Depuis mi-avril, un traitement est commercialisé aux Etats-Unis pour lutter contre le Syndrome de Cloves. Une première ! À l'origine de cette découverte, un médecin français : le Professeur Guillaume Canaud officiant à l'Hôpital Necker. Il est notre invité. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10/le-7-9h30-l-interview-de-9h10-du-lundi-30-janvier-2023-3174803
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00:00 Il est 9h09, Sonia De Villers, votre invitée à l'origine est néfrologue.
00:04 Donc pas censée du tout soigner des enfants atteints par le syndrome de Clove.
00:08 Bonjour professeur.
00:09 Sonia De Villers, bonjour.
00:10 Bonjour Guillaume Canot.
00:11 Alors, vous exercez à l'hôpital parisien de Necker.
00:16 Voilà, et je voudrais qu'on… comment dire… qu'on aille tout de suite là où ça fait mal.
00:21 Est-ce que le syndrome de Clove, c'est ce qui a donné au cinéma, dans la littérature,
00:25 dans l'imaginaire collectif, ce qu'on a appelé « éléphant man » ?
00:28 Bonjour, merci beaucoup pour cette invitation.
00:31 C'est une question difficile puisque cette représentation d'éléphant man est relativement
00:36 péjorative pour les patients.
00:37 Elle est atrocement stigmatisante.
00:39 Exactement.
00:40 Donc on ne sait pas véritablement de quoi était atteint Joseph Merrick, puisque c'était
00:43 son prénom et son nom.
00:44 Il avait possiblement une mutation génétique de ce fameux pic 3CA dont on s'occupe, ou
00:49 d'un autre gène qui s'appelle AKT1 et qui donne le syndrome de Prothé.
00:52 Donc on ne sait pas vraiment si c'était l'un ou l'autre.
00:54 Mais néanmoins, pour les patients, on évite d'utiliser ce terme qui est, encore une fois,
00:58 extrêmement péjoratif.
00:59 J'aimerais bien que vous nous racontiez l'histoire de la petite achantille.
01:02 Si je vous invite ce matin, professeur, c'est parce que l'une de nos consoeurs, qui s'appelle
01:06 Florence Méréo, a fait un portrait de vous et a recueilli des témoignages très émouvants
01:10 pour le parisien.
01:11 Et c'est ça qui nous a donné envie de raconter ces histoires à l'antenne de France Inter.
01:15 J'aimerais que vous nous racontiez l'histoire de la petite achantille.
01:17 L'histoire de l'achantille est un petit peu exceptionnelle.
01:20 Elle fait suite à des travaux qu'on avait commencés en 2016.
01:23 Alors racontez-nous l'achantille d'abord et puis ensuite on en viendra à votre découverte.
01:28 L'histoire d'achantille, c'est une petite fille qui, je crois, lorsqu'elle est venue
01:31 nous voir en 2018, elle devait avoir 6 ans.
01:33 Elle était paraplégique depuis 24 mois, avec une masse qui lui comprimait le dos,
01:38 qui avait été multi-opérée en neurochirurgie à Necker.
01:41 Elle avait eu plusieurs épisodes de chirurgie pour essayer de décomprimer la moelle, qui
01:45 malheureusement, à chaque fois, n'avait pas permis de récupérer de cette paraplégie.
01:49 Donc elle était en fauteuil roulant avec une incontinence et était donc hospitalisée
01:53 à Saint-Maurice, qui est un centre de rééducation au long cours.
01:55 Et c'est ça que je voudrais quand même qu'on arrive à décrire puisque nous n'avons pas
01:58 l'image.
01:59 C'est qu'on parle de là de corps d'enfant profondément déformé.
02:03 Exactement.
02:04 Alors c'est une maladie qui est extrêmement variable dans sa façon de se présenter.
02:07 Donc vous pouvez avoir tout type de présentation clinique.
02:09 Un gros doigt isolé, entre guillemets, macrodactylia, des formes beaucoup plus sévères.
02:13 Vous avez le visage ou le cerveau qui peut être touché ou l'ensemble du corps.
02:15 Parce que ça peut être des membres comme ça peut être des organes.
02:18 Exactement.
02:19 Alors en général, c'est rarement un organe seul.
02:21 C'est surtout un petit bout d'organe avec par exemple des malformations vasculaires
02:24 autour ou d'autres malformations graisseuses qui vont englober ces organes.
02:28 Mais ça peut être effectivement que très localisé.
02:29 Et pour d'autres, malheureusement, c'est beaucoup plus disséminé.
02:32 Et ça fait des patients qui ont, parce que c'était jusqu'à présent, on va parler
02:35 de votre découverte, jusqu'à présent le seul recours, c'était opérer ces énormes
02:41 masses graisseuses qui viennent alourdir le corps et le déformer.
02:43 Donc c'est des patients qui ont été opérés.
02:46 C'est aussi des patients qui ont vécu dans une souffrance psychologique, évidemment,
02:50 mais aussi physique permanente.
02:51 Exactement.
02:52 Jusqu'à peu, il n'y avait pas de traitement pour ces patients-là.
02:54 Donc on leur proposait des traitements symptomatiques, des médicaments contre la douleur, des médicaments
02:58 pour fluidifier le sang pour ceux qui faisaient des thromboses et des embolies pulmonaires,
03:02 des traitements antibiotiques ou de la cortisone pour les pousser inflammatoires pour ceux
03:05 qui ont des malformations lymphatiques.
03:07 Ça arrive assez fréquemment.
03:08 Et après, effectivement, de la chirurgie.
03:10 Chirurgie ou de la radiologie interventionnelle, c'est-à-dire quand les radiologues vont
03:14 injecter des produits dans des malformations pour essayer d'en faire diminuer le volume,
03:18 voire parfois d'arriver à les faire disparaître.
03:20 C'est ce que l'on fait avec la sclérothérapie dans les malformations.
03:23 C'est ça.
03:24 Et vous, vous avez récupéré des patients qui avaient été opérés jusqu'à 100 fois.
03:27 Exactement.
03:28 100 fois du visage, sans intervention chirurgicale.
03:30 Exactement.
03:31 Donc ces patients ont été multi-opérés.
03:34 Alors pas tous, mais dans leur grande majorité.
03:36 Les chirurgiens font bien sûr tout ce qu'ils peuvent pour essayer d'améliorer le quotidien
03:39 de ces patients-là.
03:40 Mais une fois que ces patients sont opérés, les malformations reviennent au fil des mois,
03:45 au fil des années, de manière un peu anarchique.
03:48 Et donc les chirurgiens, ils retournent une fois, deux fois, trois fois, dix fois.
03:50 Et on se retrouve avec des patients qui ont jusqu'à 30, 40, 50 interventions.
03:53 Et un patient que vous mentionnez qui a eu plus de 100 interventions sur le visage.
03:56 Alors, Guillaume Canoc, j'aimerais bien que vous nous racontiez votre rencontre avec
04:01 Emmanuel.
04:02 Alors Emmanuel, c'est un garçon qui a changé ma vie.
04:06 Peut-être un peu changé la sienne, mais en tout cas, il a complètement transformé
04:09 ma vie puisqu'il est venu en septembre 2015 à l'hôpital Néquer Enfants Malades, dans
04:13 le service où je travaillais.
04:14 J'étais néphrologue à l'époque, je m'occupais des maladies du rein.
04:17 Emmanuel avait ce fameux syndrome de Cloves avec une maladie rénale.
04:21 Et Emmanuel, en fait, un garçon extrêmement brillant, il avait cette pathologie qui était
04:27 extrêmement sévère, très avancée, pour laquelle nous n'avions pas de traitement.
04:29 Et il était à l'origine, finalement, de la découverte de ce traitement que nous avons
04:33 fait, puisque compte tenu du fait que nous n'avions pas d'option thérapeutique pour
04:37 ce jeune garçon.
04:39 - C'est-à-dire qu'on pouvait opérer Emmanuel pour les masses graisseuses et pour le rein,
04:43 on pouvait le faire ?
04:44 - Il ne pouvait même plus être opéré parce que les malformations étaient relativement
04:48 volumineuses et il avait déjà été beaucoup opéré au fil du temps.
04:51 Nous avions discuté en 2015 de son dossier.
04:53 - Ça veut dire que sa vie était menacée ?
04:54 - Sa vie était menacée.
04:55 Sa vie était menacée et donc les chirurgies n'étaient pas réalisables, les embolisations
05:00 radiologiques non plus.
05:01 Il n'avait pas de traitement médicamenteux et l'insuffisance rénale, à cette époque-là,
05:05 était relativement avancée et ne permettait pas la dialyse en raison des différentes
05:09 malformations.
05:10 Et donc, voyant la mutation, en retournant au laboratoire, j'avais une petite équipe
05:14 de recherche à ce moment-là, on s'est rendu compte que la mutation...
05:16 - Qui est devenue une grosse équipe depuis ?
05:17 - Qui est devenue une petite PME, on va dire.
05:20 Et donc, on a vu que la mutation qu'il portait était fréquemment retrouvée en cancérologie.
05:25 C'est une mutation qu'on appelle « gain de fonction », c'est-à-dire qui fait trop
05:28 travailler les cellules, elles grossissent trop, elles se multiplient trop vite.
05:31 Cette mutation a été retrouvée dans un tiers des cancers du sein, pour vous donner
05:34 un idée, 25% des cancers du côlon.
05:35 Et donc, en 2015, je me suis dit « mais si cette mutation est aussi fréquemment représentée
05:39 en cancérologie, il doit y avoir des industriels de la pharmacie qui développent des médicaments
05:44 ou des molécules pour essayer de bloquer cette protéine qui marche trop, si vous voulez.
05:47 » Et c'était le cas.
05:48 Donc, en 2015, j'avais refait un tour de tout ce qui existait, ce qui était possible.
05:52 Et il y avait une molécule qui était la plus avancée et censée être la plus spécifique
05:56 de ce fameux gène muté, qui était une molécule développée par le laboratoire Novartis,
06:00 et qui, à l'époque, terminait une phase 1 d'essai clinique dans le cancer du sein.
06:04 C'est-à-dire très très très précoce dans son développement.
06:06 C'est-à-dire que le laboratoire n'avait en sa possession que les données de toxicité
06:10 du médicament chez des femmes qui avaient un cancer du sein, ne répondant pas aux traitements
06:14 habituels, porteuses d'immunisation phytocancère.
06:15 - Et là, vous vous êtes dit « il faut tenter le tout pour le tout, on va prendre cette
06:18 molécule au premier stade de son développement et on va la tester sur Emmanuel ? »
06:24 - En résumé, c'est ça.
06:26 C'est-à-dire qu'on n'avait pas d'autre choix thérapeutique.
06:29 Soit on ne faisait rien et on proposait des soins de support, soit on essayait d'être
06:33 un peu plus actif, proactif.
06:35 Ce qui était magnifique dans cette histoire, c'est qu'Encore une fois, Emmanuel est un
06:38 garçon très brillant, ingénieur et autre.
06:40 Il a été moteur aussi, puisqu'il me disait « alors est-ce que vous avez réussi à
06:44 obtenir le d'accord du laboratoire ? Est-ce que vous avez obtenu l'accord de la NSM ? »
06:47 Je pense que c'était le patient « idéal » pour pouvoir débuter.
06:50 On a une très bonne relation, on est devenus copains.
06:52 - Parce que c'est ça une belle histoire de découverte en médecine, il faut le médecin
06:56 idéal et il faut le patient idéal.
06:58 - Encore une fois, je lui ai peut-être un peu changé sa vie, mais moi il a bouleversé
07:02 complètement la mienne.
07:03 Je pense que je ne serais pas avec vous si j'étais resté néphrologue au fil de ces
07:07 années.
07:08 - Alors, il va ingérer cette molécule et le résultat est spectaculaire.
07:12 - Le résultat est bluffant.
07:13 Arriver à accéder à cette molécule juste pour la petite histoire était quand même
07:17 relativement difficile puisque quand vous avez une molécule qui est en phase de développement
07:20 d'essais cliniques, normalement elle n'est pas accessible pour les patients.
07:24 Donc il a fallu discuter beaucoup avec l'Agence du médicament français, la NSM, qui a joué
07:28 un rôle clé dans cette histoire, et le laboratoire, encore une fois, qui nous a permis d'accéder
07:32 à cette molécule.
07:33 Il y a d'autres laboratoires qui parfois refusent de donner accès en ayant peur potentiellement
07:37 des effets secondaires et de stopper le développement d'un programme d'oncologie.
07:40 Donc il faut imaginer, bien sûr, que ça peut avoir un retentissement majeur.
07:43 Donc moi, ma responsabilité était entre guillemets engagée dans la prescription de
07:47 cette molécule pour ce patient-là.
07:48 Et on a débuté en janvier 2016, donc maintenant ça fait un peu plus de 7 ans, et l'effet
07:52 a été assez rapidement observable.
07:55 Donc comme on n'avait pas d'idée de ce que l'on allait voir chez Emmanuel, je lui
07:59 avais dit que si ça fonctionne, au mieux ça réduira peut-être la prolifération
08:03 de ses cellules, les tuméfactions grossiront moins.
08:05 Ça va peut-être freiner la progression de la maladie.
08:08 Et donc pour essayer de se documenter et d'essayer d'objectiver ça le mieux possible, on lui
08:13 a fait beaucoup d'imageries, scanners, IRM, et surtout je l'ai pris en photo.
08:18 Je lui ai fait mille photos de lui dans tous les sens avant de débuter le traitement.
08:21 Et puis finalement, au bout d'une semaine, quand il est revenu nous voir, parce que c'est
08:24 un comprimé qu'on prend à la maison, c'est assez simple, donc on était en contact tous
08:26 les jours, mais au bout d'une semaine il m'a dit "Regarde, Guillaume, il y a un truc
08:29 qui est en train de se passer, j'ai perdu du poids, je commence à m'affiner, je suis
08:33 un peu moins fatigué".
08:34 Effectivement, donc on a repris des photos, on a comparé, il y avait quelque chose qui
08:36 faisait...
08:37 En fait, semaine après semaine, on a vu son corps se transformer véritablement.
08:40 - Moi j'ai lu des témoignages de certains de vos patients qui ont perdu jusqu'à 50
08:46 kilos de masse graisseuse déformée qui venait s'ajouter à leur silhouette.
08:53 Il faut imaginer ce que c'est de vivre avec 50 kilos de tumeur.
08:58 Voilà, donc bref, c'est très émouvant la rencontre entre un patient et un médecin.
09:06 Il est 9h18, vous écoutez France Inter.
09:08 Mon invité s'appelle Guillaume Canot, je crois que je vous ai appelé comme l'acteur
09:12 tout à l'heure, Guillaume Canet.
09:13 Je me demande si ma langue a pas un peu...
09:15 - C'est plutôt un compliment.
09:17 - C'est ça, c'est le star system des médecins.
09:20 Évidemment, vous allez nous raconter ensuite comment cette découverte a pu s'appliquer
09:25 à d'autres patients, si vous pouvez soigner tous les patients parce qu'il faut savoir
09:28 que vous recevez jusqu'à 4000 demandes par mois et comment petit à petit, à l'étranger,
09:33 on s'est inspiré de ce qui s'est passé à Paris.
09:36 - C'est ça, c'est ça.
10:00 - C'est ça, c'est ça.
10:07 - C'est ça, c'est ça.
10:15 - C'est ça, c'est ça.
10:24 - C'est ça, c'est ça.
10:39 - C'est ça, c'est ça.
10:59 - C'est ça, c'est ça.
11:19 - C'est ça, c'est ça.
11:39 - C'est ça, c'est ça.
11:59 - Le professeur Guillaume Canot est mon invité ce matin, néfrologue de formation, exerçant
12:17 à l'hôpital Necker à Paris et puis testant comme ça, par intuition, seulement par intuition,
12:23 une molécule réservée au traitement du cancer et encore réservée à l'époque.
12:27 Elle était à peine terminée dans son étude par le laboratoire Novartis.
12:31 La testant sur un patient très gravement malade, même condamné, atteint de la maladie
12:37 de Clove.
12:38 Alors d'abord je vais présenter mes excuses à tous les malades et à toutes les associations
12:42 de malades.
12:43 Je crois que je suis tombée dans tout le travers des journalistes, on en parlait ensemble pendant
12:46 le disque avec vous professeur.
12:48 Je suis tombée dans le travers et pour qu'on comprenne vite et bien de quoi on parle, j'ai
12:53 utilisé la référence à Elephant Man.
12:55 Or en fait, elle est blessante et stigmatisante et c'est pas la peine d'en rajouter.
12:59 Voilà, alors on est là pour parler des bonnes nouvelles.
13:02 On a parlé d'Achanty, cette petite fille qui était condamnée à ne jamais pouvoir
13:07 marcher tellement ses membres étaient déformés par la maladie.
13:10 Avec Emmanuel, ça a très bien marché ce patient de 26 ans.
13:14 Avec Achanty, qu'est-ce qui s'est passé ?
13:16 Alors avec Achanty, ça a très bien marché également.
13:18 Juste pour vous faire un tout petit rappel sur l'historique, il y a eu Emmanuel premier
13:21 patient traité.
13:22 Ensuite, quand on a vu que ça fonctionnait, on a fait le système à l'envers, c'est-à-dire
13:24 qu'on a créé un modèle préclinique au laboratoire pour comprendre comment la maladie
13:28 se développe, tester la molécule justement dans ce modèle préclinique.
13:32 Et puis on a traité ensuite une première petite fille et 17 patients supplémentaires
13:35 qu'on avait publiés en 2018 et qui déjà avaient permis...
13:38 Alors "publié", ça veut dire la revue Nature, la grande revue anglo-saxonne de référence,
13:43 puisque on va expliquer comment ensuite le monde entier s'est tourné vers vos découvertes.
13:48 Exactement.
13:49 Et donc cette publication a donné beaucoup de visibilité, à la fois pour l'équipe
13:52 bien sûr, mais pour les patients qui étaient atteints de cette pathologie.
13:55 Et suite à cette publication, on a eu beaucoup, beaucoup de demandes.
13:58 C'est ce que vous mentionnez tout à l'heure.
13:59 On a eu 4000 demandes de médecins et de patients du monde entier qui voulaient venir pour avoir
14:03 un diagnostic génétique, venir pour une prise en charge.
14:05 Et ils viennent.
14:06 Et ils viennent.
14:07 On a 10% de nos patients à peu près qui viennent de l'étranger.
14:09 Moi, je consulte tous les matins.
14:11 De quel pays, par exemple ?
14:12 Partout.
14:13 On a eu États-Unis, Canada, Amérique du Sud, Afghanistan, Pakistan, Australie, partout.
14:20 Afrique noire.
14:21 Et nous, on vous a cherchés partout ce week-end.
14:22 Vous étiez en congrès en Suède.
14:23 Parce que partout, vous allez raconter cette découverte et évangéliser, si je puis dire,
14:29 beaucoup de mal.
14:30 Alors évangéliser, c'est...
14:31 Alors effectivement, il y a des patients partout dans le monde, des gens atteints de cette
14:37 pathologie de tous les côtés.
14:38 Et il n'y a pas d'incidence particulière dans un pays riche ou dans un pays pauvre
14:42 ou une ethnie particulière qui ait pu se représenter.
14:44 Donc cette maladie existe partout.
14:45 Au point qu'on se demande si elle n'est pas sous-diagnostiquée.
14:48 Elle est totalement sous-diagnostiquée, bien sûr.
14:51 Puisque comme c'est une mutation qui survient pendant le développement embryonnaire, les
14:54 parents sont indemnes, la mutation peut survenir en fin de grossesse.
14:57 C'est-à-dire quand vous avez, par exemple, les doigts qui se développent, les orteils.
15:00 Du coup, vous n'avez qu'un orteil touché, on appelle ça une macrodactilie.
15:03 Pour d'autres, c'est le moment où le cerveau se développe, une hémimégalencephalie.
15:07 Et pour d'autres, c'est très tôt dans le développement embryonnaire, vous avez tout
15:10 le corps touché ou parfois c'est qu'un bras, etc.
15:11 Là, on va le dire, docteur.
15:13 C'est-à-dire que vous, vous voyez des patients aux parents desquels on avait conseillé un
15:17 avortement thérapeutique, c'est-à-dire des enfants qui n'auraient peut-être pas dû naître.
15:21 Tout à fait.
15:22 Toutes les situations se présentent.
15:24 Dans la grande majorité des cas, malheureusement, ce n'est pas diagnostiqué en antenne natale.
15:27 C'est-à-dire que le diagnostic est fait à la naissance.
15:29 C'est présent à la naissance chez 99% des patients.
15:32 Dans de rares cas, ça se développe au cours de la première année, mais c'est vraiment
15:35 exceptionnel.
15:36 Donc, le diagnostic est fait à la naissance.
15:37 Et de temps en temps, il arrive effectivement que les échographistes, radiologues ou obstétriciens
15:41 font un diagnostic échographique et nous adressent ensuite les mamans avec une discussion,
15:47 justement, de qu'est-ce qu'on fait.
15:48 C'était le cas de cette petite fille qui était décrite effectivement dans le journal
15:52 aussi ce week-end, qui était le premier nourrisson, entre guillemets, qu'on avait traité âgée
15:56 de six mois, cette petite Joséphine.
15:57 Voilà.
15:58 Et à qui ça a parfaitement réussi ?
15:59 Exactement.
16:00 Parce que 100% des patients que vous avez traités, ça a réussi.
16:03 Alors à des degrés divers, mais globalement, enfin pas globalement d'ailleurs, le traitement
16:07 a pris partout.
16:08 Le traitement fonctionne.
16:09 Simplement, encore une fois, il y a des variabilités dans la réponse.
16:12 Il y a de l'exceptionnel répondeur comme la petite Achanty qui a récupéré d'une
16:16 maladie.
16:17 Achanty s'est relevé.
16:18 Achanty marche.
16:19 Donc pourquoi je vous avais fait l'historique, c'est puisque quand cette publication a eu
16:23 lieu en 2018, en juin 2018, beaucoup de médecins l'ont vue.
16:27 Et deux médecins à Necker, le professeur Thomas Blanc et un autre médecin de chirurgie
16:35 pédiatrique de Necker, le docteur Lottmann, ont vu cette petite fille qui n'était pas
16:39 du tout dans notre circuit, qui était paraplégique, qui avait ces masques qui lui avaient déformé
16:43 le dos, une asymétrie de membres inférieurs.
16:45 Et en la voyant, ils ont tiqué, ils ont dit "mais ça, ça ressemble peut-être à quelque
16:49 chose que voient qu'à nous".
16:50 Et donc du coup, ils nous l'ont adressé en consultation.
16:52 On a fait un diagnostic génétique en septembre 2018 et après une discussion collégiale
16:58 avec les neurochirurgiens, avec l'équipe de Thomas Blanc, on a décidé de lui proposer
17:02 le traitement puisque cette malformation qui était dans le dos progressait et allait engager
17:05 en fait son pronostic vital.
17:06 Donc on a débuté en octobre 2018.
17:09 Et là, c'est tout simple, c'est un comprimé à prendre.
17:12 Elle était encore une fois hospitalisée à Saint-Maurice et dès qu'elle a pris le
17:16 comprimé, moi je les vois toutes les semaines, les patients au début.
17:19 Au bout de 15 jours, elle me dit "Guillaume, j'arrive à bouger les orteils".
17:21 Je dis "ça, c'est pas possible".
17:22 Donc là, les neurologues...
17:23 - Parce qu'à Chantiel, vous vous appelez Guillaume.
17:24 - Ah oui, les gens m'appellent Guillaume, globalement.
17:25 - Elle avait 9 ans, c'est ça ? - Plus jeune que ça, j'ai plus en tête,
17:32 mais elle devait avoir 6 ans.
17:33 - 6 ans à l'époque.
17:34 - 5-6 ans.
17:35 Et donc elle me dit "j'arrive à bouger mes orteils".
17:36 Et donc, effectivement, il me semblait qu'elle pouvait bouger ses orteils.
17:40 Et puis les neurologues, les neurosurgeons, tout le monde vient me dire "mais non, c'est
17:42 des rétractions, elle est paralysée depuis 2 ans, c'est malheureusement les séquelles
17:46 de cette paraplégie".
17:47 Puis au bout d'un mois, elle arrive, elle se met debout avec l'aide de sa maman, elle
17:52 sort du fauteuil roulant.
17:53 Donc on a toutes les vidéos qui n'ont pas encore été diffusées, mais qui sont très
17:57 émouvantes.
17:58 Tout le monde pleurait dans le service quand on l'a vu se lever pour la première fois
18:01 avec l'aide de sa maman.
18:02 Puis, 3 semaines plus tard, elle est venue sans fauteuil roulant, juste avec un déambulateur.
18:06 Puis, 3 semaines encore supplémentaires, elle venait sans déambulateur.
18:10 Et puis, c'était après Noël, début janvier 2019, elle marchait strictement normalement.
18:15 Et donc maintenant, elle court, elle saute, elle a une vie tout à fait normale.
18:18 Vous la croiseriez dans la rue, vous ne sauriez pas qu'elle était atteinte de cette pathologie.
18:21 Les Etats-Unis ont emboîté le pas tout de suite.
18:25 C'est-à-dire que là, maintenant, l'affaire est entre les mains des grandes agences du
18:29 médicament.
18:30 On ne commercialise pas un médicament sans que ce soit validé par les institutions.
18:34 Les Etats-Unis vous ont emboîté le pas tout de suite.
18:36 L'Europe, ça va venir normalement, il aurait fallu 20 ans.
18:40 Exactement.
18:41 L'histoire a été un peu plus rapide que prévu.
18:43 Probablement parce que les agences du médicament ont joué un rôle clé, notamment l'agence
18:46 américaine.
18:47 Donc ce traitement, quand on l'a initié initialement chez 19 patients, puis je vous
18:50 ai dit, on a eu une multitude de demandes.
18:52 Donc on a continué de traiter, bien sûr, d'autres patients.
18:55 À ce moment-là, Novartis, propriétaire de la molécule, a mis en place, puisqu'ils
18:58 étaient sollicités par plein de médecins du monde entier, ce qu'ils appellent un
19:01 protocole compassionnel, on va dire, pour que les patients aux Etats-Unis puissent y
19:04 avoir accès en cas de forme grave, en Australie, au Canada, peu importe, dans tous les pays
19:09 où il y avait une nécessité de traiter des patients.
19:11 Et à la fin de l'année 2018, on a commencé à discuter justement avec Novartis, à savoir
19:15 comment on pouvait avancer et permettre un accès rapide de cette molécule aux patients
19:20 un peu partout dans le monde.
19:21 Et donc on a élaboré ce qu'on appelle un essai clinique de vie réelle.
19:24 Donc en fait, on a proposé à l'agence américaine et à l'agence européenne du médicament
19:28 de collecter toutes les informations des premiers 57 patients traités dans le monde, adultes,
19:32 enfants, de voir tout ce que l'on pouvait colléger comme informations biologiques,
19:36 de documents de consultation, d'imagerie, etc.
19:38 Et les Américains ont donné le feu vert.
19:40 Exactement.
19:41 Et en fait, on a eu pendant un an de collecte de toutes ces informations partout dans le
19:44 monde, analysées par une structure indépendante, pour que l'on ne soit pas mêlé à l'interprétation
19:49 des données.
19:50 Cette structure indépendante a validé ce que l'on avait observé, l'on avait rapporté
19:54 les effets secondaires comme ils étaient décrits, et l'agence américaine a donné
19:57 du coup son feu vert.
19:58 Mais avant de donner son feu vert, on a eu 15 jours d'inspection de la FDA, l'agence
20:03 du médicament sur site Aneker.
20:04 La Food and Drug Administration.
20:06 Exactement.
20:07 Merci beaucoup professeur Guillaume Canot et toute son équipe à Aneker.
20:11 Merci beaucoup d'avoir été l'invité de France Inter ce matin.
20:14 Merci Sonia De Villers.