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« Nos Absentes. À l’origine des féminicides » (Seuil) est à la fois une enquête et un récit intime, le fruit d’années de travail pour Laurène Daycard, journaliste indépendante spécialisée dans la condition des femmes dans le monde. En France, elle couvre depuis 2016 les affaires de féminicides, notamment les défaillances juridiques ayant précédé ces meurtres, à travers les récits de survivantes et de familles endeuillés. Elle s’intéresse aussi dans son livre aux mesures de prévention mises en place, comme un stage de responsabilisation pour auteurs de violences conjugales auquel elle a pu assister. Une enquête au long cours pour sortir les féminicides « des rubriques ’faits divers’ et les réinscrire dans le récit social et politique des violences sexistes ».

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Transcription
00:00 Il y avait eu sept plaintes déposées par Razia contre lui, une septième par son avocate.
00:05 Et quand elle est allée au commissariat, alors qu'elle avait déjà l'ordonnance de protection,
00:10 on lui a répondu "Mais madame, monsieur ne vous harcèle pas, c'est juste un homme qui veut voir ses enfants".
00:25 Il y a une déconnexion, je pense, entre le discours public qui est très axé sur les violences physiques,
00:30 qui va faire une sorte de hiérarchie entre les différentes formes de violences,
00:35 alors qu'en fait, quand on parle aux survivantes, aux anciennes victimes,
00:40 on se rend compte que c'est plutôt une diversité de situations qui créent la violence conjugale,
00:46 et qu'il n'y a pas une hiérarchie dans l'impact.
00:50 C'est-à-dire, par exemple, dans les témoignages, il y a souvent des histoires de rapport à la nourriture,
00:56 c'est assez étonnant d'un point de vue extérieur, ou aussi de contrôle vestimentaire.
01:00 Par exemple, c'est l'histoire de Magali qui raconte que son ex-conjoint l'a forcée à faire cuire un steak,
01:05 et qu'en fait, la façon dont il faisait, c'était une humiliation extrême pour elle.
01:09 Par ailleurs, Magali, c'est une survivante de féminicide, il lui a tiré dessus à balles réelles, et la balle l'a frôlée.
01:14 Et pourtant, ce qui a été l'une des expériences les plus traumatisantes pour elle,
01:20 c'était ses contraintes au niveau de la cuisine, et aussi toute la violence psychologique qu'il lui faisait subir.
01:26 C'est le témoignage d'une survivante qui me raconte que quand son mari partait en voyage d'affaires,
01:33 il lui coupait le gaz, et elle vivait dans une maison gelée, elle avait une assez grande maison,
01:38 et qu'elle était contrainte de laver ses enfants avec l'eau de la bouilloire,
01:43 pour pas que ses enfants prennent un bain froid.
01:45 Tout ça, c'est un contexte de violence conjugale, et c'est pour ça que j'aime bien les travaux d'un chercheur américain
01:54 qui s'appelle Ivan Stark, et qui a développé cette notion de contrôle coercitif,
01:59 et qui assimile les violences conjugales à une forme de captivité, de prise d'otage de l'intime.
02:04 Il donne l'image de la cage dans laquelle la victime, très souvent une femme, est enfermée,
02:10 et les barreaux représentent énormément de formes de violences conjugales,
02:15 et c'est la diversité de ces barreaux qui crée cette situation.
02:20 C'est-à-dire que ça peut être de la violence physique, parfois ça n'est jamais de la violence physique,
02:24 c'est de la violence économique, de l'isolement, des stratégies de régulation du quotidien.
02:30 Ça peut être aussi un contrôle économique, comme cette témoin qui était issue d'un milieu,
02:34 une survivante qui était issue d'un milieu très aisé, et qui pourtant n'avait pas assez d'argent,
02:41 son mari ne lui donnait pas assez d'argent pour qu'elle puisse faire les courses.
02:44 En tout cas, il ne faut pas réduire le discours des violences conjugales à une forme physique,
02:49 parce que ça isole des victimes, alors même que ce sont des victimes qui sont déjà isolées,
02:54 puisque c'est quelque chose qui est au cœur même de la mécanique des violences conjugales.
02:59 L'un des paradoxes des violences conjugales et des violences intimes en général,
03:03 c'est que les victimes portent peu plainte.
03:06 Ça s'explique par plusieurs phénomènes.
03:09 Le premier, c'est souvent l'inversion de la culpabilité, c'est-à-dire que l'auteur va se victimiser,
03:14 la victime se culpabilise pour ce qu'elle subit.
03:17 La victime met souvent beaucoup de temps avant de reconnaître et de connaître
03:21 qu'elle a fait quelque chose de mal, qu'elle a fait quelque chose de mal,
03:24 et qu'elle a fait quelque chose de mal.
03:29 Ça prend parfois des années avant de se reconnaître comme victime.
03:32 Personne n'a envie d'être victime.
03:34 Souvent aussi, c'est l'histoire de Laetitia, par exemple, qui a été tuée à Strasbourg,
03:40 qui a mis très longtemps avant de porter plainte,
03:43 parce qu'elle avait peur d'envoyer son conjoint en prison, le père de ses enfants.
03:48 Ça, c'est quelque chose qui revient aussi souvent, la peur d'envoyer en prison.
03:51 Et enfin, quand la victime souhaite aller à la police pour porter plainte,
04:00 ça pose souvent la question de l'accès à la preuve,
04:03 parce qu'on est sur un système du parole contre parole.
04:06 Et les violences conjugales, très souvent, ça se fait sans que l'entourage en ait forcément conscience.
04:14 Ou alors, par exemple, si jamais il y a eu des violences physiques,
04:18 ça n'a pas forcément été entraîné immédiatement le dépôt de plainte,
04:23 et donc un passage aux unités médicaux-judiciaires pour avoir une attestation du médecin.
04:29 C'est très, très difficile d'être reconnu souvent en tant que victime.
04:33 Du fait d'un défaut de formation et de sensibilisation des personnels de police-justice,
04:47 la parole des plaignantes est très souvent remise en cause,
04:51 même celles qui sont protégées, c'est-à-dire déjà sous ordonnance de protection.
04:57 Je pense par exemple à l'histoire de Razia, tuée à Besançon, où elle est allée au commissariat.
05:02 Elle avait été déjà mise à l'abri depuis Marseille jusqu'à Besançon, par Solidarité Femme.
05:09 Et en fait, son ex-conjoint avait retrouvé sa trace parce qu'il avait reçu par erreur
05:15 un courrier de l'assurance maladie.
05:17 Il y avait eu sept plaintes déposées par Razia contre lui, une septième par son avocate.
05:23 Et quand elle est allée au commissariat, alors qu'elle avait déjà l'ordonnance de protection,
05:27 on lui a répondu "Mais madame, monsieur ne vous harcèle pas, c'est juste un homme qui veut voir ses enfants".
05:33 Razia a été tuée à Besançon de 19 coups de couteau.
05:37 Je voudrais aussi citer l'exemple de Géraldine Soyer, c'est la première affaire de féminicide conjugal
05:42 sur laquelle j'ai travaillé en France. Elle a été tuée en 2016.
05:46 Quelques semaines avant d'être tuée, Géraldine Soyer se rendait à la gendarmerie,
05:50 c'était en zone rurale, avec ses filles, pour signaler qu'elle quittait le domicile.
05:56 Et ses filles avaient aussi indiqué aux gendarmes la présence d'armes à feu, des fusils.
06:02 Et rien n'a été fait, les fusils n'ont pas été saisis.
06:06 Son ex-conjoint n'a pas été inquiété non plus, et c'est avec ces fusils qu'il a tué.
06:12 [Musique]

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