En janvier dernier, le vote de la loi finances 205, a permis de faire adopter la hausse de la taxe solidarité sur les billets d’avions. Elle passe de 2,63€ à 7,40€. Quel est l’intérêt de cette hausse pour l’État et dans quelle mesure elle peut être bénéfique pour l’environnement ? Ce sont les questions posées dans ce débat.
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00:00C'est le débat de Smart Impact, on parle de taxes de solidarité sur les billets d'avion avec Christophe Roth, bonjour, expert du voyage d'affaires au groupe EPSA et Timothée Calard, bonjour, co-fondateur d'EcoDev, EPSA, spécialiste européen de la performance financière.
00:21Vous présentez chaque année le baromètre du voyage d'affaires. Question très générale, comment se porte le secteur ?
00:27Il va mieux, il revient de loin puisqu'effectivement, on l'a tous vu, avec le Covid, l'industrie du voyage a été fortement impactée, notamment sur le volet affaires
00:34puisque les entreprises ont arrêté de se déplacer, ont beaucoup réfléchi, mais il a retrouvé des couleurs, on retrouve plus de stabilité.
00:41Est-ce que quand même, il y a eu effectivement toutes les questions posées par le blocage Covid, on va dire comme ça, ce coup de frein,
00:50est-ce que les comportements ont un peu changé dans les entreprises ?
00:54On a vu des changements sur les durées de séjour, surtout aussi sur la fréquence des voyages, c'est-à-dire que les collaborateurs et leurs entreprises, surtout,
01:03ont amené à beaucoup plus de réflexion sur la nécessité de se déplacer et sur la façon de le faire, le mode de voyage, pour privilégier davantage le train,
01:11pour essayer de combiner différents déplacements plutôt que d'en faire trois, on en fait un seul et on combine sur un même déplacement,
01:17essayer de voyager plus intelligemment et de façon un peu plus responsable.
01:21Un peu plus éco-responsable. Présentation, vous êtes déjà venu plusieurs fois dans cette émission, Timothée Kellar, mais j'aimerais bien que vous nous présentiez Ecodev.
01:28Ecodev est un cabinet de conseil qui travaille sur les sujets de l'environnement, principalement, ou de la RSE au sens large.
01:34On mesure et on accompagne les employeurs pour avoir des indicateurs extra-financiers.
01:39On va parler de cette taxe de solidarité sur les billets d'avion qui est réelle, concrète, Christophe Roth, qui a été votée. Vous pensez que c'est une mauvaise idée ?
01:51Elle fait débat, en tout cas. Les compagnies aériennes, dès que ça a été évoqué dans le projet de loi finance avec le gouvernement précédent,
01:59ont fortement réagi à cette annonce-là. En fait, ce qui pose question, c'est de ponctionner une industrie aérienne et l'application.
02:08En fait, que va devenir cet argent ? À quoi il va servir ? Et très clairement, le gouvernement ne s'en cache pas.
02:15Il a besoin de remplir les caisses. Et donc, on va ponctionner l'industrie aérienne. Et on vient de l'évoquer, le secteur revient de loin.
02:23La croissance, elle est encore très fragile, en tout cas sur certaines compagnies, dont les compagnies françaises.
02:30Effectivement, ça peut venir un peu casser cette reprise-là. — Oui. Votre avis, Timothée Keller ?
02:35— Alors moi, mon avis, il est plutôt sur un angle environnemental. C'est-à-dire que si on regarde de manière très macro les enjeux environnementaux
02:41et les accords de Paris par exemple, on doit réduire tous les ans de 5% environ nos émissions. Et donc l'aviation devrait suivre cette décroissance.
02:49— Ça représente 3% des émissions globales de gaz à effet de serre, grosso modo, l'aviation commerciale.
02:54— 3,6% des calculs. Mais effectivement... Mais si je prends un peu de recul aussi sur la situation, finalement, le voyage, de manière générale,
03:04est destiné à une élite à l'échelle du monde. C'est à peu près 50% des émissions de CO2 pour 5% des voyageurs.
03:11Donc en fait, on pourrait très bien se dire que taxer, c'est bien. Cela dit, Christophe l'a signalé, pour quelle fin et quel objectif ?
03:19Donc effectivement, moi, mon avis sur cette taxe, si je dois donner un avis, c'est que sous couvert d'enjeux environnementaux et de surcoûts,
03:29on cache finalement un autre problème qui est un problème économique. Et donc du coup, il y a un mélange et une confusion dans les genres
03:35qui du coup n'est pas extrêmement constructif, ni pour le sujet croissance économique ou même enjeux environnementaux.
03:42— Mais si je ne me trompe, il n'y a pas de taxe sur le kérosène. C'est le seul moyen de transport dont le carburant n'est pas taxé.
03:49Il y a là une absurdité, quand même. — Ni le kérosène ni la TVA. Effectivement, c'est un secteur où la fiscalité est assez particulière.
03:57Mais c'est quelque chose qui s'applique à l'ensemble des compagnies dans le monde. C'est une volonté, effectivement, de développement économique,
04:03puisque l'avion est un vecteur de développement économique. Maintenant, effectivement, encore une fois, je pense que le sujet,
04:08c'est pas tellement la taxe ou même son montant. Elle a triplé voire quintuplé dans certains cas.
04:14Mais on reste sur des montants qui restent quand même assez raisonnables pour la plupart des déploiements.
04:17— Est-ce que ça pose une question concurrentielle ? C'est-à-dire est-ce que ça met en difficulté des compagnies françaises,
04:24des aéroports français par rapport à... — Alors ils sont plus impactés, puisque la taxe, elle s'applique pour tous les vols au départ de la France.
04:30Après, quel que soit le pavillon, ça, c'est sûr. Mais une compagnie comme Air France est beaucoup plus exposée qu'American Airlines, par exemple.
04:37Donc oui, ça peut effectivement avoir un impact sur de la demande. L'avion a beaucoup augmenté. On rajoute des taxes.
04:44Ça peut freiner une demande générale, qu'elle soit au voyage d'affaires ou de loisirs. Ça peut avoir cet impact-là.
04:50Et puis on a vu quelques compagnies qui n'ont pas forcément mis en pratique leurs menaces, mais qui étaient de se retirer,
04:57notamment Ryanair, de se retirer du marché français, s'il y avait trop de taxes qui étaient appliquées.
05:02— Ça pose la question du levier du prix. Mais c'est quand même un levier efficace, Timothée Calla.
05:07— Oui, oui. Effectivement. — Si on veut inciter les voyageurs à un peu moins prendre l'avion et à privilégier d'autres modes de transport...
05:16— Oui. Alors même les voyagistes ou certains comme Jean-François Rialt, de Voyages du monde, précisent effectivement qu'il faudrait
05:22augmenter... Enfin mettre des taxes sur les kérosènes ou mettre des taxes aux aéroports. Après, ça pose la problématique de la gouvernance.
05:28C'est-à-dire que si on veut freiner les émissions carbone ou travailler sur les enjeux environnementaux, il faut travailler à une échelle
05:34à minima européenne, ce que préconise la Convention citoyenne pour le climat, par exemple, ou des travaux associés,
05:40ou au niveau même mondial. Et effectivement, là, aujourd'hui, on est sur des protocoles ou en tout cas des réglementations liées
05:46aux traités de Chicago qui sont internationaux avec une spécificité de taxation, en tout cas de fiscalité dont je suis pas expert,
05:53mais j'ai bien compris qu'elle était très particulière. Donc ça remet en cause pour moi ce sujet. Et là, en l'occurrence,
05:59il faut revenir à l'origine, la taxe dite Chirac aussi était pour lutter contre les problématiques de solidarité et entre autres
06:07contre le sida il y a plus de 20 ans. Aujourd'hui, quand on regarde où va cet argent, effectivement, c'est plutôt pour renfler
06:12les caisses de l'État. — Oui, enfin pour réduire... — Le déficit. — Voilà. Mais réduire le déficit, il faut bien que tous les secteurs
06:19prennent leur part. Enfin ça m'amuse, parce que quand, en l'occurrence, c'était Michel Barnier qui est arrivé à annoncer
06:2570 milliards d'économies, évidemment, on n'a pas réussi à les faire, tous les secteurs ont dit « OK, c'est super, mais pas moi ».
06:31Donc on peut pas entendre ce discours-là, votre avis. Je vous reposerai la question après, Thibaut Eckeler.
06:35— Mais je pense que le fonds, encore une fois, c'est pas tellement le montant ou l'application d'une taxe. Alors oui, les compagnies aériennes
06:41sont pas très contentes. Moi, je vais plutôt me mettre sur le volet des entreprises. Qu'elles attendent, ces entreprises qui font voyager
06:47des collaborateurs, c'est que les compagnies aériennes soient plus vertes. C'est-à-dire qu'à un moment donné, je peux faire ce que je veux,
06:52réduire mes voyages, prendre le train. Si j'ai besoin d'aller à New York parce que je dois rencontrer un...
06:57— Oui, le business fake, il faut y aller. — Exactement. Elles cherchent à le faire de façon plus responsable. Et ça, c'est des investissements
07:03massifs pour les compagnies aériennes, le développement de biocarburants, le renouvellement des flottes d'avions pour avoir des moteurs
07:09plus propres. Il y a beaucoup d'initiatives qui doivent être développées, qui coûtent très cher. Et cette taxe serait la bienvenue
07:15pour financer effectivement cette évolution. — D'accord. Thibaut Eckeler.
07:19— Alors moi, mon avis sur la taxe est pourquoi pas, effectivement, taxer plus pour réduire des usages. Après, il faudrait avoir une égalité,
07:28j'ai envie de dire, ou une équité dans cette taxation. Si on regarde dans l'aviation, vous avez à peu près un bon tiers qui est lié au voyage d'affaires.
07:33Elle est à peu près 20%, qui est vraiment quelque part obligatoire, parce que c'est des familles qui vont se retrouver avec des problématiques
07:41d'immigration, ce genre de choses, et à peu près la moitié liée au voyage loisir, vacances. Et là, on peut toucher peut-être plus sévèrement
07:49un certain nombre de profils, parce que vous avez – encore une fois, je reprends certains chiffres – mais vous avez à l'échelle du monde
07:53à peu près 1% de la population mondiale qui va peser pratiquement 50% de tout l'impact environnemental de ces trajets.
08:00— Et qui peut sans doute payer un peu plus cher son billet d'avion. — Et donc là, effectivement, vu de ce prisme, vu de cet angle, moi, j'ai aucun souci
08:07à augmenter des taxes sur ces populations et peut-être minimiser sur d'autres usages qui seraient économiquement ou socialement
08:13beaucoup plus vertueux. — Oui. — Mais cette nouvelle... Enfin la taxe n'est pas nouvelle, puisqu'elle existe depuis 2006,
08:19taxe Chirac. Par contre, ce qui est nouveau, c'est qu'elle ne s'appliquait pas à l'aviation d'affaires, pas au voyage d'affaires,
08:25l'aviation d'affaires, c'est les jets privés, qui aujourd'hui, effectivement, sont des contributeurs aussi de cette taxe.
08:31— Oui. Donc ça, ça a changé. Il y a une autre question qui est plus générale. C'est vrai que la France est à la fois un leader mondial
08:38de l'aéronautique et du tourisme. Est-ce qu'on se tire pas une balle dans le pied, Timothée Kellar, en voltant une taxe comme celle-là ?
08:46— C'est sûr qu'on peut avoir cet effet de freiner un certain nombre de trafics ou de volonté de faire venir du monde chez nous.
08:53Après, quel type de voyage on cherche ? Quel type de tourisme on cherche ? Et est-ce que c'est, encore une fois,
08:59compatible avec, par exemple, les engagements que l'État français a signés sur les accords de Paris ?
09:04Si on regarde de manière beaucoup plus simple le sujet, est-ce que c'est finalement une bonne voie de vouloir continuer à avoir du tourisme
09:12avec beaucoup de vols pour des durées très courtes sur notre territoire ? Toutes les extrapolations, tous les chiffres et tous les travaux
09:19qu'on peut regarder démontrent que c'est pas compatible. Donc à un moment donné, il faut bien se dire la réalité. Ce n'est pas compatible.
09:25Donc moi, j'opterais plutôt pour des voyages effectivement longs trajets, peut-être plus taxés, mais sur des durées plus longues,
09:31avec aussi d'autres types de moyens de transport. Enfin on pourrait repenser un peu le tourisme. Et si on continue à aller dans cette direction,
09:38on sait que de toute manière... Et malheureusement, si je finis même, l'argent qui est ponctionné aujourd'hui ne va pas servir à aider
09:45cette transition. Parce que si l'argent qui a été récupéré aujourd'hui aidait un tout petit peu à financer cette alternative ou même en parler,
09:53ça serait déjà un bon signal. Là aujourd'hui, c'est vraiment clairement dit. On a besoin de ce qu'on récupère par n'importe quel canot.
10:00Celui-ci en est un parmi d'autres. Moi, ça ne me pose pas plus de problèmes que ça. Mais si on essaie d'avoir quand même une vision objective,
10:10ça mélange vraiment trop les choux et les carottes.
10:13– Même question, Christophe Hotte. Est-ce que c'est à la France de prendre la tête de ce qu'on va, alors qu'on est des champions de l'aéronautique et du tourisme ?
10:19– Alors, je ne m'exprimerai pas sur le côté loisir, parce qu'effectivement, ma responsabilité est davantage sur le côté entreprise.
10:26Mais je pense qu'effectivement, la France est souvent l'initiative de beaucoup de sujets. Il faudrait que cette taxe soit plus généralisée, plus globalisée.
10:35Pourquoi ? Effectivement que la France, la contribution, en fait, le réchauffement climatique, c'est un enjeu global. Ça n'aura échappé à personne.
10:43Il faudrait que ce soit quelque chose qui soit peut-être mené par la France avec d'autres pays, comme l'a été la taxe Chirac.
10:48Puisqu'on parle de taxe Chirac, mais en fait, il n'y avait pas que Jacques Chirac. Il y avait aussi eu le président Lula, le Royaume-Uni,
10:54quelques pays phares qui ont été impliqués dans la création de la taxe à l'origine. Il faudrait qu'elle ait une portée plus mondiale.
10:59Et encore une fois, qu'elle serve à décarboner cette industrie.
11:02Mais on est bien d'accord que l'équation de la hausse du trafic aérien et des objectifs de décarbonation, elle est intenable.
11:11On est d'accord. Et c'est là où, effectivement, il faut qu'on réfléchisse davantage à mieux se déplacer. C'est ça qui est important.
11:18Et l'avion non polluant, aujourd'hui, on n'a pas trouvé la solution.
11:21Non. Et les biocarburants, on peut en mettre jusqu'à 50 % dans les avions d'aujourd'hui, sauf qu'on n'est pas capable de produire...
11:27Il n'y a pas la filière. Ça coûte beaucoup, beaucoup plus cher. Et donc...
11:30— Et puis il y a des enjeux de... S'il fallait développer cette filière, c'est au détriment de terres qui servent à produire...
11:36— Voilà. Si c'est pour moins produire des animaux pour les hommes et les humains et les animaux, ça...
11:41— Non, non. C'est pas une solution. C'est sûr que le levier de la demande, il doit être activé. Et c'est l'impact principal.
11:46La réduction des voyages en avion, elle est inéluctable si on veut, effectivement, avoir un impact sur le réchauffement.
11:52Mais... Dernière question, Thibaut Tekala. Les pays émergents, ils voient dans l'avion à la fois un symbole et un levier de croissance et de développement.
12:03Donc c'est pas à nous d'essayer de les priver de ce levier. Oui, est-ce que j'ai bien...
12:06— L'idée, c'est pas de les priver. C'est peut-être de réguler un peu mieux. Encore une fois, si on regarde les chiffres,
12:09vous avez beaucoup de trajets réalisés par peu de personnes. Dans le monde, le voyage touche à peu près 10 % de la population mondiale
12:18au niveau économique. Donc en fait, 90 % ne sont pas touchés par ce modèle économique. Donc voilà. Donc il faut relativiser un petit peu.
12:25Et l'idée, c'est pas d'interdire les pays du Sud. C'est peut-être de mieux contrôler ceux qui, aujourd'hui, en abusent,
12:30parce que finalement, on peut avoir ce type de vocabulaire avec des usages qui sont extrêmement importants.
12:35Et après, il y a une question d'objectif. Est-ce que vraiment, pour certaines populations, prendre l'avion très souvent sur des voyages d'affaires
12:45et bien accumuler à titre personnel par exemple des miles pour pouvoir avoir d'autres voyages ou lasers, est-ce que tout ça, effectivement,
12:50est réellement équitable au regard de ces populations ? Donc on pourrait repenser... Encore une fois, j'insiste. La Convention citoyenne pour le climat
12:57a travaillé sur ce sujet. Donc c'est des citoyens qui n'avaient pas du tout de connaissances qu'on travaille sur ce sujet. Et on prenait 4 recommandations,
13:05justement, avec un sujet de fiscalité, un sujet de régulation et un sujet de consensus sur l'équité des vols qui, quand on le regarde,
13:11n'est pas si incohérent que ça et pourrait permettre déjà de travailler sur ces trajectoires de manière plus cohérente.
13:17Merci beaucoup. Merci à tous les deux et à bientôt sur Be Smart For Change. On passe à notre rubrique « Prêt pour l'impact ».