Réforme des retraites : un face à face entre les syndicats et le gouvernement

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00:00 Et c'est vous Arnaud Benedetti, bonjour, merci d'avoir accepté notre invitation.
00:04 Professeur associé à l'université Paris-Sorbonne, vous êtes rédacteur en chef de la revue politique et parlementaire,
00:10 auteur notamment de "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir" aux éditions du CERF.
00:15 Une question, c'est le deuxième acte de cette mobilisation qui se veut en plusieurs temps, peut-être à la différence des précédentes journées d'action.
00:26 Que faut-il attendre de cette journée mobilisation massive, en tout cas c'est ce qu'espèrent les syndicats forcément ?
00:33 L'objectif des syndicats c'est clairement de faire du chiffre, c'est-à-dire d'avoir une mobilisation qui soit équivalente voire supérieure même à celle qui s'est déroulée il y a maintenant une dizaine de jours,
00:46 le 19 janvier dernier, où cette mobilisation avait été importante puisque ça avait été une des mobilisations les plus importantes de ces dix dernières années sur le plan quantitatif, sur le terrain.
00:54 On avait battu le record de 2013. Donc là, en la matière, il faut pour les syndicats, pour qu'ils réussissent leur pari, que cette manifestation et que ces mobilisations soient plus importantes encore,
01:05 et surtout qu'elles se déroulent, disons, dans un climat qui soit un climat aussi apaisé, c'est-à-dire qu'il avait été le cas également la dernière fois.
01:13 Donc ça c'est le premier objectif. Deuxième objectif, en effet, c'est que non seulement ces mobilisations soient réussies, mais que le soutien de l'opinion publique,
01:21 dont tous les sondages nous montrent qu'il est à ce stade encore extrêmement massif, perdure en la matière. Donc ça, ça sera le deuxième objectif.
01:29 Et ce qui sera intéressant de voir ce soir, c'est finalement si cette mobilisation est réussie. Et là, apparemment, il y a du monde en tout cas en province.
01:36 Manifestement, on va voir ce soir à Paris. - Ce qui est un premier indicateur. On regarde toujours ce qui se passe à commencer par le sud.
01:40 - Exactement. - Marseille, Toulouse, on voit qu'il y a de grosses mobilisations. On voit que dans un certain nombre de villes moyennes ou de petites villes où on n'a pas tellement l'habitude de manifester,
01:48 il y a du monde. Donc les indicateurs qui remontent des régions sont plutôt, pour l'instant, positifs pour les syndicats. Mais encore une fois, on va voir ce qui va se passer à Paris cet après-midi.
01:58 Mais ensuite, c'est de savoir quelle va être la stratégie des syndicats. Et là, il y a peut-être en effet deux stratégies qui risquent en tout cas de s'opposer, voire de cohabiter en tout cas.
02:09 Une stratégie qui consiste, c'est plutôt celle de la CFDT, à continuer ce type de mobilisation massive en la matière. Et une stratégie qui est plutôt celle de la CGT, entre autres, qui est finalement de mener un certain nombre de grèves et de mouvements aussi sur le terrain durant l'ensemble de la discussion parlementaire.
02:28 Parce que le troisième élément... - Avec des vrais blocages. On compte aux raffineries la dernière fois. - Avec des vrais blocages. Les raffineries, là, actuellement, il y aurait 80%, entre 80% et 100% de grévistes dans les raffineries aujourd'hui.
02:38 Il y aurait, selon un certain nombre de syndicats, plus de 50% de grévistes dans les écoles maternelles. Donc, on voit qu'il y a des secteurs où la grève semble suivie, où l'appel à la grève semble suivi.
02:48 Mais la vraie question, c'est de savoir ce qui va se passer après et l'impact que ça aura sur la discussion parlementaire. N'oublions pas que le texte arrive en discussion à l'Assemblée nationale le 5 ou le 6, plutôt, le 6 février.
02:58 Et là, on va voir comment vont réagir les troupes, à la fois de la majorité et ceux qui, dans l'opposition, sont prêts à soutenir le texte. Je pense notamment au LR.
03:07 Est-ce que, finalement, la mobilisation massive, le soutien de l'opinion publique vont avoir un impact sur les parlementaires ? Ça, c'est la grande question.
03:13 Voilà, c'est une double actualité parce qu'en parallèle de cette mobilisation dans la rue, on continue d'ailleurs à examiner en commission des affaires sociales, au moment où l'on se parle, les 7000 amendements,
03:26 6000 déposés par la NUPES, salle comble. Hier, il n'y avait pas suffisamment de micro, pas suffisamment de chaises pour accueillir tout le monde. C'était quand même une image inédite.
03:35 C'est en sous plus que tension, hier, semble-t-il.
03:39 Oui, alors c'est en sous tension, forcément, c'est en sous tension. Alors, le nombre d'amendements qui a été déposé pour l'instant, 7000, il est loin d'être un record.
03:46 Il faut rappeler qu'en 2007, lors de la privatisation de Gaz de France, il y avait eu plus de 180 000 amendements qui avaient été déposés.
03:54 Mais le temps donné pour les examiner, celui-là, trois jours ?
03:57 Oui, alors en effet, voilà, il y a la temporalité qui fait que ça rend l'exercice beaucoup plus compliqué.
04:02 Maintenant, ce qui va se passer à l'Assemblée Nationale, nous allons le voir dans les jours qui viennent.
04:05 Mais en tout cas, ce qui est important, c'est que la conférence des présidents qui s'est réunie ce matin, a décidé que, vous savez, cette fameuse motion référendaire que devait déposer la NUPES
04:16 et que veut déposer le Rassemblement National, la conférence des présidents a voté pour que ce soit, finalement, la motion référendaire défendue par le Rassemblement National qui soit déposée.
04:26 Et il ne peut y avoir qu'une motion référendaire qui va être déposée. On voit bien que là, en l'occurrence, du côté de la majorité, on a fait ce cadeau vraisemblablement au Rassemblement National
04:35 pour, en principe, perturber un peu le vote de cette motion référendaire. Parce que si cette motion référendaire était adoptée, ce qui me paraît à ce stade quand même assez hypothétique, mais sait-on jamais,
04:46 il est clair que ça retarderait la discussion du texte, renvoyant le texte tout de suite au Sénat qui devrait le discuter pendant 30 jours.
04:53 Donc ça perturberait, bien évidemment, le plan de vol sur le plan parlementaire de la majorité.
04:58 J'aimerais qu'on reparle de l'opinion publique. Vous l'avez brièvement évoqué tout à l'heure. On a les chiffres. Qu'est-ce qu'elle dit aujourd'hui cette opinion publique ?
05:05 72% des Français rejettent le projet de réforme des retraites. La statistique représente un bond de 6 points par rapport à la mesure effectuée il y a une semaine,
05:13 de 13 points par rapport à la jauge établie deux semaines en avant. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que pour le moment, les Français suivent, les Français sont derrière.
05:24 Qu'est-ce qui ferait que cette opinion publique se détournerait de cette mobilisation, de cette opposition ?
05:30 Deux choses, à mon sens. Une évolution de la position du gouvernement sur l'âge de départ à la retraite, mais manifestement, ce n'est pas actuellement la tonalité dominante.
05:42 On l'a vu depuis 48 heures, Mme Borne n'a cessé de marteler que c'était non négociable et le ministre de l'Intérieur a lui aussi plus ou moins relié cette argumentation.
05:51 Donc ce n'est pas la position du gouvernement.
05:52 On n'est pas dans la posture là aussi quelque part finalement ?
05:55 Le deuxième élément, on verra bien, mais si vous voulez, c'est extrêmement...
05:59 La fermeté avec laquelle, si vous voulez, communique l'exécutif rend vraiment beaucoup plus difficile toute position de retrait par la suite,
06:07 sans que cette position de retrait ne soit pas interprétée comme une défaite politique en race campagne.
06:12 Donc en la matière, aujourd'hui, le gouvernement, d'une certaine manière, a coupé, disons, toute possibilité de retrait sur un plan politique.
06:19 Ça, c'est une première chose. Deuxième chose, ça serait que finalement, les grèves, les blocages ou finalement la lassitude de l'opinion en viennent,
06:27 d'une certaine manière, à éroder le soutien de l'opinion publique à cette contestation, mais il est encore trop tôt pour le voir.
06:34 Et ce qui est sûr, c'est que si vous voulez, vous avez un contexte économique, contexte inflationniste,
06:38 qui ne fait qu'entretenir une forme de colère qui ne peut être qu'un carburant pour le soutien de l'opinion publique à cette mobilisation.
06:47 - Qui égratigne la côte de popularité de l'exécutif ? On va regarder peut-être d'autres chiffres.
06:52 Selon un dernier sondage d'Oxa pour Public Sénat et la presse régionale parue ce matin, ça chute là aussi lourdement.
06:58 La popularité du couple exécutif qui a perdu 5 points, vous le voyez, en janvier, pour atteindre 36% d'opinion favorable pour Emmanuel Macron,
07:06 31% pour Elisabeth Borne, ça c'est un plus bas jamais atteint par son prédécesseur Jean Cassex.
07:12 Quel risque pour l'exécutif finalement, demain, si ce mouvement, cette mobilisation se poursuivait, s'installait dans le temps ?
07:21 Est-ce qu'il n'a pas trop à perdre ?
07:22 - Ah, vous savez, tout le monde a en tête le précédent de 1995, enfin le précédent, le lointain précédent de 1995,
07:29 où le président de la République, Jacques Chirac, in fine, avait reculé sur la réforme des régimes spéciaux,
07:36 après que le premier ministre de l'époque, Alain Juppé, ait déclaré que lui ne céderait pas.
07:42 Donc en effet, dans une situation de ce type, tout est possible. Tout est d'autant plus possible que nous sommes, si vous voulez,
07:48 dans une configuration parlementaire qui est quand même tout à fait atypique sous la Ve République, avec une majorité très relative à l'Assemblée Nationale.
07:56 Que ferait le président de la République dans une situation de blocage ? Il a une arme, il a une arme institutionnelle.
08:02 - Le 49-3 ?
08:03 - Alors, c'est le 49-3, évidemment. Solution vers laquelle il ne semble pas s'orienter pour l'instant,
08:08 parce qu'il sait très bien que le 49-3 rajouterait de la protestation à la protestation, pourrait rajouter de la colère à la coulère,
08:15 et pourrait surtout faire en sorte qu'un certain nombre de parlementaires qui étaient prêts à voter cette nouvelle disposition
08:22 sur l'allongement du départ à la retraite ne le fassent pas, en l'occurrence parce que le véhicule parlementaire ne leur paraîtrait pas adapté.
08:33 - Un dernier mot sur les aménagements possibles. On a beaucoup parlé de certains points, notamment la question des femmes.
08:39 Est-ce que le gouvernement pourrait pas aussi bouger là-dessus ?
08:41 - Oui, alors on imagine qu'il y aura certainement quelques évolutions, mais à la marge.
08:46 La réalité, c'est que si vous voulez, la position des syndicats est aussi assez unanime.
08:50 Et quand vous entendez les syndicats les plus réformistes, comme la CFDT, qui considèrent que la question d'âge est finalement une ligne rouge,
08:58 qui est totalement infranchissable, on ne voit pas aujourd'hui, si vous voulez, les conditions d'une convergence pour une négociation
09:05 qui permettrait de sortir de cette situation de blocage dans laquelle nous nous trouvons, entre d'un côté un mouvement social et de l'autre le gouvernement.
09:12 - Merci beaucoup, Arnaud Bélénét.

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