Viols, agressions, deuils insurmontables, accidents de la vie : dans "Trauma", anonymes et célébrités reviennent pour Yahoo sur un traumatisme qui a bouleversé leur vie.Violée par son entraîneur entre ses 15 et 17 ans, l’ex-championne de patinage artistique, Sarah Abitbol est sortie du silence en 2020 en publiant son livre "Un si long silence", un témoignage qui avait provoqué un véritable raz-de-marée médiatique. Pour Yahoo, la sportive de 47 ans a accepté de se livrer sur son histoire, mettant une nouvelle fois en lumière les coulisses d’un monde où règle l’omerta.Comme le rappelle le gouvernement sur son site Internet, la personne victime de violence ou d’agression sexuelle a tout intérêt à en parler à une personne de confiance, à un professionnel (médecin, assistante sociale, assistant social, avocate, avocat) ou à une association spécialisée. Et ce, que les faits soient anciens ou récents. Le 3919 est également à disposition pour les écouter et les guider.
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00:00 J'ai commencé à patiner à l'âge de 5 ans, c'était avec l'école.
00:03 C'était ou piscine ou patinoire et moi je n'avais pas envie de me mouiller, donc je suis allée au froid.
00:08 Et apparemment j'ai glissé vers le milieu de la piste, je ne m'en souviens pas,
00:12 mais ma maman était là puisqu'elle encadrait la classe.
00:15 Une monitrice est venue la voir en disant "Vous connaissez cette petite ?"
00:18 Je lui ai dit "Oui, c'est ma fille".
00:19 "Oh, elle a l'air douée, est-ce qu'elle aimerait patiner et rentrer dans le club à Nantes ?"
00:23 Et donc ma maman m'a posé la question et moi j'ai dit "Ah ouais, j'adore cet effet de glisse,
00:27 oui oui, je veux bien en faire, j'adore ça".
00:30 Ensuite, j'ai commencé à m'entraîner à 6h du matin avant l'école.
00:36 On allait s'entraîner une heure, ensuite on allait à l'école.
00:39 Le midi, je mangeais dans la voiture avec ma maman qui me préparait des thermos
00:43 et je refaisais une heure de patin.
00:45 Et parfois on y retournait le soir.
00:47 Donc à partir de l'âge de 5 ans, je m'entraînais déjà 4-5 heures par semaine.
00:50 Jusqu'à mes 8 ans où après je patinais de nouveau, mais 7-8 heures par semaine.
00:54 On a augmenté les heures d'entraînement.
00:57 Jusqu'à mes 12 ans où j'avais gagné toutes les compétitions départementales et régionales.
01:02 Et le président du club de Nantes a parlé avec mes parents en disant
01:07 "Une Sarah, il y en a une toutes les 30 ans, je pense que si elle veut réussir au haut niveau,
01:11 il faudrait sans doute qu'elle parte à Paris".
01:13 On avait la chance à Nantes d'avoir des grands entraîneurs qui viennent en stage.
01:17 Et je croise Mistero, qui deviendra malheureusement mon agresseur.
01:22 Mistero, grand entraîneur parisien, qui vient entraîner
01:26 toutes les jeunes filles et les jeunes garçons du club de Nantes.
01:30 Et là, effectivement, il me repère, mes parents lui parlent et lui disent
01:35 "Est-ce que vous pensez qu'en venant à Paris, elle pourrait réussir une carrière ?"
01:40 Puisque le président du club avait dit "Là, on est arrivé au top,
01:44 et il va falloir prendre d'autres décisions".
01:46 Et donc en discutant avec mes parents, il dit "Il n'y a pas de problème si l'école accepte.
01:51 Nous, on l'accepte évidemment dans notre club, puisqu'elle peut,
01:56 elle a tout à fait le talent et les capacités pour réussir
01:59 et rentrer en équipe de France, et pourquoi pas participer à des grands championnats".
02:04 J'arrive à Paris, j'ai 12 ans. Je rentre en 6e à l'école des enfants du spectacle,
02:10 qui accepte que je fasse partie du groupe pour que je puisse m'entraîner 5 heures par jour
02:20 et ensuite aller à l'école l'après-midi.
02:22 Et donc mes parents décident d'emménager dans un appartement pas loin de la patinoire,
02:27 et mon père fera des allers-retours entre Nantes et Paris, parce qu'il travaille à Nantes.
02:32 Et ils décident de me suivre et de ne pas me lâcher,
02:35 puisque pour eux la carrière de leur fille est très importante,
02:38 mais l'aspect familial et le cocon familial fait partie de la réussite d'un sportif.
02:43 Donc ils font le nécessaire pour déménager et me suivre évidemment à Paris.
02:48 Mistero, pendant toutes ces années, il est présent sur la glace,
02:52 il est présent pour des cours de technique de saut, de pirouette,
02:56 mais il est aussi présent au sein du club, puisque c'est lui qui manage tout le club.
03:01 Donc il est aussi au bureau beaucoup à faire les plannings,
03:04 et puis il gère toute cette patinoire et tout le club.
03:08 Depuis le début, notre relation est normale, entraîneur-entraîné.
03:13 Juste un petit peu peur effectivement lorsqu'il vient sur la glace,
03:18 parce que c'est un entraîneur qui est assez nerveux et qui a une voix qui porte.
03:22 Ce n'est pas du tout mon entraîneur préféré, on a trois ou quatre coachs qui tournent dans ce club.
03:27 Et il est vrai que moi j'avais une préférence pour un autre entraîneur,
03:31 pour ne pas le nommer, qui s'appelle Jean-Christophe Simon,
03:34 et qui était vice-champion d'Europe et du monde,
03:36 et qui nous montrait une technique incroyable avec ses patins,
03:40 qui était d'une grande efficacité à la fois psychologique et technique,
03:43 et je m'entendais beaucoup mieux avec lui.
03:45 Mais malheureusement, à 15 ans, tout bascule.
03:49 Lorsque je suis en stage d'été à la Roche-sur-Yon,
03:54 mes parents m'ont laissé en stage pour un mois et demi, deux mois.
03:58 Les stages sont très importants, parce qu'ils véhiculent une certaine condition physique
04:03 pour la suite des compétitions, puisqu'on s'entraîne dix heures par jour.
04:06 Et on est dans des box, Mistero fait visiter évidemment les box,
04:13 en disant voilà, il y a un étage fille, un étage garçon,
04:16 donc mes parents sont en confiance.
04:18 Des box individuels, pas complètement fermés, avec des petits murets,
04:22 où on est trois, quatre par ligne en fait.
04:26 Moi je suis la plus au fond, par contre sur la gauche.
04:29 Mes parents me laissent, et puis moi voilà, j'ai mes petites peluches,
04:33 je dors et puis je m'entraîne dix, douze heures par jour.
04:37 Voilà, c'est trois, quatre heures de glace, une heure de préparation physique,
04:40 une heure de piscine, une heure de chorégraphie au sol,
04:43 une heure d'étirement, c'est vraiment un entraînement draconien.
04:48 Jusqu'au jour où mon agresseur Mistero, mon entraîneur,
04:52 vient dans mon box avec la lampe torche, me réveille,
04:58 doit être minuit, une heure du matin.
05:01 Il fait la ronde en fait pour vérifier si les garçons ne sont pas à l'étage des filles.
05:06 Sauf que moi ça me réveille et je me demande ce qu'il fait là, dans ma chambre.
05:14 Je me dis bon ben c'est peut-être parce qu'il veut que je dorme.
05:17 Il m'avait déjà réveillée plusieurs fois avec sa lampe torche,
05:20 mais je m'étais rendormie, je ne l'avais pas regardée.
05:24 Et là il s'assoit sur mon lit et il commence à me parler,
05:28 jusqu'au moment où il commence à m'embrasser et passer la main sous les draps.
05:34 Dans ma tête je ne comprends pas ce qui arrive.
05:39 Je me demande si je ne suis pas en train de rêver.
05:43 Le cerveau se déconnecte et je subis.
05:49 Je ne pense pas crier un seul instant,
05:53 parce que ça se passe en douceur.
05:57 Il est assez intelligent pour faire les choses de cette façon-là.
06:03 Je suis tellement honteuse, gênée.
06:07 Je me dis mais qu'est-ce qui se passe ?
06:09 Il est vieux, il n'a pas le droit, il est marié, c'est mon entraîneur.
06:14 Je viens à peine d'avoir 15 ans et je ne fais rien.
06:18 Je me sens honteuse de ce qui arrive parce que je sais qu'il n'a pas le droit.
06:25 Il n'a pas le droit et moi je ne peux pas crier, je ne peux pas parler, je ne peux rien faire, je suis sidérée.
06:31 Il va recommencer.
06:33 Dès qu'il en a l'envie, le choix, en tout cas dans ce stage,
06:40 c'était assez facile de venir de nouveau me réveiller.
06:45 Et ça s'est produit à plusieurs reprises.
06:49 Je ressors de ce stage très fatiguée,
06:54 parce qu'il m'arrive de dormir simplement 3-4 heures par nuit, même pas.
06:59 Il faut assumer 10 heures d'entraînement par jour.
07:04 Je me sens mal, je me sens sale, mais je me dis je retourne à Paris et ça ne va plus arriver.
07:11 En arrivant à Paris, il appelle ma mère et lui dit
07:18 "Ecoutez, elle ne s'est pas bien entraînée, je vais la garder un peu plus à l'entraînement.
07:23 Et ne vous inquiétez pas, je la déposerai."
07:25 Parce qu'il n'habitait pas loin de chez moi.
07:28 Malheureusement, ce que je ne voulais pas qu'il arrive, c'est de nouveaux produits.
07:34 Notamment dans des parkings, dans la voiture, etc.
07:38 C'est pour ça que j'ai mis beaucoup de temps à aller dans des parkings.
07:45 Ça reste dans le cerveau malheureusement très longtemps, toutes ces choses-là.
07:49 Mais ça s'est de nouveaux produits à quelques reprises,
07:53 jusqu'au jour où j'ai rencontré mon partenaire Stéphane Bernazis,
07:57 et que j'ai fait du couple artistique, où là mon agresseur a eu peur,
08:00 je pense de ce grand gaillard de 18 ans, qui était tout le temps avec moi,
08:04 parce que moi je demandais à Stéphane de rester avec moi en permanence,
08:08 de venir me chercher, de me raccompagner, de faire le souterrain avec moi,
08:11 parce qu'il y avait un souterrain avant d'aller à la patinoire.
08:13 Et il ne m'a plus jamais approché dès que j'ai commencé le couple artistique.
08:17 Stéphane n'a pas su.
08:19 Je lui avais appris des années après.
08:22 Personne n'a su.
08:24 J'ai eu un premier élément déclencheur avec mon fiancé de l'époque,
08:31 lorsque j'avais 27 ans.
08:33 Il me trouvait triste, il me trouvait le regard parfois perdu.
08:37 J'étais applaudie encore une fois dans des spectacles avec 3, 4, 5 000 personnes par jour,
08:45 trois fois par jour, et j'étais triste.
08:47 Alors que normalement, la fin d'une carrière, c'est l'apothéose de faire de très beaux spectacles,
08:53 et tu ne penses qu'au public et qu'à tes numéros.
08:56 Et un jour on était allongés dans la chambre, on discutait un petit peu,
09:01 et puis je ne sais pas, il a fait un geste sur moi et j'ai sursauté apparemment.
09:06 Et là, il m'a dit "Sarah, il s'est passé quelque chose dans ton enfance,
09:13 et je veux que tu me parles".
09:16 Il a senti quelque chose, et là j'ai revu mon agresseur sur le lit,
09:21 et j'ai revu ce qu'il a fait par flash, parce que tout n'est pas revenu d'un coup,
09:27 mais en tout cas je l'ai revu assis sur mon lit, dans mon box, comme si c'était hier.
09:33 Et là j'ai une bombe atomique qui a explosé en moi.
09:37 C'était terrible d'avoir ça dans son corps, dans son esprit,
09:43 et je suis partie vomir.
09:46 J'ai beaucoup pleuré, j'ai revomi, lui aussi a été malade,
09:50 et il m'a dit "il faut que tu parles à tes parents".
09:53 Le lendemain, j'ai très peu dormi, mais j'ai dû en parler à ma maman.
09:57 C'était très difficile, donc je lui ai expliqué à demi-mot
10:00 que mon premier amoureux n'était pas mon partenaire sur glace,
10:04 mais que le fameux entraîneur, et j'ai pas prononcé son nom,
10:09 c'est ma mère qui a prononcé le nom, elle m'a dit "non, c'est pas possible".
10:14 C'était terrible pour une maman d'apprendre quelque chose comme ça,
10:20 parce qu'elle avait une grande confiance en lui,
10:23 et il était assez malin pour dîner à la maison et mettre les parents dans la poche.
10:27 C'était compliqué, mais j'ai pas pu en parler à mon père,
10:30 c'est ma mère qui en a parlé à mon père,
10:32 et j'ai jamais pu prononcer le mot "viol" jusqu'à il y a 3 ans.
10:36 Il y a 3 ans, j'avais vu le film "La Consolation" sur l'histoire de Flavie Flamand,
10:42 et j'ai revu mon agresseur.
10:44 Je me suis vue dans ce film, et je me suis dit "Sarah, faut que tu parles,
10:48 ton agresseur il est toujours en place, il est toujours à la patinoire,
10:51 et il continue sans doute".
10:54 Et je me sentais complice de silence,
10:57 "si tu parles pas, il continue", sur des adolescentes, des enfants.
11:03 Et là j'ai appelé beaucoup mon ami Bruno Solo,
11:09 qui est ambassadeur à la voix de l'enfant,
11:12 et Bruno m'a dit "Sarah, faut que tu parles, on est en 2020 maintenant,
11:17 les choses ont évolué, et tu ne t'iras jamais bien si tu ne parles pas".
11:21 J'en ai beaucoup parlé aussi à ma psychologue Myriam Salmi,
11:24 qui m'a dit "si tu ne poses pas les mots, effectivement tu ne t'en sortiras pas".
11:28 Et j'étais dans l'anti-vie, j'étais malheureuse, j'étais triste,
11:31 il y avait plein de choses que je ne pouvais pas faire,
11:33 les centres commerciaux, les voyages, j'étais vraiment très limitée.
11:36 Et j'ai décidé de parler, de rentrer en contact avec Emmanuel et Anison, ma co-auteure,
11:42 grâce à Bruno et grâce à Flavie.
11:45 C'est toute une chaîne qui s'est enchaînée, ça s'est très bien enchaîné,
11:49 les planètes se sont alignées.
11:51 On a commencé une enquête avec Emmanuel et Anison pour rechercher des victimes du même agresseur,
11:57 mais à chaque fois malheureusement ça nous disait "ça fait 30 ans, c'est bon, lâche-moi,
12:03 je n'ai plus envie que tu m'appelles".
12:05 Ce n'était que des réponses négatives, alors qu'on savait que ça s'était passé.
12:09 J'écrivais déjà des cauchemars que j'avais la nuit,
12:13 je les écrivais sur un bout de papier.
12:15 Donc j'ai dit à Emmanuel "pourquoi est-ce qu'on n'écrirait pas un livre du coup, pourquoi pas ?"
12:21 Et on a commencé comme ça.
12:23 Elle m'a présenté un éditeur, Clarisse Cohen, j'ai travaillé avec Plon,
12:28 et ça s'est fait, toutes les planètes se sont alignées pour que je puisse parler.
12:33 Ça a été compliqué et difficile avec Emmanuel pour lui expliquer ce qui s'était vraiment passé.
12:40 J'ai eu vraiment du mal à dire ce mot "viol", mais j'ai réussi à le dire pour la première fois à elle,
12:46 et à lui expliquer ce qui s'était passé.
12:49 Ça a été pour moi très dur, mais je pense que ça a été à la fois quelque chose de positif,
12:59 parce qu'il faut faire de ce malheur une force.
13:03 Quand je vois le résultat aujourd'hui avec 50 fédérations qui ont été touchées,
13:07 sans cas avéré, je me dis "et bien, heureusement que j'ai parlé".
13:11 Le fait d'avoir libéré cette parole, déjà je me sens à 70% guérie, ce qui est fantastique.
13:18 Je peux aller dans un centre commercial avec ma fille,
13:21 je suis restée trois heures au moment de Noël,
13:23 j'ai pu déjeuner dans un centre commercial, ce qui m'était impossible.
13:27 Je vais dans des restaurants que je ne connais pas, je peux y aller.
13:30 Je ne cherche pas la sortie pour respirer, par exemple, j'ai diminué les antidépresseurs.
13:35 J'étais une petite fleur fanée qui commence à refleurir,
13:38 donc c'est fantastique déjà pour moi-même, mais aussi pour tout ce que j'ai fait pour les autres,
13:43 puisque beaucoup d'athlètes ont appelé le ministère après moi pour dévoiler les faits qu'ils ont subis.
13:50 Aujourd'hui, une cellule de crise est en place au sein du ministère,
13:54 et depuis trois ans maintenant, grâce à ma libération de la parole,
13:58 ou je dirais plutôt à la libération de l'écoute.
14:01 Je pense qu'on a tous une mission sur Terre,
14:03 et moi ma mission, c'était peut-être malheureusement de subir ce que j'ai subi,
14:07 mais pour en ressortir plus forte et pour aider les autres à ne plus subir ce que j'ai subi.
14:12 Ça a eu une incidence sur la championne que je suis,
14:14 parce que je pense que j'aurais pu être championne du monde en solo,
14:19 et non pas en couple artistique.
14:21 Après, j'ai eu la chance de rencontrer Stéphane Bernadis,
14:24 et d'avoir eu cette belle carrière que j'ai eue avec dix titres de championne de France,
14:28 sept médailles aux championnats d'Europe, puis championne du monde.
14:31 C'est extraordinaire, mais je pense que je suis peut-être passée à côté,
14:34 effectivement, d'une excellente carrière soliste.
14:37 Maintenant, je ne regrette rien.
14:38 J'adore le couple artistique, j'adore voler en l'air, j'adore les porter.
14:42 Et voilà.
14:44 Ma fille a onze ans, onze ans et demi.
14:47 Ça a été très difficile pour moi de lui parler de ce que j'ai vécu.
14:52 J'ai mis deux ans avant de lui parler, et de révéler ce qui m'était arrivé.
14:55 Deux ans dans le sens où à chaque fois, je me disais,
14:57 « Allez, aujourd'hui, on fait une petite promenade avec le chien autour de la maison,
15:01 et je lui parle. »
15:02 Impossible.
15:04 Une semaine après, impossible.
15:07 J'ai mis deux ans, et un jour, j'ai dit, « Non, ça y est, là, il faut que je lui parle. »
15:10 J'ai même appelé Emmanuelle Anison, dont je suis très proche maintenant,
15:14 et elle m'a dit, « Ecoute, vas-y, là, je suis sûre que t'es capable. Vas-y, bon. »
15:17 Et j'ai réussi enfin à lui parler, évidemment avec des mots d'enfant.
15:20 Elle avait neuf ans lorsque je lui ai parlé,
15:22 et je lui ai dit qu'un entraîneur m'avait fait du mal lorsque j'étais en stage.
15:27 J'étais partie en stage d'été, avec plein de petites filles et de petits garçons,
15:32 pour m'entraîner dix heures par jour, pour atteindre mon rêve olympique,
15:37 et que cet entraîneur s'est assis sur mon lit, et qu'il a touché à mon corps,
15:40 et qu'il n'avait pas le droit de toucher à mon corps.
15:42 Et je lui ai dit, « Tu sais, tes parties intimes, c'est tes petits trésors,
15:46 et on ne doit pas toucher à tes petits trésors. »
15:48 Et la première chose qu'elle m'a dit, c'est « Mais papa et maman, ils n'étaient pas là. »
15:53 C'est-à-dire, mes parents n'étaient pas là.
15:54 Donc, c'est la première réflexion qu'elle a eue, c'est « C'est arrivé, mais tes parents n'étaient pas là. »
15:58 Et je lui ai dit, « Ben non, parce qu'en stage, que ce soit dans un stage sportif d'été,
16:03 les parents n'accompagnent pas.
16:06 Tu as des moniteurs, tu as des surveillants, tes entraîneurs, mais ils n'étaient pas là. »
16:12 Voilà, après, elle n'a pas encore lu le livre,
16:14 elle n'a pas encore regardé le documentaire,
16:16 et elle le fera quand elle sera un petit peu plus grande,
16:18 parce que je la trouve un peu trop jeune quand même pour regarder le documentaire.
16:23 Elle ne me pose pas de questions,
16:24 elle a compris pourquoi j'étais plus en France qu'aux États-Unis,
16:27 parce que je partage ma vie entre les États-Unis et la France,
16:30 et elle a compris que c'est parce que j'avais écrit un livre,
16:34 et parce que je voulais continuer la prévention,
16:39 sensibiliser et aider les enfants et la future génération pour ne plus que ça arrive.
16:45 Je sais que j'ai monté mon association et que je veux vraiment aider,
16:49 et que je veux que ce qui m'est arrivé soit une force et non pas un malheur,
16:55 et quelque chose de négatif.
16:57 Mais elle l'a compris, après, je pense qu'elle me demandera évidemment plus de choses
17:03 au fur et à mesure qu'elle grandit, et je lui expliquerai, bien sûr.
17:07 Mistero est décédée il y a quelques temps, quelques jours.
17:12 J'étais en répétition générale à Vienne.
17:14 Ma première réaction a été « il n'y aura pas de procès pour toutes les victimes ».
17:19 C'est-à-dire que je pense à toutes les victimes, pas seulement à moi,
17:22 puisqu'on est plusieurs victimes du même agresseur.
17:25 Donc c'est ça surtout qui m'est venu en premier.
17:28 Après, on met tellement de temps à parler et à sortir de silence,
17:32 que ça m'a déjà pris 30 ans.
17:34 La justice est aussi très très longue, puisque ça fait trois ans
17:38 qu'un juge d'instruction est sur l'affaire et qu'on n'avait absolument aucune nouvelle.
17:42 La justice est trop longue.
17:44 Et je me dis, Dieu en a décidé ainsi.
17:49 Continuons avec mon association La Voix de Sarah à lutter,
17:55 à protéger nos enfants, à sensibiliser, à faire de la prévention,
18:00 et aussi à essayer de se battre pour la loi contre l'imprescriptibilité
18:05 des crimes sexuels sur mineurs.
18:06 Donc je remets en fait toute ma force et mon espoir dans mon association
18:10 et je reste positive aussi, parce qu'il faut.
18:14 Le fait qu'il ne soit plus là, j'ai plein de choses qui sont revenues dans ma tête.
18:18 Des compétitions que j'avais faites avec lui, des agressions.
18:22 J'ai refait un cauchemar aussi.
18:25 Un cauchemar où je disais à des anciens dans le club, il est mort.
18:33 Et d'un coup, il est arrivé sur la gauche.
18:37 Et je regarde et je dis, mais il n'est pas mort.
18:40 Et ça m'a réveillée.
18:42 J'étais en pleine répétition, donc le cœur s'est accéléré,
18:45 j'ai allumé toutes les lumières et j'ai vérifié sur mon téléphone
18:49 si j'avais rêvé ou pas.
18:52 Et j'ai bien vérifié qu'il était décédé.
18:55 Je me suis rendormie.
18:58 Et voilà, c'est plein d'émotions.
19:01 Plein d'émotions différentes.
19:04 J'essaie vraiment de me recentrer sur mon association.
19:09 Sur mes entraînements et sur les deux numéros inédits
19:15 que je prépare sur la glace.
19:17 Pour moi, c'est une renaissance de pouvoir repatiner
19:20 face à mon public et d'être enfin la vraie Sarah
19:23 qui va se dévoiler devant son public.
19:25 La vraie Sarah, c'est la Sarah flamboyante,
19:28 qui est heureuse, qui a le sourire, qui est rigolote,
19:31 qui se fout en train et qui dévore la vie petit à petit.
19:35 Parce que ce n'est pas encore 100%, mais qui a envie de la dévorer.
19:39 En tout cas, ça c'est sûr à 100%.
19:41 Et je ferai tout.
19:43 Je ferai en sorte que j'aille vraiment bien un jour, totalement bien.
19:47 Il y a beaucoup de solidarité féminine qui m'a entourée,
19:51 notamment avec des personnes connues comme des personnes inconnues.
19:56 Flavie Flamand, Andrea Bescon, toutes ces femmes à qui c'est arrivé.
20:00 Isabelle de Mongeau aussi, qui a parlé il y a maintenant plus de 15 ans,
20:06 en premier, qui n'a pas été malheureusement entendue.
20:09 Au départ, on ne l'a pas crue.
20:11 Donc, il y a eu une solidarité aussi entre victimes
20:14 de personnes non connues qui font partie d'associations,
20:17 qui me demandaient de venir parler et qui me disaient
20:20 « T'es un rock, t'es forte, tu le fais pour nous, bravo ! »
20:23 Donc oui, j'ai senti une certaine solidarité.
20:26 Et des garçons aussi, parce que ça n'arrive pas qu'aux femmes.
20:29 J'ai eu aussi beaucoup d'hommes qui sont venus vers moi
20:32 en me disant « Moi, ça m'est arrivé aussi.
20:35 Bravo pour ton parcours, bravo pour ton courage, bravo de parler,
20:38 parce que grâce à toi, on se rend compte qu'il faut briser le silence pour aller mieux. »
20:43 Disons que dans le patinage artistique, ce n'était pas facile.
20:47 Je pense que certaines personnes ont vu ça comme salir mon sport,
20:53 alors que pour moi, il fallait parler, il fallait briser le silence
20:58 pour avancer, pour moi, mais aussi pour les autres.
21:02 Et je ne voulais pas salir mon sport parce que je l'aime,
21:05 parce que je suis passionnée, parce que j'ai 47 ans aujourd'hui,
21:08 que je patine encore et que je vais patiner devant le public,
21:10 que j'entraîne aussi les enfants, les adolescents, tous les niveaux,
21:14 et que j'aime vraiment mon sport par-dessus tout.
21:16 Après oui, t'as toujours la double peine.
21:18 C'est sûr que ce n'est pas facile pour une fédération, je pense,
21:21 d'assumer quelque chose d'aussi grave.
21:24 Donc parfois, il vaut mieux ne pas trop en parler
21:27 et passer à autre chose.
21:29 Je trouve ça vraiment dommage.
21:32 En tout cas, moi, je me bats, je me bats avec toutes les institutions sportives
21:38 et je me bats pour que ma parole soit encore entendue dans des conférences.
21:41 Et quand j'ai la double peine parce qu'une patinoire ne veut pas accepter
21:45 que je vienne m'entraîner avec des athlètes ou des artistes,
21:48 eh bien, ce n'est pas grave.
21:50 Une porte se ferme, mais moi, j'en ouvre une autre
21:52 parce que j'ai du caractère et quand je veux quelque chose, je l'obtiens.
21:56 Donc voilà, je vais là où le vent m'emmène
21:59 et je ne vais pas pleurer pour travailler avec les gens.
22:02 S'ils veulent travailler avec moi, je suis ouverte et prête, en tout cas, à travailler.
22:08 L'exposition de la Voix de Sarah a été produite il y a quelques mois
22:11 avec Tom Bartovitch et Julie Mourgue.
22:14 On a voulu que cette exposition soit artistique, touchante
22:21 et qu'elle puisse atteindre tous les publics.
22:25 On peut être une mamie, on peut être un homme de 20 ans,
22:29 un petit garçon de 8 ans, une petite fille de 12 ans.
22:32 On voulait qu'il y ait un accès vraiment général et universel
22:37 parce qu'elle va être aussi en anglais pour s'étendre aux États-Unis.
22:41 J'ai déjà des contacts d'ailleurs à Miami pour aller dans les écoles.
22:45 Et ce qu'on voulait, c'est qu'avec une photo,
22:47 on comprenne que la honte doit changer de camp.
22:52 C'est une lecture narrative qui démarre de la honte jusqu'à la libération de la parole.
22:57 La dernière photo, c'est moi avec tous mes trophées et mes médailles
23:01 et qui dit « Ma plus belle victoire, c'est d'avoir parlé ».
23:05 Donc voilà, elle s'adresse à un public très large,
23:07 elle est très touchante, très poignante.
23:10 Ma fille, par exemple, l'a vue au ministère récemment
23:13 puisqu'elle a été exposée pour la première fois au ministère des Sports
23:16 puisqu'on la ministre des Sports m'a remis la médaille de chevalier de l'ordre du mérite.
23:22 Grande distinction française et c'était très, très émouvant.
23:26 Et voilà, ma fille était là, donc j'ai demandé ce qu'elle pensait de cette exposition
23:29 parce que pour moi, c'est important de savoir ce qu'une gamine de 11-12 ans pense.
23:33 Et sur une des photos qu'il a marquées, c'est un entraîneur
23:37 avec un requin sur le haut du bras qui tend le bras
23:40 avec une petite fille sur le rebord de l'eau dans une piscine.
23:45 Et c'est marqué "les requins ne sont pas que dans la mer".
23:48 Et j'ai demandé à ma fille "que penses-tu de cette photo
23:51 puisque c'est ta photo, toi, que tu as préférée".
23:53 Elle a préféré la mienne aussi, ça faut le dire.
23:55 Elle m'a dit "non mais maman, j'aime bien la dernière, c'est quand même toi".
23:58 Et elle m'a dit "ben ça veut dire que, en fait, maman, il y a des méchants partout,
24:01 il n'y a pas que dans l'eau ou que le professeur là".
24:05 Donc voilà, elle s'adresse à tout public et elle est vraiment...
24:09 Il fallait, je pense, déployer quelque chose d'original et de nouveau pour sensibiliser.
24:14 Et elle va être notamment au Palais des Sports, présente sous roll-up.
24:19 Et elle sera aussi à l'INSEP à partir du 14 février.
24:22 Et puis j'espère qu'elle sera mondialement connue
24:25 parce qu'on espère qu'elle soit présente aux Jeux Olympiques à Paris
24:27 et aussi dans le monde entier puisque je vais commencer des conférences aux Etats-Unis
24:31 à partir du mois de mai, parce que je m'ennuie un petit peu avec les 92 spectacles.
24:34 Le spectacle que je prépare avec Olyder Hannaïs, c'est assez exceptionnel
24:38 puisque c'est la première fois qu'Olyder Hannaïs permet à un metteur en scène
24:43 ou à une patineuse de monter son numéro et d'utiliser "les patineurs" d'Olyder Hannaïs
24:49 et de leur montrer ce qu'ils doivent faire.
24:51 Et ils soutiennent le combat, mon combat, contre les violences faites aux enfants.
24:57 Ils m'ont fait vraiment une grande confiance pour monter ces deux numéros,
25:00 qui sont deux numéros inédits.
25:02 Dans la première partie, le titre c'est "L'enfant de la glace".
25:05 C'est moi qui ai donné ce titre là, où j'arrive flamboyante, patineuse de 15 ans.
25:11 Et à un moment donné, la musique commence à se fermer, c'est mystérieux.
25:14 On se demande ce qui va se passer. J'ai ma pluge dans les mains, mes fleurs.
25:18 Et là, je suis entourée de 15 patineurs avec des élastiques.
25:22 Et je vais me retrouver dans ces élastiques à expliquer mon histoire avec mon corps.
25:28 Donc comme mon corps a parlé en premier, mon corps va parler aujourd'hui, à 47 ans,
25:34 de ce que j'ai vécu et de ce si long silence, ces 30 ans de silence.
25:38 Et je vais finir à terre ou pas. Il y a certaines surprises.
25:44 En deuxième partie, j'ai appelé ça "Le Phénix".
25:47 Et c'est une chanson de Lara Fabian, "Relève-toi",
25:52 pour montrer qu'on peut se relever, qu'on peut se sentir bien
25:55 et surtout montrer ma renaissance sur la glace face au public.
25:59 Ça va être des numéros très émouvants, très puissants.
26:02 C'est un entraînement acharné de deux ans, deux ans d'entraînement à fond.
26:06 Du vélo, des abdos, des tours de pistes avec la musique de Rocky, pour se motiver.
26:13 Des moments de larmes aussi où tu te dis "Mais je ne vais pas y arriver, c'est trop dur.
26:17 Pourquoi j'ai fait ça ? Pourquoi j'ai mis la barre haute ?"
26:20 Mais j'aime bien me surpasser, j'aime bien me dépasser.
26:22 Je pense que c'était important pour moi et pour les autres.
26:25 C'est une thérapie pour moi.
26:28 Et de sensibiliser aussi pour le public, de protéger nos enfants à travers un spectacle sur glace.
26:36 Ça, c'est jamais vu, c'est la première fois.
26:38 Et donc, on a plusieurs supports.
26:41 L'exposition "La voix de Sarah", "Cris d'alerte", le nom de cette exposition.
26:44 On a "Ce message d'espoir sur la glace" avec deux numéros inédits.
26:48 Et le documentaire "Silence, silence" qui est passé notamment à la télévision au mois de mai,
26:53 qui a une audience assez extraordinaire.
26:55 [Sous-titres réalisés par la communauté d'Amara.org]