide alors de bombarder Caen pour détruire les défenses allemandes.
15:14Le calvaire de Caen ne fait que commencer et va devenir le symbole de ce que vont endurer
15:24les normands.
15:25La ville n'est pas évacuée, les civils sont condamnés à mourir sous les bombes.
15:31Les réfugiés se précipitent dans les lycées, le tribunal et les églises.
15:37L'église Saint-Etienne, il y avait une croix rouge sur le toit et les avions ne bombardaient
15:48pas ces coins-là.
15:49Nous avons trouvé une petite place dans l'église Saint-Etienne où nous étions au total environ
16:04un millier de personnes.
16:05On pouvait à peine marcher, il y avait des avions partout, partout, partout, partout.
16:09Donc nous sommes restés là presque un mois, allongés sur de la paille, quelques couvertures.
16:17Chacun s'ébrouillait.
16:19Là mon père justement avec quelques hommes partait et essayait de trouver de la nourriture.
16:30Les bombes tombaient un peu partout, donc ils partaient, mais c'était à des risques
16:40et périls.
16:41Ma mère et ma tante, dès qu'il fallait aller au ravitaillement, il fallait absolument
16:52faire attention, se couvrir et surtout la tête.
16:55Donc elles partaient toutes les deux équipées d'une casserole assez large parce qu'il
16:59fallait y passer la tête quand même pour aller chercher le pain, le lait.
17:03On les appelait les sœurs casserole.
17:05Ces deux jeunes filles équipées d'une casserole sur la tête parce qu'il fallait se protéger
17:10des éclats.
17:11Je pense qu'elles étaient dans la grande insouciance de cette jeunesse-là et qu'elles
17:19étaient téméraires, inconsciemment téméraires.
17:22Les Alliés ignorent que les défenses allemandes sont en réalité à l'extérieur de Caen.
17:31Ils continuent de bombarder les civils, prêts aux pièges.
17:34Dans les ruines, les infirmières tentent de sauver les bébés et les familles asphyxiées
17:40par les décombres.
17:41Mon frère a été écrasé par un mur, le père Daniel l'a accompagné sur sa civière
18:00jusqu'au bon sauveur.
18:01Jean-Marie est mort en cours de route, un sourire aux lèvres, tenant dans sa main celle
18:07du père Daniel.
18:08Au bon sauveur, c'est la panique, y arrivent des blessés, des mourants, des morts.
18:15Les beaux jours sont finis, je m'enferme dans le silence d'un coffre-fort, ou mieux,
18:23d'une tombe.
18:24Des milliers d'habitants fuient vers la campagne.
18:32C'est un nouvel exode qui rappelle aux Normands les tristes souvenirs du début de la guerre.
18:37Ils avaient des vasines, une charrette à bras, avec le minimum de ce qu'on pouvait
18:44emporter.
18:45Les adultes, eux, sont terriblement effrayés parce qu'il y a des bombardements, les routes
18:52sont bombardées.
18:53C'est après coup où, effectivement, une espèce de colère fait place à l'insouciance
19:00du début, c'est-à-dire qu'on en voulait à ceux qui nous bombardaient, et ceux qui
19:04nous bombardaient, c'était les Anglais.
19:07Ils n'ayant pas peur des maux, on détestait les Anglais.
19:11Des Anglais qui, cependant, soutiennent le général de Gaulle depuis 1940.
19:17Une semaine après le jour J, le 14 juin 1944, le chef du gouvernement provisoire retrouve
19:26son pays, après quatre années d'absence.
19:28Humilié d'avoir été mis à l'écart du débarquement, alors qu'il est légitime
19:35aux yeux de la résistance intérieure, et notamment des communistes, Churchill l'autorise
19:40enfin à se rendre en Normandie.
19:58Sur la route de Bayeux, les Français le découvrent et s'enthousiasment.
20:06Ce soutien populaire permet à de Gaulle d'affirmer sa légitimité, car son dessin
20:25est politique.
20:26Prouver aux alliés qu'il est capable d'administrer la France en choisissant seul ses représentants.
20:32A la préfecture de Bayeux, il commence à placer ses hommes.
20:36Il nomme un préfet et un délégué militaire pour gérer les affaires publiques.
20:41Il en fera de même dans chaque territoire libéré.
20:44Un officier des affaires civiles note « De Gaulle a organisé un coup d'état très
20:51intelligent ».
20:52En ce début de juin, un peu partout en France, les résistants ne veulent pas laisser
21:12aux seuls alliés la libération du pays.
21:14Seulement 177 Français du commando Kieffer ont participé au débarquement terrestre
21:21en Normandie.
21:22Galvanisé par le 6 juin, le parti communiste ordonne aux francs-tireurs et partisans l'attaque
21:30de la garnison allemande de Tulle.
21:31L'insurrection nationale doit permettre aux communistes de libérer la France et d'instaurer
21:38un rapport de force avec De Gaulle après la guerre.
21:40C'est la première préfecture de France qui a été libérée.
21:46Libérer une préfecture, c'est un symbole.
21:49On est parti en camion, on nous a descendus en camion à Tulle.
21:57On était plusieurs groupes, peut-être 2000 ou 3000 maquisards pour attaquer Tulle.
22:05Ça s'est passé autour de la manufacture.
22:08On nous a attaqués, ils avaient un armement supérieur au nôtre, ils étaient moins nombreux.
22:15On n'avait pas de formation militaire, on avait des fusils mitrailleurs, des mitraillettes
22:23et des grenades.
22:24La bataille de l'école normale va durer deux jours, ils incendient le toit de l'école
22:37Les Allemands sont obligés de sortir et là, ils se rondent.
22:41La population ignore que la division SS Tass Reich a quitté dans l'urgence Montauban
23:04dans le sud-ouest pour stopper l'avance alliée sur le front de Normandie.
23:08La population était pour la libération de Tulle.
23:15Ils croyaient être libérés, puis ils ont entendu les chars et c'est là que nous aussi
23:22on est partis.
23:23Le soir arrive la Tass Reich, donc le maquis se replie immédiatement en emmenant une cinquantaine
23:33de prisonniers.
23:34On ne pouvait pas lutter contre eux, on ne pouvait rien faire, et ça a été un désastre.
23:44Personne à Tulle ne connaît la division SS Tass Reich, ni ses exactions.
23:58Elle a pourtant semé la terreur sur le front russe en exécutant en masse des populations
24:04civiles.
24:05Impuissants, pris au piège, les Tullistes vont subir les conséquences de leur libération
24:12prématurée par les maquisards.
24:14La libération sera-t-elle encore plus douloureuse que l'occupation ?
24:20Ils vont entourer toute la ville, en ramenant vers le centre, en piquant tous les hommes
24:30de 16 à 65 ans.
24:32Mon père, il nous a réveillés, nous a embrassés, c'est la seule chose que je me rappelle
24:42de lui.
24:43Leur motif, c'était vérification d'identité, vous serez libre à Milly, donc tout le monde
24:55partait en toute confiance.
24:58A la manufacture d'armes, les SS, aidés par la milice, trient les hommes et libèrent
25:08ceux qui sont indispensables au fonctionnement de la ville.
25:10Puis, ils en choisissent 99 et décident de les exécuter.
25:17Les SS obligent la population à être témoin des pendaisons.
25:22Alors ils les ont pendus, ils sont partis en sortie de la gare, les premiers balcons,
25:33et puis en avançant, mais il y a des balcons qui ont eu 30 personnes pendues.
25:40Regardant au travers des volets miclos, je dis à maman, viens voir, ils mettent des
25:51cordes après les maisons.
25:52Quelle horreur ! A ce moment, Jean Vieilliffont montait à l'échelle, les mains attachées
26:00derrière le dos, la tête relevée, voulant sans doute regarder vers les siens.
26:04Il était près de la boucherie de ses parents.
26:06Puis j'entends encore cette voix, « Maman, maman, dis-leur que je suis innocent ».
26:14Des hommes de toutes conditions sociales.
26:21Luthiers, ébénistes, forgerons, coiffeurs, employés, célibataires ou pères de jeunes
26:33enfants.
26:34Sur le pont de Souillac, il y a un joueur de rugby qui a refusé de se faire passer
26:54la corde au cou, qui a sauté dans la coraise, il est mort avant d'arriver en bas parce
26:59qu'il tirait dessus.
27:00Il est resté ensuite 300 gars, dont mon père.
27:09Les autres prisonniers de Tulle sont transférés à Limoges, où la milice effectue un deuxième
27:20tri.
27:22150 civils sont déportés dans le camp de concentration de Dachau.
27:27Et en octobre, mon père était mort.
27:32J'ai rien, lui et moi, j'ai ça, cette chevalière qu'il a faite, que ma mère
27:41m'a donnée à 18 ans, que je porte toujours.
27:44J'ai rien.
27:47Je me suis fait graver ce matricule, il y a une dizaine, quinze ans peut-être, parce
28:00que je me suis dit, il y a tant de gens qui oublient que chaque fois que tu regarderas
28:08ça, tu repartiras à l'attaque.
28:12Pendant 80 ans, un autre événement a été occulté et révélé il y a seulement quelques
28:25mois par Edmond Réveil.
28:28Il fait alors partie des résistants qui ont fui Tulle et se sont réfugiés dans la forêt
28:33de Mémac avec 51 prisonniers allemands et une femme française.
28:38Elle fréquentait un Allemand, c'était son seul crime.
28:44Mais à ce moment-là, vous savez, ce n'étaient pas des jeunes.
28:52Ils étaient là pour garder Tulle, pour occuper Tulle.
28:57Le plus jeune avait 35 ans, je crois.
29:05On les a gardés dans une ferme, après on ne pouvait pas les garder, alors on les a
29:15fusillés.
29:16Chaque fois qu'ils ont tué son bonhomme.
29:18Moi j'étais à Genison, alors je n'étais pas impliqué dans l'affaire, j'ai assisté,
29:27je sais tout.
29:31Et notre capitaine, il pleurait, lui, il parlait très bien l'allemand, c'était un Alsacien.
29:44C'est difficile à dire, ce n'est pas facile à dire.
29:56La division d'Azraïch poursuit sa remontée sanglante vers la Normandie.
30:00Sur sa route, elle s'arrête dans le village d'Oradour-sur-Glane, une bourgade tranquille
30:07perchée sur le plateau du Limousin, où on ne trouve aucune trace de résistance.
30:11On n'a jamais vu de soldats à Oradour avant le 10 juin 1944, et donc la population va
30:21aussi ne pas se méfier puisqu'ils n'ont rien à se reprocher.
30:26La population ignore que la veille actuelle, il y a eu 99 pendus et plus de 150 hommes
30:34qui ont été déportés.
30:36Le matin du 10 juin 1944, 200 Waffen-SS encerclent méthodiquement le village.
30:4824 heures plus tard, il ne reste que des ruines.
30:52Le bruit du convoi a attiré les gens qui sont presque tous sortis sur le trottoir pour
31:03voir ce qu'il se passait, et donc les soldats demandent à la population de se rendre sur
31:07la place principale, sans violence, sans avoir à user de leurs armes.
31:14Donc mon grand-père arrive sur la place avec sa mère qui a une cinquantaine d'années,
31:22lui va avoir 19 ans, sa sœur Georgette qui a 22 ans est aussi présente, et sa petite
31:28sœur Denizel qui a 9 ans est déjà à l'école et donc elle est amenée sur la place du chantoir
31:32avec sa classe et son institutrice.
31:35Lorsque les enfants arrivèrent au champ de foire, beaucoup de mères les cherchèrent.
31:43Je voulais revoir ma mère et mes sœurs.
31:47Ma mère esquissa un semblant de sourire.
31:51J'y ai lu de la pitié, de la révolte, de la peur et surtout une angoisse incommensurable.
31:59Certains y cessent de bavarder, riaient et donnaient l'impression de remplir une simple
32:05mission de routine.
32:06Les hommes sont séparés des femmes et des enfants qui quittent la place.
32:17Les hommes sont divisés en plusieurs groupes et conduits dans des granges et des hangars.
32:23Les soldats eux qui sont plutôt à l'entrée du hangar, il y en a un qui va aller chercher
32:31un balai, qui va balayer la dalle, ils vont installer leurs trépieds, sur les trépieds
32:36ils installent les armes.
32:37Mon grand-père a souvent dit, moi j'étais un enfant, j'avais 18, 19 ans, j'avais pas
32:46vu grand chose de ma vie, donc pourquoi moi je me serais inquiétée ? Et puis surtout
32:52à côté de moi il y a des hommes, il y a des hommes qui ont fait 14-18 et si eux ne
32:55s'inquiètent pas, pourquoi moi je me serais inquiétée ?
32:57Une détonation donne le signal de l'exécution.
33:03Simultanément, dans tous les lieux où les hommes sont parqués, ils sont mitraillés.
33:10Après la fusillade, il y a deux soldats qui s'approchent des hommes et avec leurs revolvers
33:21ils achèvent ceux qui ont encore un brin de vie.
33:24Mon grand-père dit, moi je suis sous les autres, il voit pas que je suis en vie, est-ce que
33:29je fais le mort ? Je suis pas capable de le dire parce qu'à ce moment-là je ne sais
33:32pas si je suis mort ou vivant, il dit en tout cas j'ai la tête de mon ami qui est
33:39sur la cuisse, il lui tire une balle dans la tête et je sens mon meilleur ami mourir
33:44sur moi.
33:45Les SS déposent sur les cadavres ce qu'ils trouvent dans les granges, du foin, de la
33:57paille, des fagots.
33:59Puis ils y mettent le feu.
34:02Seulement cinq hommes parviendront à s'échapper.
34:06De leur côté, les femmes et les enfants sont enfermés dans l'église du village.
34:15Une forte explosion se produit.
34:23Les femmes et les enfants, à demi asphyxiés et hurlant de frayeur, affluent vers les
34:30parties de l'église où l'air est encore respirable.
34:32Je m'assois sur une marche de l'escalier.
34:36Ma fille vient m'y rejoindre.
34:39Ma fille est tuée près de moi d'un coup de feu tiré de l'extérieur.
34:45Une fusillade éclate dans l'église, puis de la paille, des fagots, des chaises sont
34:53jetées pêle-mêle sur les corps qui gisent sur les dalles.
34:56Marguerite Rouffanche est l'unique rescapée de l'église.
35:05Elle perd lors du massacre son mari, son fils, ses deux filles et son petit-fils, âgé de
35:13sept mois.
35:14Le martyr d'Oradour-sur-Glane, par son ampleur, est sans précédent dans l'Europe de l'Ouest.
35:32643 habitants sont fusillés et brûlés, dont 247 femmes et 205 enfants de moins de 15 ans.
35:40En Normandie, trois semaines après le débarquement, la guerre s'enlise.
35:57Le moral des troupes alliées est au plus bas.
36:09En une seule journée, on compte 4000 pertes britanniques.
36:18Les rations sont froides, les journées interminables.
36:26Il pleut sans cesse.
36:31Des deux côtés, les soldats sont épuisés.
36:51L'enlisement dans le bocage semble interminable.
36:55Ma tante a des souvenirs très précis de jeunes soldats allemands qui portaient leur
37:07croix sur leur dos, qu'ils avaient taillé eux-mêmes en prévision de ce qui pourrait
37:15leur arriver.
37:16D'ailleurs, ce qui leur est arrivé.
37:18Des gens de pratiquement son âge.
37:21Et effectivement, il a fallu enterrer ces jeunes gens et mettre sur le monticule de
37:29terre la croix qu'ils avaient sculptée eux-mêmes quelques jours plus tôt.
37:31Le 19 juillet 1944, Caen est enfin libéré.
37:41La dernière offensive terrestre a porté ses fruits.
37:44115 000 anglo-canadiens entrent dans la ville, où la première marseillaise émergera des
37:52ruines.
37:53Il y a eu une bombe qui est tombée sur la Neuf, où il y avait une jeune fille juste
38:02en dessous qui a reçu une pierre sur la poitrine.
38:05Deux Canadiens, deux éclaireurs, sont rentrés et le papa de cette jeune fille a été les
38:11chercher en disant venez embrasser ma fille parce qu'elle va peut-être mourir.
38:14Et je vois encore ces deux grands Canadiens avec le pistolet sur le côté embrasser.
38:24Quelques heures plus tard, la troupe arrivait.
38:33On est sortis et tout le monde a chanté la marseillaise, le drapeau français IC.
38:44Beaucoup de gens pleuraient, essayaient d'embrasser les soldats.
38:54On les a accueillis, vraiment.
38:59Vous avez la photo de mon père avec les deux Canadiens et la femme qui devait tenir un
39:09café là où ils sont a été chercher une bouteille de calva.
39:13Ils sont en train de traquer ensemble, on était heureux.
39:34La plupart des habitants n'ont plus de maison et sont évacués.
39:38Les visages des gens sont ravagés.
39:41Les regards reflètent des visions d'horreur et d'angoisse.
39:43Mais parfois, on surprend dans la population le signe d'une profonde reconnaissance.
39:59Papa et maman ont vieilli d'un seul coup.
40:01Maman pleure en silence, papa cherche des signes dans le ciel mais le ciel ne répond pas.
40:07Le monde entier est venu en Normandie nous libérer.
40:11Cela ne me libère pas de la mort de mon frère.
40:14Je ne peux pas choisir entre Jean-Marie et ces jeunes de son âge qui sont venus depuis
40:20l'autre bout du monde pour nous rendre la vie, la dignité perdue.
40:24Troubles, sentiments, choix impossibles.
40:29Tout est dévasté, il ne reste presque rien de ce que fut une grande ville.
40:41Rue après rue, maison après maison, tout est rasé, mort.
40:52Quelqu'un souffle dans les ruines, puissent l'exemple de Caen protéger les autres villes
40:57de France.
40:58Avec 3000 morts civiles et 44 jours de combats, le calvaire de Caen est unique dans l'histoire
41:07de la libération.
41:08On en a parlé assez souvent, que les bombardements avaient été quand même un peu durs pour
41:19la ville de Caen.
41:20Après, vous savez, nous avons été libérés donc c'était l'essentiel et on les remercie.
41:25Depuis le 6 juin 1944, les alliés débarquent des milliers d'hommes et de matériel sur
41:38les plages normandes.
41:39Mais c'est seulement le 1er août 1944 que la 2e division blindée du général Leclerc
41:48arrive en Normandie.
41:49Sous commandement américain, il est prévu qu'elle libère notamment Paris.
41:55Créée par De Gaulle et Leclerc, elle compte 16 000 volontaires issus des forces françaises
42:02libres et une minorité de républicains espagnols.
42:05On embarque donc sur un Liberty ship qui s'appelait le Texas.
42:20Le 2 août, on aperçoit les côtes de France, j'ai vécu, oui j'ai vécu je peux dire
42:34une aventure extraordinaire, c'est vrai, parce que quand j'ai signé mon engagement
42:42chez le général Leclerc, je savais que c'était pour la bonne cause.
42:49Les soldats de la 2e DB se rassemblent autour de leur vénération pour le général Leclerc
43:00dont les exploits en ont fait rêver plus d'un.
43:02Impatients de libérer la France, les fameux gars de Leclerc sont loin d'imaginer ce qui
43:09les attend.
43:10Il y a encore des corps de soldats allemands et américains qui n'ont pas été relevés.
43:19Alors évidemment le débarquement, le stationnement dans cette campagne normande, l'odeur, il
43:31y a une odeur de cadavres, une odeur d'animaux, de vaches ou de chevaux qui sont en décomposition,
43:42qui sont morts et qui sont dans les prairies.
43:48L'essai, Sainte-Mère-Église, la haie du puits, on passe dans des villages entièrement
44:09détruits, pas d'habitants, pas de rues, pas de routes, on passe sur des ruines.
44:16Et quand on arrive un petit peu plus loin, là on a rencontré la population.
44:23Ils ne nous accueillent pas en nous tendant les bras.
44:30Ce sont des gens tristes, abattus, résignés.
44:41Ils ont subi les horreurs de la guerre et on n'a pas l'impression d'être accueillis
44:54comme des libérateurs.
44:55Il y a le traumatisme des destructions mais aussi celui des femmes dont les sourires semblent
45:08parfois forcés.
45:09Le préfet de la Manche note « Les libérateurs américains se sont transformés en pilleurs,
45:18tueurs et violeurs ». Entre juin 1944 et juin 1945, des GI se rendent coupables du
45:27viol de plusieurs centaines de femmes.
45:28L'armée américaine condamne ces crimes qui obscurcissent le mythe d'une armée modèle
45:36qui aurait délivré chevaleresquement les victimes de l'occupation allemande.
45:40Fin juillet 1944, seulement 20% du territoire est libéré.
45:53Les américains qui ont percé les défenses allemandes dans le Cotentin partent d'un
45:59côté libérer la Bretagne avec l'appui local des FFI, de l'autre filent plein est
46:04avec la deuxième débaie de Leclerc.
46:08Les anglais se préparent à libérer le nord de la France.
46:13Depuis que les alliés sont sortis du Bourbier normand, les français entrevoient une lueur
46:23d'espoir.
46:24Mais les civils auront payé le prix fort.
46:2720 000 normands sont morts, 150 000 ont été contraints à l'exode.
46:33On compte plus de pertes chez les civils français que chez les soldats alliés.
46:39Les normands ont enduré la guerre avec une courageuse abnégation.
46:44Cependant, les blessures vont mettre du temps à cicatriser.
46:49Alors que la bataille de Normandie a été une épreuve terrible pour les français,
46:56la libération du reste de la France, loin d'être gagnée, sera-t-elle aussi déchirante?