Erdogan, le président turc, est-il un dictateur ?
La Turquie s’apprête à vivre une année test pour la démocratie : en juin 2023 auront lieu les élections présidentielle et législatives. Recep Tayyip Erdogan acceptera-t-il les résultats s’il n’est pas réélu ? L’opposition aura-t-elle voix au chapitre ? Réponses avec notre journaliste François Reynaert, alias Oncle Obs.
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Transcript
00:00 La Turquie est un grand pays de 85 millions d'habitants situé entre l'Asie et l'Europe.
00:04 Elle a tout pour être une démocratie.
00:06 Il y a une assemblée qui est élue, il y a un président de la République qui est élu.
00:09 Seulement, venant de Turquie, on entend toujours des horreurs,
00:11 des opposants politiques qui sont jetés en prison,
00:13 la presse qui est censurée, des libertés qui sont bafouées.
00:16 Alors, Erdogan est-il un dictateur ?
00:19 Pendant des siècles, la Turquie s'appelle l'Empire Ottoman.
00:25 À son apogée au XVIe siècle, il règne sur toute la Méditerranée.
00:29 En 1914, le sultan ottoman fait une erreur fatale.
00:32 Il s'allie avec l'Allemagne pendant la guerre 14.
00:34 En 1918, l'Empire s'effondre.
00:37 Sur les décombres de ce pays vaincu,
00:39 il y a un nouvel homme fort qui va bâtir autre chose.
00:41 Il s'appelle Mustafa Kemal et on l'appelle Atatürk, le père des Turcs.
00:46 En 1923, il bâtit une nouvelle république qui va être très laïque, très pro-occidentale.
00:52 Il interdit le voile pour les femmes.
00:53 Il ne veut plus que les hommes puissent porter la barbe.
00:56 Il fait contrôler les dignitaires religieux par l'État.
00:59 Seulement, en Turquie, à cause de l'histoire,
01:01 il reste toujours ces deux courants qui sont très forts.
01:04 Il y a un courant laïque qu'on appelle aussi "kemaliste"
01:07 à cause de Mustafa Kemal Atatürk,
01:08 mais il y a aussi un courant musulman.
01:10 Dans les élections en Turquie, dans les années 50, 60, 70,
01:13 parfois, le courant musulman arrive au pouvoir.
01:15 Mais très souvent, ils sont chassés par l'armée qui fait un coup d'État
01:18 parce que l'armée est du côté kemaliste laïque.
01:21 À la fin des années 90, ça va changer.
01:23 Il y a un nouvel homme fort qui apparaît en Turquie,
01:25 c'est Recep Tayyip Erdogan.
01:27 Il est maire d'Istanbul.
01:28 En 2003, il est Premier ministre.
01:30 Il a un parti, l'AKP, qui est un parti islamiste.
01:33 Mais il dit "je suis un islamiste modéré".
01:36 Il dit "en Europe, il y a des chrétiens démocrates,
01:38 eh bien, moi, je serais un musulman démocrate".
01:41 C'est ce qu'on croyait, on avait tort.
01:42 Pendant les premières années, il y a déjà des petites dérives autoritaires,
01:48 mais on ne veut pas les voir.
01:49 Et puis, il y a deux événements qui vont tout changer.
01:51 En 2013, il y a des manifestations.
01:53 Elles commencent à Istanbul, c'est des manifestations de jeunes
01:55 qui veulent plus de liberté.
01:56 Mais très rapidement, ça devient un feu dans toute la Turquie.
01:59 C'est des manifestations sociales dans toutes les grandes villes de Turquie.
02:02 Et là, Erdogan refuse de voir que c'est un problème social.
02:05 Il pense que c'est un complot politique contre lui
02:07 qui est armé par l'étranger.
02:09 Et puis, en 2016, il y a un événement encore plus grave
02:11 qui le fait devenir complètement fou,
02:13 c'est une tentative de coup d'État.
02:14 Qu'est-ce que c'est que cette tentative de coup d'État ?
02:16 Ce n'est pas très clair.
02:16 Lui, il a accusé un autre islamiste qui était son ancien allié
02:19 de s'être retourné contre lui et d'avoir utilisé l'armée contre lui.
02:22 À la suite de ce coup d'État, Erdogan reprend le pouvoir
02:25 et désormais le tient d'une main de fer.
02:27 Il y a des centaines de milliers de gens qui vont aller en prison.
02:29 Il y a des centaines de milliers de gens qui vont être purgés.
02:32 Des policiers, des militaires, des fonctionnaires qui sont chassés.
02:35 En 2017, il a fait un référendum pour donner beaucoup plus de pouvoir
02:38 au président de la République.
02:39 En 2018, il est réélu.
02:40 Et là, il est réélu avec tous les pouvoirs.
02:42 C'est devenu le César de la Turquie.
02:48 Il devait être un islamiste modéré.
02:50 Il devient un islamiste de plus en plus radical.
02:52 Il y a un fort courant laïc en Turquie.
02:54 Eh bien, ce fort courant laïc est désigné, emprisonné, menacé, etc.
02:57 La seule solution qui lui reste, c'est cette fuite en avant religieuse
03:01 et cette fuite en avant de politiques étrangères bellicistes.
03:04 Par exemple, il envoie l'armée turque en Syrie pour lutter contre les Kurdes
03:07 parce qu'il a désigné les Kurdes comme ennemis de la Turquie.
03:10 Et puis, il y a une grosse question qui est très préoccupante,
03:13 qui est la question économique.
03:14 Erdogan avait dit "je vais faire de la Turquie un pays musulman,
03:17 mais un pays prospère".
03:18 Sa politique économique est désastreuse.
03:20 La livre turque s'effondre.
03:22 Ça veut dire que tous les biens importés sont de plus en plus chers
03:24 et ça veut dire que les gens n'arrivent plus à vivre normalement.
03:27 Ils sont très mécontents.
03:28 Face à ce mécontentement, jusqu'où il va aller ?
03:31 Eh bien, la question pourra se poser en 2023.
03:33 C'est une grande année pour la Turquie.
03:34 Centenaire de la fondation de la République.
03:36 Et puis, par ailleurs, élection générale en juin,
03:38 en particulier élection présidentielle.
03:40 Est-ce que les opposants réussiront à avoir assez la parole pour s'imposer ?
03:45 Est-ce que Erdogan va être ou non réélu ?
03:48 Et s'il n'est pas réélu, est-ce qu'il va accepter ou non les résultats des élections ?
03:52 S'il ne les accepte pas, alors c'est un dictateur.
03:55 [Musique]