"On a l'impression de n'avoir aucune maîtrise sur ce qui nous arrive": atteinte d’alopécie, Manon Ferezou témoigne

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Manon Ferezou, professeure de lettres modernes atteinte d’alopécie, témoigne ce vendredi soir sur BFMTV.

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Transcription
00:00 -Ca a commencé quand j'étais enfant. J'ai perdu mes cheveux pour la première fois.
00:03 Ca a commencé avec des petites plaques que je pouvais cacher facilement.
00:08 Ca s'est vite étendu jusqu'à une fameuse crise il y a un an
00:12 où j'ai perdu la totalité de mes cheveux, mes poils, mes sourcils, mes cils...
00:18 -Ca correspond à ça, quand vous dites "la crise il y a un an" ?
00:21 -Oui. Tout n'était pas encore tombé. Je venais de raser avec ma grande sœur.
00:25 C'est la période très compliquée.
00:28 C'est vraiment la période... On dirait de la décomposition.
00:32 On est chez soi avec des cheveux partout, au sol, dans l'aspirateur,
00:36 dans les couches de ma fille. La perte a été très compliquée.
00:39 -C'est-à-dire ?
00:41 -On a vraiment l'impression d'avoir aucune maîtrise sur ce qui nous arrive.
00:45 On est vraiment entre deux feux.
00:48 C'est une maladie qui n'est pas grave, comme l'a dit Edouard Philippe.
00:53 Mais c'est un vrai sujet en société d'être...
00:58 Vous venez de le montrer. J'ai eu des trous,
01:00 j'ai dû m'adapter aux regards des autres.
01:05 -Vous dites que vous ne pouvez pas montrer les trous aux autres ?
01:09 -Non, mais je n'ai pas le courage d'assumer le regard des autres.
01:13 C'est plutôt ça.
01:15 -Vous le voyez ? Quel type de regard ? Vous l'avez vécu ?
01:18 -Oui, bien sûr. Je l'ai vécu, le regard...
01:22 Je crois que c'est vraiment scindé entre les regards de pitié.
01:26 Quand on est dans le patos et qu'on pense être malade,
01:29 ça va être des regards bienveillants, mais on laisse passer à la caisse.
01:34 Une dame m'a suivie en me disant qu'elle allait s'en sortir.
01:38 Je ne l'ai pas vu, a priori.
01:40 -Quand vous lui dites ça, elle réagit comment ?
01:44 -Les gens ne connaissent pas.
01:46 Je vous en remercie, je peux en parler.
01:49 Je vis, comme tout le monde, à ce détail près.
01:53 Je ne sais pas à quoi je vais ressembler dans 6 mois.
01:56 -Vous avez des cheveux.
01:58 -Oui, j'ai des cheveux. J'ai un blond.
02:01 J'essaie de ne pas m'attacher à eux, car ils sont fuyants.
02:05 J'ai reçu des insultes homophobes avant-hier
02:08 pour être dans le vif du sujet.
02:11 -Quel est le rapport ?
02:12 -Avoir des cheveux courts, être une femme, avoir des cheveux courts...
02:17 -Vous le vivez tous les jours ?
02:20 C'est un poids tous les jours ?
02:23 -Non, car je porte la perruque parfois.
02:26 C'est mon armure.
02:28 La perruque, c'est ma façon de traverser ma journée.
02:32 Parfois, j'ai un foulard, car j'ai envie d'être un peu protégée
02:37 par un foulard.
02:38 -Je vais être franche.
02:40 Quand je vous ai vu arriver, je me suis dit "elle est très belle".
02:45 Le regard est surtout admiratif.
02:47 C'est très gentil à vous,
02:50 mais j'aimerais pas qu'on s'éloigne du fait
02:53 qu'on ne passe pas de casting pour perdre nos cheveux.
02:57 J'ai des amis que j'ai rencontrés par Instagram.
03:01 J'ai créé une page.
03:02 J'ai des amis qui étaient déjà très mal dans leur peau.
03:06 J'ai fait une dépression très sévère quand j'ai perdu mes cheveux.
03:11 Des femmes ne sortent pas de chez elles sans artifices,
03:15 qui ne peuvent pas chercher du pain.
03:18 -Ca vous est arrivé ?
03:20 -Non. J'ai choisi d'assumer tout de suite vis-à-vis de ma fille.
03:24 Je ne vais pas pouvoir lui vendre l'idée qu'on doit s'accepter
03:29 si je n'arrive pas à le faire.
03:31 Le mérite revient à ma fille.
03:34 C'est sa bonne humeur et le fait de me dire que la vie continue.
03:38 Je ne veux pas qu'elle soit honte de moi.
03:41 -Vous avez perdu les sourcils aussi ?
03:44 -Oui, 50 % des sourcils.
03:46 -A ce moment-là, est-ce qu'on se dit qu'il faut les tatouer ?
03:50 -Oui. Avant même qu'ils tombent.
03:53 Les sourcils, c'était pire que les cheveux.
03:56 -Votre fille n'en souffre pas.
03:59 Vous me dites que c'est arrivé à 5 ans.
04:02 -Oui. La première que ma mère a repérée,
04:05 j'avais 5 ans. Je ne m'en souviens pas.
04:08 -Vous ne vous souvenez pas du regard des enfants ?
04:11 -Non. J'ai grandi dans l'idée qu'il fallait le cacher.
04:16 Mon coiffé en fonction, etc.
04:18 J'aimerais déconstruire ça.
04:20 J'ai grandi en me disant que le jour où ça se voit,
04:24 ça signifie que c'est grave.
04:26 Aujourd'hui, le message que j'amène, c'est de dire
04:30 que je suis comme tout le monde.
04:33 On se voit dans le regard des autres.
04:36 -Vous êtes professeure.
04:38 Vous avez des élèves. -Oui, j'ai des collégiens.
04:42 -Et leur regard, est-il difficile ?
04:45 Vous leur faites cours avec une perruque ?
04:48 -J'ai créé une "safe place" dans ma classe.
04:51 Quand je suis tombée malade, j'ai demandé la permission
04:55 de porter un foulard pour des raisons de laïcité.
04:59 Je me suis dit que je devais choisir entre mon foulard et ma perruque.
05:03 Je n'ai pas toujours envie d'être brune,
05:06 parce que parfois, je peux être rousse.
05:09 J'ai expliqué à mes élèves.
05:12 J'ai enlevé ma perruque, je leur ai montré.
05:15 J'ai cette pathologie. Je ne fais pas cours comme ça.
05:18 J'ai un élève qui m'a dit que c'était parce qu'il avait honte.
05:23 Je lui ai dit que je n'étais pas à l'aise.
05:26 Ce soir, des élèves vont le découvrir sans rien.
05:30 -C'est une nouvelle étape. -Exactement.

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