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A l'occasion du Festival d'Angoulême qui célèbre chaque année le 9e art, Virginie Girod reçoit Sébastien Bordenave, spécialiste de la bande dessinée à Europe 1, pour retracer l'histoire de la BD, des illustrés à la création de la BD moderne avec des héros comme Tintin entre la fin du XIXe siècle et la Première Guerre mondiale. Le chroniqueur radio s'appuie sur l'ouvrage "La bande dessinée à la belle époque de 1880 à 1914" de Thierry Groensteen (Editions Les Nouvelles impressions) pour raconter les débuts de la BD, avec les premières "histoires en images" que l'on trouvait dans les journaux, puis comment Hergé a inventé le personnage mythique de Tintin, ou encore la représentation des femmes dans les dessins des BD du début du XXe siècle. "Quand on lit des BD de la Belle époque, on a l'impression d'être sur une autre planète. On peut tomber sur des dessins d’un racisme, d’un machisme, d’un antisémitisme hallucinants...", décrypte Sébastien Bordenave.
Retrouvez "Au coeur de l'histoire" sur : http://www.europe1.fr/emissions/au-coeur-de-l-histoire
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A l'occasion du Festival d'Angoulême qui célèbre chaque année le 9e art, Virginie Girod reçoit Sébastien Bordenave, spécialiste de la bande dessinée à Europe 1, pour retracer l'histoire de la BD, des illustrés à la création de la BD moderne avec des héros comme Tintin entre la fin du XIXe siècle et la Première Guerre mondiale. Le chroniqueur radio s'appuie sur l'ouvrage "La bande dessinée à la belle époque de 1880 à 1914" de Thierry Groensteen (Editions Les Nouvelles impressions) pour raconter les débuts de la BD, avec les premières "histoires en images" que l'on trouvait dans les journaux, puis comment Hergé a inventé le personnage mythique de Tintin, ou encore la représentation des femmes dans les dessins des BD du début du XXe siècle. "Quand on lit des BD de la Belle époque, on a l'impression d'être sur une autre planète. On peut tomber sur des dessins d’un racisme, d’un machisme, d’un antisémitisme hallucinants...", décrypte Sébastien Bordenave.
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NewsTranscription
00:00 - Bienvenue au cœur de l'histoire dans les interviews du vendredi.
00:03 Je suis Virginie Giraud.
00:04 Chaque année, le festival d'Angoulême met à l'honneur le 9e art, la bande dessinée.
00:09 Et la bande dessinée a aussi son histoire.
00:12 Personne n'est mieux placé pour nous en parler que notre spécialiste BD à Europe 1, Sébastien Bordenave.
00:18 Bonjour Sébastien Bordenave, bienvenue chez vous.
00:20 - Bonjour Virginie, merci de m'accueillir. Bienvenue chez moi du coup, je suis bien.
00:24 - Voilà, vous connaissez bien la maison. - Oui.
00:26 - Certains de nos auditeurs vous connaissent déjà et ont se délecte de vos chroniques
00:30 chez Lénaïque Monnier, Nicolas Carreau et Philippe Vandel.
00:33 Et là Sébastien, vous nous avez dégoté une perle.
00:37 La bande dessinée à la belle époque de 1880 à 1914 de Thierry Groenstein,
00:44 paru aux éditions Les Nouvelles Impressions.
00:46 Vous l'avez lu pour nous et vous allez nous retracer l'histoire de la BD
00:49 avant la création de la BD moderne.
00:52 Les premières bandes dessinées apparaissent donc à la belle époque.
00:55 Ce n'est pas Hergé qui a inventé ce style avec Tintin ?
00:57 - Non, loin de là Virginie.
00:59 C'est vrai que quand on pense souvent BD, on pense tout de suite à Tintin.
01:03 Alors il faut savoir, pour se remettre dans le contexte, que Tintin au Congo, c'est en 1941.
01:08 Alors ce n'était pas la première aventure de Tintin, le tout premier album,
01:11 c'est Tintin au pays des soviets, on est en 1930.
01:14 Et c'est déjà une petite révolution pour la BD parce que Hergé,
01:17 il est le premier à utiliser, un des premiers à utiliser un phylactère.
01:21 Alors c'est quoi un phylactère ? Je crois que vous le savez Virginie.
01:23 - Oui, c'est quoi un phylactère ?
01:25 - C'est la bulle en fait, c'est une bulle.
01:26 Ça va dynamiser vraiment les bandes dessinées.
01:29 Maintenant, les personnages quand ils parlent, ce qui est dit est entouré par un rond
01:33 avec une petite flèche, on sait qui parle.
01:35 Donc ça c'est vraiment génial.
01:36 Avant, ce n'était pas vraiment des albums de BD, c'était des illustrés.
01:40 Les illustrés, bon, c'est les ancêtres de la BD.
01:43 C'était des publications périodiques, mensuelles ou hebdomadaires avec des textes, des reportages.
01:47 Des fois le reportage prenait le pas sur le dessin et des fois c'était l'inverse.
01:51 C'est d'ailleurs un peu Virginie, comme ça que Tintin va naître.
01:54 Je vous explique, le XXe siècle, c'était le nom d'un quotidien belge,
01:59 donc il sortait tous les jours, comme tous les quotidiens.
02:01 Et la semaine, il y avait un supplément à ce journal destiné à la jeunesse
02:05 et qui s'appelait "Le Petit XXe".
02:07 Le rédacteur en chef de cette parution, il s'appelait Georges Rémy.
02:10 Les initiales GR, si en inverse, ça fait...
02:13 - RG ? - RG, c'était RG.
02:15 - Ah, c'est ça !
02:16 - Et RG, en fait, à ses débuts, il dessinait pour plein de publications,
02:20 il multipliait les publications.
02:22 Il a dessiné par exemple pour "Boy Scouts",
02:24 alors j'ai jamais lu "Boy Scouts", mais ça doit être très sympa,
02:26 mais aussi pour "Le Sifflet", dans lequel il va inventer un personnage
02:29 d'un jeune garçon et de son chien, ça y est, Tintin et Milou étaient nés.
02:32 Et ça fonctionne tout de suite, donc du coup, il va le faire pour "Le Petit XXe"
02:35 dès 1929, la toute première aventure.
02:38 En fait, c'est sous forme de périodique, ça s'appelle "Tintin aux soviets".
02:41 Pendant un an, toutes les semaines, il y a une petite histoire qui est racontée.
02:45 Et bah, on publie un album qui compile le tout à la fin de l'année.
02:50 - Hergé, c'est un petit peu le père de la BD moderne, si je vous suis bien.
02:53 Mais à quoi ressemblent les fameux illustrés de la belle époque que vous avez évoqués ?
02:56 - Et bah, grâce au livre, j'ai fait un plongeon dans le monde des illustrés avant 1914.
03:01 C'est super "Des paysans", parce qu'en fait, les dessins de l'époque sont d'une extrême qualité,
03:06 ils sont super soignés, c'est un langage très châtier.
03:09 Mais le plus fou, c'est qu'on a l'impression vraiment que ça s'est passé ailleurs qu'en France,
03:13 voire même carrément sur une autre planète, parce que, Virginie, il y a des dessins d'un racisme,
03:17 d'un machisme, d'un antisémitisme hallucinant.
03:21 Quand on lit ça aujourd'hui, on peut dire qu'on a fait du progrès, du coup, c'est bien.
03:24 - Alors Sébastien Bordenave, qu'est-ce qui vous a surpris concrètement
03:27 dans ces illustrés et ces héros du début du 19e siècle ?
03:31 - Alors en fait, ce qui est drôle, c'est que les dessins sont un argumentaire de vente.
03:35 Souvent, le journal, il compte le nombre de dessins qu'il y a,
03:38 et il le dit en une, il l'affiche.
03:40 Par exemple, il y a un journal concrètement qui s'appelait "L'Illustré",
03:42 premier numéro en 1904, ça coûte 5 centimes,
03:45 et en une, c'est écrit 108 dessins, dont 34 en couleur.
03:48 Donc c'est dans ce périodique qu'on va trouver, alors ça ne vous dit peut-être rien,
03:52 mais sachez que ça a fait la joie de nos arrières-grands-parents,
03:55 Bibi Fricot, un personnage... - C'est sur ma table de nuit.
03:57 - Bibi Fricot, un personnage qui a un succès immense,
04:00 dessiné par Louis Forton, c'est lui qui va inventer plus tard les pieds nickelés.
04:05 Et ironie de l'histoire, le journal "L'Illustré", ça va durer quand même 40 ans,
04:08 et ça va s'arrêter à cause d'un autre journal, le journal de Mickey, j'ai envie de dire,
04:12 "Saleté de souris". - Eh oui, vous n'êtes pas le seul, je crois.
04:14 Mais je suis certaine que les lecteurs ont adoré ce type de format très accessible,
04:18 on regarde des journaux à l'époque où il y a vraiment énormément de textes,
04:21 c'est écrit en tout petit, et alors "L'Illustré", vous allez nous dire, c'était des succès.
04:25 - Oui, parce que ceux qui avaient des difficultés à lire, tout le monde ne savait pas lire,
04:30 ils pouvaient en profiter grâce aux dessins, et en même temps, ça amène quelques grincheux.
04:35 Dès qu'on voit arriver des dessins animés, il y en a qui se plaignent, enfin des "Illustrés".
04:39 Dès 1907, il y a un type qui s'appelle Marcel Grunschwig,
04:42 et qui écrit dans un livre qui s'appelle "L'art et l'enfant",
04:46 il écrit "À l'heure présente, nous sommes envahis par un débordement de feuilles populaires
04:50 à l'usage des enfants, contre lesquelles il n'est que temps d'entreprendre une vigoureuse campagne
04:54 au nom du bon sens et du bon goût qu'elles outragent impunément".
04:58 Je ne sais pas Virginie si vous avez déjà outragé le bon goût, mais moi ça m'arrive régulièrement.
05:02 Alors on peut dire qu'il y a vraiment une mode de l'illustration, tout le monde s'y met,
05:05 Alfred de Musset fait des BD dans les années 1840,
05:08 Pierre Lotti, le célèbre écrivain-explorateur aussi,
05:11 Rimbaud, il a 10 ans, c'est un jeune garçon,
05:14 on a retrouvé des dessins de ce petit garçon qui raconte des histoires,
05:17 et lui, il les baptise "Plaisir du jeunage".
05:20 Si un jour vous avez un enfant qui a 10 ans et qui fait des BD qui appelle ça "Plaisir du jeunage",
05:23 on peut dire qu'il ira loin.
05:25 Alors il a dessiné à l'encre noire des histoires en 7 cases,
05:28 il n'y a pas une grande prétention artistique,
05:31 mais quand même ça a été vendu aux enchères 160 000 euros il y a 3 ans,
05:34 c'est peut-être parce que c'était Rimbaud, cela dit.
05:35 Tout à l'heure, vous nous disiez que ces illustrés étaient des véritables miroirs de l'ère de leur temps,
05:40 et des querelles de la belle époque, c'est ça ?
05:42 En fait, c'est une société super fracturée.
05:45 À chaque fois, sur plein de sujets, il y a les contres, il y a les pours,
05:47 il y a voire même les super-contres et les super-pours.
05:50 On parle aujourd'hui d'une société française qui est irréconciliable.
05:53 Aujourd'hui, à l'époque, c'était encore pire.
05:55 Il y a ceux qui sont pour l'empire colonial français,
05:57 ceux qui sont contre, ceux qui sont les dreyfusards et les anti-dreyfusards.
06:01 Donc en fait, c'est une société très fracturée.
06:04 Et il y a aussi surtout l'envie de s'amuser, de divertir,
06:06 et puis de caricaturer un peu le camp adverse.
06:09 Donc on grossit le trait, on y va,
06:11 et ça donne des dessins où on se permet tout,
06:13 avec du racisme, de la misogynie et de l'antisémitisme.
06:16 Sébastien Bordenave, je sais que vous êtes très galant.
06:19 Donc on va commencer par les femmes.
06:20 Comment est-ce qu'elles étaient représentées ?
06:22 Déjà graphiquement, une femme nue ou très vêtue,
06:25 on se rend compte, peut-être qu'on le savait déjà, que c'est très vendeur.
06:28 Donc on y va, il y a un engouement sur ce genre de dessin.
06:31 Puis en plus, il y a un flou juridique sur ce qu'on peut dessiner ou ne pas dessiner.
06:34 Et il y a plein de parutions qui arrivent à cette époque-là.
06:38 En 1900, paraît le froufrou.
06:41 En 1901, il y a une autre parution.
06:43 Pour les soldats, ça s'appelle le pompon.
06:46 Il y a aussi le tutu, le sangène, la gaieté gauloise, la gaudriole.
06:49 À chaque fois, il y a des jolis dessins de jeunes filles
06:51 qui sont là pour épater et aguicher un peu le client.
06:54 Oui, avec des noms pareils, ces journaux annoncent la couleur.
06:57 Ce n'est pas faux.
06:58 Alors, dans le livre "La bande dessinée en France à la belle époque 1880-1914",
07:03 on comprend qu'en fait, il y a un contre-exemple exceptionnel, c'est Bécassine.
07:07 En fait, on connaît tous Bécassine, surtout grâce à Chantal Goya.
07:11 On connaît un peu moins la scénariste Jacqueline Rivière, une femme.
07:15 Bécassine, elle est dessinée pour la première fois en 1905,
07:18 dans l'hebdo "La semaine de Suzette".
07:20 Elle est dessinée par Émile-Joseph Pinchon.
07:22 Il y aura d'autres dessinateurs après.
07:24 Et Bécassine, ce qui se passe, c'est que c'est l'héroïne principale.
07:27 L'histoire est construite autour d'elle et elle n'est pas du tout érotisée.
07:30 Et en fait, la femme dans la BD, c'est tout l'inverse.
07:32 Généralement, c'est une cuisinière, c'est une gouvernante,
07:35 c'est une serveuse d'auberge, une bourgeoise qui est au bras de son mari.
07:39 Et donc, on ne les entend pas si on les met en avant.
07:41 C'est juste pour montrer leur charme.
07:42 Bécassine, c'est vraiment l'inverse.
07:44 Et puis, il y a quelque chose.
07:45 On est en 1907 et on s'inquiétait de quelque chose qui commençait à arriver.
07:48 On commençait à se dire "Oh là là, mais les femmes, elles commencent à prendre le pouvoir".
07:52 Il y a un monsieur qui s'appelle Louis Forton.
07:54 Donc, on en a parlé tout à l'heure.
07:55 C'était l'inventeur des pieds nickelés.
07:57 Et bien, il va écrire une BD, une petite histoire dans un journal.
08:00 Et il imagine quelque chose d'impensable.
08:03 Il imagine que les femmes prennent, pour ne pas dire volent, l'emploi des hommes.
08:07 Donc, il va faire une BD.
08:08 Il va dire "Imaginez, dans quelques années, ça se trouve, on va avoir des femmes agents de circulation,
08:12 une femme facteur.
08:14 Et alors, si on pousse le bouchon un peu loin, faites un effort d'imagination hallucinant.
08:18 Mais ça se trouve, on va voir aux tuileries des hommes qui baladent leurs enfants dans leurs poussettes.
08:24 Mais imaginez !"
08:25 Ça n'arrivera jamais.
08:27 Ça faisait beaucoup rire à l'époque.
08:28 Et puis, on rigole aussi maintenant, mais pour d'autres raisons.
08:31 Mais il y a autre chose qui vous a surpris dans ces BD sur la belle époque.
08:34 C'est le racisme assumé de certains auteurs.
08:36 Il n'y a pas de barrière, il n'y a pas de tabou.
08:38 On ose tous.
08:39 En fait, les bras m'en sont tombés quand j'ai vu certains dessins.
08:42 Alors, il faut se remettre dans le contexte.
08:43 C'est vrai qu'à cette époque, on découvre des récits d'explorateurs, des romans,
08:47 des reportages dans les journaux où on raconte, par exemple, l'exemple concret.
08:51 Au royaume du Daomé, aujourd'hui c'est le Bénin,
08:54 il y a des histoires de cannibalisme qui sont reportées,
08:57 des histoires de rituels funéraires très sanglants.
09:00 Tout ça heurte la conscience et l'inconscience de tout le monde.
09:03 Et les caricatures et les dessins, ça va être le prolongement de tout ça.
09:07 Et puis en plus, quelque part, ça légitime aussi le fait que la France
09:11 se doit de civiliser les autres peuples.
09:13 Alors, un exemple concret, en 1907, il y a un dessinateur qui s'appelle Lucien Aille.
09:18 Il va créer un personnage appelé Bamboula Bonnegre.
09:21 Rien que ça, le principe, c'est un héros noir qui se prend des coups de pied aux fesses.
09:25 Et puis ça le fait rire. Et puis les gens qui donnent des coups de pied aux fesses,
09:27 ça les fait rire aussi. Et les gens qui lisent, ça les fait rire.
09:30 Humour très sympathique.
09:31 - Et nous, ça nous fait moins rire. - Oui, c'est sûr.
09:32 A noter quand même que dans ce journal, où est publié Bamboula Bonnegre,
09:36 il y a quand même un reportage qui dénonce l'esclavagiste, comme quoi.
09:41 Et puis il y a des dessins aussi qui ne sont pas du tout racistes,
09:44 il faut les signaler aussi, qui dénoncent le traitement des Noirs.
09:47 En 1898, un artiste du nom de Carandache dessine un colon avec des ouvriers noirs.
09:54 C'est jour de paye. Et dans le coffret où est censé se trouver l'argent,
09:58 il y a un fouet. Un ouvrier dit "heureusement qu'on n'a pas demandé d'augmentation".
10:03 On pouvait quand même faire passer quelques messages par le dessin dès cette époque.
10:06 Tout à fait. Et autre point de crispation de la belle époque, c'est l'antisémitisme.
10:11 L'affaire Dreyfus, sur laquelle on a fait un double épisode de "Au cœur de l'histoire", d'ailleurs,
10:15 a attisé la haine des Juifs dans une partie de la population. Ça se voit dans la BD ?
10:19 Totalement. Là, c'est pareil, pas de politiquement correct.
10:22 C'est le moins qu'on puisse dire. Je voudrais vous parler de Henri de Sta,
10:25 de son vrai nom, Arsène-Henri de Saint-Tallary. Il est descendant de colons antillais.
10:29 Alors lui, il dessine pour le journal anti-Dreyfusard "La libre parole",
10:34 un journal très connu parce qu'il appartient à Édouard Drumond.
10:36 C'est un homme politique d'extrême droite et clairement antisémite.
10:40 "La libre parole", comme tout à l'heure Hergé, il a un supplément hebdo
10:44 qui s'appelle "La libre parole illustrée", où il y a un peu plus de dessin.
10:47 Et Henri de Sta propose une BD qui s'appelle, tenez-vous bien,
10:51 "Youpin, ivrogne et voleur", c'est ce qu'on appelle "faire un combo", tout y est.
10:55 C'est le programme.
10:57 Il y a un autre dessin qui m'a un peu plus amusé, c'est en 1831,
11:02 on dessine Louis-Philippe, c'est une caricature assez connue.
11:05 En fait, on le dessine en poire, en quatre dessins. Louis-Philippe se transforme en poire,
11:09 donc ça veut dire en poire comme quelqu'un d'une poire.
11:11 C'est une bonne poire.
11:12 C'est une bonne poire, pas quelqu'un d'intelligent.
11:14 C'est le côté un petit peu mou, dans la forme de la poire.
11:17 Et bien en fait, 64 ans plus tard, il y aura un autre dessin, en 1895,
11:22 Lucien Emmerich dessine, lui, toujours à la une du journal de Drummond,
11:25 un vautour qui lui va se transformer en quatre dessins,
11:29 il va se transformer en juif.
11:31 C'est des dessins qui font vraiment frissonner, mais c'est bien de les voir,
11:34 parce qu'on se rend compte de la vérité de l'époque.
11:36 - Exactement, mais alors, comment les lecteurs de l'époque analysaient ces dessins ?
11:39 Est-ce qu'ils les appréciaient ?
11:41 - J'imagine qu'il y en a qui appréciaient, et il y en a d'autres pas du tout.
11:43 Du coup, ils se plaignaient, et on a trouvé la trace d'un rédacteur en chef
11:48 qui fait donc un édito pour se justifier,
11:50 parce qu'il a reçu plein de courriers de lecteurs mécontents.
11:52 En 1896, le rédacteur en chef du journal Le Rire écrit
11:57 "Les quelques contes juifs que nous avons récemment publiés
12:00 et qui ont eu un très vif succès dans l'ensemble des lecteurs du Rire,
12:04 nous ont valu un certain nombre de lettres de quelques Israélites.
12:07 Nous dirons que nous sommes surpris de leur susceptibilité.
12:10 Nos contes n'ont rien d'antisémitique.
12:12 Ce sont de simples plaisanteries qui se répètent dans le monde israélite
12:16 où ils ont été d'ailleurs recueillis.
12:18 Notre collaborateur occasionnel, Israélite lui-même,
12:21 esprit fort distingué et appartenant à une famille considérable dans le monde juif."
12:26 On sent une justification un peu en mode "je suis pas raciste, mon chien est noir".
12:29 - C'est le moins qu'on puisse dire.
12:31 Est-ce qu'on peut terminer ce panorama de la BD avant 1914
12:35 sur une note un peu plus joyeuse ?
12:37 - Oui, avec plaisir.
12:38 Dans ce livre publié chez Les Impressions Nouvelles,
12:40 qui s'appelle "La bande dessinée en France à la belle époque 1880-1914",
12:45 que je vous recommande,
12:46 on comprend qu'à cette époque, les illustrés étaient surtout pour les adultes.
12:49 C'est un peu plus tard qu'on va se boucher le nez en disant
12:52 "les BD, c'est pour les enfants".
12:54 Ce qui est très amusant, c'est que les héros de cette époque,
12:56 on l'a dit, sont publiés dans des illustrés périodiques.
12:59 Donc il faut les vendre, mais surtout, il faut que la semaine d'après,
13:01 on les rachète, il faut fidéliser le public.
13:03 Du coup, on y va dans la promesse.
13:05 Il y a les héros de l'époque qui s'appellent "Les vacances mirobolantes de Lolo Rigolo".
13:10 Ça fait envie !
13:11 "Les aventures extraordinaires et amusantes de Suscanel"
13:14 et "Les désopilantes fiançailles d'Isidore Carpe".
13:18 À chaque fois, ça donne envie.
13:20 - J'en ris déjà !
13:21 - Je voulais finir aussi sur un nom qui m'a fasciné dans cet ouvrage.
13:25 C'est Albert Robida, fils d'architecte.
13:27 Il est né en 1848, il va mourir à 76 ans.
13:31 En 1879, il imagine un personnage élevé par des singes.
13:35 1879, pour rappel, c'est en 1912 que Edgar Burroughs crée Tarzan.
13:40 Il va diriger aussi un hebdomadaire satirique qui s'appelle "La caricature"
13:44 entre 1880 et 1904.
13:46 Il va lancer la carrière de plein de dessinateurs.
13:48 Et puis, il va imaginer un truc hallucinant.
13:51 En 1892, il imagine en BD le téléphonoscope.
13:56 - Qu'est-ce que c'est le téléphonoscope ?
13:58 - C'est complètement fou.
13:59 C'est un écran mural, un écran plein mural,
14:02 qui diffuserait, tenez-vous bien, des informations 24 heures sur 24.
14:06 On imagine quand même qu'il faut être assez précurseur pour imaginer ça en 1892.
14:11 - Ça fait froid dans le dos, presque.
14:13 - Et puis, il invente cet homme-là, le cutaway.
14:15 - Le cutaway, qu'est-ce que c'est ?
14:17 - Le cutaway, ça revient à dessiner un immeuble, une maison,
14:21 comme si on avait fait une découpe verticale,
14:24 comme si on ouvrait une maison de poupées en deux.
14:26 Du coup, les pièces forment des cases.
14:28 L'histoire peut aller de la pièce qui se trouve le plus en haut à gauche
14:32 pour se finir le plus à droite en bas.
14:35 En fait, c'est un peu à lui qu'on doit, en BD, les cases.
14:39 Avouez que comme invention, c'est assez vertigineux pour qui est passionné de BD.
14:42 - Vous nous redonnez le nom de l'ouvrage dans lequel vous avez puiser ces informations ?
14:46 - Oui, c'est La Bande dessinée en France à la Belle Époque,
14:49 1880-1914 de Thierry Gronstein, aux impressions nouvelles.
14:54 - Merci Sébastien Bordenave pour cette passionnante histoire de la BD.
14:57 On vous retrouve à l'antenne d'Europe 1 pour toutes vos chroniques sur la BD,
15:01 tous les samedis à 7h40 dans La Matinale de Lénaïque Meunier
15:05 et dans l'émission littéraire de Nicolas Caro, La Voix et Livre, à 14h le dimanche.
15:10 Merci à nos auditeurs de nous avoir écoutés.
15:12 Si vous avez aimé cette émission,
15:14 laissez-nous des messages dans les filactaires de votre plateforme d'écoute préférée.
15:18 Au cœur de l'histoire est un podcast original Europe 1 Studio.
15:21 Et moi, je vous dis à bientôt.