"Crépuscule" de Philippe Claudel - La chronique de Clara Dupont-Monod

  • l’année dernière
Aujourd'hui, Clara Dupont-Monod nous parle d'un roman :"Crépuscule", de Philippe Claudel (éd. Stock).

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#Littérature
Transcript
00:00 En attendant, comme on est dans le bain, que lire dans son bain ? Je dirais, puisqu'on y est dedans.
00:03 - Quelle transition ! - On n'a pas de bain, Charline !
00:06 - Il n'y a pas de bain, Charline, enfin ! Le GIEC, le GIEC !
00:09 Alors Valérie Masson-Delmotte, on a discuté un peu avant l'émission,
00:12 et vous me disiez combien, entre deux missions pour le GIEC,
00:16 vous aimiez vous détendre avec, si je me souviens bien,
00:19 thé noir fumé, quelques pralines, je crois, vous adorez ça, et un bon roman.
00:24 C'est ça, finalement, votre combo réconfort. Je viens de lever un de vos petits secrets, mais...
00:27 - Eh bien, sachez que c'est n'importe quoi ! - Vous êtes poursuivie.
00:31 J'ai là ce qu'il vous faut. C'est un magistral roman d'hiver,
00:35 qui vous emmène loin, et je vois que vous aimez, et qu'on ne peut pas lâcher.
00:39 Alors, il s'appelle "Crépuscule", il est signé de Philippe Claudel, que vous connaissez, visiblement, Valérie.
00:44 Et lui, il appartient à une catégorie que j'aime beaucoup, que j'appelle les écrivains griots.
00:49 Et les écrivains griots, ce sont des raconteurs d'histoire. Ils adorent le "il était une fois".
00:55 Ils croient, mais très profondément, en l'imagination, et ils pensent sincèrement que la fiction,
01:01 c'est le meilleur outil pour comprendre la réalité. Et puis, un écrivain griot, il sait écrire.
01:07 Ça a l'air de rien, c'est compliqué. Par exemple, Philippe Claudel, il ne dit pas "les toits de la ville".
01:13 Il écrit "le gros dos des toits soudés de la petite ville". Il n'écrit pas "la tempête arrive".
01:20 Il dit "le mufle de la tempête qui déboulait de l'intérieur des terres".
01:25 Mais ça, j'adore, parce que vous voyez, le gros dos, le mufle, en fait, il anime l'inanimé.
01:30 Il le transforme en vivant. Et ça, c'est un talent de l'écrivain griot.
01:34 Alors, la petite ville de Crépuscule, elle est située quelque part en Europe de l'Est.
01:38 On ne sait même pas trop où, mais ça n'a aucune importance. Tout ce qu'on sait, c'est que le climat,
01:42 il est très rude et qu'il y fait très froid. Et puis, on est quelque part au début du XXe siècle.
01:48 En tout cas, on le devine, parce qu'il y a des chevaux, il y a des sabotiers, il y a des tavernes,
01:53 il y a un curé. Et c'est le curé, justement, qu'on retrouve un jour mort, le crâne fracassé à coups de pierre.
02:00 Les habitants sont sous le choc et les deux policiers de la petite ville vont devoir enquêter.
02:06 Bien entendu, le binôme est très mal assorti. Il y a Nouriot, le chef, qui a une tête d'olive,
02:11 un corps malingre et des pulsions sexuelles incontrôlables. C'est probablement un cousin d'Emerick Lomprey.
02:16 Et son adjoint, un colosse un peu simple, mais extraordinairement gentil.
02:21 Or, plus l'enquête avance, plus on fait comprendre à Nouriot que ce serait pas mal s'il découvrait
02:28 que le meurtrier du curé fait partie de la communauté musulmane de la ville. Ce serait pas mal.
02:34 Qu'importe que ce soit un mensonge, parce que ce serait commode. Comme ça, on pourrait accuser la communauté
02:38 et puis éventuellement la chasser. Et, ô surprise, toute la petite ville marche dans le mensonge.
02:44 Ça arrange tout le monde. Ah bah oui, c'est des musulmans les responsables, c'est évident.
02:49 Pascal le disait déjà au XVIIe siècle, là je le cite, « mieux vaut une erreur commune qu'une vérité mal partagée ».
02:56 C'est-à-dire que « Crépuscule » ne raconte pas seulement une enquête policière,
02:59 en fait, il raconte aussi la fabrication d'une contre-vérité. Et cette mécanique millénaire,
03:05 elle est terriblement actuelle. C'est Donald Trump qui a toujours expliqué que le réchauffement climatique
03:10 n'existe pas, que les scientifiques sont des fous. C'est Bolsonaro qui expliquait que la vie est insupportable
03:16 en France à cause des migrants. Ou c'est plus récemment Poutine qui parle de dénazifier l'Ukraine.
03:21 L'idée c'est de trouver un ennemi commun, ça va souder le collectif, qu'importe qu'on invente l'ennemi commun.
03:26 Et c'est là où interviennent les vrais romans, qui sont une arme, parce que c'est bien l'imaginaire qui rétablit la vérité.
03:33 « Crépuscule » de Philippe Claudel est paru aux éditions Stock.
03:36 Merci beaucoup, Clara Dupont-Monnaud, pour ce choix. On peut réécouter vos chroniques en balado-diffusion
03:40 ou voir tous vos conseils littérature sur la page de notre émission sur le site France Inter.fr

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