Explosion au port de Beyrouth : sit-in des familles de victimes en soutien au juge Bitar

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Transcript
00:00 On va aller plus loin, tenter d'aller plus loin sur ce dossier tout de suite avec notre invitée du jour.
00:03 Qui intervient en direct de Beyrouth, la capitale libanaise.
00:11 Bonjour Karim Emil Bitar.
00:12 Bonjour, merci d'être avec nous.
00:13 Vous êtes directeur du département de sciences politiques de l'Université Saint-Joseph,
00:17 donc dans la capitale libanaise.
00:19 Peut-être, on va revoir à nouveau ces images,
00:23 celles de ce sit-in qui est en ce moment même organisé devant le palais de justice.
00:28 Il y a, semble-t-il, quand même beaucoup de monde, la presse bien évidemment,
00:32 beaucoup de caméras et d'appareils photos forcément.
00:36 Mais ce collectif de famille qui s'est organisé en quelques heures seulement pour,
00:40 un, exprimer sa colère après la libération des 17 personnes impliquées dans ce dossier,
00:45 qui n'ont, je le rappelle, toujours pas été jugées,
00:47 et surtout, surtout soutenir le juge Bitar et son enquête.
00:53 Oui, les Libanais sont absolument effarés aujourd'hui.
00:55 Ils sont en train d'assister en direct à l'effondrement de tout un système judiciaire
01:00 qui faisait la fierté de ce pays depuis l'Antiquité.
01:03 L'école de droit de Beritus était l'une des plus célèbres au monde à l'époque de la Rome antique.
01:08 Et aujourd'hui, tout est en train de partir en vrille.
01:11 Un procureur général qui semble inféodé au pouvoir
01:15 est en train de chercher à entraver l'enquête d'un juge indépendant
01:20 qui, comme vous l'avez bien dit dans votre reportage, n'a aucune affiliation politique,
01:25 et cherchait uniquement à faire la lumière
01:27 sur l'une des plus grandes explosions non nucléaires de l'histoire de l'humanité.
01:31 Donc il y a en ce moment d'énormes manifestations des familles de victimes
01:34 pour soutenir ce juge indépendant,
01:36 mais il est à craindre que cette enquête ne soit encore entravée
01:40 par tous les partis politiques qui sont soit directement coupables,
01:43 soit du moins responsables,
01:45 parce qu'ils savaient qu'ils se sont tus
01:47 et qu'ils ont fait preuve de négligence criminelle.
01:49 Il y a beaucoup de réactions, évidemment, depuis hier,
01:53 depuis ces annonces du procureur,
01:57 notamment c'est les ONG Human Rights Watch et Amnesty International qui ont pressé,
02:01 ça y est, le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU,
02:04 d'adopter de toute urgence une résolution
02:07 pour mettre en place une commission d'enquête impartiale.
02:10 Il est parfaitement clair, ça ce sont les conclusions,
02:13 que les autorités libanaises sont déterminées à faire obstruction à la justice aujourd'hui.
02:21 Oui, ces ONG reflètent l'opinion d'une très grande partie de l'opinion publique libanaise,
02:25 de la plupart des associations civiles libanaises,
02:28 des familles des victimes qui ont eu l'impression d'avoir tout essayé,
02:31 mais de se heurter à un mur,
02:33 et qui réclament aujourd'hui une commission d'enquête internationale
02:36 pour établir les faits,
02:38 pour mettre les responsables libanais devant leur responsabilité,
02:41 car il semblerait qu'ils soient tous déterminés à étouffer dans l'œuf toute tentative
02:46 d'aboutir à la vérité.
02:48 Ils refusent de se présenter devant le juge depuis près de deux ans,
02:52 et cela concerne des partis politiques appartenant aux deux bords de l'échiquier politique.
02:57 Donc ils font front commun pour maintenir cette impunité,
03:01 en faisant planer le spectre du chaos.
03:04 C'est cette fameuse équation, l'impunité ou le chaos,
03:06 que nous avons vu dans beaucoup d'autres pays arabes,
03:09 qui se rejoue aujourd'hui au Liban,
03:11 et les Libanais souhaitent refuser les deux termes de cette alternative.
03:15 En libérant notamment ces 17 prisonniers,
03:17 on a eu les images de ces libérations ces dernières heures.
03:20 Vous estimez qu'il y a un verrou qui a sauté ?
03:23 Ce n'est pas la première fois que cette enquête est entravée
03:25 depuis l'explosion en août 2020.
03:28 Absolument, il faut reconnaître que la détention préventive avait trop duré,
03:34 que parmi ces personnes, il y en avait peut-être quelques-uns
03:36 qui n'avaient pas grand-chose à se reprocher,
03:38 ou du moins de petites négligences.
03:41 Mais il n'en reste pas moins que pour ceux qui ont perdu des proches
03:44 dans cet attentat, c'est une gifle.
03:47 C'est une nouvelle indication que le système politique libanais,
03:51 l'oligarchie au pouvoir, ne souhaite pas rendre des comptes
03:55 et souhaite étouffer toutes les preuves encore disponibles.
04:00 Une audience était censée se tenir ce matin en présence du juge Bitard.
04:04 Il avait refusé d'y participer.
04:05 Est-ce que vous avez des nouvelles, des informations le concernant ?
04:10 Alors, il est droit dans ses bottes.
04:13 Il se dit déterminé à aller au bout de son enquête.
04:16 Il dit que quand bien même il serait entravé ou même emprisonné,
04:20 il publierait son acte accusatoire de là où il se trouve.
04:24 C'est un juge qui a fait preuve de beaucoup d'entêtement, de détermination,
04:29 qui n'est pas afféodé à la moindre puissance étrangère,
04:32 contrairement à ce que dit une certaine presse libanaise,
04:34 notamment la presse proche du Hezbollah.
04:37 Mais il n'en reste pas moins que l'on peut être sceptique,
04:39 car tout au long de l'histoire du Liban, l'impunité a prévalu.
04:42 Ça a été la règle plutôt que l'exception.
04:45 Dans un pays où les assassinats politiques,
04:48 on l'a vécu ici même à France 24,
04:50 à plusieurs reprises par le passé, sont légion,
04:53 est-ce que vous vous inquiétez aujourd'hui pour la vie du juge Bittar ?
04:58 Il n'est pas à exclure qu'il soit menacé.
05:02 Il avait été ouvertement indiqué par le responsable sécuritaire du Hezbollah
05:08 que si nous n'arrivons pas à te déboulonner juridiquement,
05:12 c'est-à-dire à te dessaisir de ce dossier,
05:14 nous te dégommerons d'autre façon.
05:16 Mais les Libanais craignent aussi d'autres incidents sécuritaires
05:19 qui pourraient viser d'autres personnalités
05:23 dans une période de vacances présidentielles.
05:25 Donc à moins que nous nous dotions très vite d'un président de la République
05:29 et qu'il y ait un modus vivendi entre les puissances internationales,
05:32 le pire reste à venir.
05:34 Une question sur cette mobilisation à laquelle on assiste depuis ce matin,
05:39 celle de ces collectifs qui tentent de s'organiser tant bien que mal
05:42 et qui, pour le coup, réclament justice au nom des 215 morts,
05:46 je rappelle ce chiffre, des 6500 blessés également.
05:50 Est-ce que l'issue de la sortie de crise,
05:52 elle peut venir de la mobilisation des Libanais eux-mêmes ?
05:56 Je crois que ça doit être en effet la première étape.
05:59 Cette affaire a eu le mérite de sortir un peu les Libanais de l'apathie
06:02 dans laquelle ils se trouvaient.
06:03 Ils avaient le sentiment d'être complètement impuissants.
06:05 Ils sont peut-être toujours impuissants,
06:08 mais il ne faut pas attendre un sauvetage qui viendrait d'un pays étranger.
06:11 Il faut certes mobiliser les relais,
06:13 demander cette commission d'enquête internationale,
06:16 mais le déblocage politique ne pourra venir que d'une prise de conscience
06:19 de l'ensemble des acteurs libanais,
06:21 que le pays est en train de s'effriter, de nous échapper,
06:23 de se transformer en dictature communautaire, en fief clientéliste,
06:28 et qu'il est temps de rebâtir des institutions
06:31 et de rebâtir un État solide et impartial
06:33 et surtout une justice indépendante
06:35 qui redonnera confiance au peuple libanais traumatisé.
06:38 Au vu de tout ce qui se passe aujourd'hui,
06:41 de ce qui s'est passé par le passé,
06:42 on sort de 13 mois de pause dans les investigations.
06:45 Ça avait à peine été relancé en début de semaine.
06:48 Est-ce que vous avez malgré tout encore bon espoir
06:51 qu'il y ait une enquête qui arrive à son terme ?
06:55 Beaucoup de Libanais ont atteint le stade d'un certain cynisme.
06:58 Ils ne pensent pas que nous connaîtrons un jour le fin mot de cette histoire.
07:02 Elle implique peut-être trop d'enjeux
07:04 pour que nous sachions toute la vérité.
07:06 Il n'en reste pas moins qu'il faut maintenir la pression
07:09 pour que cette enquête aille à son terme,
07:11 que nous ayons au moins un acte accusatoire,
07:13 que l'on puisse pointer du doigt quelques responsables
07:17 à défaut de pouvoir les mettre sous les barreaux
07:18 parce qu'ils sont tous protégés politiquement par des milices
07:22 ou par des partis communautaires
07:24 qui restent dominants sur la scène libanaise.
07:27 Kerem Ibn Bitar, merci d'avoir été avec nous en direct de Beyrouth

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