Maître Frédéric Benoist, avocat de l’association La Voix de l’Enfant, le 9 février 2023 sur franceinfo.
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00:00 Présent en révélation de France Info dans l'affaire Joël Lescouarnet,
00:03 qu'on en parlait tout à l'heure dans le journal de 7h.
00:05 Cet ancien chirurgien est soupçonné d'abus sexuels et de viols sur plus de 300 enfants.
00:10 C'est l'une des affaires de pédo-criminalité les plus importantes de ces dernières décennies.
00:14 Et ce qu'on apprend aujourd'hui, c'est que des alertes avaient été données
00:17 plus de 10 ans avant son arrestation en 2017.
00:20 Alertes qui sont donc restées lettres mortes.
00:23 Bonjour Frédéric Benoît.
00:24 - Bonjour.
00:24 - Vous êtes l'avocat de l'association La Voix de l'Enfant, qui est partie civile dans cette affaire.
00:28 La première alerte intervient en 2005, 12 ans donc avant son arrestation,
00:33 quand le chirurgien est condamné pour détention d'image pédopornographique.
00:37 On apprend donc dans cette enquête qu'à l'époque,
00:39 la justice n'a pas transmis l'information ni à l'hôpital ni à l'ordre des médecins.
00:43 Joël Lescouarnet qui a donc pu continuer à exercer tranquillement
00:46 et même à être titularisé à l'hôpital.
00:49 Faut-il parler de négligence ou de défaillance ?
00:52 - De faillite.
00:53 - De faillite ?
00:53 - De faillite judiciaire.
00:54 De faillite de l'institution judiciaire et je remonte même plus avant,
00:59 la France a été informée par les autorités judiciaires américaines.
01:04 Il y a eu un signalement du docteur Lescouarnet en janvier 2004.
01:09 - 2004 sur quel fait ?
01:10 - C'est le FBI aux Etats-Unis qui enquêtait et qui avait constaté
01:15 que Joël Lescouarnet et d'autres personnes en France
01:19 allaient sur des sites pédopornographiques.
01:21 Ils alertent les autorités judiciaires françaises.
01:24 Joël Lescouarnet qui est entendu par la gendarmerie,
01:27 il reconnaît tout de suite les faits.
01:28 Il est ensuite renvoyé devant le tribunal correctionnel en août 2005
01:34 et il comparaît devant le tribunal correctionnel à l'été 2005.
01:37 - Et il est condamné pour ces faits.
01:38 - Et il est condamné à 4 mois de prison avec sursis.
01:40 - 4 mois de prison avec sursis, j'y reviendrai une demi-seconde.
01:42 Simplement, une observation.
01:44 Pendant ces 20 mois, entre janvier 2004, signalement,
01:48 et la décision de justice, enfin pardon, l'audiencement en août 2005,
01:54 il y a eu 29 victimes présumées.
01:56 Et peut-on imaginer un instant que l'autorité judiciaire aurait pu,
02:01 aurait dû évidemment, informer les autorités de santé
02:05 pour que l'on mette à l'écart Joël Lescouarnet ?
02:08 - Ça aurait dû être automatique.
02:09 - Ça aurait dû être automatique.
02:10 - Est-ce que ça l'est aujourd'hui ?
02:12 - Ça ne l'est absolument pas aujourd'hui.
02:13 C'est-à-dire que ces faits qui sont dévastateurs,
02:18 évidemment aujourd'hui, malheureusement,
02:20 ils pourraient encore se reproduire et se renouveler.
02:23 - Alors maître, cette condamnation, elle finit par remonter
02:25 jusqu'à la direction de l'hôpital, jusqu'au ministère de la Santé,
02:27 plusieurs mois plus tard.
02:29 L'information cette fois est prise au sérieux.
02:31 Mais ce que révèle là encore France Info,
02:32 c'est l'existence d'une note qui est d'ailleurs versée au dossier
02:35 et qui résume la position du ministère à l'époque.
02:37 Cette note, elle dit que le chirurgien n'aurait pas dû être titularisé,
02:41 mais qu'il est difficile de le sanctionner ou de le radier.
02:45 Comment vous expliquez cette position du ministère ?
02:48 - Alors j'explique la position du ministère de deux manières.
02:51 D'abord, cette frilosité, elle résulte peut-être du fait
02:54 que le conseil de l'ordre des médecins du Finistère,
02:59 en décembre 2006, avait à la quasi unanimité considéré
03:05 que la condamnation de Joël Lesquarneck en 2005
03:08 n'était pas contraire aux dispositions de l'article 3
03:11 du code de déontologie médicale.
03:12 Je le cite très rapidement.
03:13 "Le médecin doit en toute circonstance respecter les principes
03:16 de moralité, de probité et de dévouement indispensables."
03:19 - L'ordre des médecins a estimé que ça ne venait pas de l'Ontario ?
03:21 - Le conseil de l'ordre des médecins du Finistère,
03:23 séance plénière du 14 décembre 2006,
03:25 après que trois de ses membres ont entendu,
03:29 ont confronté Joël Lesquarneck,
03:32 18 voix pour considérer qu'il n'y avait pas infraction à cet article 3.
03:37 Zéro voix pour considérer qu'il y avait infraction à cet article 3.
03:41 Donc les autorités de santé étaient évidemment très embarrassées
03:45 parce que cette décision de non-poursuite
03:50 ne figurait pas dans le dossier de Joël Lesquarneck.
03:54 - Quand on vous entend, on se dit qu'il n'y a rien qui a fonctionné dans cette affaire ?
03:56 Ou pas grand-chose en tout cas ?
03:57 - Tout a dysfonctionné.
03:59 L'institution judiciaire, les autorités de santé.
04:02 Alors effectivement, cette note non datée,
04:04 mais on doit considérer qu'elle doit être de mars,
04:09 probablement, 2007.
04:12 - 10 ans avant l'arrestation ?
04:13 - 10 ans avant l'arrestation, absolument.
04:15 Et elle n'est pas signée.
04:17 On a quelques petites idées sur sa provenance.
04:22 - C'est-à-dire ?
04:23 - C'est évidemment dans les services de l'administration de santé.
04:28 Ce qui se passe, c'est que...
04:29 - C'est-à-dire que c'est dans le cabinet du ministre de l'époque ?
04:31 - Non, non, non, non, non, sans doute pas.
04:33 Mais bon, ça c'est justement l'instruction
04:36 qui devrait pouvoir permettre d'avancer sur ce point.
04:40 - Au vu de tous ces éléments, maître,
04:41 est-ce que vous allez aujourd'hui demander des éclaircissements, des explications ?
04:45 - Alors, au vu de tous ces événements,
04:48 on va même peut-être aller plus loin.
04:50 Nous réfléchissons, donc la Voix de l'Enfant réfléchit aujourd'hui à engager des actions.
04:56 Très clairement, on peut imaginer que les faits tels qu'ils sont,
05:01 tels que vous les avez rappelés, qui sont extrêmement graves.
05:05 Absolument pas de prévention, pas de mise en sécurité
05:07 de toute cette population d'enfants,
05:09 un nombre incalculable de victimes.
05:11 Il y a de toute évidence une non-assistance.
05:14 Il y a de toute évidence une mise en danger d'autrui
05:18 par ses négligences, par ses défaillances et par ses carences.
05:21 Et donc la Voix de l'Enfant réfléchit actuellement à engager des plaintes
05:25 et des actions pour dénoncer et faire sanctionner ces faits.
05:28 - Merci beaucoup Frédéric Benoît, avocat de la Voix de l'Enfant,
05:30 parti civil dans cette affaire.
05:32 Je précise que Joël Lescouarnec a déjà été condamné à 15 ans de réclusion
05:35 dans un autre volet de cette affaire
05:37 et qu'il est aujourd'hui en prison.
05:39 Merci à vous, Maître.