Donald Trump a accentué ses critiques à l'égard de Harvard, menaçant de priver de subventions fédérales et du droit d'accueillir des étudiants étrangers. Explication et analyse avec Tristan Cabello, politologue spécialiste des États-Unis et professeur à l’université Johns Hopkins dans le Maryland.
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00:00On se retrouve sur BFM2 pour ce nouveau direct, un direct consacré aux universités américaines
00:06dans l'œil des conservateurs, notamment de Donald Trump, qui considère ces universités trop de gauche.
00:11Pour en parler, nous accueillons Tristan Cabello, politique, politologue spécialiste des Etats-Unis.
00:17Merci d'être avec nous.
00:18Alors on l'a dit, Donald Trump a gelé plus de 2,2 milliards de dollars de subventions à l'université d'Harvard.
00:24Il menace désormais de lui interdire l'accueil des étudiants étrangers.
00:27Concrètement, que cherche Donald Trump ?
00:30Alors la version officielle que l'administration donne à toutes ces universités, c'est le combat contre l'antisémitisme.
00:39Alors c'est un combat qui est très noble, mais qui est complètement dévoyé par l'administration Trump,
00:45puisque l'on voit que les demandes qui sont formulées à l'égard de Harvard,
00:51en fait, n'ont pas grand-chose à voir avec le combat contre l'antisémitisme.
00:55Comme vous l'avez rappelé, ce sont des gels de fonds fédéraux qui sont donnés en général à la recherche sur les sciences dures.
01:03Et puis surtout, l'arrêt de l'accueil des étudiants internationaux.
01:10Je pense que ce que Donald Trump veut faire, c'est vraiment s'attaquer à ces universités,
01:16qui sont en général des lieux qui sont plutôt fréquentés par des penseurs progressistes,
01:23par le milieu démocrate, et puis par un milieu qui est très opposé à l'administration Trump.
01:31Et donc, Donald Trump tient les cordons de la bourse.
01:34Mais il faut quand même se rappeler que ces universités, en plus des fonds fédéraux,
01:39ont bien évidemment des dotations qui sont énormes.
01:42Harvard, c'est à peu près 64 milliards de dollars.
01:45Donc, ils peuvent faire face à ces coupes budgétaires en puisant dans leur dotation,
01:50qui est toujours très importante.
01:51C'est justement ce que j'allais vous demander.
01:53C'est une université qui a une certaine renommée, plusieurs prix Nobel qui en sortent,
01:5830 000 étudiants.
01:59Comment expliquer que le président Donald Trump, qui veut revenir sur une Amérique glorieuse,
02:04qui veut redonner la grandeur à l'Amérique, puisse enfoncer autant des universités aussi prestigieuses ?
02:09Oui, alors vous l'avez rappelé, ces universités, elles font rayonner l'Amérique au niveau international.
02:15Ces universités, elles sont bien sûr basées sur le territoire américain,
02:18mais elles font appel à des chercheurs qui viennent de partout dans le monde,
02:23d'Europe, d'Asie, d'Amérique du Sud et qui ont une renommée internationale.
02:29Moi, je pense que ce que Donald Trump veut vraiment combattre ici,
02:34c'est bien évidemment les pensées dissidentes,
02:38les pensées qui s'opposent à son administration,
02:41mais aussi il y a, comme dans beaucoup de régimes à tendance autocrate, autoritaire,
02:47une méfiance de la science, et on l'a vu par exemple avec son ministre de la Santé,
02:54qui par exemple a dit il y a juste quelques jours que l'autisme était peut-être dû au vaccin.
03:03Donc il y a non seulement une méfiance de la science, une méfiance des universitaires,
03:07mais aussi l'idée quand même de mettre un couvercle sur ces pensées dissidentes
03:13et ces manifestations anti-Trump qui pourraient émerger de ces campus au printemps maintenant ou durant l'été.
03:21Justement, vous l'avez rappelé, plusieurs provocations de la part de Donald Trump, le président américain,
03:26et justement il dit qu'Harvard enseigne la haine et l'imbécilité
03:29et on ne devrait plus recevoir de fonds fédéraux.
03:32C'est ce qu'il a écrit sur son média, Truffes Sociales.
03:35Alors vous l'avez dit précédemment, mais est-ce que sans ces fonds, Harvard peut s'en sortir ?
03:38Est-ce qu'elle peut rester aussi prestigieuse qu'elle l'est ?
03:40Alors tout dépend de comment ils veulent pallier à ces pertes budgétaires.
03:49Ils ont deux options devant eux.
03:51Soit ils font un plan d'austérité pour Harvard, c'est-à-dire en gros,
03:58arrêter les embauches, peut-être faire quelques licenciements, peut-être baisser les salaires.
04:05Ça c'est très possible et c'est en général ce que les universités aux États-Unis
04:09ont fait pendant la crise du Covid.
04:11Elles n'ont pas puisé dans leurs dotations,
04:14elles ont en fait fait des plans d'austérité
04:16qui ont réduit les coûts de fonctionnement pour ces universités.
04:21L'autre option, c'est bien évidemment de puiser dans ces larges dotations qu'elles ont.
04:26Alors ce sont des montages financiers qui sont très complexes.
04:29Ça ne veut pas, bien sûr, le fait que Harvard ait par exemple une dotation de 64 milliards de dollars,
04:35ça ne veut pas dire qu'ils aient 64 milliards de dollars disponibles pour eux à la banque.
04:41Ce sont des montages financiers, ce sont des investissements,
04:44donc ils ne peuvent pas prendre tout cet argent.
04:46Mais cet argent est là et il semblerait, il semblerait que Harvard ait décidé de puiser dans cette dotation.
04:52C'est le rôle en fait de cette dotation.
04:54Le rôle de cette dotation, c'est de faire en sorte que,
04:57quels que soient les gouvernements,
04:58quelles que soient aussi les crises,
05:00les universités puissent continuer à faire leurs recherches
05:04et à faire leurs enseignements.
05:06Donc ça, c'est très important.
05:07C'est un mouvement qui est vraiment profond dans les universités américaines.
05:11Et on voit que Harvard en fait donne l'exemple pour beaucoup d'autres universités.
05:15Je vois que l'université par exemple de Northwestern à Chicago
05:18a aussi décidé de puiser dans sa dotation pour pallier à ses pertes budgétaires.
05:24Et justement, les universités d'Harvard ont répondu et se défend.
05:27Ils défendent son indépendance à travers la voix de son président,
05:30qui est donc Alan Gerber, en disant qu'aucun gouvernement
05:33ne doit dicter aux universités privées ce qu'elles doivent enseigner
05:36ou qui elles peuvent enrôler ou embaucher.
05:39Et plusieurs personnalités comme Barack Obama ont d'ailleurs réagi.
05:41Elles ont soutenu ces universités et ont dit qu'elles ont salué tout simplement ce geste.
05:45Qu'est-ce qu'on peut y voir, justement ?
05:48Moi, j'y vois quelque chose de très important.
05:51C'est quand même, ça fait à peu près donc la trois mois, quatre mois
05:54que Donald Trump est au pouvoir.
05:57On a bien vu que durant ces quatre mois, ça a été vraiment un tourbillon de nouvelles mesures.
06:03Et les Américains ont un peu perdu la tête,
06:07ne savent vraiment plus trop ce qui se passe.
06:10Et en tout cas, ce que l'on voyait,
06:12c'est qu'il n'y avait pas de résistance frontale à Donald Trump.
06:15C'était très difficile d'avoir une résistance frontale à Donald Trump
06:18parce qu'il y a une nouvelle mesure, de toute façon,
06:22ou quelquefois plusieurs nouvelles mesures chaque jour.
06:25Là, ce que l'on voit, c'est vraiment un tournant,
06:27peut-être le début du commencement d'un mouvement de résistance
06:31depuis quelques semaines.
06:33On l'a vu avec les mouvements du 4 avril,
06:36les manifestations du 4 avril.
06:38On voit aussi des meetings du Parti démocrate,
06:41spécifiquement avec Bernie Sanders, par exemple,
06:43qui attire quand même beaucoup les foules.
06:46Et puis là, c'est la première institution d'ampleur internationale,
06:50de renommée internationale,
06:51qui se dresse contre Donald Trump.
06:53Et vous l'avez dit, il y a eu plusieurs démocrates qui ont salué,
06:56par exemple Barack Obama,
06:58mais il y a eu aussi beaucoup d'organisations,
06:59ce qu'on appelle des non-profit ici,
07:01donc des organisations philanthropiques, caritatives,
07:04qui ont une dimension plutôt sociale,
07:09qui ont salué ce mouvement-là.
07:13Harvard n'avait pas le choix.
07:14Elle devait se dresser,
07:15elle devait vraiment montrer l'exemple.
07:19Et je crois que ça signale aussi un tournant dans cette présidence.
07:23Alors, on n'en est qu'à quatre mois,
07:24mais en tout cas, on voit que depuis quelques semaines,
07:27il y a quelque chose qui change ici,
07:31dans la tête des Américains.
07:34Peut-être le début d'un mouvement d'opposition.
07:36En tout cas, Harvard, ça fait partie de ça.
07:38C'est justement la question que j'allais vous poser.
07:39Est-ce qu'on peut voir une forme de révolution
07:41de la part de ces universités qui se dressent
07:43et qui se défendent tout simplement de Donald Trump ?
07:45C'est une révolution ?
07:47Alors, une révolution, peut-être pas,
07:49mais en tout cas, le début d'un mouvement d'opposition,
07:53et ça, c'est très important.
07:55Ces universités, il faut bien le rappeler,
07:59peut-être aux téléspectateurs français
08:00qui ne comprennent pas le système américain,
08:04ces universités, elles sont privées.
08:06La plupart d'entre elles sont privées.
08:07C'est-à-dire qu'elles ont des fonds privés,
08:09mais elles reposent aussi, bien évidemment,
08:11sur des fonds fédéraux pour tout ce qui est recherche.
08:15Et ces universités, ce qui est vraiment très intéressant,
08:17c'est qu'elles essaient aussi de gagner
08:19la bataille du récit ici aux États-Unis.
08:22Ce qui n'est pas évident,
08:22parce que Donald Trump essaie aussi
08:25de donner des gages à son électorat,
08:28qui est un électorat un peu anti-élite, disons.
08:31Et ces universités, c'est exactement ce qu'elles représentent,
08:34les élites du nord-est des États-Unis.
08:38Et donc, ces universités tentent de gagner la bataille du récit
08:41en expliquant ce qu'elles font.
08:43Et c'est vrai qu'en général,
08:44elles sont vraiment déconnectées des couches populaires du pays.
08:48Sur le site d'Arbar, par exemple,
08:51la première page que vous voyez quand vous allez sur le site,
08:55c'est maintenant une liste des recherches
08:58que l'université a menées dans les cinq dernières années,
09:04qui ont fondamentalement changé la vie des Américains.
09:07Un traitement pour Alzheimer, un traitement pour un cancer, etc.
09:10Et c'est ce que toutes les autres universités essaient de faire.
09:13Dans ma propre université, l'université de Johns Hopkins à Baltimore,
09:18on nous dit, l'administration a créé une nouvelle campagne
09:22qui s'appelle « La recherche sauve des vies ».
09:25Et l'université explique concrètement et fondamentalement
09:29ce qu'ils font pour améliorer la vie des Américains.
09:32Et ça, c'est très bien,
09:33parce que beaucoup d'Américains ne sont pas au courant.
09:35Et beaucoup d'Américains ne savent pas
09:37ce qui émerge de ces laboratoires médicaux dans les universités.
09:41Justement, avant de revenir sur ces scientifiques
09:43qui pourraient fuir, entre guillemets, les États-Unis
09:45pour pouvoir travailler,
09:47vous, Tristan Cabielo, qui est donc professeur
09:50à l'université de Johns Hopkins, comme vous l'avez rappelé,
09:52quelle est l'ambiance sur place ?
09:53Comment se sentent les étudiants ?
09:54Est-ce qu'on sent une certaine pression
09:55avec toutes ces choses, toutes ces actualités politiques ?
10:00Oui, aussi bien les enseignants-chercheurs
10:04que les étudiants ont très peur.
10:07Les étudiants ont très peur
10:09car ils ont vu beaucoup de leurs collègues.
10:13Moi, dans ma propre université,
10:15on n'a pas eu tant que ça,
10:16mais on arrive maintenant à un chiffre,
10:19je crois, de 15 étudiants
10:20qui ont été déportés, expulsés du pays
10:24pour des raisons inconnues, souvent.
10:28On ne sait vraiment pas pourquoi
10:29ils sont expulsés du pays,
10:31simplement parce qu'ils sont étrangers.
10:33Donc, il y a beaucoup d'angoisse,
10:35beaucoup d'anxiété à ce niveau-là.
10:37Et puis, chez les enseignants-chercheurs,
10:40c'est frappant à quel point la peur
10:41et la paranoïa nous glacent un peu tous.
10:45Une petite anecdote, cette semaine,
10:48on prépare le calendrier des cours
10:51pour l'automne.
10:55Et chacun de mes collègues
10:57faisait le compte des mots
10:58qui sont interdits
11:00et qui sont présents maintenant
11:01dans leur description de cours,
11:04dans leur titre de cours.
11:06Vous savez qu'il y a toute une liste de mots
11:07que Donald Trump veut interdire
11:09dans les universités.
11:11Et ça, vraiment, ça crée un climat,
11:14j'ai envie de dire,
11:15de paranoïa,
11:17de grande anxiété.
11:19Le fait que les gens aient peur
11:23de la nature de leur recherche
11:26et de la nature de leur enseignement.
11:28Et ça, c'est quelque chose
11:29que moi, je n'ai jamais vu aux États-Unis
11:31où la liberté académique
11:33était vraiment tout le temps préservée.
11:36C'est intéressant, c'est important
11:37de le rappeler, cette liberté académique.
11:39Et justement, les premiers chercheurs américains
11:41qui fuient Donald Trump
11:43et ses politiques
11:43seront accueillis par l'université
11:45d'Aix-en-Provence en juin prochain.
11:46Pourquoi choisir la France
11:47justement pour pouvoir avoir
11:49cette liberté de travail ?
11:50Pourquoi la France ?
11:53Alors, ça ne concerne pas que la France.
11:56Je crois qu'il y a des systèmes
11:59d'accueil qui sont aussi présents
12:03au Canada, d'autres en Europe, en France.
12:09Pourquoi la France ?
12:10Pour les Américains, c'est très simple.
12:13C'est-à-dire qu'ils savent très bien
12:14qu'en choisissant la France,
12:16ils vont perdre une grande partie
12:20de leur salaire.
12:21car les salaires des enseignants-chercheurs
12:24sont bien plus élevés aux États-Unis,
12:28mais qu'ils vont y gagner deux choses.
12:31Une liberté académique,
12:32une liberté universitaire,
12:34qu'ils n'ont plus aux États-Unis.
12:38Et puis, peut-être,
12:39beaucoup d'Américains aussi
12:40cherchent maintenant une qualité de vie.
12:42On est dans un pays
12:44où on a vu l'inflation décolle,
12:49le prix de la santé est mirobolant,
12:52le coût de la vie en général explose.
12:56Et s'installer en France,
12:58ça peut aussi pour eux,
13:00non seulement leur permettre
13:01d'évoluer dans leur carrière,
13:03mais aussi de tout simplement
13:05suivre leurs recherches
13:07et leurs plans de recherche
13:09de manière libre,
13:10mais aussi améliorer
13:11leur qualité de vie.
13:13Et moi, c'est ce que j'entends
13:13de plus en plus
13:14chez mes collègues.
13:16Beaucoup de collègues partent
13:17vers le Canada,
13:18qui a un système de santé
13:19assez similaire à la France
13:21ou vers l'Europe de l'Ouest
13:23pour non seulement
13:25faire leurs recherches,
13:25mais aussi améliorer
13:26leur qualité de vie de famille
13:28et de vie tout court.
13:29Pour vous, en tant qu'enseignant,
13:30quelle est la suite
13:31dans votre université ?
13:32Est-ce qu'il y aura
13:32des mouvements de protestation ?
13:34Est-ce que les étudiants,
13:35les élèves vont se révolter ?
13:37Comment ça va se passer sur place ?
13:39C'est très difficile de le dire.
13:43Il y a une répression
13:44qui s'exerce,
13:45qui est très forte.
13:47Dans mon université,
13:49je pense qu'on se dirige
13:50plutôt vers une réponse
13:52qui se rapprocherait
13:54de la réponse de Harvard,
13:56c'est-à-dire une opposition
13:57à Donald Trump
13:59et certainement
14:01le déblocage de fonds
14:05qui sont associés
14:06à la dotation
14:07pour pouvoir
14:08poursuivre
14:09les recherches.
14:10Il faut savoir
14:11que quand même,
14:12notre université
14:12a perdu 200 millions
14:14de dollars.
14:16L'université a déjà dû
14:17se séparer
14:18de, à peu près,
14:19je crois,
14:202000 chercheurs.
14:22C'est une grande université
14:23de 50 000 personnes.
14:25Mais en tout cas,
14:26on a déjà eu
14:27des conséquences
14:28qui sont très visibles,
14:29qui sont physiques
14:30sur le campus.
14:32mais je pense
14:33qu'il y a eu
14:35vraiment un tournant
14:35avec cette décision
14:37d'Harvard
14:37et beaucoup d'universités
14:39vont aller
14:41dans cette direction,
14:42c'est-à-dire
14:42la direction
14:43d'une opposition
14:45élégante,
14:46légale,
14:47mais quand même frontale.
14:49Merci à vous,
14:50Tristan Cabrillo.
14:51Vous êtes donc
14:52politologue spécialiste
14:53des États-Unis
14:53et professeur
14:55à l'université
14:55Johns Hopkins
14:56dans les Marineland.
14:57Merci pour ces précisions.
14:58Et on le rappelle
14:59en cette actualité
14:59avec Donald Trump
15:00qui a gelé
15:012,2 milliards de dollars
15:03de subventions
15:03à l'université d'Harvard,
15:05ce qui pourrait s'appliquer
15:06à d'autres grandes
15:06universités américaines.
15:08On suit le tout
15:08sur BFM2.
15:09On se retrouve
15:09pour un nouveau direct.