On l'entend de plus en plus, la défiance envers les médias gagne beaucoup de français, et plus particulièrement depuis la prolifération de la désinformation sur internet. Le think tank français Destin Commun a justement étudié le rapport qu'ils ont aujourd'hui avec l'information, dans leur dernière publication "Information : cinquante nuances de défiance".
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00:00 Vous écoutez Europe 1, il est 5h43, quand on parle de fake news ou de complots sphères,
00:05 voilà des expressions qui nous sont devenues familières ces dernières années avec la prolifération de la désinformation,
00:11 en particulier sur internet. Le think tank Destins commun s'est penché sur le rapport des Français à l'information et aux médias.
00:18 Une étude baptisée "Information, 50 nuances de défiance" qu'on vous dévoile en exclusivité ce matin sur Europe 1.
00:25 On va vous en parler avec votre invitée Alexandre Laurence Denervaux, qui est directrice de Destins commun et co-autrice de l'étude.
00:31 Bonjour Laurence Denervaux. Bonjour Alexandre Le Maire.
00:34 Destins commun fonctionne comme un laboratoire d'idées. L'objet de votre réflexion est de vrai, dites-vous, pour une société plus soudée,
00:42 moins tentée par le repli sur soi, par les extrêmes. Et vous avez réservé ce matin à Europe 1 les résultats de votre dernier objet d'étude,
00:49 les Français et l'information. Il en ressort en particulier que 7 Français sur 10 se disent inquiets aujourd'hui de la désinformation.
00:58 Ils sont d'ailleurs inquiets pour eux-mêmes et pour leurs proches.
01:01 Oui, absolument. C'est sous cet angle que nous avons posé cette question, qui traduit en général un rapport très défiant à l'information.
01:09 Vous ne posez pas d'un côté ce qui serait le camp des rationnels à celui des complotistes. La réalité est évidemment un peu plus nuancée.
01:15 Mais vous avez quand même identifié des groupes de Français plus ou moins en rupture avec les cadeaux d'information, avec les médias autrement dit.
01:23 Tout à fait. Alors en réalité, nous avons cherché à analyser en général le rapport à l'information des Français.
01:29 Et nous avons identifié ce que nous avons appelé un continuum de la défiance, puisque cette défiance aujourd'hui concerne une très large majorité des Français
01:38 qui ont un rapport, on peut le dire, assez dégradé, voire pathologique à l'information, qui se traduit, on peut distinguer en fait,
01:45 trois grands types de critiques qui correspondent à trois risques pour le consommateur d'information et qui, à chaque fois,
01:51 peuvent induire trois types de réactions qui sont autant de formes de ce qu'on peut appeler des sécessions, en fait, des sécessions du collectif,
01:59 des sécessions de la communauté nationale. Donc si vous voulez que je détaille un petit peu peut-être ces critiques, ces risques.
02:05 Alors tout d'abord, il y a la question de la saturation, de l'excès. Une personne qui nous dit "trop de chaînes, trop de choix, du coup, je ne regarde plus rien".
02:15 Donc en fait, il y a une sensation quasiment de noyade dans une information pléthorique. Et du coup, la réaction face à cet excès d'informations,
02:23 ce serait la rupture, la coupure, avec en même temps une forme d'illusion, parce que beaucoup de gens nous ont parlé d'overdose.
02:30 Mais quand ils disent "je coupe", on comprend qu'en fait, ils continuent à être assez accros, dans une certaine mesure, à l'information.
02:36 Et puis deuxième critique... - Oui, c'est cette ambivalence. - C'est ça, c'est ça, toujours cette ambivalence entre addiction et overdose, en fait.
02:43 Et puis ensuite, il y a la perception d'une information qui serait beaucoup trop négative dans son traitement. Et donc ça, ça induit en réalité un risque de dépression.
02:53 On parle parfois de fatigue informationnelle. Les termes qu'on a entendus sont bien plus forts encore que la fatigue et la lassitude.
03:00 On entend le terme de dépression. Et du coup, face à ce risque, la réaction qu'on a identifiée, c'est ce qu'on a appelé une tentation de customisation du réel.
03:12 C'est-à-dire, je vais être tentée de faire mon actualité à ma sauce, face à une actualité qui serait trop anxiogène et qui ne nous conviendrait pas,
03:20 ce qui, évidemment, est préoccupant du point de vue du collectif et de la cohésion sociale. - Oui, oui, bien sûr.
03:26 Le risque de l'égarement également, hein, Laurence Denervaux ? - Oui, absolument. Troisième risque, celui de l'égarement.
03:31 Pourquoi l'égarement ? Parce que les Français, très largement, en fait, sont dans une défiance aussi vis-à-vis de la fiabilité de l'information.
03:39 Ils considèrent qu'elle manque d'impartialité. Et du coup, cela alimente des réactions de défiance qui, parfois, vont jusqu'à des orientations complotistes.
03:48 - Bon, on vous écoute. Le problème, c'est celui, en effet, de la surabondance de l'offre, à la fois quasi infinie et qui apparaît comme illisible à de nombreux lecteurs,
03:58 auditeurs, téléspectateurs. C'est de plus en plus difficile de faire le tri entre les sources d'informations fiables ou manipulées.
04:05 - Oui, tout à fait. C'est vrai qu'il y a une absence de hiérarchisation des sources et des canaux eux-mêmes.
04:11 Et ça, il faut y travailler en tant que tel dans un contexte de désintermédiation où, bien souvent, notamment sur les réseaux sociaux,
04:20 on a accès à une offre qui est beaucoup moins hiérarchisée. Et du coup, évidemment, ça appelle des réponses d'abord du point de vue de la prévention
04:28 dans l'éducation aux médias, en rappelant, en fait, la différence entre tout simplement un fait et une opinion et la différence entre une source journalistique
04:37 ou une source de l'ordre du témoignage, puisqu'on l'entend aussi beaucoup dans notre étude. Beaucoup de Français font davantage confiance
04:44 à leurs proches qu'aux journalistes, par exemple. - Alors, royaume de la complosphère, royaume des fake news, les réseaux sociaux.
04:51 Les Français puisent largement l'information qui peut être fiable, naturellement, sur les réseaux sociaux. Mais tout n'est plus rose.
04:58 C'est ce que révèle aussi votre enquête. Ils y vont, mais avec une vision très critique de ces réseaux, désormais.
05:02 - Oui, les Français sont assez lucides quant aux réseaux sociaux et assez critiques, puisque 2/3 d'entre eux considèrent que, par exemple,
05:10 les points de vue extrêmes prennent trop de place sur les réseaux sociaux. Et puis ce qu'on voit aussi, c'est le rôle amplificateur des réseaux sociaux
05:17 dans la défiance vis-à-vis de l'information et dans la perception d'une actualité qui serait anxiogène et négative, par exemple,
05:24 puisque la consultation fréquente des réseaux sociaux renforce la perception négative de la situation du pays chez les Français.
05:31 - Vous avez pu entendre beaucoup de remarques, de sentiments des Français face à l'information. Laurence Desnervaux, vous avez organisé des groupes de paroles.
05:39 Est-ce qu'il y a des témoignages, sans doute, qui vous ont marqué ? Que vous ont-ils dit ?
05:43 - Oui. Alors dans cette sensation d'overdose, on a entendu parfois des témoignages assez marquants, assez touchants.
05:50 Et on prend conscience du fait que dans l'actualité récente, par exemple, la guerre en Ukraine a pu renforcer la défiance vis-à-vis des médias
05:57 dans, par exemple, un traitement monosujet qui, parfois, a donné un sentiment d'endoctrinement.
06:03 Une personne qui nous disait « J'ai eu trop d'infos pour mon petit cerveau et j'en ai pleuré », je cite.
06:08 Voilà. Et puis un autre témoignage assez perturbant, celui de cette personne qui dit « Je ne supporte pas de subir l'actualité.
06:17 Je veux décider de mon actualité en allant la chercher moi-même », ce qui illustre cette idée de ce qu'on a appelé la customisation du réel.
06:25 - Dans ce tri entre les sources d'informations, comment sont perçus les médias « traditionnels » ?
06:30 C'est une défiance croissante ? On s'en détourne ?
06:33 - Alors dans l'ensemble, une défiance croissante. Mais néanmoins, il faut faire des distinctions.
06:37 Et nous avons des seins communs à identifier différents groupes qui correspondent à des systèmes de valeurs différents dans la société française
06:47 en s'appuyant sur la psychologie sociale. Et c'est là qu'on voit apparaître ce fameux continuum de la défiance.
06:53 Donc il existe des groupes qui sont dans une plus grande défiance, dans une plus grande distance vis-à-vis de l'information et des médias, en l'occurrence.
07:00 Et il y a certains groupes qui sont dans une relation beaucoup plus confiante a priori vis-à-vis des médias.
07:07 Et d'autres qui sont quasiment dans ce qu'on a appelé la « sécession médiatique ».
07:10 - Merci Laurence Deneuveaux, directrice du think tank Destin commun.
07:15 Vous nous dévoilez donc ce matin en exclusivité pour Europe 1 les résultats de votre étude sur les rapports des Français à l'information.
07:21 Il en ressort, et vous nous le dites, ce sentiment d'inquiétude très marqué chez une majorité de Français face au risque de désinformation.
07:29 Merci à vous.
07:30 - Merci beaucoup.
07:31 Europe Matin