Catégorie
🎥
Court métrageTranscription
00:00C'est pour ça que je suis là, docteur, je perds la mémoire.
00:05Figurez-vous que je vais comprendre.
00:12Les Esprits Libres, c'est l'histoire d'une grande résidence
00:16où des patients atteints par la maladie d'Alzheimer et des soignants,
00:21soignants et patients qui sont ensemble en général dans le même EHPAD, dans le même établissement,
00:25décident, accompagnés de musiciens et d'une art thérapeute,
00:28de partir non seulement pour vivre ensemble, parce que ça c'est déjà quelque chose,
00:33vivre ensemble très loin de l'EHPAD, dans un lieu très ouvert, sans blouse blanche,
00:37où la relation soignant-soignée est complètement différente,
00:40et aussi créer ensemble autour du théâtre d'improvisation.
00:44Donc il y a aussi de la poésie, de la musique, c'est comment on a vécu,
00:48créer ensemble et imaginer une autre manière de penser l'accompagnement.
00:53Oui, je crois que c'est mieux.
00:54Voilà, j'appelle la protection de l'art.
00:55On reste... Qu'est-ce que je pense exactement ?
00:59J'ai trouvé un bébé devant la porte de ma mère et je le garde, c'est tout.
01:02Ah bon ? Bah alors si je veux pas pour faire, on est venu me chercher.
01:05Ah bah merci madame, voilà.
01:07Merci.
01:07Madame, madame, excusez-moi, madame, madame.
01:09Il est à moi et je le garde.
01:11Excusez-moi de vous déranger.
01:12C'est pas possible, vous connaissez les règles, c'est votre travail.
01:14Vous savez toutes les procédures qu'il y a pour avoir un bébé ?
01:18Donnez-lui le bébé.
01:19Donnez-lui le bébé ?
01:20Oui.
01:21Puisqu'il faut que je le prenne, je le prends.
01:23Et vous me le rendez, hein ?
01:24Ah, peut-être.
01:25En fait, le théâtre, on se rend compte qu'il n'y a rien de plus évident que de faire du théâtre d'improvisation
01:31avec des personnes qui sont atteintes de la maladie d'Alzheimer
01:32parce que quand on rentre dans une unité d'Alzheimer,
01:35on se rend compte assez rapidement que les soignants qui s'en sortent le mieux, entre guillemets,
01:39c'est ceux qui savent appliquer une des règles fondamentales du théâtre d'improvisation,
01:42c'est que quand on te propose quelque chose, tu dis oui.
01:45Parce que si tu dis non, l'histoire s'arrête.
01:47Et donc du coup, il faut toujours accueillir ce que l'autre dit
01:50pour rentrer dans son imaginaire et le prolonger.
01:52Évidemment, quand on a quelqu'un qui a la maladie d'Alzheimer et qui te dit, par exemple,
01:56moi je veux aller voir ma mère qui m'attend alors que sa mère est morte depuis longtemps,
01:59évidemment que si tu lui dis non, ta mère est morte, tout s'écroule.
02:02Ça s'écroule pour la personne qui souffre de l'entendre,
02:04mais ça s'écroule aussi pour le soignant ou l'accompagnant ou l'aidant
02:07qui du coup est impuissant face à cette tristesse.
02:10Donc il s'agit d'accueillir son histoire.
02:12Et donc du coup, non pas forcément uniquement la valider,
02:14mais faire avec pour construire une histoire.
02:17C'est le principe même du théâtre d'improvisation,
02:19c'est le principe aussi de l'accompagnement des personnes qui ont la maladie d'Alzheimer,
02:23c'est-à-dire ne pas les renvoyer à un passé perdu parfois ou égaré,
02:28ni à un futur hypothétique, mais à être vraiment dans le présent.
02:31Et quand tu rentres dans une maison chaleureuse où tu as de la vie,
02:35tu as des gens qui rigolent, tu as de la musique, tu as tout, c'est tout simple en fait.
02:40Et que tu ne sois pas confronté à la réalité de l'EHPAD
02:42où tu vas avoir cette espèce de mouroir, où tu dois rentrer là-dedans,
02:46tu vois plein de gens qui sont sur les fauteuils en train de dormir,
02:48tu regardes ton proche, ils sont plus ou moins dans le même état,
02:51tu n'as pas envie de ça en fait.
02:52Évidemment, on a des soignants qui disent très simplement
02:56« En fait, ici, j'ai l'impression de retrouver le sens de mon vrai métier. »
03:00C'est-à-dire, j'ai l'impression d'enfin être en lien avec les gens que j'accompagne.
03:04Une soignante nous dit « Ben voilà, quand je suis à l'EHPAD à 5 heures,
03:07j'ai envie de me barrer, je suis là « Non, il faut encore faire 3 heures. »
03:11Et là, elle dit « On est tout le temps ensemble »
03:13et donc du coup, ça veut dire d'une certaine manière,
03:14on travaille tout le temps et pourtant, j'ai le sentiment que parce que ça a du sens,
03:18dit-elle, parce que ici, j'y trouve un vrai sens et une vraie humanité
03:22dans cet accompagnement, alors je me sens bien
03:25et je retrouve le sens même de mon travail.
03:27Donc ça, c'est assez fort, je trouve.
03:30Surtout à un moment où on a quand même, dans le milieu du soin,
03:34beaucoup de mal à recruter des gens, alors pour des problèmes financiers, d'argent,
03:37mais aussi parce qu'on a du mal à avoir des gens qui viennent
03:40pour dire « J'ai envie de faire ce métier. »
03:45« Vous savez où j'habite, moi, vous ? »
03:47« Vous devez le savoir. »
03:50« J'ai une maison juste à côté, par ici. »
03:52« Je vais essayer de marcher, puis je vais essayer de la trouver. »
03:58« Mais ça va être dur. »
04:02« Ah, je vais essayer d'aller chez moi. »
04:06« J'habite à côté. »
04:09« Il faut que je trouve à côté de quel côté. »
04:12« Je ne sais pas si je cherche la bonne distance. »
04:15« Moi, au contraire, dans les accompagnements, on parle beaucoup de ce terme, de la distance. »
04:19« Moi, je crois que là, je le dis de manière un peu naïve, mais l'enjeu, c'est aussi de s'aimer. »
04:25« C'est-à-dire, au contraire, de donner de l'amour. »
04:27« Alors, évidemment, avec ce que ça a de difficile, avec la douleur et le tragique,
04:32que génère parfois, évidemment, le fait d'être atteint de la maladie d'Alzheimer,
04:35mais il y a encore beaucoup de possibles, de partage, de joie et d'amour partagé. »
04:40« Au contraire, moi, je crois que ce qu'on cherchait dans ce qu'on filme entre les soignants et les résidents,
04:45ils se découvrent, y compris avec les musiciens, l'art-thérapeute. »
04:49« Ils découvrent cette joie d'être ensemble, ce désir d'être ensemble, au-delà de la maladie et avec la maladie. »
04:54« Pour parler un peu des coulisses du film, on était quand même une petite équipe technique,
04:58on était pas mal, on était 5-6, et il y avait deux caméras, deux preneurs de son, etc. »
05:04« Et vraiment, la consigne, c'était « on va vivre ensemble. »
05:06« Donc, on n'est pas là uniquement pour se cacher et prendre des plans loin, comme ça discrètement. »
05:11« Donc, la caméra était très présente et la consigne donnée à tous les techniciens, y compris à moi-même,
05:15c'était de partager les repas, de faire à manger, de faire le bal, de participer au bal qu'il y avait tous les soirs. »
05:21« Ça, c'était très important, en fait. »
05:23« Donc, on cherchait pas la distance, au contraire, on cherchait à se rencontrer vraiment,
05:27ce qui est assez peu le cas dans les institutions. »
05:29« On peut vivre ensemble, on n'est pas pareil, et pourtant on peut y arriver. »
05:36« Si on le fait pas, c'est toujours le bordel. »