Aujourd'hui, Clara Dupont-Monod nous parle d'un roman :"Mes fragiles" de Jérôme Garcin (éd. Gallimard).
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00:00 Sarah Dupont-Monnaud, oui vous êtes là pour notre plus grand plaisir et pour le plaisir de la littérature.
00:04 Mais oui Charline, surtout que nous sommes vendredi et vendredi ça rime avec archéologie bien sûr.
00:09 Or, souvent, l'écrivain il est l'archéologue de sa propre histoire, de sa famille.
00:16 En fait l'écrivain quand on y réfléchit, il fouille les décombres du temps, il exhume un passé, il le protège d'ailleurs.
00:22 Et donc l'écrivain archéologue il est un peu le seul rempart contre l'oubli qui est quand même finalement une seconde mort.
00:28 Et bien c'est précisément ce que fait un auteur qu'on aime beaucoup ici qui s'appelle Jérôme Garcin,
00:33 avec son dernier livre qui est somptueux qui s'appelle "Mes fragiles".
00:37 Et il raconte dedans son frère handicapé qui est mort au moment du Covid et qui au fond n'aura pas survécu à la mort de leur mère.
00:46 Donc ça fait deux morts qui viennent s'ajouter à cette longue liste de stèles qui jalonnent l'histoire de Jérôme Garcin.
00:54 Au point d'ailleurs qu'un de ses amis médecins lui a un jour recommandé de faire un test génétique,
00:58 une archéologie des gènes en quelque sorte, parce qu'il trouvait qu'il y avait pas mal de dégâts dans sa famille
01:04 et voir s'il n'y avait pas une petite anomalie.
01:06 Donc Jérôme Garcin a fait ses tests et le verdict est tombé.
01:10 C'est ce qu'on appelle le syndrome de l'X fragile, d'où le titre "Mes fragiles".
01:15 Et d'où aussi ce frère qui s'appelait Laurent qui est hypermésique, asocial,
01:21 à la fois tout petit garçon et très grand sage, qui raffolait du combo chips camembert,
01:27 qui détestait les téléphones portables et les piqûres, mais par contre qui adorait peindre.
01:33 Or, et ça c'est intéressant, c'est qu'il ne signait jamais ses œuvres.
01:36 Et il se trouve que des années avant lui, un peintre qui s'appelle Jean Dubuffet
01:41 avait inventé la notion de l'art brut en travaillant avec des pensionnaires des hôpitaux psychiatriques.
01:46 Et Jean Dubuffet disait "L'art ne vient pas coucher dans les lits qu'on a fait pour lui,
01:51 il se sauve aussitôt qu'on prononce son nom, ce qu'il aime c'est l'inconnito".
01:56 Et ben voilà exactement ce que faisait Laurent, sans le savoir, de l'art brut
02:01 au moment où il refuse d'apposer son nom en bas de ses toiles.
02:05 Mais elles sont toujours là ses toiles. Elles sont là dans la vie de Jérôme Garcin,
02:09 à la fois reliques mais aussi traces de vie.
02:13 C'est pas un hasard si un des plus grands écrivains du 19ème siècle, c'était Prosper Mérimée.
02:17 Et il était aussi archéologue, il était aussi obsédé par la sauvegarde des vestiges.
02:23 Et on lui doit d'ailleurs toute la politique budgétaire de sauvegarde des monuments.
02:27 Il a fait x8 le budget de restauration des vieux monuments.
02:30 En fait, Jérôme Garcin fait le même travail de sauvegarde vis-à-vis de son frère,
02:36 aussi vis-à-vis de sa mère. Il a retrouvé des lettres, il fait remonter des souvenirs,
02:40 il conserve les tableaux car la mère peignait, c'était l'activité commune avec son fils différent.
02:46 Et donc c'est aussi bien la preuve que l'archéologie n'exclue pas la poésie.
02:50 Disons qu'elle entretient un rapport très particulier, que je trouve très beau, avec les absents.
02:56 Et en fait l'archéologue, il a le même lien aux morts que l'écrivain.
03:00 C'est-à-dire que pour eux, les absents en fait sont une escorte.
03:04 Jérôme Garcin a écrit, en parlant de ses morts,
03:08 « Je leur parle en silence, depuis si longtemps, c'est une compagnie invisible, heureuse et bienfaisante.
03:14 Ils n'ont jamais cessé de m'épauler ou de me corriger. »
03:17 Et donc vous voyez cette idée en fait que la perte ne signifie pas l'effacement,
03:21 que les disparus n'ont pas du tout renoncé à apparaître.
03:24 Ils demandent seulement un peu de répit après leur disparition,
03:28 et qu'on apprenne en fermant les yeux à se signaler à eux, écrit encore Garcin.
03:33 Et donc ce livre magnifique, ce n'est pas un tombeau, ce n'est pas non plus un adieu,
03:36 c'est une trace, à l'opposé de la notion même de fin.
03:41 Et d'ailleurs, « archéologue » vient du grec « arke » qui signifie « commencement ».
03:46 Comme quoi.
03:47 Je vous redonne les références, « Mes fragiles » de Jérôme Garcin est paru chez Gallimard.
03:51 - Merci Clara Dupont-Mono ! - Calmez-la !
03:53 - Ouais ! - Wow !
03:54 - Bah ouais ! - C'est magnifique !
03:56 - Y'a du niveau littéraire, c'est Clara Dupont-Mono !
03:58 - 10 ans de psy, 5 minutes, hop là !
04:01 - Et on embrasse Jérôme Garcin qu'on retrouve bien sûr aux manettes du Masque et la Plume.
04:06 le rendez-vous incontournable du dimanche soir sur France Inter.