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Avec "Les fossoyeurs", Victor Castanet a remporté le prix Albert-Londres 2022. Son enquête sur les Ehpad Orpea sort ce mercredi en version poche, agrémentée d'un complément d'enquête. Il y a un an, son livre a suscité une véritable déflagration. "Si j'ai travaillé aussi longtemps sur cette enquête, c'est parce que je voulais rendre un document implacable, où il n'y avait pas que des témoignages de dérives, mais des preuves de fraudes, notamment sur la gestion d'argent public", raconte le journaliste, qui savait, donc, "qu'il y aurait des suites judiciaires, que nécessairement il y aurait des plaintes contre ce groupe".

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00:00 « France Inter », Léa Salamé, Nicolas Demorand, le 7 9 30.
00:07 Et avec Léa Salamé, nous recevons ce matin le journaliste Prialbert Londres, auteur des
00:11 « Fausse Soyeurs », dont l'édition poche paraît aujourd'hui chez Gélu.
00:16 Vos questions, amis auditeurs, au 01 45 24 7000 et sur les réseaux sociaux.
00:23 Victor Castaner, bonjour.
00:24 Bonjour, merci pour votre invitation.
00:26 Soyez le bienvenu sur « France Inter », c'est absolument fou ce qui s'est passé
00:31 en un an pour vous depuis la sortie en janvier 2022 en pleine campagne présidentielle des
00:36 « Fausse Soyeurs », votre enquête implacable sur les EHPAD d'Orpéa et le business du
00:41 grand âge.
00:42 On y découvrait horrifiés les maltraitances subies par les résidents, vos révélations
00:48 déclenchaient une véritable onde de choc dont les effets se font encore sentir aujourd'hui.
00:53 Vous publiez donc une nouvelle édition de ce livre, augmentée de 10 chapitres inédits
00:59 avec de nouvelles révélations sur lesquelles on va venir dans un instant.
01:03 Mais d'abord, auriez-vous imaginé un instant la déflagration que votre livre a suscité,
01:10 les presque 200 000 exemplaires vendus et le vaste débat de société que vous avez
01:14 ouvert ?
01:15 Ce serait très présomptueux de ma part si je vous disais que oui.
01:19 Ce que je peux vous dire c'est que j'ai tout fait, si j'ai travaillé aussi longtemps
01:23 sur cette enquête, si ça a pris trois ans de ma vie, c'est parce que je voulais rendre
01:26 un document implacable où il n'y ait pas seulement des témoignages de dérive mais
01:31 des preuves de fraude, d'irrégularité, notamment sur la gestion de l'argent public.
01:36 Donc je savais en rendant ce livre qu'il y aurait des suites judiciaires, que nécessairement
01:41 il y aurait des plaintes contre ce groupe sur la gestion de l'argent public, sur un
01:44 certain nombre d'irrégularités, notamment sur les violations aux droits du travail.
01:48 Et ensuite, vous ne pouvez pas imaginer, vous ne pouvez pas savoir si votre livre va toucher
01:53 le grand public.
01:54 Vous dites même, je me demandais qui irait acheter un livre de 400 pages sur les maisons
01:58 de retraite ?
01:59 Oui c'est vrai, c'est-à-dire que ce n'est pas le sujet le plus glamour qui soit.
02:03 Quand vous travaillez sur ce sujet, c'était d'ailleurs courageux de la part de mon éditrice
02:08 Sophie de Closet de s'investir sur un sujet qui effectivement n'amène pas les foules
02:13 dans les librairies, qui est un sujet difficile à traiter.
02:18 Oui mais manifestement c'est aussi un sujet, certes pas glamour comme vous dites, mais
02:21 qui touche tout le monde, qui touche tout le monde dans sa chair, dans la chair de sa
02:24 famille.
02:25 Vous avez parlé à tout le monde, quelle que soit sa classe sociale, son âge, son
02:29 sexe, son genre, etc.
02:30 C'est un sujet qui nous a tous touchés, comme si on essayait de ne pas le regarder,
02:35 vous nous avez forcé à le regarder.
02:36 L'impact et le débat de société qu'a entraîné ce livre montrent ça effectivement.
02:42 À quel point ça nous ramène tous à notre propre rapport à notre famille et à nos
02:49 aînés, autant qu'on est disposé à leur donner.
02:52 Et à notre vieillesse.
02:54 Et à notre propre vieillesse, mais ça nous intéresse tous.
02:58 Moi-même, j'ai perdu mon grand-père il y a peu de temps, je me suis beaucoup interrogé
03:02 sur les dernières années de sa vie que j'ai passées avec lui, si j'avais passé assez
03:06 de temps avec lui, parce qu'on est dans nos sociétés occidentales, on est très occupé
03:12 et on a pris le pli, notamment depuis l'après-guerre, de déléguer la gestion des personnes âgées
03:20 à d'autres.
03:21 Contrairement aux sociétés africaines ou asiatiques par exemple.
03:25 Ou orientales.
03:26 Et ça c'est un vrai sujet, donc ça nous ramène à notre propre responsabilité.
03:30 D'ailleurs Michel Onfray disait quelque chose de très beau là-dessus, il disait
03:33 "on a délégué l'amour et la tendresse".
03:36 Et effectivement, on a délégué d'abord à d'autres structures et ensuite à des
03:41 structures lucratives, dont le but premier est de faire du profit.
03:45 On rappelle que dans votre livre, vous réveilliez le système mis en place au sein d'Orpea,
03:49 groupe privé français numéro un mondial du secteur des Ehpad.
03:53 Vous montriez la maximisation des profits, la rentabilité au détriment des pensionnaires,
03:58 des salariés.
03:59 Vous évoquiez le rationnement des couches, des biscuits, des patients enfermés dans
04:03 leur chambre, laissés sans soin, les odeurs pestilentielles.
04:06 Un an après ces révélations, pensez-vous, Victor Castaner, qu'il y a eu une prise
04:11 de conscience collective, qu'il y aura un avant, un après, qu'on ne pourra plus
04:16 désormais fermer les yeux ?
04:17 Je pense qu'il y aura un avant et un après.
04:21 Je pense que le regard de la société a changé, que les familles et les médias sont plus
04:30 vigilants encore sur ces questions et que surtout, le secteur a pris conscience de l'ampleur
04:38 de la crise et du lien de confiance qui s'était rompu à la fois avec les familles et avec
04:45 les soignants, les salariés de ce secteur.
04:48 Et que donc, si ce secteur, notamment la partie lucrative, veut survivre à cette crise, il
04:53 va falloir qu'elle change en profondeur ses pratiques.
04:56 Donc je pense que ça, fondamentalement, ça a changé.
04:59 Ce matin, par exemple, sur Info, le nouveau patron d'Orpea dit "tolérance zéro"
05:08 désormais sur les pratiques illégales.
05:09 Vous le croyez ? Vous faites confiance ? Vous pensez que les choses ont vraiment changé
05:12 en un an ?
05:13 Ce que je peux dire, ce que j'ai pu moi observer, c'est que la nouvelle direction
05:18 d'Orpea a sorti une trentaine de cadres dirigeants qui étaient à tous les postes
05:26 les plus importants de cette société, notamment aux services achats, RH, développement, tarification,
05:32 et qui étaient responsables des anciennes pratiques défaillantes.
05:38 Et donc, ils ont été licenciés, en grande partie pour fautes graves, et d'ailleurs
05:42 le groupe a porté plainte contre un certain nombre d'entre eux et contre l'ancien
05:46 directeur général pour abus de biens sociaux et pour des situations de conflits d'intérêts.
05:50 Donc ils ont pris conscience, la nouvelle direction, du côté dysfonctionnel de l'ancien
05:56 système.
05:57 Et ils ont changé certaines pratiques, par exemple sur la gestion irrégulière de l'argent
06:02 public, avec les fameuses marges arrières sur les produits de santé ou les excédents
06:05 de dotation dans les établissements.
06:07 Ça, ça n'arrivera plus.
06:08 Le système Orpea tel qu'il était avant a été stoppé.
06:12 Pareil sur le dialogue social qui n'existait pas avant, il y a aujourd'hui un début
06:17 de dialogue social.
06:18 Après, il y a tout un tas de choses qui restent à changer, et même au sein d'Orpea.
06:23 De pratiques, vous voulez dire ?
06:24 De pratiques, et si vous voulez Orpea encore aujourd'hui a gardé les mêmes fournisseurs
06:30 qu'avant, notamment les fournisseurs en produits de santé que sont Bastide et Hartmann.
06:34 Ceux-là même qui ont participé aux pratiques irrégulières, au détournement d'argent
06:41 public et aux surfacturations.
06:42 Ils ont les mêmes prestataires dans les services informatiques.
06:48 Ceux-là même qui ont participé à des systèmes de surfacturation.
06:51 Il y a encore des cadres dirigeants chez Orpea, notamment l'ancienne directrice du service
06:56 qualité qui est encore en poste.
06:57 Et plus profondément, le plus dur, ça va être le recrutement.
07:03 Il y a une telle crise avec les soignants, il y a un tel déficit d'attractivité,
07:09 qu'aujourd'hui le principal problème qui se pose à Orpea et aux autres groupes,
07:14 c'est de redonner envie aux soignants de venir.
07:17 - Dans cette édition augmentée, Victor Castaner, il y a donc, je le disais, des révélations
07:22 et là il faut dire qu'on n'est pas loin du roman d'espionnage.
07:25 Vous racontez comment dans les mois qui ont précédé la sortie de votre livre, vous avez
07:30 reçu plusieurs intimidations de la part d'Orpea.
07:33 Vous écrivez "des acteurs influents ont manœuvré dans l'ombre, des sociétés d'intelligence
07:38 économique ont été missionnées, des "journalistes" ont même prêté leur concours à cette étrange
07:44 partie des chèques souterraines".
07:46 Racontez-nous, qu'est-ce qui s'est passé ? Qu'avez-vous pu voir, sentir, pressentir ?
07:50 - Alors, je trouvais ça passionnant de raconter ça au grand public, de raconter comment une
07:55 société cotée en bourse fait appel à un certain nombre d'acteurs pour manipuler
08:01 l'information.
08:02 Et donc, comme acteur, vous avez des sociétés d'intelligence économique qui ont été
08:07 missionnées par Orpea, peu après que j'ai envoyé mes questions à l'été 2021, pour
08:12 savoir qui j'étais et quel était le contenu de mon livre et essayer d'identifier mes
08:18 sources.
08:19 Donc, il y a eu des sociétés d'intelligence économique qui ont été missionnées pour
08:22 ça.
08:23 Il y a des boîtes de communication de crise qui ont été missionnées, notamment Imachet,
08:28 pour gérer tout un plan de com' de crise avant la sortie du livre, avec l'utilisation
08:33 de sondages, notamment un sondage publié...
08:35 - Ça, c'est intéressant, vous racontez ce sondage publié le 1er février, donc une
08:40 semaine après la sortie du livre.
08:42 - Non, c'est un sondage qui est diffusé, notamment dans les informés sur France Info,
08:47 le 22 janvier, donc deux jours avant la publication des Bonnes Feuilles dans le Monde.
08:52 Donc, le timing est absolument parfait et c'est un sondage qui est commandé par Orpea,
08:58 avec le soutien d'Imachet à Odexa, quelques semaines après que j'ai envoyé mes questions.
09:03 Donc, ils savent que le livre va paraître et c'est un sondage sur le bienveillir et
09:07 qui explique, ce sondage, qu'en gros, en France, ça se passe mieux qu'ailleurs et
09:13 qu'une des préconisations des Français pour améliorer les questions autour du grand
09:17 âge, c'est d'élargir les compétences des EHPAD.
09:20 En gros, les EHPAD ne sont pas le problème, c'est la solution.
09:23 Donc, sortir ça à 24h de la publication d'une enquête, c'est très malin, sauf que
09:29 ni le grand public, ni les journalistes des informés à ce moment-là, savent que ce
09:33 sondage a cette visée-là.
09:35 - Je vais vous faire de contre-carré votre bouquin.
09:38 Quand je parlais du sondage du 1er février, c'est un autre sondage dont je voudrais que
09:40 vous nous parliez.
09:41 C'est ce qui s'est passé sur le plateau de Cyril Hanouna, dans la série des sondages
09:44 truqués.
09:45 Racontez ce qui s'est passé dans cette émission où il fait un sondage autour de votre livre
09:50 et il se rend compte que la plupart des sondés, c'était des faux comptes.
09:54 - Oui, ça aussi, c'est assez passionnant et ça questionne la responsabilité des médias.
10:00 C'est-à-dire qu'on est invité par Cyril Hanouna dans l'émission TPMP et on refuse
10:07 à plusieurs reprises l'invitation et on participe à ce moment-là à Quotidien.
10:13 À ce moment-là, Cyril Hanouna décide de faire une émission en changeant son angle
10:20 et la question posée par l'émission, c'est est-ce que les accusations du livre Les Faussoyeurs
10:26 sont-elles infondées ?
10:27 Ce qui en soit une question déjà problématique et orientée à laquelle les téléspectateurs
10:33 ne peuvent pas répondre.
10:34 Il y a des dizaines, voire des centaines de mises en cause dans ce livre.
10:38 On est cinq jours après la sortie, les téléspectateurs n'ont même pas lu le livre.
10:42 Donc elle est orientée déjà la question.
10:43 - 70% répondent que oui, votre enquête repose sur des éléments infondés.
10:47 - Exactement, il y a 72 000 participants et il y a 70% qui expliquent que l'enquête
10:52 est infondée.
10:53 Ce qui d'un coup, moi je reçois plein de textos de mes sources à ce moment-là, qui
10:56 cinq jours après la sortie du livre sont encore un peu tremblotantes et se disent « mince,
11:00 les gens ne nous croient pas, remettent en cause nos témoignages ». Donc ça fragilise
11:05 leurs témoignages.
11:06 Et on apprendra quelques jours après, dans l'émission de TPMP, que ces sondages ont
11:13 été manipulés par des boîtes qu'on appelle des sociétés de réputation digitale.
11:17 Et en fait, qui font appel à une armada, une armée de faux comptes Twitter qui en
11:23 quelques secondes, ça dure trois secondes…
11:25 - Qui vous font basculer un sondage.
11:26 - Vous font basculer un sondage.
11:27 - Et là, vous avez la preuve que l'ORPA est derrière ? Ou que la Société d'intelligence
11:31 économique ou de com' est derrière ?
11:32 - J'ai la preuve que c'est un des acteurs importants du secteur des EHPAD qui est derrière.
11:37 Et dont le but c'était effectivement de manipuler ce sondage et également de faire
11:41 remonter sur les réseaux sociaux des éléments positifs sur le secteur des EHPAD.
11:46 - Vous citiez dans le premier livre, Xavier Bertrand notamment, pour ses liens avec les
11:51 sociétés d'EHPAD, vous citez dans cette édition augmentée Jean-Louis Borloo, l'ancien
11:57 ministre.
11:58 Qu'est-ce que… ? Parce que lui dément ce que vous dites.
12:03 Qu'est-ce que vous racontez ?
12:04 - Je raconte un événement qui m'a marqué et qui m'a questionné dans les mois qui
12:10 ont précédé la publication du livre.
12:12 J'appelle effectivement Jean-Louis Borloo pour obtenir un certain nombre d'éléments
12:18 concernant mon enquête.
12:19 Il me questionne sur ce que contient mon enquête et sans dire d'éléments précis, je lui
12:25 parle du secteur des EHPAD, une mauvaise gestion de l'argent public.
12:29 Et il me demande alors si je vais contacter les acteurs les plus importants du secteur,
12:34 notamment Corian et Orpea.
12:35 Donc je lui dis que oui, c'est la base de mon travail de journaliste de faire respecter
12:40 le contradictoire.
12:41 Et j'ai rendez-vous une semaine plus tard avec Nicolas Mérigaud qui est le DG France
12:46 de Corian.
12:48 Et quelques jours avant ce rendez-vous, j'ai un cadre important de Corian qui est
12:53 l'une de mes sources, parce que j'ai des sources au niveau chez Orpea et Corian et
12:56 dans d'autres groupes, qui m'appellent pour me demander si je suis sur écoute parce
13:00 qu'une personnalité politique de premier plan vient d'appeler Corian et pour les
13:07 dissuader de me rencontrer en expliquant que j'allais écrire un livre qui allait
13:11 faire scandale, qu'il ne fallait surtout pas me rencontrer, que j'étais un danger
13:15 pour le secteur.
13:16 Et donc je lui demande de me communiquer le nom de cette personne et il m'explique
13:20 que c'est Jean-Louis Barlot, à qui je viens de parler il y a quelques jours plus
13:24 tard.
13:25 Après vous le rappelez, il est dément, il vous dit "je n'ai jamais appelé".
13:26 C'est le climat de peur, on l'entend.
13:29 Dans votre enquête initiale, vous montriez comment les familles des patients maltraités
13:35 craignaient tout simplement de parler.
13:37 Madame Roussel, l'une d'entre elles, vous disait d'ailleurs que le groupe Orpea l'a
13:41 terrifié, elle vous avertissait.
13:43 Vous ne savez pas ce dont ils sont capables, ce sont des gens dangereux et très puissants.
13:48 Ça c'est des phrases qu'on entend normalement prononcer pour une mafia et pour l'OMERTA.
13:54 C'est moi quelque chose qui m'a surpris tout au long de mon enquête, c'est la peur.
13:59 C'est la peur et effectivement l'OMERTA.
14:03 A la fois les salariés de ce groupe et les familles avaient peur.
14:09 Et Madame Roussel notamment qui m'a parlé avait peur parce que quand elle a décidé
14:15 de s'opposer à Orpea en portant plainte, un certain nombre d'avocats d'ailleurs
14:19 au départ lui ont dissuadé de porter plainte.
14:22 Et ensuite quand elle a commencé à porter plainte, elle a reçu des menaces extrêmement
14:26 violentes d'Orpea.
14:28 Et quand la procédure a commencé, Orpea a produit un certain nombre d'attestations
14:33 totalement fausses de soignants qui étaient forcés à témoigner, qui racontaient que
14:39 c'était une femme vénale qui faisait ça pour l'argent, qui discréditait sa réputation.
14:44 C'était extrêmement violent pour une famille qui faisait face à un groupe très puissant,
14:48 très riche avec une armada d'avocats.
14:50 Et du côté des salariés c'était encore plus violent parce que moi les salariés
14:54 que je rencontrais, pour certains d'entre eux, Orpea avait des pratiques dysfonctionnelles
14:59 à tous les niveaux et notamment au service RH.
15:02 Et le service RH d'Orpea faisait appel, là encore, à des sociétés d'intelligence
15:07 économique et plus précisément à des détectives privées pour monter des dossiers sur certains
15:11 salariés, notamment les salariés syndiqués.
15:14 Et ensuite pouvoir faire pression sur eux, les obliger à suivre telle ou telle direction
15:21 et parfois les sortir du groupe.
15:22 Donc c'était extrêmement violent.
15:23 Donc je raconte ce climat de peur.
15:25 On va passer au standard où nous attend Brigitte.
15:30 Bonjour Brigitte, soyez la bienvenue.
15:32 Bonjour.
15:33 On vous écoute.
15:35 Vous travaillez en EHPAD public.
15:37 Voilà, pour ça je veux bien le préciser.
15:40 Je suis IDEX, ça veut dire que je suis infirmière responsable dans une EHPAD publique, c'est
15:46 très important.
15:47 Et je tenais, en fait c'est un témoignage, c'est un peu un cri de colère parce que
15:53 le premier livre nous a fait énormément de mal parce que toutes les familles n'ont
16:01 pas conscience que ce soit EHPAD public, EHPAD privé, hors PA, pas hors PA, tout ça.
16:07 Et nous, les familles sont devenues de plus en plus suspicieuses.
16:12 On est dans une salle de suspicion.
16:15 Il a fallu qu'on se justifie sur tout et n'importe quoi.
16:19 Alors qu'avant on avait une opération très cordiale avec les familles.
16:25 Et je crains que si ce bon livre fait une nouvelle salve et pour nous c'est indéniable.
16:32 Alors je ne dis pas qu'on n'a pas de problème, attention.
16:34 Bien sûr, bien sûr.
16:35 Si on avait beaucoup plus de personnel, ça serait très bien.
16:41 Mais c'est sur cette relation de confiance qui a été cassée, que vous vouliez insister,
16:47 et sur donc la suspicion de la part des familles.
16:51 Et je rappelle une fois encore Brigitte que c'est dans un EHPAD public que vous travaillez.
16:56 Victor Cassanez vous répond sur ce point.
16:58 Oui, c'est un témoignage important.
17:00 Si vous voulez, quand vous faites une enquête et que vous mettez en lumière ce genre d'élément,
17:06 de pratique irrégulière, vous avez parfois des dommages collatéraux.
17:09 Dans ces dommages collatéraux, il y a le fait effectivement que tout le monde est mis
17:12 dans le même panier, tout le secteur.
17:14 Il y a effectivement des groupes privés qui ne fonctionnent pas comme hors PA, heureusement.
17:18 Et il y a un grand nombre d'établissements où ça se passe très bien en France.
17:23 Et il faut dire à quel point l'immense majorité des soignants, des auxiliaires de vie, donnent
17:31 tout leur temps, leur énergie.
17:33 Ils font un travail de manière passionnée.
17:35 Ils sont habités par leur travail.
17:37 Donc si vous voulez, moi, mon enquête...
17:38 C'est vrai que ça les a.
17:39 Ce que dit l'auditrice, moi je l'ai déjà entendu sur votre premier livre.
17:44 C'est-à-dire que ça nous salit tous.
17:46 À un moment, on a l'impression que c'est l'enfer, tous les EHPAD.
17:50 Et c'est pas ça aussi.
17:52 Bien sûr.
17:53 C'est pour ça que moi, dans chaque interview, je décide de répondre que sur les points
17:58 qui concernent le système hors PA.
17:59 Je suis journaliste.
18:01 J'ai enquêté sur un groupe qui était le leader mondial, qui était dysfonctionnel.
18:04 Ça raconte ces dérives-là et ça raconte les défaillances de l'État.
18:08 Mais jamais je me suis permis de rapporter des éléments sur d'autres groupes ou sur
18:13 le public parce que je suis un journaliste qui rapporte des faits.
18:15 Paul, au standard.
18:17 Paul qui nous appelle d'Isère.
18:19 Bienvenue Paul.
18:20 Oui, bonjour.
18:21 Bon, disons que c'est plutôt une constatation qu'une question.
18:28 J'ai un frère qui était chez hors PA jusqu'au 30 novembre 2022.
18:32 Il a quitté parce qu'il n'en pouvait plus.
18:34 Et rien n'a changé chez hors PA.
18:36 C'est la vraie catastrophe, disons, du point de vue économie, du point de vue personnel
18:42 qui est embauché, disons, au compte-gouttes.
18:45 Ils sont tous très dévoués.
18:46 Mais disons que pour les personnes qui sont dans cet état-là, rien n'a absolument changé.
18:56 Au contraire, hors PA incite les enfants des personnes hospitalisées à venir s'occuper
19:02 davantage de leurs parents.
19:04 Vous voyez ce que je veux dire ? Et puis les poulies ne bouffent pas pour autant, au contraire.
19:08 Merci Paul pour ce témoignage.
19:11 Rien n'a changé, mis à part le discours de Victor Castaner.
19:15 Je ne suis pas certain que rien n'ait changé.
19:17 C'est-à-dire ce que j'ai raconté tout à l'heure sur les pratiques irrégulières
19:23 sur la gestion de l'argent public, les marges arrières, les excédents de dotation.
19:26 C'est terminé.
19:27 Sur le dialogue social qui n'existait pas.
19:33 C'est terminé.
19:34 Sur toutes les pratiques irrégulières concernant la gestion du droit du travail, les licenciements
19:39 massifs pour fautes graves, le recours abusif à des CDD.
19:42 Tout ça a été stoppé.
19:44 En revanche, il est certain que ça met du temps de remettre en marche un groupe qui
19:49 pendant si longtemps a été dysfonctionnel.
19:51 Et là, il y a un problème qui dépasse hors PA et qui est d'une responsabilité politique
19:58 gouvernementale.
19:59 C'est la question des soignants.
20:00 C'est-à-dire que maintenant, tant que le gouvernement n'apportera pas de réponse
20:04 sur les soignants, n'imposera pas un ratio de soignants, ne refinancera pas le secteur,
20:10 tant qu'il n'y aura pas un nouveau départ pour le secteur avec une loi Grandage, il
20:15 y aura des dysfonctionnements.
20:17 Alors ça, c'est l'autre partie de votre nouveau livre, la version augmentée du premier
20:21 Victor Castaner.
20:22 D'ailleurs, je crois que votre prochain livre portera de manière générale sur l'hôpital
20:26 et la santé publique avec des révélations dans plusieurs secteurs.
20:29 On va y venir.
20:30 Mais sur la responsabilité du politique, vous racontez et vous rappelez que votre livre
20:35 sort il y a un an, c'est-à-dire en pleine campagne présidentielle, et vous racontez
20:38 sur plusieurs pages comment votre livre va faire peur à l'entourage d'Emmanuel Macron
20:43 en se disant "oh là là, ça va impacter la campagne, ça va nous affaiblir".
20:47 Vous racontez comment il diligent en urgence une enquête administrative qui est selon
20:51 vous bâclée.
20:52 Comment il refuse de mettre leur veto à une enquête parlementaire à l'Assemblée
20:56 nationale parce qu'il craigne également que ça ait de l'impact sur la campagne présidentielle.
21:00 Vous avez vraiment vu et observé de près combien votre livre avait fait peur au plus
21:05 haut niveau ?
21:06 Si vous voulez, je pense que le président de la République, Emmanuel Macron, a conscience
21:11 que sur ce sujet, il n'a pas de bilan.
21:13 Qu'il a plusieurs fois promis une loi grantage dès 2018 et il l'a sans cesse repoussé.
21:22 Et elle n'est toujours pas sur la table.
21:24 Jusqu'à l'annuler définitivement.
21:25 Et peut-être que si une loi grantage avait été mise en place il y a déjà quelques
21:32 années, un certain nombre des dérives constatées chez Orpea n'auraient pas eu lieu.
21:39 Donc ça c'est un point essentiel, c'est-à-dire qu'il sait qu'on peut lui reprocher de
21:44 ne pas avoir fait les choses à temps.
21:46 Et donc effectivement, quand le livre sort et que le scandale éclate, c'est un caillou
21:52 dans sa chaussure au moment de la campagne présidentielle.
21:55 Donc effectivement, je sais, j'ai des informations précises sur le fait qu'il y a d'un côté
22:01 l'enquête IGF qui mériterait, qui aurait mérité plus de temps.
22:07 Et donc ils ont dû faire les choses de manière précipitée.
22:10 Moi je ne dis pas qu'elle a été bâclée cette enquête.
22:13 Je sais, en ayant rencontré des inspecteurs, qu'ils n'ont pas eu assez de temps.
22:17 Et que donc il y a un certain nombre de questions qui n'ont pas pu être traitées et un certain
22:21 nombre d'éléments qui n'ont pas pu être analysés.
22:24 Ça, je le sais.
22:26 Je sais aussi par le témoignage d'une députée de La République en Marche, qui a voulu signer
22:34 une tribune pour mettre en place une commission d'enquête parlementaire à l'Assemblée
22:37 nationale, qui était indispensable pour justement aller au bout de la connaissance du fonctionnement
22:43 du système Orpea.
22:44 Je sais que cette députée, Annie Vidal, qui a signé cette tribune, elle a été ensuite
22:51 agressée par un certain nombre de ses petits camarades LREM, qui lui ont dit "tu n'as
22:57 plus rien à faire à La République en Marche, on ne veut pas de cette enquête parlementaire".
23:03 Et effectivement, elle m'a expliqué qu'à ce moment-là, les députés pensaient que
23:08 c'était préjudiciable au président de la République.
23:11 - Beaucoup de questions d'auditeurs, Victor Castaner.
23:14 Sur d'autres secteurs, Aline vous demande si vous pensez pouvoir faire le même genre
23:18 de livre sur la petite enfance et les crèches qui sont nombreuses à être menacées d'être
23:24 rachetées par des groupes privés.
23:25 Florian vous dit que vous avez bien abordé le sujet des EHPAD, mais vous demande ce qu'il
23:31 en est de la psychiatrie, qui semble avoir la même stratégie.
23:35 Il me semble que vous ayez ouvert là quelque chose et nos auditeurs vous demandent de faire
23:42 le travail.
23:43 - De bosser sur des trucs.
23:44 Vous savez quoi, on me le demande tous les jours par mail.
23:46 Je reçois depuis la publication du livre, tous les jours, au moins une dizaine de mails.
23:51 Au début, les premières semaines, c'était 300 mails par jour, qui venaient à la fois
23:54 remercier les sources qui avaient participé à cette enquête, et aussi alerter sur d'autres
23:58 dysfonctionnements dans la santé.
24:00 C'est-à-dire que j'ai des alertes sur l'hôpital public, les urgences, la psychiatrie, le handicap,
24:08 la petite enfance, sur tous ces sujets.
24:10 J'ai à la fois des familles de résidents, mais aussi des soignants, des médecins, des
24:18 cas de dirigeants qui m'alertent sur des dysfonctionnements.
24:21 Et à chaque fois, c'est la même chose.
24:23 C'est-à-dire sur la pression financière qui pèse sur ces établissements, sur la
24:28 dégradation de la prise en charge, sur le manque d'effectifs, le turnover, sur tous
24:33 ces points, on m'alerte.
24:36 Et ça raconte une chose, c'est que le système de santé français est en crise depuis un
24:42 certain nombre d'années.
24:43 C'est le même monde que vous décrivez, à différents endroits.
24:46 Bien sûr.
24:47 Et j'ai des gens à tous les postes qui m'alertent, et qui veulent me transmettre des informations,
24:52 et qui me demandent d'enquêter.
24:53 Donc je pense qu'effectivement, on va avoir dans les prochaines années un certain nombre
25:00 de nouveaux scandales dans la santé.
25:02 Et vous allez continuer de bosser sur le secteur de la santé ?
25:05 Moi, c'est un sujet en tout cas qui me passionne, parce que c'est un sujet pour moi très concernant
25:10 pour les gens.
25:11 Et où il y a, si vous voulez, où toucher à l'intime, et où il y a des potentialités
25:17 de fraude énormes, beaucoup d'argent public.
25:19 Et donc c'est un sujet qui m'intéresse.
25:21 Merci Victor Castaner, merci beaucoup d'avoir été au micro d'Inter ce matin.
25:25 Les Fossoyeurs, édition augmentée de 10 chapitres inédits.
25:30 C'est un livre de poche aux éditions J'ai lu en librairie aujourd'hui.
25:34 Merci encore.

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