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00:00Bonsoir Cédric, vous nous avez ramené un invité de marque aujourd'hui, l'alpiniste et aventurier Benjamin Védrine.
00:08Oui bonsoir Benjamin, merci d'être avec nous. Avec plaisir.
00:11Alors vous avez 32 ans, vous êtes l'une des figures de l'alpinisme, l'une des grandes figures même de l'alpinisme,
00:17vous avez de nombreux exploits à votre actif, de nombreux records d'ascension un peu partout dans le monde,
00:22dans les Alpes, au Népal, au Pakistan, d'ailleurs l'un de vos exploits les plus retentissants,
00:27c'est le record d'ascension du K2, le deuxième plus haut sommet du monde après l'Everest,
00:31à 8611 mètres d'altitude, c'était l'an dernier.
00:35Et là au mois de février, votre dernier exploit, un nouvel exploit inédit dans les Alpes d'ailleurs,
00:40vous avez grimpé en solo l'Edru, situé dans le massif du Mont Blanc, à 3730 mètres d'altitude.
00:46Personne n'avait jamais fait ça en solitaire par l'une des voies les plus difficiles en 5 jours.
00:51Alors la première question, qu'est-ce qu'on se dit une fois qu'on est tout en haut ?
00:56Qu'est-ce qu'on se dit ? Moi l'Edru, c'était quand même un des plus gros challenges que je me suis lancé,
01:00je pense, dans ma carrière d'alpiniste. Et qu'est-ce qu'on se dit quand on est là-haut ?
01:04On se dit pourquoi on a fait ça, d'une certaine manière. On se pose la question,
01:07comme j'imagine que vous la posez vous-même.
01:09Et pourquoi ?
01:10Pourquoi ? Ça commence à être philosophique là. On n'a peut-être pas les 5 minutes nécessaires.
01:15Mais non, moi c'était un projet que je portais depuis très longtemps, un rêve de gosse comme on dit,
01:20et on se dit qu'on a fait quelque chose de grand et en même temps,
01:23on se sent tellement petit dans ce massif du Mont Blanc, en haut d'Edru,
01:26même si c'est un très beau sommet, on n'a fait qu'une petite partie du chemin.
01:32Quand je dis ce chemin, c'est un peu l'ascension de ma montagne intérieure aussi à moi.
01:36Et c'est ce que je voulais faire, mais c'est qu'une partie de l'ascension.
01:39Mais qu'est-ce qui vous a motivé dans ce défi ? Pourquoi cette voie qui est l'une des plus difficiles en solitaire ?
01:43Moi j'aime bien me lancer des challenges, des défis.
01:46Ce qui me passionne dans la montagne que je fais depuis pas mal d'années,
01:49c'est de repousser mes limites et de me prouver que je suis capable de faire des choses
01:54que je ne me sentais pas du tout capable de faire quand j'étais jeune.
01:57Et c'est ce qui est beau dans cette montagne, c'est qu'au fond c'est une superbe école de la vie,
02:02parce que ça apporte des valeurs incroyables,
02:05et notamment dans Edru, j'ai dû faire face à tellement de péripéties,
02:09tellement de bâtons dans les roues.
02:11Donc l'Edru, c'est ce qu'on voit à l'image là, c'est la montagne qu'on voit ?
02:13Oui, c'est l'Edru, c'est vraiment une montagne iconique du massif du Mont Blanc,
02:18qui a une face ouest qui est vraiment très raide, une des plus raides des Alpes,
02:22et dont la face qu'on a vue tout à l'heure est rayée d'une voie qui s'appelle Baz,
02:27que j'ai choisie et qui est caractérisée par beaucoup de longueurs difficiles
02:31qui s'enchaînent les unes après les autres,
02:33et un rocher de qualité parfois, j'ai envie de dire médiocre,
02:37ça serait presque un euphémisme.
02:38Est-ce qu'il y a des moments, lors de cette ascension,
02:42où vous vous demandez ce que vous faites là et vous regrettez ?
02:45Alors, ça m'arrive, mais sur cette ascension-là, je dois dire que je l'avais tellement préparée à l'avance,
02:50et j'avais fait beaucoup de préparation mentale notamment,
02:52beaucoup de visualisation, et dans cette visualisation,
02:55je m'étais tellement projeté dans les longueurs, dans l'ambiance,
02:59et je ne vais pas dire que j'étais en mode balistique,
03:02mais j'étais vraiment dévoué à la cause,
03:05et l'envie d'atteindre le sommet était tellement forte
03:08que je ne me suis pas tant posé cette question-là.
03:10Et de quoi on souffre le plus ? Du froid ? C'est une souffrance physique ?
03:14Alors, c'est une souffrance psychologique,
03:16parce qu'il faut porter un peu tout le poids de cette ascension seul sur ses épaules.
03:19Quand je dis tout le poids de cette ascension,
03:21c'est les longueurs qu'on voit là, qui sont difficiles, l'inconnu,
03:24parce qu'en fait, moi, je n'ai jamais parcouru cette voie-là,
03:26et donc j'ai beaucoup d'incertitudes, je ne sais pas ce qu'il y a devant moi.
03:30Et puis après, il y a le froid, évidemment, on est en plein hiver,
03:32donc on se lève le matin, souvent il fait moins 10 degrés,
03:35puis il faut grimper sur le rocher à mains nues,
03:37parce que c'est difficile, et parce que c'est raide,
03:39il faut avoir des gants, sinon ce n'est pas assez précis.
03:41Et puis après, il y a aussi la neige,
03:43donc il faut avoir souvent les crampons aux pieds pour accrocher à la glace et à la neige.
03:46Et les jours qui sont courts, on est en hiver encore,
03:48donc il fait jour à 7h30 et il fait nuit à 18h.
03:51Vous parliez de difficultés, je vous propose de regarder un extrait de cette ascension,
03:55parce que vous aviez une caméra avec vous,
03:57et ça va nous aider un peu à rendre compte à quel point c'est difficile.
04:01C'est la partie où le roche pousse.
04:04Dégueulasse !
04:06Dégueulasse !
04:12Voilà, j'ai failli partir avec ça tout à l'heure.
04:15Alors voilà, c'est assez spectaculaire de vous voir le long de la paroi comme ça.
04:20Est-ce que vous pouvez nous expliquer, en fait,
04:22c'est très difficile de grimper parce que la paroi est effrayable ?
04:25Oui, en fait, c'est des cyclones,
04:27parce que la paroi est effrayable.
04:28Oui, en fait, c'est les cicatrices d'un écroulement qui a eu lieu en 2005,
04:33dû au réchauffement climatique.
04:35Donc cette voie, elle est aussi symbolique un petit peu de l'époque que l'on vit.
04:38Et cette voie, elle a été ouverte en 2021,
04:40et au final, le rocher est toujours très instable.
04:43Donc il faut grimper comme un chat, comme on dit,
04:46et être vraiment très peu négligent sur, en tout cas, les prises que l'on choisit.
04:52C'est pour ça que je dis qu'il n'y a pas de mauvais rochers,
04:54mais il n'y a que des mauvais grimpeurs.
04:56C'est ce qu'il faut vraiment être très lucide sur ce qu'on fait.
04:58Et ça fait partie des difficultés de cette voie.
05:01Mais ça vous arrive d'avoir peur, tout de même, quand on voit que la ranche tombe ?
05:04Ah non, mais moi, j'ai peur quasiment tout le long,
05:06et surtout avant l'ascension.
05:08Je fais beaucoup de nuits où j'y pense, etc.
05:11Et puis pendant l'ascension également, c'est la peur qui me tient concentré,
05:15extrêmement concentré.
05:16C'est une concentration tellement extrême qu'on oublie tout pendant ces moments-là.
05:20Et c'est ce que je viens chercher aussi.
05:22C'est cet abandon un petit peu du monde d'en bas, de mon existence presque à moi,
05:27et je suis concentré qu'avec mes gestes majestuels
05:30et l'instinct de survie de ne pas tomber.
05:32J'ai lu que vous aviez pris votre temps pour achever l'ascension,
05:35que vous avez pris cinq jours, mais que vous auriez pu faire moins.
05:39Pourquoi ? Justement, c'est une question de concentration ?
05:41Non, c'est une question de difficulté.
05:45C'est-à-dire que c'est une voie qu'on peut difficilement faire plus rapidement.
05:49Et puis après, c'est aussi l'incertitude qui s'est cumulée au mauvais rocher,
05:54qui est propre à la météo.
05:56C'est-à-dire que le dernier jour où j'avais l'envie de sortir et d'aller au sommet,
05:59il a neigé.
06:00Et c'est les images qu'on voit là,
06:02où il y avait en fait une fine pellicule de couche de neige fraîche
06:06qui s'était déposée sur le rocher et qui m'empêchait de grimper sereinement
06:09et qui m'a vraiment ralenti.
06:10Donc vous êtes resté ?
06:11Alors du coup, j'ai dû faire un bivouac de plus sous le sommet.
06:14Et c'est vrai qu'honnêtement, oui, j'aurais pu sortir de nuit au sommet,
06:17descendre de nuit,
06:18mais j'avais ce rapport avec la montagne qui s'était tissé
06:20et j'avais envie, de manière passionnelle,
06:23de rester une nuit de plus sous ce sommet
06:26pour observer un dernier lever de soleil et des couleurs magnifiques.
06:30Et il y a aussi ce côté contemplatif dans ce genre de projet.
06:33Et quand on vous voit sur les images faire des bivouacs à bord de falaises,
06:37est-ce que vous arrivez quand même à dormir la nuit ?
06:40Sincèrement, je pense qu'il y a 10-15 ans, j'aurais vraiment difficilement dormi.
06:46Mais là, avec l'expérience, on arrive à lâcher prise
06:49et à se dire que c'est déjà toujours mieux que d'être assis,
06:53sans duver, sans rien.
06:55On arrive toujours à relativiser.
06:58J'ai vu aussi que dans diverses interviews,
07:00vous parlez beaucoup de la mort qui fait partie de la montagne.
07:04Est-ce que c'est quelque chose qui est omniprésent ?
07:06Quel rapport vous avez avec la mort ?
07:08Moi, je dirais qu'on ne va pas dans ce genre de phase par hasard, c'est évident.
07:13Peut-être que la prise de risque, au fond, pour moi,
07:16c'est peut-être presque plus un besoin qu'une envie.
07:19Mais ce qui est le plus important, c'est de conscientiser tout ça,
07:22c'est de savoir si dans la balance bénéfice-risque,
07:25on est gagnant ou pas.
07:26Est-ce que ça vaut le coup pour nous, pour notre vie ?
07:29Et au fond, c'est une belle allégorie de la vie,
07:32parce que pour atteindre le sommet, il faut prendre des risques.
07:35Et c'est souvent le cas dans la vie de tous les jours aussi.
07:37Il faut parfois souvent se lancer, accepter de faire des choses risquées.
07:40Et moi, je m'y retrouve dans ces valeurs.
07:42Et voilà, c'est ce qui me tient debout en ce moment.
07:44Rapidement, ce sera quoi le prochain risque ?
07:46Le prochain risque, ça va être, je ne sais pas,
07:49peut-être de me balader dans les rues de Paris.
07:52Je ne suis peut-être pas aussi à l'aise en milieu urbain que dans les drues.
07:58Mais non, non, pour être plus terre à terre, j'irai en Alaska,
08:03ce printemps, pour tenter la phase sud du Dénali.
08:06Ce n'est pas encore tout validé,
08:08mais normalement, je pars sur ce prochain projet.
08:10Merci, Benjamin, en tout cas.
08:12Vous nous avez presque donné envie, là.
08:15On a presque envie d'y aller.
08:17Merci à tous les deux.
08:19Restez avec nous.