• l’année dernière
Dans la période à la fois troublée et manifestement asséchée que nous vivons, il faut beaucoup de courage pour ne pas se laisser aller au cynisme et oser défendre l’utopie. Ou plus précisément les “utopies du réel”. Mais voilà : le réalisateur Henri Poulain, cofondateur de la société de production Story Circus, mais aussi du Média, qui rappelons le a fêté ses cinq ans hier, a le courage de ses idées.

Il y a deux ans et demi, avec ses compères Sylvain Lapoix et Julien Goetz, il lançait sur la plateforme Kisskissbankbank une campagne de financement participatif visant à mobiliser des fonds pour financer une série documentaire intitulée Utopie(s). Objectif : visiter, à plusieurs endroits du monde, des femmes et des hommes qui font vivre des engagements aux fondements différents mais toujours traversés par le souffle de l’utopie. Boostés par l’idée, un peu moins de 7000 personnes mettaient la main au pot et mobilisaient 220 000 euros pour donner naissance à cette série.

Cela a mis du temps, mais finalement les six épisodes d’Utopie(s) sont disponibles sur la plateforme France.TV et aussi sur la chaîne Peertube de Datagueule. Datagueule qui est un peu le programme-phare de StoryCircus. Ce sont des films beaux, d’un point de vue esthétique, beaux à tomber par terre même. Et ils nous plongent dans des vies qui nous semblent valoir d’être vécues, parce qu’elles cherchent du sens et un chemin au milieu du chaos.

Regarder sur France.tv : https://www.france.tv/slash/utopie-s/
Regarder sur Peertube : https://peertube.datagueule.tv/

Category

🗞
News
Transcription
00:00 Dans la période à la fois troublée et manifestement asséchée que nous vivons, il faut beaucoup
00:11 de courage pour ne pas se laisser aller au cynisme et oser défendre l'utopie ou plus
00:17 précisément les utopies du réel.
00:19 Mais voilà, le réalisateur Henri Poulin, cofondateur de la société de production
00:23 Story Circus mais aussi du Média qui, rappelons-le, a fêté ses 5 ans hier, Henri Poulin a le
00:29 courage de ses idées.
00:31 Il y a deux ans et demi, avec ses compères Sylvain Lapois et Julien Goss, il lançait
00:36 sur la plateforme Kiss Kiss Bank Bank une campagne de financement participatif visant
00:41 à mobiliser des fonds pour financer une série documentaire intitulée Utopie.
00:45 Utopie, avec un S entre parenthèses à la fin.
00:49 Objectif, visiter à plusieurs endroits du monde des femmes et des hommes qui font vivre
00:54 des engagements aux fondements différents mais toujours traversés par le souffle de
00:59 l'utopie.
01:00 Boosté par l'idée, un peu moins de 7000 personnes mettaient la main au pot et mobilisaient
01:04 220 000 euros pour donner naissance à cette série.
01:07 Cela a mis du temps mais finalement les 6 épisodes d'Utopie sont disponibles sur la
01:12 plateforme France.tv et aussi sur la chaîne Peertube de Datagueule.
01:15 Datagueule qui est un peu le programme phare de Story Circus.
01:18 Ce sont des films beaux d'un point de vue esthétique, beaux à tomber par terre même.
01:23 Et ils nous plongent dans des vies qui nous semblent valoir d'être vécues parce qu'elles
01:28 cherchent du sens et un chemin au milieu du chaos.
01:31 Mais assez parlé, regardons le teaser de cette série avant de donner la parole à
01:35 Henri qui est sur notre plateau.
01:37 C'est pas l'échec qui va nous aider, c'est pas Jeff Bezos qui va nous aider.
01:57 C'est une lutte qui se vit et qui prouve d'autres chemins.
02:17 Les gens n'y croient pas, nous non seulement on y croit mais on veut le faire.
02:41 Salut Henri et merci pour cette série de documentaire.
02:56 Comme le dit la sagesse africaine, quand la tête est là, le genou ne porte pas le chapeau.
03:01 Et donc vu que tu es là, peux-tu nous présenter cette série de documentaire qui nous amène
03:05 tour à tour chez des hadistes en France, aux côtés des activistes du mouvement des
03:08 sans-terre au Brésil, dans un oasis de paix multi-confessionnel à 30 km de Tel Aviv ou
03:13 en Ukraine, dans une éco-ferme autogérée qui fait face à la guerre.
03:18 Bonsoir Théophile.
03:19 Un petit complément d'abord.
03:21 Lorraine Boudard nous a rejoint, a rejoint le collectif Data Gueule pour co-écrire
03:27 la collection documentaire.
03:29 Présentez Utopie, S au pluriel avec un point d'interrogation et tout est là.
03:36 On pose la question de savoir si c'est une utopie au sens où le sens commun l'entend,
03:41 à savoir un fantasme irréalisable, un idéal sans possibilité d'ancrage.
03:47 Et le point d'interrogation est essentiel parce que l'intention aussi de la série
03:51 et de la collection documentaire est de prouver que non, on est loin de l'idéal fantasmé,
03:56 mais au contraire de l'idéal ancré dans la complexité, le contexte et les contextes
04:01 différents que l'on documente.
04:03 Schématiquement, si il faut, parce que ce sont 6 histoires très différentes, 6 histoires
04:08 de collectifs et de luttes politiques très différentes.
04:10 Mais ce qui pourrait les relier, c'est cette idée quand même d'individus qui décident
04:19 de faire des trous dans le réel au sens où Jacques Rancière l'entendait.
04:22 Notre réel à tous, qu'on soit opposant ou non, qu'on soit militant ou non, c'est
04:27 le libéralisme, c'est le patriarcat, c'est un monde postcolonial érigé et pensé au
04:33 18e et au 19e, obsédé par le profit, c'est un monde qui place au centre de tout le commerce,
04:40 le rapport de force, la conflictualité, la concurrence.
04:43 Et tous les relais de ces fondamentaux-là, les relais culturels, cinématographiques,
04:51 narratifs, nous rappellent toujours qu'on est de ce monde et nous sommes de ce monde.
04:54 Je suis de ce monde, tu es de ce monde, nous sommes de ce monde.
04:56 Il y a des gens qui tentent de s'affranchir de cette réalité en constituant des mondes
05:00 qui sont régi par d'autres, par autre chose, par le respect du vivant, l'égalité,
05:08 la lutte contre toute forme de discrimination et qui passent de l'idée au réel, qui impliquent
05:16 leurs gestes, leur travail, chacun de leurs instants, de manière à être aligné avec
05:24 ces idéaux qui sont un peu les nôtres mais qui, eux, vivent pleinement.
05:29 Ils vont jusqu'au bout de la démarche, ils sautent le pas.
05:32 Comment le choix des sujets, des lieux, des combats a-t-il été fait ?
05:37 Alors on a mis avec Lorraine, Sylvain et Julien une bonne année à les choisir, à les préciser.
05:45 Initialement, on s'était dit, on va essayer de jouer le jeu d'une forme non pas de neutralité
05:51 parce qu'elle n'existe pas.
05:52 Nous assumons d'ailleurs, plus à forte raison, au sein de Data Girl, de manière très revendiquée,
05:57 de subjectivité, dès lors qu'elle est sourcée, sincère, travaillée, cette subjectivité,
06:01 on doit la porter.
06:02 Néanmoins, on s'est dit, bon, il y a peut-être des utopies qui sont post-libérales, transhumanistes,
06:07 libertariennes, que sais-je.
06:08 Puis, en grattant un peu, on a réalisé combien, avant tout, une utopie doit être portée
06:12 par des utopistes, des gens qui espèrent quand même, qui espèrent du mieux, du bien.
06:19 Et là, on est tombé sur des ornières assez sombres, des fantasmes délétères.
06:25 Et on s'est dit qu'on a rapidement renoncé, en fait, à l'idée de donner la parole à
06:28 ces gens-là, qui n'avaient finalement pas grand-chose à nous dire et à nous apprendre.
06:31 – Mais à quoi ressemblaient ces utopies terrifiantes, ou alors ces contre-utopies
06:35 terrifiantes que vous avez essayé d'évoquer pour renoncer par la suite ?
06:40 – Non, mais en fait, je prends le cas de l'école des libertariens, par exemple.
06:44 Les libertariens sont des gens qui, finalement, ont un rejet de l'État, de la même manière
06:48 que les libertaires peuvent en avoir un.
06:50 Sauf que le prolongement de ce rejet, c'est une démarche ultra-individualiste.
06:55 L'idée est de dire, si moi, j'ai envie de porter une arme, eh bien, je vais la porter.
06:58 Et si j'ai envie de l'utiliser, je peux l'utiliser.
07:00 Et ainsi de suite.
07:01 Et puis, de surcroît, on a lancé le projet à l'orée des confinements successifs
07:06 qui ont gelé la France, l'Europe, une partie du monde, une grande partie du monde.
07:11 Et cette période de confinement a transformé, d'une manière radicalisée,
07:15 le terme est un peu facile, il ne faut pas l'utiliser avec parcimonie,
07:20 a durci certaines de ces communautés.
07:25 Je parle des communautés, notamment libertariennes,
07:27 qui, aux États-Unis, par exemple, ont tout de plus en moins sombré
07:30 dans le QAnonisme, le complotisme le plus sombre, le suprématisme blanc,
07:34 porté et poussé par le vent des Trumpistes.
07:37 Enfin voilà, donc on n'avait vraiment pas envie d'aller y voir.
07:40 Je préfère d'ailleurs parler, si c'est possible,
07:42 des six utopies particulièrement réjouissantes qu'on a pu croiser.
07:48 – Alors ce sont des utopies qui partent au final de fondements idéologiques différents,
07:52 même s'ils ne sont pas très très différents, contrairement au projet de départ.
07:56 Comment se distinguent-elles et où se rejoignent-elles ?
07:59 – Alors je pense que les présupposés idéologiques sont relativement similaires.
08:02 Ce sont des gens qui ne se satisfont pas de l'état du monde, de l'état des choses.
08:06 Et qui sont sensibles aux violences sociales, aux brutalités incessantes
08:14 que nous observons quotidiennement, qui sont sensibles à l'urgence climatique,
08:19 au drame climatique dont on commence à peine à subir les premiers effets,
08:24 et ce n'est qu'un début.
08:26 Et qui sont attentifs, alors bien sûr chaque contexte est différent,
08:31 mais qui sont attentifs très communément, encore une fois,
08:33 au respect des autres, du vivant, de l'égalité.
08:36 C'est un élément absolument essentiel ça, parce que je pense que peut-être
08:39 ce qui distingue assez radicalement, assez fondamentalement,
08:44 les utopies que nous avons documentées et certains collectifs en lutte,
08:52 en Occident notamment, c'est ce rejet de la brutalité dans la dynamique politique,
08:58 ce rejet du rapport de force, ce rejet de l'élu et de la délégation.
09:04 C'est-à-dire qu'ils n'attendent pas, soit le grand soir incertain,
09:08 que certains attendent encore, on a pu y croire, et pour de bonnes raisons,
09:12 enfin pour une belle espérance, mais ce grand soir Tad a arrivé.
09:16 Ils ne se relèvent pas non plus à l'élu, à bouleversement par les urnes,
09:20 en disant voilà, si un tel ou un tel, ou une telle ou un telle arrive au pouvoir,
09:24 ben tout ira merveilleusement.
09:26 Il se trouve que l'histoire du XXe, puis du début du XXIe, nous prouve un peu l'inverse,
09:32 en France comme ailleurs, enfin voilà, que beaucoup d'espérants sont déçus,
09:36 parce que de manière absolument, enfin c'est lié je pense de manière inhérente
09:40 au principe qui consiste à penser qu'il s'agirait de respecter ce principe de hiérarchie,
09:46 de l'individu plus fort que les autres, ces collectifs pyramidaux,
09:50 pour faire advenir le meilleur.
09:52 Pour reciter Jacques Rancière, Jacques Rancière disait
09:54 « Ce ne sont pas les futurs qui créent les présents, mais les présents qui créent les futurs.
09:58 Si on n'est pas ici et maintenant, dans l'instant même de nos vies quotidiennes,
10:03 dans l'expression d'une égalité, d'un respect, d'une écoute,
10:09 dans le rejet du rapport de force et de la brutalité,
10:12 on ne peut pas espérer faire advenir un monde qui fonctionnera de cette manière-là. »
10:16 – Alors la terre est presque omniprésente dans ces documentaires,
10:18 comme une sorte de fil rouge, la terre que l'on cultive selon telle ou telle modalité,
10:23 la terre qu'on préserve contre la rapacité du capitalisme,
10:26 la terre qu'on défend contre l'invasion étrangère,
10:30 je pense que ce n'est pas anodin que la terre soit à ce point,
10:33 cette matérialité foncière soit à ce point omniprésente.
10:37 – C'est intéressant cette question de la terre,
10:38 effectivement c'est central et c'est double aussi,
10:40 et là aussi il y a un paradoxe, c'est-à-dire qu'il y a à la fois la terre,
10:42 cette idée de la terre et du respect du vivant,
10:44 la terre nourricière, la terre qui nous a fait aussi,
10:48 dont on est le fruit, vers laquelle on retournera nécessairement,
10:52 donc ce respect avec ce rapport à l'humidité,
10:54 on sait que l'humidité ça vient de humus, on est ancré dans le réel,
10:59 et puis c'est aussi une manière d'être,
11:01 c'est-à-dire que pour constituer des espaces d'autonomie politique,
11:05 il faut avoir une certaine autonomie alimentaire et financière,
11:11 il faut, si on ne peut pas dépendre d'un patron,
11:13 pouvoir se nourrir, vendre les produits de sa terre,
11:16 et d'une certaine manière ce retour à la terre,
11:18 ce n'est pas comme ça qu'il est intitulé d'ailleurs,
11:19 en tout cas le fait d'avoir un ancrage territorial très fort
11:22 et d'entretenir un dialogue et une sorte de deal avec cette terre
11:27 qui nous nourrit et que l'on préserve,
11:29 et que l'on nourrit aussi d'une certaine manière.
11:31 - Que l'on préserve et qu'on l'entretient et qu'on fait fructifier ensemble.
11:35 - Absolument, nécessairement ensemble, ce sont des collectifs bien sûr,
11:37 ce ne sont jamais des démarches individuelles,
11:39 ce sont toujours des collectifs de différentes ampleurs d'ailleurs,
11:41 puisque ça va de, c'est souvent la question de l'échelle,
11:44 je ne sais pas s'il y avait une question à ce sujet-là,
11:46 mais la question de l'échelle sur ces utopies concrètes se pose,
11:51 on me dit souvent, on me réitère que souvent,
11:52 oui, 10, 20, 30, 40, ça peut fonctionner,
11:55 mais dès lors qu'on dépasse ces échelles-là, c'est plus problématique,
11:57 et on va voir, il y a des exemples très clairs qui prouvent l'inverse.
12:01 - Ça va jusqu'à combien ?
12:02 - Au Brésil, c'est 1,5 million de personnes qui vivent grâce à la réforme agraire
12:08 au retour à la terre initiée par le mouvement des sans-terres,
12:11 qui vivent sur ces fondamentaux-là,
12:14 entretenant une relation justement basée sur l'agroécologie avec la terre,
12:18 sans jamais renoncer, bien sûr, aux luttes politiques qui sont,
12:22 on le sait aujourd'hui, l'actualité nous prouve tous les jours,
12:25 extrêmement intenses au Brésil.
12:27 - Mais justement, cette terre sur laquelle s'ancrent leurs combats,
12:30 c'est aussi pour la terre qu'on fait la guerre.
12:32 Les guerres sont plus que jamais territoriales, avec la guerre en Ukraine,
12:36 et aussi avec le conflit qui n'en finit pas au Proche-Orient, au Moyen-Orient.
12:41 Donc quelque part...
12:42 - Ce n'est pas pour la terre qu'on fait la guerre, c'est pour le territoire,
12:44 ce qui est autre chose.
12:46 C'est une autre idée.
12:47 Un territoire, ça se pense sur une carte.
12:49 C'est une abstraction, en fait, un territoire.
12:52 On pose un drapeau sur une carte, sur un plan d'ensemble qu'on a préfiguré,
12:58 mais ça n'implique jamais une relation réelle, concrète, humaine,
13:04 de mammifères, de notre espèce à la terre.
13:09 - On est en sur-plan du territoire.
13:10 - Oui, on est au-dessus. C'est quelque chose, c'est un rapport de domination.
13:13 C'est aussi dominer le territoire.
13:15 C'est particulièrement parfaitement occidental.
13:18 - Alors, c'est vrai que c'est toujours difficile de demander à un papa ou à une maman
13:23 quel est son enfant préféré, mais sur ces six documentaires,
13:26 quel est celui qui t'a fait le plus avancer toi-même dans ta vie ?
13:28 - Je suis vraiment incapable de le dire.
13:30 Je pense que chacun d'entre eux, chaque rencontre avec chacune de ces communautés
13:35 m'a vraiment bouleversé.
13:38 - Un petit effort quand même ?
13:39 - Non, ça dépend des thématiques, mais vraiment, sincèrement,
13:42 j'en suis strictement incapable.
13:44 Mais vraiment, ce n'est pas une posture, ce n'est pas un élément de langage.
13:47 Ce serait trahir l'intensité que j'ai vécue,
13:51 les intensités que j'ai vécues, que d'en désigner une ou l'autre.
13:54 Mais on peut les aborder l'une après l'autre.
13:56 C'est un gain de temps d'en choisir une maintenant, arbitrairement.
13:58 Je te laisserais le faire, je ne veux pas le faire moi.
14:00 - Alors, je voudrais qu'on regarde un autre extrait,
14:01 parce qu'il nous permet une sorte de questionnement
14:04 dans un environnement injuste, violent,
14:06 une communauté qui rend vivante une utopie pacifique, égalitaire.
14:12 Est-ce que finalement, elle n'incarne pas un refus de regarder
14:15 ou d'affronter la réalité en face ?
14:17 Regardons le teaser de l'épisode consacré à la communauté de Nef,
14:21 "Shalom wa'at al salam", en Israël, qui veut écrire,
14:24 et je cite une autre histoire, celle du partage et de l'écoute.
14:28 - Vous pensez qu'il faut des pays ?
14:30 - Si tout était un seul pays, il n'y aurait pas de guerre,
14:32 parce que tout serait maintenant...
14:33 - Je ne suis pas venu pour vous.
14:35 - Exactement.
14:36 - Quand ils ont construit ce lieu,
14:39 ils avaient toujours l'idée que c'était un modèle pour la vie.
14:44 - Nous sommes des Palestiniens, des citoyens de l'Israël.
14:47 Nous ne demandons pas de la religion.
14:49 Ce n'est pas...
14:51 - Ça sent comme l'arrivée de la soirée de l'année 60.
14:54 - C'est vrai que nous sommes tous chrétiens.
14:55 - C'est la force de la révolution.
14:57 - Il est important de rappeler que le système n'est pas symétrique.
15:01 Mais pour réussir à parler de la paix,
15:05 il faut que les deux côtés puissent écouter l'un de l'autre.
15:11 - Je t'ai vu depuis des années.
15:13 - L'Israël a des armes nucléaires.
15:17 Nous ne pouvons pas se battre contre ces armes.
15:19 - Il est impossible de le arrêter avec des fleurs.
15:22 - Les Palestiniens, nous nous en fichons.
15:26 - Les Palestiniens, regardez ce qu'il y a.
15:28 - Nous devons vivre comme les Jeux d'État,
15:30 comme la société juive en général.
15:32 Nous ne devons pas vivre dans la réalité.
15:34 - Je pense que ce n'est pas le but de Nivea Shalom,
15:36 de convaincre les gens.
15:37 Nivea Shalom, c'est un histoire.
15:39 Même si le lieu n'est pas parfait,
15:43 c'est une partie de la vie.
15:44 L'incompréhension, le reçu d'incompréhension,
15:46 c'est aussi une partie de la vie.
15:48 - Nous avons travaillé pour amener la paix.
15:53 - Henri, il transparaît de cet extrait
16:02 que le fait de vivre ensemble ne signifie pas forcément
16:04 ne pas aborder les sujets qui fâchent.
16:06 On a vu des images de repas, la scène, si on peut dire.
16:11 On voit aussi des images d'enterrement et de douleur.
16:15 Mais jusqu'où une telle expérience peut aller ?
16:19 Est-ce que ce n'est pas un mirage,
16:21 une sorte de témoignage un peu vain d'être là
16:24 et de respecter les codes d'une sorte de civilité généreuse
16:30 quand tout brûle autour ?
16:32 - Non, c'est tout sauf un mirage.
16:33 C'est une résistance extrêmement forte.
16:35 La première des résistances,
16:37 c'est de ne pas céder au récit dominant en Israël, concrètement.
16:42 Le récit dominant depuis trop longtemps,
16:44 porté par l'extrême droite israélienne
16:46 et par une partie aussi du Hamas, du Hezbollah,
16:50 c'est que la coexistence entre Palestiniens et Juifs
16:57 est impossible.
16:58 Elle est impossible.
16:59 La question ne se pose pas.
17:00 C'est rappelé tous les jours,
17:05 cent fois, mille fois sur tous les médias de mille formes.
17:09 Et sur cette base-là, sur cette couche-là,
17:10 après, on va élaborer toutes sortes de...
17:13 vont se prolonger toutes sortes de logiques de domination,
17:16 de brutalité de part et d'autre,
17:18 et évidemment de manière plus forte et plus intense
17:22 parce qu'ils dominent réellement du côté israélien.
17:27 Le simple fait d'exister pour "wa'atassalam ne'bechalom",
17:32 ce qui signifie "ouaziz de paix", depuis plus de 50 ans,
17:35 c'est de démontrer déjà l'inverse,
17:37 que ce récit-là est impossible,
17:39 est erroné, pardon,
17:41 et qu'il est possible de vivre ensemble.
17:43 Ils le prouvent, ils le font.
17:45 D'ailleurs, un des personnages dit,
17:47 "on n'arrive pas à convaincre quelqu'un
17:49 qui est persuadé d'avoir raison."
17:51 C'est que, moi, je sais que j'ai raison.
17:53 Le convaincre de l'inverse, c'est une mission quasi impossible.
17:57 En revanche, ils poursuivent en disant,
18:00 "les gens sont attentifs aux histoires,
18:02 les histoires nous construisent."
18:03 Et "ne'bechalom", dit-il,
18:05 lui qui vit depuis toujours et qui est né,
18:07 "ne'bechalom est une histoire."
18:09 Et finalement, nous existons pour être racontés.
18:11 Et il ne faut pas, bien sûr, négliger l'intensité des récits
18:15 dans les principes de domination, ce qui les justifie.
18:18 Je crois que personne ne naît au monde en disant,
18:19 "tiens, je vais brutaliser, je vais dominer par pur plaisir."
18:23 Il y a toujours une justification,
18:24 il y a toujours un récit initial pour justifier la domination.
18:27 Et "ne'bechalom" attaque à la racine cette problématique.
18:31 – Mais "ne'bechalom" peut aussi être utilisé pour dire, au fond,
18:34 la société israélienne est une société démocratique
18:37 puisqu'une expérience comme "ne'bechalom" y est possible.
18:39 – Là, c'est malheureusement, enfin, heureusement pas le cas.
18:43 Ils ne le font pas.
18:44 Ils ne le font pas pour plaire à la gent, parce que...
18:45 – Non, je ne dis pas eux, mais d'autres personnes peuvent utiliser.
18:47 – Or, ça fait très longtemps que d'autres personnes ne le font plus.
18:50 D'autant plus qu'ils subissent une vraie brutalité de la part de la droite
18:57 et de l'extrême droite très largement majoritaire,
18:58 aujourd'hui malheureusement en Israël.
19:00 Ils sont appelés des traîtres.
19:03 Et c'est d'ailleurs l'une des difficultés des Juifs de "warat ha-salam" "ne'bechalom",
19:08 c'est de dire, d'ailleurs l'un des personnages, enfin, je dis "personnage",
19:12 pour moi c'est des personnages, ils racontent leur histoire,
19:15 nous le dit lors d'une scène.
19:18 C'est compliqué de lutter contre une oppression
19:21 lorsqu'on est de la même communauté que les oppresseurs
19:23 sans vouloir renoncer à son identité.
19:26 C'est extrêmement complexe.
19:29 Et c'est très fort et très beau.
19:30 Il ne s'agit pas...
19:31 Alors, ils subissent, les Juifs de "warat ha-salam", "ne'bechalom",
19:35 ainsi que les Palestiniens, de fortes pressions de la part de leur camp d'origine,
19:40 enfin, de leur communauté d'origine, pas de leur camp, de leur communauté d'origine.
19:43 Et certaines brutalités et certaines difficultés.
19:46 – Ça fait très XXe siècle, au fond, parler de telles expériences, parler de paix.
19:51 La paix semble démonétisée dans notre monde.
19:54 On a l'impression d'assister à des guerres sans fin.
19:57 Toute cette mythique autour de la fin de l'apartheid,
20:00 de l'espoir de paix possible au Proche-Orient,
20:02 incarnée par des Mandélas, des Rabines, des Arafat aussi,
20:07 en fait, elles semblent mortes.
20:09 Est-ce que ce village permet quand même de les perpétuer ?
20:13 – D'espérer ? – De perpétuer l'espoir d'une civilité autre ?
20:17 – Oui, je ne sais pas si vous connaissez Canetti,
20:19 mais Canetti parlait de cristal de masse.
20:21 Aujourd'hui, on peut considérer que, évidemment,
20:24 le ventre d'histoire ne souffle pas dans les voiles de l'utopie, des utopies.
20:28 Des gens qui veulent absolument renoncer aux rapports de force,
20:32 être pour la paix, le respect des autres, le féminisme.
20:35 C'est-à-dire que c'est brutal, le monde s'est durci,
20:38 la brutalité devient la syntaxe dominante.
20:44 – La guerre en Ukraine est l'abcès de fixation de notre période.
20:47 – Oui, mais parmi d'autres, il y a la guerre en Afrique,
20:50 je ne d'abord rien, il y a la guerre en Amérique du Sud,
20:52 il y a des conflits sanglants aux quatre coins de la planète.
20:56 Et puis indépendamment des conflits sanglants
20:57 qui ne sont que le sommet de l'iceberg,
20:59 il y a également des rapports de force extrêmement brutaux
21:02 aux quatre coins de nos vies quotidiennes,
21:04 dans les entreprises, dans certains mouvements sociaux aussi,
21:09 enfin, il ne faut pas se leurrer,
21:10 il ne suffit pas d'être de gauche et de militer
21:16 pour échapper à cette mécanique du rapport de force et aux brutalités.
21:23 Oui, alors, il y a quelque chose d'assez fragile
21:27 dans les six communautés qu'on a pu documenter.
21:31 On le sent, je pense que si on les avait filmées,
21:34 pour celles qui existaient déjà, et c'est un certain nombre d'entre elles,
21:37 dans les années 90, fin des années 90, début des années 2000,
21:40 le vent de l'espoir aurait été différent, plus intense.
21:44 En tout cas, l'idée quand même que ça pouvait faire tâche d'huile,
21:47 là, au contraire, quelque chose qui est un peu peau de chagrin,
21:50 mais avec des résistances très fortes et la lutte est permanente.
21:53 Je voulais rajouter quelque chose de super important,
21:55 d'ailleurs, pour ces communautés, c'est qu'il ne faut jamais oublier,
21:57 j'espère que les films le racontent, et je pense que c'est le cas,
22:00 ce ne sont pas des communautés qui vivent dans des bulles,
22:03 mais une cisole du réel, c'est ça qui est aussi très intense et très fort chez elles.
22:07 C'est-à-dire qu'à la fois, il y a un très fort ancrage territorial,
22:10 et en même temps, ils ne renoncent jamais aux luttes internationales.
22:13 Je prends Longomay, par exemple, cette éco-ferme qui est issue d'une communauté post-68ard,
22:20 qui a essaimé dans toute l'Europe et qui a une ferme en Ukraine,
22:23 et que l'on voit réagir à la guerre et à l'effondrement d'un pays,
22:28 avec une réaction absolument incroyable.
22:30 Et les premières heures, c'est la solidarité, l'accueil des réfugiés,
22:33 le fait de les nourrir, le fait de les héberger.
22:36 Ces gens-là, même s'ils ne sont que…
22:42 alors je me suis un tout petit peu perdu, j'en ai conscience.
22:45 – Non, c'est tout à fait logique.
22:46 – Non, c'est juste que je voulais arriver quelque part,
22:48 et j'ai perdu quelque part.
22:50 Non, sur la fragilité, j'ai dit la fragilité.
22:53 – La fragilité de ces expériences, et le fait qu'elles se réduisent comme…
22:56 – Comme pot de chagrin.
22:57 – Ils ressentent plus des pots de chagrin qu'à des tasses d'huile.
23:01 – Oui, et pour l'Ongomay, toujours est-il que,
23:03 quand bien même, effectivement, ils ne sont que quelques dizaines en Europe,
23:06 leur résistance, et je reviens effectivement, pardon,
23:09 c'était sur le fait qu'il y a un ancrage très fort territorial, très local,
23:13 et en même temps, ils ne renoncent pas,
23:15 je parle de l'intégralité de l'Ongomay par exemple,
23:17 aux luttes internationales, à l'accueil des migrants en Méditerranée, en Serbie,
23:22 ils accueillent, ils luttent contre la bétonisation,
23:28 ils accompagnent des zadistes, ils sont présents à Bure.
23:30 C'est-à-dire que l'Ongomay, comme beaucoup d'autres de ces communautés,
23:34 sont, encore une fois, tout à la fois attachés à être d'une grande cohérence
23:38 dans l'espace qui est le leur, dans le territoire,
23:41 dont ils maîtrisent les contours, pas simplement territoriaux,
23:45 mais également politiques, et en même temps,
23:49 avec un lien très fort avec le réel.
23:52 – Alors, avant cette série, "Story Circus et toi"
23:55 avait été à l'origine d'un film, "Démocratie", toujours avec un "s",
24:01 entre parenthèses, est-ce qu'il y a un lien entre les deux concepts ?
24:03 – Complètement, je pense que c'est le prolong…
24:06 l'utopie, de certaines manières, est le prolongement de "Démocratie".
24:09 Quand on s'est posé la question de savoir qu'est-ce que c'est que la démocratie,
24:13 et l'expression qu'on en connaît aujourd'hui, la plus communément admise,
24:17 c'est la démocratie représentative, on va dans des bureaux de vote,
24:22 tous les 2, 3, 4, 5 ans, à différentes échelles,
24:25 et ce serait l'expression ultime de la démocratie.
24:28 Il se trouve qu'en creusant un tout petit peu la question,
24:30 ce n'est pas un scoop, mais je trouve que ce n'est pas que ça la démocratie.
24:33 La démocratie, c'est un principe qui consiste à considérer
24:36 que l'autre est de notre égal, et que personne ne doit se substituer
24:40 ni à l'autre, ni à nous, dans la décision collective.
24:42 Alors, personne, ce n'est pas les lobbys industriels,
24:45 qui sont à leur place d'ailleurs, mais l'idée est d'avoir la possibilité
24:51 d'offrir à tous et toutes, la possibilité de décider en commun.
24:56 C'est le principe de l'égalité, l'égalité qu'on s'octroie
24:59 et qu'on octroie aux autres, même celui qui n'est pas d'accord avec soi, etc.
25:02 Donc c'est un principe assez complexe à mettre en place et à vivre pleinement.
25:05 Est-ce que dans notre vie quotidienne, dans nos entreprises,
25:07 dans un média comme celui-ci, dans l'entreprise qui est la mienne,
25:11 la production qui est la mienne, est-ce que tous les jours s'applique ce principe
25:14 qui consiste à considérer que l'autre est notre égal absolument,
25:16 totalement, sans aucune réserve ?
25:18 Non, pas toujours, c'est compliqué, c'est un combat permanent.
25:22 Mais dans la démocratie, on s'était arrêté, on est allé voir des gens
25:25 qui font démocratie, au centre-ville du terme, très respectueuse de cette question de l'égalité.
25:31 Donc on est allé voir des écoles freinées, des petites communautés,
25:36 des petites municipalités qui tentaient d'appliquer,
25:40 ou les élus redistribuaient le pouvoir qui leur était octroyé par les urnes,
25:44 à Kingersheim notamment, à Jospigel, on est allé en Islande avec des constitutionnalistes
25:50 qui avaient tenté d'élaborer une constitution plus respectueuse
25:53 de cette question d'égalité, et donc de démocratie.
25:56 Mais on était resté à la lisière de ces lieux, de ces trous dans le réel,
26:00 donc par la jaconsière, on était dans un espace constitué et préconstitué.
26:05 Alors la série a été financée au départ par le financement participatif,
26:08 mais elle est quand même diffusée par France.TV, c'est important d'aller là,
26:13 France.TV c'est la plateforme, un peu le YouTube, le Netflix de l'audiovisuel public français,
26:18 vous pouvez aller regarder, vous devez aller regarder les 6 épisodes tout de suite après cette émission.
26:25 Mais pourquoi donc, après ce financement participatif, le mettre quand même sur France.TV ?
26:30 Pourquoi une série comme ça n'a pas été totalement,
26:33 à contrario, financée de manière classique, c'est-à-dire via les outils de l'audiovisuel public
26:38 ou alors de la télé privée ?
26:40 – C'est une petite utopie documentaire que de faire 6 films aux 6 coins de la planète,
26:45 c'est long, c'est coûteux, je te remercie d'avoir apprécié la qualité plastique de l'image,
26:49 mais ça a un coût, c'est comparé avec 2 caméras, qui sont des caméras raides,
26:52 pas des caméras de reportage, plutôt des caméras de cinéma,
26:55 on passe beaucoup de temps au montage aussi, donc il y a un coût,
26:58 parce que les gens sont payés, c'est les intermittents du spectacle,
27:00 comme moi, je suis un intermittent du spectacle, on passe du temps,
27:03 il y a une petite vingtaine de personnes, un peu plus de vingt personnes,
27:06 qui ont été mobilisées pendant presque 3 ans, sur des durées différentes,
27:11 mais sur ce projet, donc ça a un coût, certain.
27:14 Et pour parvenir à obtenir cette somme nécessaire pour faire le film comme on l'espérait,
27:21 il a fallu croiser les dynamiques, donc le crowdfunding,
27:26 le financement participatif, mais également le service public,
27:28 alors bien sûr, on n'aurait jamais proposé, la question ne s'est même pas posée,
27:32 à soit une plateforme payante, soit même aux GAFA,
27:38 parce que les GAFA peuvent financer, mais ça reste les GAFA,
27:40 donc c'est un peu compliqué, c'est un peu compliqué et pas très logique,
27:43 que d'aller à d'autres guichets que celui du service public,
27:46 et celui du financement participatif.
27:50 – En tout cas, c'est disponible sur france.tv,
27:52 et pour ceux qui sont allergiques, ils peuvent toujours aller sur la chaîne Peertube,
27:58 de Data Gueule, mais bon, je pense que pour que tout le monde se rende compte
28:03 à quel point le film a été aimé, mieux vaut le regarder sur france.tv,
28:07 comme ça, ils feront leur calcul, ils verront que le nombre de visiteurs
28:11 dépasse la mesure de leur investissement.
28:15 – Et puis il y a de belles choses sur france.tv, quand même,
28:17 il y a des belles choses, évidemment, sur Le Média, sur tant d'autres plateformes,
28:22 mais il faut croiser les plateformes, et france.tv, c'est une grande entité,
28:26 avec France Télévisions, avec des listes du C, avec des premières lignes,
28:31 avec des compléments d'enquête.
28:35 – Il y a aussi des choses avec lesquelles on a le droit de ne pas être…
28:37 – Oui, absolument, et de dialoguer en tout cas.
28:39 – Voilà, la transition est toute trouvée pour évoquer les utopies concrètes
28:43 qui peuvent traverser nos métiers, nos métiers de tisseurs d'informations et de culture,
28:46 et cela tombe bien parce que tu viens sur ce plateau,
28:49 presque 5 ans exactement après le lancement du Média,
28:51 dans ce lieu c'était le 15 janvier 2018, et là on est le 16 janvier 2023,
28:56 c'est un lieu dont tu es l'un des fondateurs historiques,
28:59 un lieu d'utopie concrète quelque part,
29:01 vu qu'il se veut un média coopératif d'une certaine portée,
29:05 soutenu par des sociétaires, donc des citoyennes et des citoyens,
29:09 hors du contrôle de l'État, et des milliardaires,
29:12 dans un pays où les médias sont passés sur la coupe des possédants et du pouvoir,
29:18 un lieu où il y a eu des tâtonnements, des crises,
29:21 dont d'autres médias se sont fait des choux gras, des erreurs,
29:24 mais aussi nous le croyons, de belles réussites,
29:26 et une sorte de modèle même d'ailleurs qui se fait dupliquer.
29:30 Aujourd'hui tu as un peu laissé le bébé libre de vivre sa vie, sans toi,
29:35 alors quel regard tu portes sur lui, sur ton bébé qui a bien grandi,
29:38 et qui a eu une adolescence peut-être trop tumultueuse à ton goût ?
29:42 – Très joliment tumultueuse, et ce n'est pas mon bébé du tout,
29:45 cette idée je l'ai…
29:46 – C'est une autre bébé mais…
29:47 – Oui c'est très collectif.
29:48 – À la base il y avait quand même des gens.
29:50 – Oui absolument, je ne renie absolument rien,
29:53 je suis très très content de voir en fait, pour tout te dire,
29:56 c'est Facebook qui m'a rappelé qu'il y avait 5 ans, jour pour jour, c'était hier,
30:01 j'avais une petite notification à la con, dans son friand, ses applications,
30:06 c'était la première du Média.
30:08 Et oui j'ai eu un petit frisson, c'est un plaisir, c'est un beau souvenir,
30:13 moi encore une fois c'est tout sur mon bébé parce que j'ai initié,
30:17 avec beaucoup d'autres, cette idée-là,
30:20 mais moi je suis un humble réalisateur, je suis un artisan audiovisuel,
30:24 je sais à peu près, enfin j'apprends tous les jours à faire des films,
30:27 j'essaie de le faire tous les jours un peu mieux,
30:28 mais je suis tout sauf un fondateur de médias.
30:31 D'ailleurs je pense que les mois et années qui ont suivi ont prouvé,
30:34 définitivement dans mon rapport moi, à cette complexité
30:38 qui est de gérer des collectifs avec des personnalités très fortes etc.
30:42 Toujours est-il que 5 ans plus tard, ben voilà, le Média existe,
30:47 vous produisez, vous diffusez de l'information importante, pertinente, intelligente,
30:53 vous le faites plutôt bien, je suis vraiment très heureux
30:56 de voir que le Média est toujours debout, bravo.
30:59 Je suis heureux aussi de voir que le Média a fait des petits,
31:02 et que les médias libres sont plus nombreux qu'ils n'étaient il y a 5 ans,
31:08 ça c'est aussi important.
31:09 Il y a 5 ans une porte s'est ouverte et ça a permis de faire éclore d'autres.
31:13 Oui oui, je crois que c'est un petit cas d'école,
31:15 je crois qu'également les complications, les conflits, les difficultés
31:20 sont également des expériences, il faut savoir tomber, se relever,
31:23 et puis retomber, puis se relever, on a le droit de se planter, de réussir après,
31:27 et puis en tout cas de se planter un peu mieux, et puis réussir un peu mieux,
31:31 donc là je suis très très content, je suis très content de voir que vous êtes là.
31:34 Mais justement pour revenir aux utopies concrètes,
31:36 il y a quelque chose de frustrant quand on y croit fondamentalement,
31:41 de voir l'utopie concrète sembler retomber dans la bassesse de la vie ordinaire,
31:48 et comment continuer de croire quand ce qu'on a conçu dans notre cerveau,
31:55 ce à quoi on a espéré, ne ressemble pas, en tout cas dans son cheminement,
32:00 ne ressemble pas tout à fait à l'ultime espoir qu'on entretenait.
32:06 Est-ce qu'il faut abandonner, comment font les gens de ces communautés-là pour continuer ?
32:11 Je suppose qu'il y a des crises, comment faire pour continuer d'y croire tant que...
32:17 – Je crois qu'il y a un truc qui les sauve, qui les aide,
32:19 vraiment c'est qu'ils ne se considèrent pas comme des modèles,
32:22 ils sont vraiment adogmatiques, il n'y a pas de dogme,
32:25 et très souvent il n'y a pas de texte non plus, il n'y a pas de manifeste,
32:28 il n'y a pas une espèce comme ça d'idéal initialement posé, sacralisé,
32:33 auquel il faudrait toujours se référer, et qui serait comme le diapason de nos erreurs à venir.
32:37 – Mais sans manifeste, comment ne pas s'égarer ?
32:40 – Alors, en étant fort de ses convictions, et je pense que ce n'est pas si compliqué,
32:45 on n'a peut-être pas besoin de manifeste pour dire qu'on est contre les dominations,
32:49 contre les discriminations, qu'on est pour l'égalité, la justice et le respect des autres.
32:53 Finalement, c'est très simple, une fois qu'on a posé ça,
32:58 après on peut, si on le rédige, on va ramener de la complexité et de la règle,
33:02 et la règle c'est aussi un truc qui permet de dire toujours "ah, tu es en train d'en sortir"
33:06 ou non, ou l'autre est en train d'en sortir, parce que moi je n'en sors jamais bien sûr,
33:10 donc une espèce de lutte de purisme etc. Donc ils ne sont pas là,
33:12 je pense que parmi les six utopies, et ce n'était pas délibérée,
33:17 ça arrive à la main, je le post-rationalise, les six utopies documentées,
33:21 aucune d'entre elles n'a un petit fascicule, un petit livre rouge ou vert, rouge, jaune ou bleu,
33:25 ce sont des gens qui acceptent le fait que tout ça c'est vivant, donc en changement permanent.
33:32 Qu'il ne s'agit pas d'élaborer ou de sacraliser un objectif initial et toujours se référer à celui-ci,
33:39 ou des codes ou des règles, mais tous les jours d'être en accord avec soi et les autres,
33:46 sur ses fondamentaux, qui effectivement appartiennent à l'humanisme de gauche.
33:49 – Dernière question, est-ce que notre monde de raconteurs et de raconteuses d'histoire
33:53 a lui aussi besoin d'utopies aujourd'hui ?
33:55 Quelles formes peuvent-elles prendre ?
33:57 Disons, quelles formes t'inspirent aujourd'hui en tant que réalisateur,
34:03 oui, fabricant d'histoire, fabricant d'informations et de culture ?
34:08 – Alors, les formes sont toujours diverses, celles qui me touchent sont évidemment diverses
34:13 et je pense que la diversité des formes d'expression dans le champ audiovisuel
34:16 mais dans d'autres champs aussi est absolument essentielle.
34:19 En revanche, moi ce qui m'intéresse particulièrement peut-être sur les éléments des récits,
34:24 ce sont les récits notamment qui empruntent à l'anthropologie.
34:28 Je pense qu'il faut lutter contre un récit dominant qui est celui,
34:31 peut-être l'un des plus communément admis, l'idée selon laquelle notre espèce
34:37 aurait engendré naturellement le monde qui est celui que nous vivons
34:41 et que nous déplorons majoritairement parce qu'il est effectivement assez déplorable,
34:45 en tout cas pour ceux qui le subissent et ils sont plus nombreux que ceux qui en profitent.
34:48 – Les fameux anthropocènes.
34:50 – Alors justement, ça c'est une connerie, c'est une connerie parce que l'anthropologie,
34:53 la science humaine, les sciences humaines, pas simplement le...
34:56 Les anthropologues nous apprennent qu'il y a eu des dizaines de milliers
35:00 d'organisations sociales différentes qui n'étaient pas toutes basées très loin de là
35:05 sur le commerce et le rapport de force et la conflictualité comme la nôtre.
35:10 Et il est fortpourrable qu'il y en aura beaucoup d'autres.
35:12 Il se trouve que cette organisation-là, cette civilisation-là, par sa voracité,
35:16 par son goût pour la prédation a effectivement réussi,
35:20 tragiquement, à dominer une grande partie et de l'espace et de notre temporalité.
35:26 Mais ces utopies et d'autres encore, d'autres communautés,
35:30 prouvent qu'il est possible, non seulement possible,
35:32 mais c'est évident que d'autres manières de faire et d'exister,
35:36 et d'autres organisations sociales sont possibles.
35:41 Sont possibles, le furent, le seront et le sont déjà.
35:45 – Merci beaucoup Henri.
35:46 Je rappelle la série documentaire que tu viens de produire,
35:50 "À notre plus grande joie à tous",
35:52 avec tout le collectif de Data Girl et de Story Circus,
35:56 donc "Utopie" avec un "s" entre parenthèses et un point d'interrogation,
36:01 disponible sur france.tv et aussi sur la chaîne Peertube de Data Girl.
36:07 Merci, allez regarder, allez encourager la création documentaire exigeante
36:15 sur le service public si vous ne voulez pas être tributaire des Anouna Nko.
36:22 [Rire]
36:24 [Silence]
36:34 [SILENCE]

Recommandations