L'interview d'actualité - Professeur Guillaume Canaud

  • l’année dernière
Il y a quelques jours, Le Parisien a partagé l’histoire du Professeur Guillaume Canaud et de ses patients. Ce néphrologue à l’hôpital Necker à Paris a trouvé le remède contre un syndrome extrêmement invalidant et potentiellement mortel : le syndrome de Cloves, une maladie génétique qui touche certaines parties du corps et fait proliférer en excès les cellules à l’origine d’excroissances et d’hypertrophies. Invité sur le plateau de Télématin, ce spécialiste est venu nous parler de ce progrès médical qui va changer la vie de milliers de patients atteints de cette maladie.
Transcript
00:00 Il est 8h12 et aujourd'hui l'invité d'actualité va nous donner le sourire et nous apporter de l'espoir.
00:06 Alors c'est pas tous les jours que nous vous racontons de belles histoires, celle du professeur Guillaume Canot en est une.
00:11 Il est votre invité Maya.
00:13 Bonjour Guillaume Canot.
00:14 Bonjour Maya.
00:15 Merci d'être avec nous ce matin.
00:16 Il y a quelques jours nous avons découvert votre histoire et celle de vos patients dans les colonnes du Parisien.
00:22 Vous êtes néphrologue à l'hôpital Necker à Paris et vous avez trouvé le remède contre un syndrome qui est très invalidant,
00:29 qui est potentiellement mortel, qui est le syndrome de Kloves.
00:33 Est-ce que d'abord vous pouvez nous expliquer quelle est cette maladie ?
00:36 Il s'agit d'une maladie génétique qui touche en fait certaines parties du corps, c'est-à-dire que ces patients sont porteurs d'une mutation
00:42 qui fait proliférer en excès les cellules, qui donne des hypertrophies, des excroissances de certaines parties du corps.
00:47 Colona souvent comparé à Joseph Merrick qui était Elephant Man, ce qui est très discriminant pour les malades aujourd'hui,
00:56 ce sont des maladies qui sont comparables ?
00:58 Alors exactement, c'est une appellation qu'on n'utilise plus, on ne donne plus de nom d'animaux aux patients ou à des maladies qui décrivent des patients.
01:05 Il est possible que Joseph Merrick ait été porteur de cette pathologie, il n'est pas certain,
01:08 parce qu'il y a d'autres pathologies déformantes qui peuvent donner un peu le même genre de présentation, donc ce n'est pas du tout exclu.
01:13 Mais c'est vrai que dans l'esprit du grand public on les associe.
01:16 Vous êtes néphrologue, vous soignez donc les maladies du rein.
01:19 Comment vous êtes-vous retrouvé en contact avec ce syndrome de Kloves sur lequel a priori n'aurait pas dû porter vos recherches ?
01:25 Vous avez raison, moi je suis néphrologue adulte à l'hôpital Necker,
01:28 j'ai effectué de la recherche sur des voies de signalisation dans les cellules qui font grossir les cellules,
01:32 donc je connaissais un peu cette voie de signalisation.
01:34 Et en 2015, une rencontre a transformé ma vie, un premier patient qui est venu me voir avec une maladie rénale et ce fameux syndrome de Kloves.
01:41 Et comme ce patient avait une forme gravissime de la maladie…
01:44 Sa vie était menacée, ce patient s'appelle Emmanuel.
01:47 Exactement, et donc on s'est donné les moyens d'essayer de lui proposer un traitement,
01:52 une thérapeutique pour essayer de l'améliorer avec pas mal de succès.
01:56 Et là vous avez une intuition, parce qu'on entend beaucoup parler de hasard, du phénomène de sérendipité ces derniers jours,
02:01 mais non c'est vraiment une intuition que vous avez sur une molécule.
02:04 Exactement, je vous remercie de le pointer, il n'y a pas de hasard dans tout cela,
02:07 peut-être un peu, on a eu un alignement des planètes, ça c'est certain,
02:10 mais c'est une voie que l'on connaissait et effectivement la mutation que portait ce jeune garçon
02:14 est une mutation qui était connue, que l'on connaissait de la cancérologie,
02:18 et il y avait des traitements en cours de développement pour bloquer ce fameux gène qui travaille trop.
02:22 Donc c'est un repositionnement d'une molécule qui était en cours de développement pour le cancer du sein,
02:26 que l'on a utilisé chez ce jeune patient.
02:28 On l'a utilisé un temps très tôt puisqu'elle était en phase 1 d'essai clinique de cancérologie du sein.
02:32 Et là les résultats chez Emmanuel, ils sont immédiats ?
02:35 Très rapides, au bout de quelques jours, il m'avait appelé, il m'a dit "Guillaume, regarde, je commence à perdre du poids,
02:38 je me sens mieux, je suis moins fatigué", et effectivement quand il est revenu nous voir en hôpital le jour,
02:42 on a vu que son corps se changeait, se modifiait, et à partir de là ça a été un effet boule de neige,
02:47 puisqu'on ne s'est pas arrêté, j'ai l'impression, depuis 7 ans.
02:49 Mais normalement il faut des autorisations, des tests de longue durée pour pouvoir donner un médicament,
02:54 donc qu'est-ce qui s'est passé ?
02:56 Alors on a eu toutes les autorisations, vous avez parfaitement raison,
02:58 on ne peut pas faire ça comme cela dans un coin de bureau.
03:01 Cette molécule venait de terminer une phase 1 d'essai clinique,
03:03 c'est-à-dire que le laboratoire qui était propriétaire de cette molécule connaissait les effets secondaires en cancérologie,
03:08 ça avait déjà été testé chez des femmes atteintes d'un cancer du sein.
03:11 On a demandé l'autorisation exceptionnelle pour ce jeune garçon auprès du laboratoire,
03:14 mais auprès de l'agence du médicament.
03:16 On appelle ça un protocole compassionnel, si vous voulez, que permettent les autorités françaises.
03:20 Et donc grâce à ce protocole, on peut avoir accès à des molécules innovantes
03:23 lorsque votre vie est menacée ou que vous ne pouvez pas attendre une autre thérapeutique.
03:27 Vous êtes venu avec quelques photos de patients, avec l'accord des familles évidemment,
03:32 et effectivement on va voir que les résultats sont assez spectaculaires,
03:36 est-ce que vous pouvez nous les commenter ?
03:38 Bien sûr, il s'agit d'une petite fille qui avait je crois 5 ans ou 6 ans quand elle est venue nous voir pour la première fois,
03:43 qui avait une hypertrophie, une malformation du membre supérieur droit,
03:47 qui s'étendait dans le thorax et dans le dos,
03:49 et cette petite fille n'avait aucune ressource chirurgicale ou autre perspective thérapeutique,
03:53 elle était extrêmement douloureuse, c'était la chose qui nous avait vraiment marquée,
03:56 puisqu'elle pleurait tout le temps en consultation, on ne pouvait pas l'approcher.
03:59 Et donc nous avions décidé de la traiter, c'est une des premières enfants dans le monde,
04:02 et on avait rapporté au bout de 6 mois, vous voyez déjà que le bras s'était désinfiltré,
04:06 et puis ce qui était prédominant c'était qu'elle n'avait plus de douleur, plus de souffrance,
04:09 plus de saignement, plus de sointement,
04:11 et ce qui est assez fascinant c'est que le traitement continue de fonctionner,
04:14 puisque maintenant elle a un peu plus de 6 ans de traitement,
04:16 et on voit qu'elle continue de gagner en termes de volume du membre supérieur droit,
04:20 la masse dans le thorax a quasiment totalement disparu,
04:22 elle a gagné en fonctionnalité, elle est droitière,
04:24 donc elle arrive à faire des choses à peu près comme les autres enfants.
04:28 Parce que jusqu'à présent, il n'y avait pas de remède,
04:30 mais on soignait comment ? On opérait pour essayer de réduire ses excroissances, c'est ça ?
04:34 Exactement, les seules options thérapeutiques c'était des traitements de symptômes,
04:37 donc les patients qui avaient des douleurs on leur donnait des traitements antalgiques,
04:39 quand ils ont des problèmes de coagulation du sang,
04:41 on essaye de donner des traitements pour fluidifier le sang,
04:43 pour ne pas qu'il fasse d'embolies pulmonaires, des antibiotiques, etc.
04:46 Et puis surtout c'était des sanctions chirurgicales,
04:48 des opérations pour retirer, voire amputer parfois,
04:51 ou de la radiologie interventionnelle,
04:53 les radiologues vont injecter des produits pour réduire le volume des malformations,
04:56 mais bien sûr ce sont des thérapeutiques relativement agressives.
04:58 Et je pense aussi à l'histoire d'Achanty, qui est racontée dans Le Parisien,
05:01 qui est une petite fille qui est depuis deux ans en fauteuil roulant,
05:04 et qui grâce à la prise de ce médicament, remarche, c'est le cas aujourd'hui.
05:07 Exactement, c'est exactement le cas,
05:09 elle a été diagnostiquée en septembre 2018 avec cette pathologie,
05:12 mais depuis deux ans elle était en fauteuil roulant
05:14 avec un déficit complet des membres inférieurs,
05:17 et continue la sévérité de la pathologie,
05:20 encore une fois on a eu le droit de traiter cette petite fille,
05:22 et puis au bout de quelques semaines on a vu une amélioration spectaculaire,
05:24 maintenant elle marche totalement normalement.
05:26 Quand vous voyez ces enfants, quand vous voyez les photos,
05:28 qu'on vient de voir aussi, le matin vous vous réveillez,
05:30 il y a de la fierté, il y a de l'émotion ?
05:33 Il y a de la fierté, alors après moi je suis toujours mis en avant,
05:35 mais c'est un travail d'équipe, donc toute l'équipe est fière,
05:37 que ce soit à l'hôpital ou que ce soit au laboratoire,
05:39 il y a un monde derrière, vous n'avez pas idée,
05:41 qui travaille dessus et qui est extrêmement motivé.
05:43 Je crois que votre laboratoire s'est largement étoffé.
05:45 Voilà, c'est ça, on est passé de trois à quasiment une vingtaine maintenant,
05:48 et puis l'équipe infirmière paramédicale est fabuleuse,
05:51 tout le monde s'est adapté, c'est une histoire qui est vraiment motivante
05:53 pour tout le monde, on entend des histoires sombres à l'hôpital en permanence,
05:56 il y a quand même du positif.
05:58 Cette découverte a eu un retentissement mondial,
06:01 je crois que les États-Unis s'y sont intéressés,
06:04 le médicament est maintenant aussi distribué aux États-Unis.
06:06 Exactement, cette molécule qu'on avait identifiée
06:09 a été mise sur le marché, commercialisée, depuis avril 2022 aux États-Unis,
06:14 donc l'agence américaine du médicament a été extrêmement proactive,
06:17 elle a récupéré les données que l'on avait générées chez ces patients-là,
06:20 plus d'autres patients qui ont été traités dans le monde suite à nos travaux.
06:23 Il y a combien de patients atteints par ce syndrome ?
06:26 C'est difficile, on pense qu'il y a environ 1 sur 15 000 à 1 sur 30 000,
06:29 il y a une grande variabilité dans la présentation clinique,
06:31 ce qui s'appelait d'une macrodactylie, c'est-à-dire un gros doigt isolé,
06:33 à des formes beaucoup plus sévères ou des malformations très localisées.
06:37 Aujourd'hui, pour qu'on comprenne bien, si un patient vient vous voir,
06:40 qu'il est gravement atteint, il repart le soir avec son traitement,
06:44 et c'est un médicament à prendre tous les jours ?
06:46 Oui et non, en fait, d'abord il faut un diagnostic génétique formel,
06:49 c'est-à-dire que quand ces patients viennent,
06:51 il y a plusieurs types de maladies déformantes qui peuvent donner la même chose
06:54 et plusieurs gènes qui peuvent être impliqués.
06:56 Donc on essaie d'avoir une confirmation génétique,
06:58 et ensuite on discute de manière pluridisciplinaire, en groupe,
07:00 de ce que l'on peut proposer.
07:02 Ce traitement n'est pas approuvé en Europe et pas approuvé en France,
07:05 donc il n'est pas disponible en pharmacie.
07:07 Il faut faire des demandes spéciales, au cas par cas, pour les formes les plus graves,
07:10 donc bien sûr on ne laisse pas les patients avec les formes graves errer sans rien,
07:13 on leur propose, après s'ils le veulent, ils le prennent, mais ça marche comme ça.
07:17 Je dois vous dire qu'à peu près 6 à 8 % des patients à peu près sont traités
07:20 simplement avec cette molécule.
07:22 Donc il y a une grande partie de la population qui n'est pas traitée, la population atteinte.
07:25 Ce syndrome de Cloves aujourd'hui, c'est devenu votre vie ?
07:28 Alors c'est devenu ma vie, mais j'ai aussi une famille quand même.
07:31 Oui, professionnelle.
07:33 Mais effectivement, ça m'occupe beaucoup,
07:35 donc j'ai arrêté la néphrologie depuis maintenant quelques temps.
07:39 Je ne vois que des patients qui ont des malformations complexes ou isolées,
07:43 et effectivement on s'occupe de ces patients qui ont ces anomalies-là,
07:46 donc environ 60 % des patients qu'on voit ont des anomalies PIC3CA, donc Cloves,
07:49 mais encore 40 % des patients pour lesquels on a d'autres déformations,
07:53 pas le même diagnostic génétique et pas de traitement.
07:55 Donc maintenant, on s'intéresse beaucoup à ces anomalies.
07:57 C'est le prochain but ?
07:58 Oui, c'est ça pour vous.
07:59 Il y a un mois, le Symptom Terra Nova a publié un rapport sur l'état de la recherche en France
08:03 et déplorait un recul de notre pays, un manque de moyens.
08:06 Ça vous inspire quoi, vous, qui trouvez ?
08:09 Ce n'est pas faux.
08:11 C'est vrai qu'il manque de moyens, on manque de moyens en France.
08:13 Ça fait partie des casquettes que l'on doit avoir lorsqu'on fait le métier de médecin-chercheur,
08:17 c'est-à-dire trouver des financements.
08:19 Il faut financer cette équipe de 19 personnes.
08:21 Pour vous donner une idée, il me faut un million d'euros à peu près par an pour payer les salaires,
08:24 les consommables, toutes les techniques d'exploitation.
08:27 Donc je passe mon temps à chercher de l'argent.
08:29 Les financements peuvent venir de l'Europe, donc l'Europe est fabuleuse,
08:32 contrairement à tout ce que l'on peut entendre.
08:33 On a besoin de l'Europe.
08:34 Nos impôts servent à financer aussi la recherche, ça c'est très important.
08:37 Et l'Europe a pris le pas sur les financements de la recherche française.
08:41 La recherche française offre finalement des financements de moindre importance,
08:44 mais qui sont toujours nécessaires.
08:46 Merci beaucoup Guillaume Canot d'être venu sur ce plateau ce matin.
08:49 Merci pour votre invitation.
08:50 Merci beaucoup.

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