L'interview d'actualité - Rachid Hami

  • l’année dernière
« Pour la France » : c’est le nouveau film poignant signé Rachid Hami dans lequel il partage un drame personnel qui peut tous nous concerner. Le réalisateur y met en lumière cette tragédie qu’a dû surmonter sa famille à la mort de son petit frère à l’âge de 24 ans lors d’un bizutage à l’école militaire de Saint-Cyr. À l’occasion de la sortie en salle ce mercredi 8 février, Rachid Hami revient sur ce terrible fait divers qui a défrayé la chronique et ébranlé cette institution éponyme.
Transcript
00:00 Il est 8h13, c'est l'heure de l'interview d'actualité. Julia, vous recevez ce matin Rachid Ami, le réalisateur Rachid Ami, son film "Pour la France".
00:07 Aujourd'hui au cinéma, il y est question d'un drame personnel qui peut tous nous concerner. Bonjour et bienvenue à vous.
00:12 Bonjour Rachid Ami, merci d'avoir accepté notre invitation. Alors j'ai tenu à vous inviter pour votre film "Pour la France" qui m'a personnellement beaucoup marqué.
00:21 Ce film est tiré du drame qu'a traversé votre famille suite à la mort de votre petit frère Djalla à l'âge de 24 ans lors d'un bahutage au sein de l'école militaire de Saint-Cyr.
00:30 Déjà c'est quoi un bahutage ? C'est une sorte de bisutage ?
00:34 C'est la manière dont Saint-Cyr définit une forme de transmission de tradition et une forme de rituel d'intégration qui est pour moi très étrange
00:47 parce que ce qui s'est passé ce soir-là, ce n'est clairement pas de la transmission de tradition.
00:52 On les a envoyés dans une eau à 9 degrés ou à 8 degrés profonde en treillis, casque et rangers.
01:00 Ils ne l'avaient pas pié dans cette eau ? C'était à plus de 1,80 m ?
01:04 C'était à plus de 2,80 m. Il y a eu panique et ils se sont tous retrouvés à se débattre et quelqu'un a perdu la vie ce jour-là.
01:12 On va regarder la bande-annonce de votre film et on continue d'en parler ensuite.
01:18 Bonjour Madame Saïdi. Toutes mes condoléances.
01:20 Il est évident que la mort d'Aïssa aurait pu être évitée. C'est un bahutage qui a mal tourné.
01:24 Saint-Cyr, l'armée et le système, ils sont tous aussi responsables du décès d'Aïssa.
01:29 Ils l'ont buté, maintenant il faut qu'ils les jument. Il faut qu'ils lui rendent les honneurs.
01:34 Vous appelez ça une erreur ? J'appelle ça une faute.
01:37 On sait tous que c'est à cause de votre bisutage de merde que mon frère est mort.
01:45 L'armée refuse dans un premier temps les honneurs militaires à votre frère.
01:49 C'est d'ailleurs en partie ce que vous racontez dans votre film.
01:52 Comment s'est globalement comportée l'armée avec vous ? Est-ce qu'elle porte bien le nom de "Grande muette" ?
01:59 Je pense que l'armée c'est un peu ce que j'essaie de faire dans le film,
02:02 c'est-à-dire de détruire les clichés aussi bien sur la famille d'origine maghrébine que sur les militaires.
02:08 C'est-à-dire que derrière cette institution, derrière les uniformes, il y a des hommes et des femmes.
02:12 J'ai rencontré des gens avec qui j'ai eu des vrais problèmes et des gens aussi formidables,
02:16 comme le général qui interprète Laurent Laffitte dans le film "Directeur de l'école"
02:20 qui s'est vraiment battu pour la dignité de Jalal.
02:23 Et qui a pris des risques dans sa carrière.
02:25 Oui, il a été sanctionné. Je pense que sa carrière a été mise entre parenthèses,
02:29 alors que lui n'y était pour rien. Il s'est battu pour Jalal.
02:33 Donc derrière cet uniforme, il y a des gens bien aussi.
02:36 Vous dites d'ailleurs que ce n'est pas un crime raciste, mais que c'est un crime sadique.
02:39 Pourquoi cette précision est-elle importante à vos yeux ?
02:42 Parce qu'on vit dans une époque où il y a une telle polarisation des opinions,
02:46 une telle radicalisation qu'il faut vraiment dire les choses pour ce qu'elles sont
02:49 et ne pas tomber là-dedans. Je trouve ça très dangereux.
02:52 Et donc dire la vérité, c'est-à-dire que c'est par sadisme que ces enfants,
02:55 ces gamins ont été envoyés dans l'eau ce soir-là.
02:58 Et non pas parce que c'était raciste.
03:00 Cette nuit, quelqu'un d'autre aurait pu mourir, quelqu'un autre que Jalal.
03:05 C'est juste que voilà…
03:06 C'est de la bêtise ?
03:07 Oui, de la bêtise. On en est inconscient. Il était conscient de ce qu'il faisait.
03:11 Il y a eu un premier passage où ils ont envoyé une première compagnie avec 60 élèves officiers
03:16 et 30 d'entre eux ont témoigné.
03:18 Quand vous prenez le témoignage, ils étaient en train de se noyer,
03:20 donc ils ont été sortis de l'eau.
03:21 Et à ce moment-là, les organisateurs de cette soirée se sont arrêtés,
03:25 ont eu une discussion parce que certains d'entre eux voulaient arrêter
03:28 parce qu'il y avait un vrai risque mortel.
03:30 Et l'un d'entre eux, après la décision, a continué et a envoyé cette deuxième compagnie
03:34 dans laquelle Jalal a été.
03:35 Donc c'est pour ça que je parle de sadisme.
03:37 C'est qu'ils avaient une vraie conscience du danger.
03:39 Alors vous avez dû attendre 8 ans pour avoir un procès.
03:42 Sur les 7 hommes mis en examen, seuls 3 ont été condamnés pour homicide involontaire.
03:47 Qu'est-ce qu'ils sont devenus ?
03:49 Je sais qu'il y en a un d'entre eux qui est dans l'armée,
03:52 mais dans les condamnations, ce qui m'a vraiment choqué,
03:56 c'est que 3 d'entre eux ont été condamnés de 6 à 8 mois de prison avec sursis
04:00 et ces peines ne sont pas inscrites au bulletin numéro 2 de leur casier judiciaire.
04:03 Ça veut dire qu'aux yeux de la société, ces gens sont innocents.
04:06 Comment c'est possible ça ?
04:08 Demandez au procureur de la République qui n'a pas fait appel
04:11 et au juge qui a prononcé ce verdict.
04:15 Donc il y a un d'entre eux, un des prévenus, qui continue à travailler dans l'armée.
04:18 Oui, et ce n'est pas le pire parce que lui au moins s'était présenté coupable.
04:22 Mais oui, il y a un vrai problème dans la manière dont ce procès a eu lieu et dans ce verdict.
04:28 Et pourtant, moi j'essaie dans le film de parler là-dessus.
04:31 Parce que pour la France, pour moi c'est vraiment un film sur la vie d'une famille
04:35 dont on parle beaucoup comme un fait divers et qu'on a très peu raconté de manière romanesque.
04:38 De cette couche populaire, de cette majorité silencieuse de la France.
04:42 Et je voulais vraiment faire une odyssée familiale,
04:44 une odyssée sur cette fratrie, sur ces gens qui n'a jamais été racontée dans la presse.
04:50 Finalement, vous abordez évidemment le drame qui vous est arrivé, mais vous avez raison.
04:54 C'est un film sur cette odyssée familiale, on vous voit sur plusieurs continents,
04:57 on vous voit avec votre famille à Taïwan notamment,
05:00 vous avez dû resserrer avant la mort de votre frère les liens qui vous unissaient à lui.
05:05 C'est un des derniers bons souvenirs que vous avez eu avec Jalal ?
05:08 Oui, je pense que c'est le moment où on est devenu frère
05:10 et que quelque part raconter cette histoire de manière humaine à hauteur d'homme, c'était important.
05:16 Et que en même temps donner une vraie aventure de cinéma au public
05:20 qui vient des tripes parce qu'on raconte une histoire sincère, c'était important.
05:24 J'ai tourné avec ces deux grands acteurs qui sont Karim Leclou et Shaheen Boumeddine.
05:29 Karim Leclou qui a dû perdre 17 kilos en quatre semaines entre la partie française et la partie taïwanaise.
05:35 J'ai eu de la chance d'être avec aussi Laurent Laffitte, Viviane Seng, Louis de la Zabal.
05:40 Je voulais vous demander pourquoi ce titre "Pour la France" ?
05:44 Parce que ce jeune homme est prêt à mourir pour la France, il est prêt à tuer pour la France.
05:49 Il sacrifie son confort parce qu'il était à Sciences Po pour s'engager sous le drapeau "Pour la France".
05:54 Et quelque part pour moi "La France" c'est une grande fiction dans laquelle on vit tous
05:59 avec un idéal qui est liberté, égalité, fraternité.
06:02 Et au jour le jour on tend vers cet idéal en tant que citoyen.
06:05 Et donc moi je fais ce film "Pour la France" pour témoigner de cet idéal aussi.
06:08 Merci beaucoup Rachid Ami, merci d'avoir été avec nous ce matin.
06:11 Je rappelle que votre film "Fort, Poignons" est très réussi, sort aujourd'hui même dans les salles.
06:16 Et ça s'appelle "Pour la France". Merci.
06:18 Merci à vous et notez qu'un portrait qui vous est consacré sera diffusé demain soir dans l'émission Envoyé spécial avec Élise Lucet sur France 2.

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