Dans "Pour la France", le réalisateur Rachid Hami raconte l'histoire de son frère cadet, Jallal Hami, décédé lors d’un rituel d’intégration dans la prestigieuse École Militaire de Saint-Cyr. Son personnage de frère aîné est magistralement interprété par l'acteur Karim Leklou. A l'occasion de notre avant-première organisée au Silencio des Prés, le cinéaste a répondu aux questions de Jérôme Garcin, chef du service Culture de « l’Obs.
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Court métrageTranscription
00:00 La France c'est quoi ? C'est un idéal, c'est une grande fiction dans laquelle on vit tous
00:05 et on tend tous vers cet idéal qui est liberté, égalité, fraternité.
00:08 Rachid, ami, je suis très heureux qu'on se voit ce soir à l'occasion de la sortie de ce film très fort qui est pour la France
00:21 qui est l'histoire de votre frère Jalal, c'est le prénom de votre frère, pas celui du film qui est Aïssa.
00:28 Est-ce que vous avez hésité un instant à raconter ce qu'a été ce drame, qu'est la mort à 23 ans pendant un exercice de transmission des traditions de votre frère
00:39 quand il était élève officier à Saint-Cyr ? Est-ce que vous avez hésité ?
00:43 J'ai longtemps hésité parce que je pense que le fait que ce soit mon deuxième film raconte quelque chose de mon parcours.
00:47 C'est que en 2010 quand je reviens de Taïwan, je pense que c'est un événement majeur de la relation que j'ai avec mon frère.
00:54 On est devenus frères à ce moment-là.
00:56 Il faut expliquer quand même que Taïwan est un moment très important du film, où les deux frères se retrouvent.
01:02 Le film est organisé dans trois mouvements. Il y a un conte en Algérie qui se passe dans l'Algérie des années 90 et de l'islamisme,
01:11 de la montée du fils et de la naissance du G.I.A.
01:14 Et qui est au-dessus de la naissance de Rachid et de Jalal, il faut le préciser.
01:19 Et après on a un Antigone contemporain en France et puis on a un film d'aventure à Taïwan.
01:26 Et ces trois genres s'enlacent, ces trois parties du film s'enlacent les unes avec les autres pour essayer d'avoir une odyssée familiale
01:34 qui se déploie sur l'histoire de cette famille.
01:37 Alors un mot sur les faits. Il est mort donc à 23 ans alors qu'il était élève officier.
01:43 Il y a eu ensuite un procès qui n'apparaît pas dans le film où les responsables de cette tragédie ont été jugés et ont été, si j'ose dire, à peine condamnés.
01:57 Ils ont été condamnés et ces peines ne sont pas inscrites à leur casier judiciaire.
02:01 C'est-à-dire les trois condamnations pour trois personnes pour homicide involontaire de 6 à 8 mois de prison avec sursis.
02:07 Et ces peines ne sont pas inscrites au bulletin numéro 2 de leur casier judiciaire.
02:10 Ce qui veut dire qu'aux yeux de la société ils sont innocents, ils ne sont condamnés à rien.
02:13 Cette non-inscription a été quelque chose d'extrêmement violent pour moi.
02:16 Et pour votre mère.
02:17 Oui parce que la mort de mon frère était indélébile.
02:20 Et eux, leur culpabilité, elle a été effacée sans même être inscrite.
02:23 Alors dans le film justement le travail, les efforts de votre mère et de vous, enfin de vous, de Karim Leclou qui vous incarne formidablement comme tout ce que joue Karim Leclou à l'écran.
02:37 Votre travail consiste à obtenir pour votre frère les honneurs de funérailles militaires et non pas qu'il soit enterré anonymement dans un carré musulman de la banlieue parisienne.
02:49 Oui parce que la reconnaissance c'est un peu le sujet du film.
02:53 Là il y avait besoin de reconnaître l'engagement de ce garçon.
02:56 Il y avait besoin de reconnaître aussi que ce garçon a été trahi par ses frères d'armes.
03:00 La reconnaissance c'est aussi une forme de justice.
03:02 C'est-à-dire reconnaître sa culpabilité, c'est-à-dire si on lui donne les funérailles militaires, l'armée reconnaît sa culpabilité quelque part.
03:11 Donc cette bataille pour la reconnaissance c'est un peu ce qui tient le cœur du film.
03:17 C'est comme un antigone qui se bat pour des funérailles dignes pour Créon, excepté que là il ne s'appelle pas le mauvais garçon.
03:23 C'est-à-dire qu'à un moment donné c'est universel aussi.
03:25 On veut enterrer les nôtres avec dignité.
03:27 Et on veut aussi qu'à un moment donné, quand on se retrouve dans une circonstance comme celle-ci, qu'il y ait une reconnaissance de culpabilité de ceux qui ont causé son décès.
03:34 Et je pense que c'est ça en fait le cœur du film.
03:36 C'est qu'il y a un cœur dramatique qui est aussi universel qu'Antigone a pu l'être.
03:40 Dans le film on a l'impression que le frère aîné, joué encore une fois par Karim Leclou,
03:47 ne comprend pas toujours l'idéal, je dis bien l'idéal, à la fois militaire, français, de son frère Janalla.
03:58 Je pense que le film porte bien son titre.
04:01 Pour la France, c'est l'histoire d'un jeune homme qui était prêt à tout sacrifier pour la France, à tuer pour la France, à mourir pour la France.
04:07 Et la France c'est quoi ? La France c'est un idéal, c'est une grande fiction dans laquelle on vit tous.
04:14 Et on tend tous vers cet idéal qui est liberté, égalité, fraternité.
04:18 C'est un mouvement vers cet idéal.
04:20 Et je pense que pour un garçon comme celui qui est interprété par Karim Leclou, donc Ismaël,
04:24 qui est dans un moment de sa vie où lui cherche encore à trouver sa place dans son monde,
04:28 c'est très difficile de comprendre cet idéal parce qu'il ne se sent pas intégré dans cet idéal.
04:34 Tandis que l'autre il a pleinement embrassé cet idéal et il est prêt à défendre cette idée aussi républicaine et démocratique de la France.
04:43 Et c'est quelque chose que Ismaël ne peut pas comprendre.
04:45 Moi je suis métamorphose, je fais des films, donc je suis un peu un troubadour.
04:50 Et je n'ai pas compris tout de suite l'engagement de mon frère.
04:53 Aujourd'hui quand je vois la guerre en Ukraine, quand je vois les menaces qui pèsent sur Taïwan, je le comprends.
04:59 Plus que jamais je pense qu'il faut qu'il y ait des Haïssas pour défendre notre mode de vie, notre démocratie, notre liberté.
05:07 Et nos idées. Précisément c'est une des grandes forces du film, c'est que là où certains qui ne l'ont pas vu
05:16 peuvent s'attendre à un brûlot contre l'armée, contre une certaine idée de la France, et bien c'est le contraire.
05:23 Il y a presque une forme de, moi j'ose le mot, de sérénité à la fin de ce film.
05:30 Et ce n'est pas un film en guerre.
05:32 Non mais c'est un acte de rébellion en fait aussi.
05:34 C'est un acte de rébellion, c'est différent.
05:36 Oui c'est un acte de rébellion parce que si vous voulez, je m'oppose frontalement à une idée de l'assignation identitaire qu'il peut y avoir.
05:43 Elle existe dans le cinéma aussi.
05:45 Parce que c'est une histoire vraie, parce qu'elle vient de cet endroit, forcément on devrait faire un brûlot politique, un pamphlet.
05:50 Et plein de gens s'attendent à ce film et ils pensent que c'est ce film là qui devrait se faire.
05:54 Et moi j'ai envie de leur dire "bah non, ça c'est une idée aujourd'hui qui est dangereuse parce que ça veut dire que ça nous enferme dans une boîte".
05:59 Et moi je revendique le droit au romanesque, je revendique le droit au cinéma, et puis je revendique le droit de raconter des histoires intimes d'une France modeste, populaire, celle dont on parle beaucoup et qu'on raconte jamais.
06:12 Donc c'était aussi même dans la forme dans laquelle j'ai fait le film.
06:15 C'est à dire que j'ai fait un film très rigoureux parce que je voulais éviter le film naturaliste, attendu aussi, caméra à l'épaule, chercher de la fausse vérité, la fabriquer.
06:25 Je trouvais que c'était aussi un cliché auquel je devais échapper.
06:28 Dernière question, c'est votre deuxième long métrage on le disait, vous avez aussi joué comme comédien, notamment dans "L'esquive de la vie native" qu'est "Chiche".
06:39 Comment voyez-vous votre avenir à cheval entre la réalisation et le jeu d'acteur ou vous allez faire un choix ?
06:46 Mais j'ai déjà fait le choix, je pense que la dernière fois que j'ai été devant une caméra c'était pour mon ami Louis Garrel sur son tout premier long métrage.
06:51 Bah oui mais c'est pas si vieux que ça.
06:53 "Les deux amis" c'était quoi ? C'était en 2013.
06:55 Oui mais c'est pas si vieux que ça.
06:57 Je vais vous faire une confidence alors, vous savez je rencontre Abdel, j'ai 16 ans et moi je veux pas être acteur, je veux être réalisateur.
07:06 Et je dis à Abdel écoute, moi je veux ramener le café, je veux être stagiaire, je veux savoir comment on fait un film.
07:11 Et Abdel me dit mais...
07:13 Alors Abdel c'est Abdelatif Kéchiche.
07:15 Je précise.
07:16 Et moi aussi.
07:17 Et donc je vais dire Kéchiche comme ça sera plus simple.
07:20 Et donc il me dit Rachid si tu veux devenir un bon metteur en scène, faut que tu comprennes les acteurs.
07:25 Parce que c'est ce qu'il y a de plus important au cinéma.
07:27 Et si tu n'es pas un peu acteur, tu ne seras jamais un bon directeur d'acteur.
07:31 Donc je me retrouve acteur non pas par désir mais par défaut.
07:36 Et d'ailleurs les premiers sous que j'ai après avoir joué pour Abdelatif Kéchiche et pour Arnaud Despleuchins, qui m'a pris pour faire un rôle,
07:44 je l'ai mis pour faire mon tout premier court métrage qui s'appelle Point d'effet sans cause et qui a été par la suite acheté par Arte,
07:50 qui a été mon premier court métrage diffusé.
07:53 Et c'est à dire que j'ai fait ce choix depuis très longtemps.
07:55 C'est juste que j'ai appris le cinéma en le fabriquant petit à petit.
08:00 J'ai travaillé pour Sylvie Pialat pendant longtemps en production.
08:03 Elle m'a dit elle aussi si tu veux devenir un bon réalisateur, il faut apprendre à dépenser l'argent.
08:07 Alors voilà je me suis retrouvé 5 ans à travailler au film du Worceau.
08:10 Donc c'est un peu mon parcours, c'est réalisateur que je veux être et c'est à cet endroit que je sens ma passion à Sylvie.
08:20 Abdelatif Kéchiche, j'avais raison, vous êtes un très bon directeur d'acteur.
08:24 Merci.
08:25 Merci en tout cas et bonne chance à ce formidable Pour la France.
08:29 Merci beaucoup.
08:30 [Musique]