Alice Ekman : "La Chine n'a pas engagé de distanciation vis-à-vis de la Russie, au contraire"

France Inter

Alice Ekman, spécialiste de la Chine, responsable de l’Asie à l’Institut d’études de sécurité de l’Union Européenne (EUISS), auteure de Dernier vol pour Pékin. "La Chine s’organise face à l’Occident…" (l’Observatoire), est l'invitée de 6h20.  Retrouvez les invités de 6h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter

Transcript

00:00 Il est 6h19, on s'intéresse maintenant à la mini-tournée européenne du chef de la

00:12 diplomatie chinoise Wang Yi.

00:14 Première étape, hier et avant-hier à Paris, aujourd'hui et demain il est en Allemagne,

00:19 il a prévu de se rendre aussi en Italie et en Hongrie et surtout il se rendra à Moscou.

00:23 Bonjour Alice Ekman.

00:24 Bonjour.

00:25 Vous êtes responsable de l'Asie à l'Institut d'études de sécurité de l'Union Européenne.

00:29 Quel est le but de ce déplacement en Europe ?

00:31 La Chine a engagé une offensive de séduction depuis plusieurs mois.

00:36 L'objectif c'est de se voir en vrai puisque comme vous le savez la Chine sort d'une période

00:42 dite de zéro Covid où les échanges diplomatiques en face à face, en présentiel comme on peut

00:47 dire ont été très très peu nombreux, ce n'est inexistant, c'est seulement depuis

00:52 quelques mois que la diplomatie chinoise reprend les visites officielles mais elle les reprend

00:58 à vraiment à marche forcée.

01:00 Dès sa nomination, Ting An, le nouveau ministre des Affaires étrangères a fait une tournée

01:05 en Afrique.

01:06 Actuellement aussi Xi Jinping vient de recevoir le président iranien.

01:12 Xi Jinping vous vous souvenez aussi s'était rendu en Asie centrale il y a quelques mois

01:18 et réellement il y a un besoin de se voir en vrai, ce qui ne veut pas dire que l'état

01:25 des relations Chine-Europe ou Chine-France va fondamentalement changer mais clairement

01:29 il y a des tentatives côté chinois de mener cette offensive de charme, d'essayer de renforcer

01:37 la coopération dans un contexte où les relations Chine-Etats-Unis sont extrêmement tendues

01:41 comme vous le savez.

01:42 Oui d'ailleurs ce qui est intéressant aussi c'est de voir qu'il ne va pas se rendre à

01:46 Bruxelles, ça c'est lourd de sens, il va en France, il va en Allemagne, il ne se rend

01:49 pas au cœur de l'Europe.

01:51 Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu et qu'il n'y aura pas de rencontres Chine-Union-Européenne,

01:57 ça a été vraiment l'habitude de la Chine de multiplier les échanges en parallèle,

02:04 c'est-à-dire les échanges bilatéraux entre la Chine et les Etats-membres et les

02:07 échanges Chine-Union-Européenne en parallèle.

02:10 Il est vrai que le dernier sommet chineux du 1er avril 2022 s'était assez mal passé

02:16 à tel point que Joseph Borrell, le chef de la diplomatie européenne, avait conclu qu'il

02:19 fallait qu'il s'agissait d'un dialogue de sourds parce que réellement les deux parties,

02:23 mais c'est aussi valable je pense au niveau bilatéral, les deux parties ont des divergences

02:28 majeures concernant le dossier ukrainien.

02:31 Et donc même si la Chine veut restaurer les liens, mène cette offensive de charme, veut

02:37 renforcer la coopération économique, très vite on tombe sur un os si je puis dire parce

02:42 que réellement les positions sont réellement très différentes.

02:46 Sur la formulation et sur l'identification des enjeux, c'est-à-dire que la Chine ne

02:55 prononce pas le mot « guerre » ni le mot « invasion ».

02:56 Et la Chine n'a jusqu'à présent pas condamné l'invasion russe de l'Ukraine.

03:00 Juste pour en revenir justement à cette guerre, Emmanuel Macron, qui a donc vu avant-hier

03:07 le chef de la diplomatie chinoise, a dit qu'ils avaient finalement le même objectif de contribuer

03:11 à la paix en Ukraine.

03:12 Mais de quelle façon la Chine contribue-t-elle à la paix ?

03:14 C'est curieux comme déclaration, non ?

03:17 Je comprends bien qu'il y ait un objectif français.

03:21 Il est tout à fait compréhensible dans le contexte espyel.

03:24 Et puis aussi il y a du langage diplomatique qui est indispensable dans ce contexte.

03:28 En réalité, les positions sont vraiment vraiment divergentes.

03:34 Jusqu'à présent, la Chine n'a pas engagé de distanciation vis-à-vis de la Russie.

03:40 Au contraire, il y a un rapprochement depuis le début de la guerre.

03:44 Depuis un an, la Russie est devenue le premier fournisseur de pétrole de la Chine en mai

03:50 dernier.

03:51 Les échanges commerciaux ont fortement augmenté.

03:53 Est-ce qu'elle l'aide militairement aussi ?

03:55 Non, en tout cas pas de manière officielle.

03:59 Moi, clairement, je n'ai pas d'élément.

04:01 Je ne suis pas dans la communauté du renseignement, donc je ne vais pas m'engager dans les détails.

04:04 Ce qui ne sont pas des détails, mais en fait des suppositions.

04:07 En tout cas, on n'a pas d'élément public connu qui indiquerait que la Chine aide la

04:13 Russie, comme le fait l'Iran par exemple, qui envoie des drones avec des éléments

04:17 là concrets et visibles.

04:20 Non, concernant la Chine, il y a actuellement une exportation de produits électroniques

04:25 à destination de la Russie, notamment des semi-conducteurs qui sont très utiles dans

04:28 un contexte de sanctions, comme vous le savez, commerciales, mais aussi technologiques visant

04:33 la Russie.

04:34 Et dans un contexte réellement où la Chine et la Russie n'ont pas remis en cause la

04:39 déclaration conjointe qu'ils avaient signée le 4 février 2022, deux semaines avant le

04:44 début de la guerre, qui indique que finalement les deux pays doivent renforcer leur coopération

04:49 pour contribuer à l'avènement d'un nouvel ordre mondial qui en substance ne serait

04:53 plus dominé par l'Occident.

04:54 Donc il faut bien avoir conscience de la polarisation du monde, pas pour ne rien essayer diplomatiquement.

04:59 Je ne dis pas que les tentatives d'aborder le sujet avec la Chine sont vains, mais je

05:02 pense qu'il faut être réaliste concernant la volonté chinoise de discuter avec son

05:10 partenaire russe.

05:11 C'est un partenaire et pas un allié, mais c'est quand même un partenaire majeur.

05:13 Et il y a une polarisation du monde qui réellement met la Chine, la Russie, l'Iran, la Corée

05:20 du Nord, mais aussi un grand nombre d'autres pays d'Afrique subsaharienne, d'Amérique

05:24 latine, du même côté.

05:25 Et d'un côté que la Chine considère anti-occidentale.

05:28 Et réellement la diplomatie dite des « loups combattants » vous vous souvenez, qui est

05:32 en cours depuis 2019, ne s'est pas atténuée si je puis dire.

05:37 On est réellement dans un très fort ressentiment anti-occidental.

05:40 Aujourd'hui la Chine ne condamne pas les agissements russes, elle condamne les agissements

05:44 américains en accusant les États-Unis d'avoir mis de l'huile sur le feu et d'être in fine

05:49 responsable de la crise en Ukraine.

05:52 Et donc réellement on est aujourd'hui dans, je pense, encore une fois dans un dialogue

05:57 de sourds même si je n'aime pas cette expression.

05:58 Ali Seghman, vous évoquiez justement l'Iran, c'est effectivement l'autre acteur important

06:02 dans ce dossier de la guerre en Ukraine, l'Iran qui soutient très activement la Russie.

06:07 Le président iranien vient de passer trois jours en Chine, en retour Xi Jinping a prévu

06:11 de se rendre aussi en Iran.

06:13 Est-ce que cette proximité entre les deux pays c'est nouveau ? Est-ce qu'elle s'est

06:16 faite cette proximité justement sur ce conflit ukrainien ?

06:17 Non, cette proximité n'est pas nouvelle.

06:20 Les deux pays ont filié il y a quelques années un accord cadre qui engage une coopération

06:26 sur une durée longue de 25 ans qui touche à des renforcements de la coopération énergétique

06:33 mais aussi de sécurité, coopération politique, coopération dans le domaine des infrastructures

06:37 dans le cadre du projet chinois dit des nouvelles roues de la soie qui est toujours existante

06:40 malgré certains échecs au Sri Lanka ou en Afrique de l'Est.

06:45 Et réellement les deux pays partagent encore une fois cette vision du monde anti-occidental

06:54 et post-occidental.

06:55 Vous pensez qu'on peut espérer qu'ils puissent faire pression sur Vladimir Poutine

07:00 pour arrêter cette guerre ou c'est totalement ?

07:01 Il faut avoir je pense conscience des faits et des rapports de force.

07:06 Aujourd'hui l'Iran aide la Russie.

07:08 Aujourd'hui, enfin ça s'est terminé, mais les présidents chinois et les présidents

07:13 iraniens se sont rencontrés et ils ont condamné les agissements américains, condamné les

07:18 sanctions américaines.

07:19 Ils ont accusé les américains d'être responsables finalement de l'échec de la Corse au nucléaire

07:26 iranien.

07:27 Et donc dans ce contexte-là, on imaginerait que sous pression occidentale, parce que la

07:32 Chine considère que l'Europe fait partie du bloc ou du pôle occidental, que sous cette

07:38 pression, ces pays qui considèrent réellement l'Occident comme un ennemi pourraient faire

07:48 bouger son ami qui est la Chine, parce que réellement la Chine-Russie a été qualifiée

07:53 d'une relation d'amitié sans limite par les deux dirigeants.

07:55 Une dernière question à Alice Ekman, parce qu'il ne nous reste qu'une petite minute.

07:59 Ces dernières semaines ont été marquées par ces accusations d'espionnage de la part

08:03 des Etats-Unis envers la Chine à cause de ces ballons qui ont survolé le territoire

08:06 nord-américain.

08:07 Est-ce qu'il est possible qu'il y ait les mêmes au-dessus de l'Europe et à l'inverse

08:11 aussi des ballons occidentaux au-dessus de la Chine ?

08:12 Encore une fois, je ne suis pas spécialiste de ces questions-là.

08:18 Je pense que tout le monde espionne tout le monde.

08:20 Oui, c'est possible parce que selon les déclarations américaines, il s'agissait

08:26 de ballons à un programme mondial qui dépasse en tout cas les territoires américains.

08:32 Concrètement, on comprend.

08:35 Mais on est rentrés… Alors, je n'aime pas la comparaison avec la guerre froide,

08:40 mais les questions d'espionnage sont récurrentes maintenant.

08:43 D'ailleurs, depuis l'administration Obama, il y avait déjà eu des tensions Chine-Etats-Unis

08:47 très fortes sur les questions de cyber-espionnage, cyber-attaque, si vous vous souvenez, même

08:50 avec la publication de cyber-criminels chinois avec leurs photos et leurs noms.

08:55 Il y a régulièrement des tensions diplomatiques très fortes concernant certains citoyens,

09:01 des ressortissants, des diplomates.

09:03 Et je pense malheureusement que ça va continuer parce qu'on est à un niveau de tension qui

09:06 est tel que, comme vous le savez, la visite du secrétaire d'Etat Blinken a été annulée

09:11 le 3 février.

09:13 Et donc là, on est vraiment… Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de canot de communication,

09:17 mais on est vraiment au cœur des tensions bilatérales et ça ne va pas, à mon avis,

09:22 s'apaiser parce que, comme vous le savez, les points de tension sont nombreux sur le

09:24 Xinjiang, les droits humains, Hong Kong, Taïwan et bien sûr le Détroit de Taïwan en particulier

09:29 cristallise les tensions chino-américaines aujourd'hui.

09:31 Merci beaucoup Alice Ekman, responsable de l'Asie à l'Institut d'études de sécurité

09:36 de l'Union européenne.

09:37 Et vous avez écrit récemment « Dernier vol pour Pékin », un livre pari aux éditions

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