Chaque jour dans Culture Médias, deux invités débattent autour d'un sujet médiatique.
Retrouvez "La Question du jour" sur : http://www.europe1.fr/emissions/la-question-du-jour
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00:00 Europe 1 Culture Média avec Thomas Hill et c'est l'heure Thomas de la question médias du jour.
00:04 Depuis le 7 octobre le bruit de la guerre résonne à nouveau sur le sol israélien et en parallèle de ces affrontements sur le terrain une
00:11 guerre de l'information fait rage sur les réseaux sociaux et dans les médias pour influencer les opinions publiques mondiales.
00:16 Alors à l'ère de la défiance
00:19 généralisée comment s'y retrouver dans ce flot d'informations
00:22 et comment les journalistes travaillent sur place pour démêler le vrai du faux on en parle avec nos invités Thomas Huchon bonjour.
00:28 Bonjour. Vous êtes journaliste spécialiste des réseaux sociaux et puis en direct depuis Tel Aviv
00:34 Franck Meloul PDG
00:36 d'E24 News, chaîne d'information internationale du groupe Altis basée donc en Israël. Bonjour Franck.
00:42 Bonjour. Merci d'être avec nous ce matin. D'abord c'est une situation qui est évidemment très compliquée j'imagine pour vos journalistes.
00:49 Racontez nous comment ils travaillent actuellement sur le terrain Franck Meloul.
00:54 Écoutez vous savez nous venons de célébrer notre dixième anniversaire et
00:59 malheureusement pendant ces dix années nous avons été confrontés à plusieurs
01:03 conflits entre Israël et le Hamas.
01:06 Simplement cette fois il y a une dimension qui est complètement différente.
01:10 Les journalistes sont habitués à être sur le terrain sous les tirs de roquettes
01:15 et de couvrir aussi les réponses et représailles israéliennes.
01:18 Mais là ils font face à une atrocité
01:23 qu'ils n'ont pas connue auparavant. Nos journalistes ont été parmi les premiers à rentrer dans les kibout et à constater des charniers de
01:31 corps les uns sur les autres.
01:34 Et puis il y a une émotion. Il y a une émotion particulière qu'il faut gérer aussi. Donc on fait notre travail de journalistes. Nous sommes sur le
01:42 terrain.
01:43 Nous relatons les faits mais en coulisses il y a aussi une très forte émotion à gérer parce que
01:50 beaucoup ont perdu des amis, de la famille ou aussi des parents qui sont en otage à Gaza.
01:57 Donc c'est pas évident tous les jours.
02:00 Et puis alors il y a ce travail sur le terrain aussi. Il y a de nombreuses images qui sont publiées sur les réseaux sociaux.
02:06 Comment vous faites pour
02:08 faire le tri dans toutes ces images et pour éviter aussi de relayer des fausses informations ? Est-ce que vous avez une équipe de fact-checker
02:14 par exemple ?
02:15 Alors là aussi il y a quelque chose d'inédit dans ce conflit. C'est que
02:19 il vous aura pas échappé que pendant la journée du 7 octobre beaucoup de vidéos
02:23 ont circulé sur les réseaux sociaux notamment sur TikTok, sur Snapchat,
02:28 sur Facebook, sur Instagram parce que le Hamas a pris le contrôle de la communication ce jour-là. On voit et on le montre chez nous que
02:36 les forces terroristes qui sont rentrées et qui se sont infiltrées
02:40 avaient sur elles des caméras.
02:43 Ils ont tout filmé. Et donc les vidéos que l'on voit sur les réseaux sociaux sont des vidéos qui ont été postées par le Hamas lui-même
02:50 montrant avec fierté toutes les exactions qui ont été commises.
02:54 Alors après c'est une question éditoriale. On se pose la question de savoir est-ce qu'on le montre ou on le montre pas ?
03:01 Nous avons pris la décision de le montrer cette fois. En temps normal nous ne le montrons pas. Après la question c'est comment le montrer ?
03:09 Tout d'abord nous devons
03:12 répondre aux règles de la censure qui est de respecter la vie privée des familles.
03:16 Tant que les familles ne sont pas alertées du décès d'un parent, nous n'avons pas le droit
03:21 de le communiquer. Et puis aussi nous avons décidé de flouter ces images de visage ou de corps.
03:29 Maintenant je dois vous dire qu'il y a aussi quelque chose de très important qui est en train de se passer.
03:35 C'est que les familles des victimes
03:38 nous envoient les vidéos et nous demandent de les poster, nous demandent de les montrer et nous demandent même de ne pas flouter.
03:45 Et ça c'est quelque chose auquel nous n'étions pas confrontés avant parce que
03:50 i24news est devenue une plateforme de témoignages sur ce qui s'est passé
03:56 ce fameux 7 octobre. Maintenant sur la question du fact-checking,
04:00 j'ai pas une équipe dédiée au fact-checking.
04:02 Mais comme vous le savez i24news c'est trois chaînes. Une chaîne en anglais, une chaîne en français et une chaîne en arabe.
04:07 Et donc la diversité de cette chaîne
04:09 fait que mes journalistes sont sur plusieurs groupes.
04:13 Nous avons des journalistes qui sont sur les groupes israéliens mais nous avons aussi des journalistes
04:17 qui sont sur les groupes whatsapp du Hezbollah et du Hamas. Ce qui leur permet de challenger, de comparer
04:23 les sources avant de poster quoi que ce soit. Et dans un conflit comme
04:27 celui-là, Thomas Huchon, est-ce que les réseaux sociaux sont pas devenus encore plus important finalement que les médias traditionnels pour justement
04:35 influencer les opinions publiques ? - On est confronté à un espèce de double problème désormais de manière très récurrente à chaque fois qu'il se passe quelque chose
04:43 d'important ou de notoire dans le monde. Vous avez ce qui va se raconter en temps réel et vous avez la deuxième narration
04:50 qui se passe sur ces réseaux. Sur ces réseaux on va trouver tout ce que les grands médias professionnels ne peuvent pas montrer pour des raisons
04:56 éthiques, évidentes, de déontologie et tout. Et on va aussi trouver
05:02 l'autre pan de l'information d'aujourd'hui, l'infodémie comme disait l'OMS, la pandémie de fausses informations.
05:08 Là on y est, on est en plein là dedans et on est en plein dans une espèce de double truc dans lequel il y a à la
05:14 fois des choses complètement fausses sorties de son contexte qui servent à
05:18 diffuser des fake news et à modifier la perception globale de ce que
05:23 tel citoyen va penser de ce conflit. Et on va avoir un autre type d'opération qui est là de montrer
05:30 dans l'immédiaté, comme c'était très bien raconté à l'instant,
05:32 l'hyper violence de cette attaque terroriste pour faire de ces images une forme de propagande de la terreur. Et là je crois qu'on a quand même
05:41 un énorme problème. Regardez, entre Christchurch en 2014 quand ce terroriste en Nouvelle-Zélande massacre
05:48 des musulmans dans une mosquée en se filmant en direct sur Facebook et ce qui s'est passé le 7 octobre,
05:54 il y a quelque chose qui n'a pas changé dans le monde. C'est que les réseaux sociaux
05:57 laissent publier n'importe quoi et qu'ils ne portent pas la responsabilité de ce qu'ils diffusent.
06:01 Franchement je crois qu'on aurait pu se passer 24 heures de ces réseaux
06:05 après le 7 octobre et leur dire "les gars vous n'avez rien vérifié, on ferme tout,
06:10 vérifiez et arrêtez de nous montrer des enfants décapités en direct sur nos réseaux, c'est insupportable".
06:15 Et le réseau sur lequel on va principalement chercher de l'info c'est X, anciennement Twitter, c'est peut-être celui qui pose le plus de questions.
06:22 On en reparle dans un instant dans Culture Média, à tout de suite.
06:25 Culture Média avec la suite de la question média du jour. On parle du traitement du conflit en Israël
06:30 avec vos invités Thomas Hill, Thomas Huchon, journaliste spécialiste des réseaux sociaux et puis en direct depuis Tel Aviv, Franck Meloul, PDG
06:38 Dive24, la chaîne d'information internationale du groupe Altis basée donc en Israël.
06:43 Et je le disais avant la pause, Thomas Huchon, le réseau sur lequel on va principalement
06:46 chercher de l'info c'est vrai que c'est Twitter, c'est X et ça pose beaucoup de questions aujourd'hui parce que la modération
06:53 elle y est quasiment inexistante.
06:55 - On a toujours dit que Twitter, pour l'appeler comme les gens le reconnaissent encore,
07:00 mais si ça fera pas plaisir à Elon Musk,
07:02 on dit que Twitter c'est le média de l'instant.
07:05 C'est là où on va pour savoir ce qui se passe, c'est là où on va prendre le pouls de l'actualité, c'est là où
07:09 les informations circulent très rapidement et notamment nous l'avons expérimenté en 2015 après une attaque terroriste.
07:15 C'est là qu'on va regarder ce qui se passe, qu'on essaie d'avoir des informations.
07:19 On a un énorme problème sur Twitter parce que depuis un an il a été effectivement racheté par Elon Musk, ce milliardaire
07:25 d'origine sud-africaine, ce qui un lendemain de défaite ne nous fera pas forcément plaisir non plus.
07:30 Mais bon passons là dessus. Et en fait il a profondément modifié ce réseau.
07:34 On a l'impression qu'il a changé de nom et qu'il y a deux trois trucs qu'on a changé mais en fait il a changé
07:40 presque le fondement même de Twitter. Sur Twitter,
07:42 premièrement, eh bien il y avait des modérateurs. Il y avait des gens qui étaient là, c'était le métier de
07:50 supprimer les contenus illégaux, interdits. On sait qu'ils sont plus de la moitié
07:54 avoir été licenciés par Musk et donc qu'il n'y avait que 2000 modérateurs sur Twitter pour 300 millions d'utilisateurs
08:00 avant le rachat de Musk. Là il y en a moins et probablement même peut-être même pas un midier.
08:06 Ça pose un immense problème. Le deuxième problème c'est que sur Twitter il y avait eu à force des
08:11 utilisateurs qui avaient fait un petit peu le ménage de comptes toxiques, de comptes qui faisaient l'apologie du terroriste, de l'antisémitisme, qui avaient subi des
08:18 condamnations, qui avaient fait l'apologie d'actes de coups d'État aux États-Unis après le Capitol.
08:25 Il y avait des milliers de comptes qui avaient été supprimés. Musk les a réintégrés. Et pire, il a permis à ces gens d'extrême droite, extrêmement
08:33 problématiques dans un débat public, de s'acheter une petite pastille bleue en changeant le système de certification.
08:39 J'explique deux secondes. - Et donc de gagner de l'argent. - Voilà, c'est-à-dire qu'en gros sur Twitter il y a les utilisateurs lambda, il y a ceux qui payent
08:46 pour avoir plus de visibilité et des contenus plus longs. Et donc qu'est-ce que ça fait ? Ça fait que les pires désinformateurs, les fabricants de fake news,
08:53 ceux qui nous posent un vrai problème dans le débat politique et public d'aujourd'hui,
08:56 et bien non seulement ils ont pu revenir sur Twitter mais ils ont pu acheter un petit badge et
09:01 diffuser de manière beaucoup plus importante leur contenu. Dans le même temps, les médias professionnels et les journalistes sérieux qui font du fact-checking,
09:08 et bien nous avons été déplatformés. Nous, on nous a enlevé notre petite
09:12 certification et donc nos contenus, et bien ne retrouvent pas du tout les audiences qu'ils avaient auparavant.
09:18 Je dis pas ça pour faire Calimero, je dis ça pour expliquer que quand on pense que sur Twitter le débat est équitable
09:24 entre ceux qui publient des contenus, et bien en fait il ne l'est pas. Il y a quelque chose qui s'appelle l'algorithme
09:30 qui va jouer là-dessus et qui va donner une prime
09:33 aux désinformateurs et, quelque part, à celui qui va crier le plus fort.
09:37 C'est pas exactement ça les règles de la démocratie. - Et en même temps j'imagine, Franck Méloul, que Twitter c'est aussi un outil
09:42 incontournable aujourd'hui pour vos journalistes. J'imagine qu'ils s'en servent au quotidien.
09:48 - Je partage tout à fait ce qui a été dit et moi je vois un doux problème. Ce qui me concerne c'est que quand je vois un journaliste
09:55 qui
09:57 essaye de créer son journal
09:59 en déroulant Twitter toute la journée, je m'inquiète.
10:02 Le message que je passe toujours à mes journalistes, c'est non pas de
10:06 redoubler de vigilance mais de tripler le checking quand ils ont une information sur Twitter, ce qu'ils font maintenant chez nous.
10:12 Deuxièmement, un autre problème que je vois sur Twitter, c'est que
10:16 quand vous traitez des questions du Proche-Orient,
10:19 tout de suite c'est passionnel et les commentaires qui sont souvent sous nos reportages
10:26 déversent une haine
10:30 imaginable. Je suis totalement en phase avec ce qu'a dit Thomas Huchon, c'est qu'il y a une problématique aujourd'hui sur ces réseaux
10:36 de dire n'importe quoi et n'importe comment.
10:40 Mais il est vrai que dans la façon
10:43 aujourd'hui de s'exprimer, même au niveau politique, les journalistes attendent des déclarations politiques
10:50 sous forme de tweets. Ça a pris la place de communiqués de presse. Donc ça a changé totalement
10:57 le mode de fonctionnement de la relation entre l'institution et le journaliste.
11:01 Je crois d'ailleurs que vous avez lancé une tribune cette semaine
11:04 Contre Twitter, non mais en tout cas on est un certain nombre de journalistes, de fact-checker, de spécialistes un peu de ces questions numériques,
11:12 à proposer pour l'anniversaire du rachat d'Elon Musk, donc le 27 octobre, un "No Twitter Day",
11:19 un jour dans lequel nous n'irons pas sur Twitter, nous ne twitterons pas,
11:22 pour dire aussi que si cette plateforme est une entreprise privée et qu'elle a bien le droit,
11:26 comme une entreprise privée, de faire ce qu'elle veut, elle doit malgré tout respecter les règles de nos démocraties.
11:31 Vous savez Twitter c'est pas seulement une plateforme, c'est aussi un lieu, on l'a rappelé, pour faire de la politique.
11:37 Donald Trump a quasiment gouverné l'Amérique depuis son compte Twitter pendant quatre ans et je crois que
11:42 parce que c'est devenu un outil
11:44 du dialogue dans nos démocraties,
11:48 cet outil ne peut pas s'exonérer complètement des règles de ces mêmes démocraties.
11:52 Et il y a un moment, il faudra que nous tapions du poing sur la table, j'ai l'impression que Thierry Breton
11:56 a commencé, le commissaire européen, en essayant de jouer le bras de fer. Il faut pas se tromper,
12:01 ces entreprises elles sont dans un rapport de force et donc tant qu'on ne joue pas le rapport de force, quelque part on pourra pas gagner.
12:07 - Merci beaucoup Thomas Huchon, on terminera là-dessus, journaliste spécialiste des réseaux sociaux. Merci aussi à Franck Méloul, en direct de Tel Aviv,
12:14 PDG d'E24 News et un salut également à tous vos journalistes. Merci d'avoir été avec nous ce matin.
12:21 - Merci beaucoup. - Culture Média, ça continue juste après les infos de 10h, Thomas.