Rémy Nollet, officier de gendarmerie : "J’ai croisé son regard, il venait de décéder. C'était une situation révoltante"

  • l’année dernière
Officier de gendarmerie depuis maintenant 17 ans, Rémy Nollet a souhaité témoigner de son quotidien et de la réalité de son métier. Un partage d’expériences sur lequel il se livre dans son ouvrage "Face à la mort", publié en janvier 2023 aux Éditions du Rocher. Pour Yahoo, ce père de famille est revenu sur sa vision de la confrontation à la mort, un thème qui lui semblait essentiel à la compréhension de sa profession.Pour rappel, la mission principale d’un gendarme est d’assurer la défense du pays et la sûreté publique (sécurité des biens et des personnes, sécurité routière, etc.) sur l'ensemble du territoire. Aujourd’hui, l’effectif total de la gendarmerie est de 98 155 personnels militaires (officiers, sous-officiers et volontaires) et civils (fonctionnaires et ouvriers d’État).

Category

🗞
News
Transcription
00:00 on a tous envie de pouvoir dire à la famille "on l'a retrouvé, il est vivant"
00:03 et c'est presque un risque parce qu'on a tendance parfois à refaire le film et se dire "et si, et si, et si, peut-être qu'on aurait pu le sauver"
00:10 mais avec trois "si" et un "peut-être", forcément on peut le sauver.
00:14 Je suis officier de gendarmerie depuis maintenant 17 ans.
00:20 J'ai voulu témoigner de la réalité de la confrontation à la mort que vivent les gendarmes
00:24 parce que cette confrontation à la mort pour moi, elle est à la fois méconnue et quotidienne.
00:29 Elle est méconnue parce qu'on imagine évidemment des scènes violentes, des choses pas forcément agréables à voir,
00:35 ça fait partie du métier, mais c'est pas non plus la réalité qui m'a le plus marqué.
00:40 Moi ce qui m'a le plus marqué, ce sont les scènes où par exemple lorsqu'on annonce un décès
00:45 et où on est confronté à la douleur des proches. Et ça, ça fait partie aussi de la confrontation à la mort.
00:49 Aujourd'hui mon rapport à la mort, il a un petit peu évolué parce qu'effectivement,
00:53 il y a une certaine appréhension quand on débute, et on se souvient tous de nos premières confrontations à la mort,
00:58 notamment du premier cadavre, la première autopie, c'est quelque chose qui marque assez fortement.
01:03 Quand on pratique et qu'on voit malheureusement des cadavres et des corps parfois abîmés au fil des années,
01:12 c'est quelque chose qui marque moins, c'est-à-dire qu'on a plus cette appréhension.
01:15 Évidemment on a une pensée pour cette personne qui est décédée quand on se retrouve face à elle,
01:19 et puis on a une pensée pour ses proches, et surtout, dans certaines circonstances,
01:25 on se rend compte qu'on est plus vulnérable et qu'on prend une charge émotionnelle plus intense,
01:28 notamment quand on est face à un jeune enfant, ou quand on, je me souviens d'un suicide d'un adolescent qui avait à peine 20 ans,
01:37 qu'on ne comprenait pas. Et quand on se projette, quand on projette sa situation personnelle vers la personne décédée,
01:47 eh bien là on est plus vulnérable.
01:48 Moi ce que j'ai envie de dire, c'est que le gendarme il est soumis à deux paradoxes.
01:53 Le premier paradoxe, c'est le paradoxe de l'empathie.
01:56 C'est que quand on annonce des décès, quand on est face aux familles endeuillées,
02:00 eh bien on a le devoir d'être dans la compassion, dans l'accompagnement,
02:03 donc de recevoir toutes les émotions de ces personnes.
02:06 Et quand on fait ça, forcément on est plus vulnérable.
02:09 Et c'est là qu'intervient le deuxième paradoxe.
02:11 Le deuxième paradoxe, c'est le paradoxe de la robustesse.
02:14 Nous, militaires, officiers, gendarmes, on est tous nécessairement dans une certaine culture de la robustesse,
02:23 de la force physique. On s'entraîne pour ça et c'est normal, on en a besoin.
02:27 Mais plus on est robuste, plus on cultive cette image de robustesse,
02:31 plus c'est difficilement naturel de faire sortir ces émotions auprès de ses collègues et de ses camarades.
02:37 Et donc le message que je passe en interne, c'est que nous avons besoin, collectivement,
02:42 d'apprendre à débriefer nos opérations, d'apprendre à exprimer nos omissions,
02:46 et qu'on n'a pas de honte à avoir.
02:48 On a un superbe dispositif d'accompagnement psychologique qui a beaucoup évolué,
02:52 qui s'est beaucoup renforcé depuis que je suis rentré en gendarmerie.
02:56 Mais ce dispositif d'assistance psychologique, il va être surtout dans une démarche personnelle,
03:00 individuelle, et d'ailleurs anonyme, ou alors dans une démarche collective
03:04 sur les événements les plus graves.
03:06 Mais je pense que pour les événements du quotidien, il faut aussi, collectivement,
03:10 entre camarades, apprendre à faire sortir toutes les émotions qu'on a en magazine.
03:14 Au cours de mes sept années de commandement, il m'est arrivé une fois de faire appel
03:18 au dispositif national d'assistance psychologique suite à un événement grave.
03:22 Et puis il m'est arrivé assez régulièrement de venir au contact de gendarmes
03:27 qui avaient vécu une situation difficile.
03:29 Alors j'étais leur chef, donc il y avait une certaine distance,
03:32 donc évidemment ils ne me tombaient pas dans les bras.
03:34 Mais c'est arrivé qu'on aille boire un coup ensemble, qu'on se prenne un café,
03:38 qu'on boive une bière.
03:40 C'est arrivé aussi que des gendarmes pleurent dans mon bureau.
03:42 Et ça fait partie d'un des chapitres du livre où je raconte une histoire
03:46 où on n'a pas pu sauver une personne.
03:48 Et non seulement on n'a pas pu la sauver, mais encore pire que ça,
03:52 on n'a pas pu la chercher parce qu'il y avait un risque à balancer le cheveu
03:55 pendant la nuit, on n'était pas à sa recherche.
03:57 Et on a retrouvé son corps au petit matin.
03:59 Et là, j'ai senti que les équipes avaient besoin de soutien,
04:02 elles étaient vraiment dépitées, abattues.
04:04 Et j'ai fait une heure de route, je suis allé débriefer cette scène
04:09 et cette opération avec eux.
04:11 Et je pense que ça leur a fait du bien.
04:12 Est-ce que ça veut dire que les gendarmes peuvent culpabiliser ?
04:15 Forcément, il y a des fois où on se remet en cause.
04:17 Ça fait partie de notre métier de se questionner,
04:20 de faire des retours d'expérience, donc ça c'est positif finalement.
04:23 Ça veut dire aussi que parfois, on a un peu mauvaise conscience
04:26 parce qu'on aurait eu envie de faire plus.
04:30 Mais dans la réalité, on est confronté à des situations
04:33 qui parfois nous dépassent et il faut apprendre à l'accepter.
04:36 Ce n'est pas toujours facile.
04:37 Alors dans les découvertes de personnes décédées
04:39 qui m'ont particulièrement marqué, je me souviens de Samuel.
04:41 C'est un jeune randonneur, étudiant, une vingtaine d'années,
04:44 qui a pris une balle de chasse un samedi matin
04:46 alors qu'il partait faire une balade en montagne avec un ami.
04:49 Et moi, je suis arrivé à peine une heure après.
04:52 Et il se trouve que son corps n'était pas du tout abîmé.
04:54 J'ai croisé son regard.
04:57 Il venait de décéder.
04:58 C'est une situation particulièrement révoltante
05:00 parce qu'il n'avait pris aucun risque.
05:02 C'était un accident.
05:03 Et face à ce jeune homme, et surtout après, à froid,
05:09 je me suis rendu compte qu'en fait, j'étais particulièrement ému.
05:12 Sur le moment, je ne l'ai pas ressenti
05:13 parce qu'on était dans l'enquête, on a fait tout ce qu'on pouvait
05:16 pour que les constatations soient bien faites
05:17 et qu'on puisse montrer la responsabilité du chasseur qui avait tiré.
05:21 Mais à froid, une fois qu'on y repense,
05:24 bien évidemment, ça travaille.
05:25 Parce qu'on se remet à sa place et qu'on se dit « ça aurait pu être moi ».
05:28 Parce que moi, je suis souvent allé faire des randonnées
05:31 dans les mêmes circonstances, avec des amis, avec ma famille.
05:34 Donc on se dit « c'est injuste, c'est révoltant, et en plus, ça pourrait être moi ».
05:38 Dans le livre, j'évoque quelques affaires criminelles.
05:40 Il y a une enquête en particulier
05:42 où on découvre un monsieur qui est décédé dans sa voiture
05:48 et on comprend rapidement que ce n'est pas un accident.
05:50 Et en fait, dans cette enquête,
05:51 on commence par annoncer le décès à son épouse.
05:53 Et puis assez rapidement, on comprend que l'épouse n'y est pas pour rien.
05:57 Et quelques heures plus tard, elle est en garde à eux.
05:59 Et de ça, je retire un enseignement.
06:02 C'est qu'en fait, on est dans l'accueil des victimes,
06:05 on est dans l'empathie avec les victimes.
06:07 Et en même temps, il faut rester objectif par rapport à ces victimes.
06:10 Là, en l'occurrence, elle avait appris un scénario,
06:12 elle s'est mise à pleurer, elle avait très bien travaillé sa scène.
06:16 Elle savait qu'on allait lui annoncer le décès de son mari.
06:18 Et malgré ça, il ne fallait pas céder à sa scène
06:24 et au sentiment qu'elle nous faisait passer.
06:26 Pas être dans le sentiment, être dans l'empathie,
06:29 mais derrière, faire notre travail d'enquêteur.
06:31 Et quelques heures plus tard, elle était évidemment en garde à eux.
06:33 Moi, je n'ai pas beaucoup d'empathie pour cette dame, finalement,
06:35 a posteriori, qui aujourd'hui est en prison.
06:38 Par contre, j'ai énormément d'empathie pour ces deux enfants
06:41 qui avaient, je crois, 6 et 8 ans à peu près, au moment du drame,
06:44 et qui en quelques heures ont appris le décès de leur papa
06:47 et qui sont en incarcération de leur maman.
06:48 Alors, après, c'est cette année opérationnelle et de commandement,
06:51 et puis après la rédaction de ce livre,
06:53 je pense que j'ai mieux compris le fonctionnement de mes propres émotions,
06:57 de ma sensibilité, et de nos émotions en général,
07:01 quand on est confronté à des situations qui sont opérationnelles,
07:04 qui font partie de notre métier, mais qui peuvent laisser des traces.
07:08 Alors, avoir vécu toutes ces situations,
07:10 ça change un peu le regard qu'on pose sur soi et sa famille.
07:15 Par exemple, il y a un chapitre du livre
07:17 où j'évoque la découverte d'une fillette noyée dans un lac.
07:21 Je peux vous dire que, quand j'ai eu des enfants,
07:24 j'ai fait en sorte qu'ils apprennent à nager très tôt,
07:27 et je suis même retourné dans ce lac avec mes enfants.
07:30 Donc, ce jour-là, quand je nageais avec mon fils,
07:34 j'étais plus que vigilant, et puis j'avais une pensée
07:36 pour cette petite fille et pour ses parents.
07:38 Alors, c'est vrai qu'aujourd'hui, les gens qui nous voient arriver,
07:41 parfois, ils ne sont pas ravis de nous voir arriver,
07:44 surtout quand c'est au bord de la route.
07:46 Et parfois, même, on a des constatations violentes,
07:48 on fait face à de la violence aussi.
07:49 J'ai envie de dire à ces gens-là,
07:50 chaque gendarme, c'est un être humain.
07:52 Quand il verbalise quelqu'un sur le bord de la route,
07:54 il a souvent en tête toutes les personnes décédées
07:56 auxquelles il a été confronté sur des accidents de la route, par exemple.
07:59 Et moi, ce que je souhaite à chacun,
08:02 c'est de ne pas un jour être confronté à des gendarmes
08:04 qui viennent leur annoncer un décès.
08:06 Le décès d'un camarade en mission, c'est quelque chose qu'on redoute,
08:09 et en tant qu'officier, on sait que ça risque de nous arriver
08:11 un jour dans notre carrière.
08:13 Moi, ça ne m'est pas encore arrivé de perdre un de mes subordonnés.
08:17 J'ai été confronté quand même à des accidents assez graves
08:21 de certains de mes gendarmes.
08:23 Et là, il faut être dans un accompagnement assez humain
08:27 et assez fort de la personne qui est touchée,
08:29 de sa famille, de ses camarades de l'unité locale également.
08:33 Et puis, quand on a un camarade qui décède,
08:35 par exemple, à Arnaud Beltrame, que je connaissais un peu,
08:38 évidemment, ça fait un choc,
08:40 on est tous émus, collectivement et individuellement,
08:44 de se dire que l'hommage national,
08:46 avec la photo du camarade qu'on voit à la télé,
08:48 c'est un copain.
08:49 La confrontation à sa propre mort,
08:51 c'est quelque chose qui fait partie intégrante du statut militaire.
08:53 Et on sait que ça peut arriver,
08:55 et on sait qu'on peut être amené à donner sa vie pour la nation.
08:58 Après, on ne peut pas savoir comment on réagira
09:02 le jour où on sera face à une prise d'otage comme Arnaud Beltrame.
09:05 Et Arnaud, il a été héroïque,
09:07 et en étant héroïque comme ça,
09:09 il rend hommage aussi à tous les héros du quotidien
09:11 qui sont dans nos brigades territoriales.
09:12 Moi, je ne sais pas ce que j'aurais fait.
09:14 Afroi comme ça, je ne pense pas que j'y serais allé,
09:16 mais le jour J, je ne sais pas ce que j'aurais fait.
09:18 Alors, ce livre, je ne l'ai pas écrit pour ça,
09:20 mais je suis heureux de le dédier à un garçon qui s'appelait Sébio,
09:23 un gendarme qui est mort en montagne en mission en 2013.
09:25 Et ses camarades du PGHM,
09:27 du peloton de gendarmerie de Haute-Montagne,
09:29 ont créé une association pour venir en aide aux familles endeuillées
09:32 du secours en montagne.
09:33 Cette association, elle s'appelle Sébio Solidarité Secours en Montagne,
09:36 et tous les droits d'auteur du livre vont lui revenir.
09:38 [Sous-titres réalisés par la communauté d'Amara.org]

Recommandations