Une fois par an, l’association des amis de la maison rouge élit un artiste qui produit une œuvre spécifique pour le patio de la fondation. En 2017, les membres de l’association des amis ont choisi Lionel Sabatté, artiste-plasticien français.
" Nos demeures — celles que nous échafaudons ou celles que nous peuplons de nos existences — sont-elles immortelles ? Parions plutôt pour l’élan des possibles, combattant les habitudes trop acquises et le sentiment de l’immuable. Tout doit se transformer, pour garder son potentiel d’action et créer sa légende, tout en suggérant le désir du renouveau.
Lionel Sabatté démontrera, par le geste, cette philosophie tournée vers le vivant. Son œuvre toute entière ne proclame-t-elle pas que cela ? Et à l’heure où j’écris ces lignes, sa Demeure n’existe pas encore : elle ne prendra son ampleur qu’au moment où il l’édifiera, in situ, dans le Patio de la Maison Rouge, avec du ciment et des tiges de fer de plusieurs mètres de haut, détaillant l’expression de son anatomie à la fois végétale, géologique, archéologique, anthropomorphique. Nous tournerons autour de cette architecture d’un ocre rougeoyant, musculaire, constituée de vides et de pleins comme les beaux palais tombant en ruines de nos rêves d’enfance. Elle émergera d’une scène de lutte avec la matière. C’est bien le propre de la grande sculpture, celle qui est faite de chair, d’énergie, de vie attrapée dans l’urgence, d’esquisse mouvementée, et de fuite figée. J’ai pensé à Rodin, à sa Porte de l’Enfer, lorsque l’artiste m’a montré sa maquette de travail. Mon regard a insisté sur le pan de la demeure depuis laquelle les têtes me fixaient de leur œil cave. J’ai imaginé les corps absents des défunts et des damnés. C’était sans oublier que le ciment est une matière qui fige en quelques minutes, et qu’elle est sculptée à même les mains, puisque les outils des tailleurs de marbre ou de pierre ont désormais disparu. Les formes presque brusquées et saisies dans l’attente, les facettes non affutées, apparaissent alors dans la brutalité caressante de leur origine.
Dans un geste performatif, l’opération est ici tributaire d’une sorte de dégagement vital, d’une libération des possibles à l’œuvre. Dans l’instant transformateur de la gestuelle, la puissance est accordée à ce qui respire et au sang qui bat ; à tout ce qui, pour se construire, doit s’épuiser. Cet abri est si précaire qu’il est directement ouvert sur le ciel de Paris, pour mieux nous dire que les stalactites et les stalagmites d’une grotte nouvelle communiquent avec la forêt vierge, tout comme les temporalités et les géographies emmêlées dissipent les frontières. Une fois l’exposition terminée, la Demeure sera détruite, ses morceaux dispersés. Preuve de la polysémie du mot-même : car demeurer, c’est d’abord s’attarder, ne pas vouloir quitter les lieux, puis s’installer. Vous avez cru que vous étiez là à demeure, mais cela serait méconnaître l’intime intention : il n’y a que la mort pour être la dernière demeure.
" Nos demeures — celles que nous échafaudons ou celles que nous peuplons de nos existences — sont-elles immortelles ? Parions plutôt pour l’élan des possibles, combattant les habitudes trop acquises et le sentiment de l’immuable. Tout doit se transformer, pour garder son potentiel d’action et créer sa légende, tout en suggérant le désir du renouveau.
Lionel Sabatté démontrera, par le geste, cette philosophie tournée vers le vivant. Son œuvre toute entière ne proclame-t-elle pas que cela ? Et à l’heure où j’écris ces lignes, sa Demeure n’existe pas encore : elle ne prendra son ampleur qu’au moment où il l’édifiera, in situ, dans le Patio de la Maison Rouge, avec du ciment et des tiges de fer de plusieurs mètres de haut, détaillant l’expression de son anatomie à la fois végétale, géologique, archéologique, anthropomorphique. Nous tournerons autour de cette architecture d’un ocre rougeoyant, musculaire, constituée de vides et de pleins comme les beaux palais tombant en ruines de nos rêves d’enfance. Elle émergera d’une scène de lutte avec la matière. C’est bien le propre de la grande sculpture, celle qui est faite de chair, d’énergie, de vie attrapée dans l’urgence, d’esquisse mouvementée, et de fuite figée. J’ai pensé à Rodin, à sa Porte de l’Enfer, lorsque l’artiste m’a montré sa maquette de travail. Mon regard a insisté sur le pan de la demeure depuis laquelle les têtes me fixaient de leur œil cave. J’ai imaginé les corps absents des défunts et des damnés. C’était sans oublier que le ciment est une matière qui fige en quelques minutes, et qu’elle est sculptée à même les mains, puisque les outils des tailleurs de marbre ou de pierre ont désormais disparu. Les formes presque brusquées et saisies dans l’attente, les facettes non affutées, apparaissent alors dans la brutalité caressante de leur origine.
Dans un geste performatif, l’opération est ici tributaire d’une sorte de dégagement vital, d’une libération des possibles à l’œuvre. Dans l’instant transformateur de la gestuelle, la puissance est accordée à ce qui respire et au sang qui bat ; à tout ce qui, pour se construire, doit s’épuiser. Cet abri est si précaire qu’il est directement ouvert sur le ciel de Paris, pour mieux nous dire que les stalactites et les stalagmites d’une grotte nouvelle communiquent avec la forêt vierge, tout comme les temporalités et les géographies emmêlées dissipent les frontières. Une fois l’exposition terminée, la Demeure sera détruite, ses morceaux dispersés. Preuve de la polysémie du mot-même : car demeurer, c’est d’abord s’attarder, ne pas vouloir quitter les lieux, puis s’installer. Vous avez cru que vous étiez là à demeure, mais cela serait méconnaître l’intime intention : il n’y a que la mort pour être la dernière demeure.
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