La poupée d'Oskar Kokoschka
Dans Historiquement Vôtre, Clémentine Portier-Kaltenbach vous raconte la passion sans limites que vouait le peintre autrichien Oskar Kokoschka (1886-1980) à sa maîtresse, Alma Mahler (1879-1964), devenue sa muse. Lorsque leur idylle brûlante et chaotique prit fin, vers 1915, Kokoschka, inconsolable, fit fabriquer une poupée de tissu grandeur nature, à l’effigie de sa bien-aimée…
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00:00 Europain, historiquement vôtre avec Stéphane Bern.
00:04 Tous les jours, vous le savez, historiquement vôtre,
00:06 je vous raconte l'histoire sans se la raconter avec Jean-Luc Lemoyne
00:09 qui vient tout juste de mettre le point d'interrogation finale
00:11 à son quiz à suivre, Jean-Luc.
00:13 Exactement. Est-ce que vous aimez Serge Lama, tous les deux ?
00:15 Ah moi j'adore, vraiment.
00:16 Vous l'aimez ? Alors je vous fais plaisir, écoutez ça.
00:18 [Musique]
00:42 Aujourd'hui Clémentine, vous levez le voile sur celle qui a occupé la toile
00:45 du peintre Oscar Kokoschka, une certaine Alma Mahler
00:48 qui est restée dans sa vie, même pas forcément de la manière dont on pouvait l'imaginer.
00:53 Oui, c'est plutôt la poupée d'Alma Mahler à laquelle je vais m'intéresser d'ailleurs.
00:57 Le modèle Alma Mahler, elle est née en 1879 à Vienne.
01:03 Elle vient d'un milieu aisé et cultivé et devenue jeune fille, jeune femme.
01:09 Elle est l'une des plus belles femmes de Vienne, avec ça, brillante, musicienne.
01:15 Elle est douée aussi pour la peinture, de sorte, on s'en doute,
01:19 qu'elle a de nombreux soupirants et aussi de nombreux amants.
01:22 Et son premier baiser, ah j'ai trouvé ça, ça m'a fait rêver.
01:25 Elle le donne en 1899 à 20 ans, elle est à Gênes, on l'imagine là sur le port.
01:31 Et qui lui prend son premier baiser, c'est le génial peintre Gustav Klimt.
01:37 Et après, les grands noms vont défiler dans sa vie parce que,
01:41 deux ans plus tard, elle rencontre Gustav Mahler,
01:44 qui est alors le directeur de l'Opéra de Vienne,
01:46 et elle l'épouse le 9 mars 1902.
01:50 Et alors là, c'était quand même un curieux mariage.
01:53 Il a 19 ans de plus qu'elle, bon ben ça c'est pas ça la curiosité.
01:57 C'est pas ça, c'est qu'il lui a donné un ultimatum.
01:59 Il lui a dit "je ne t'épouserai que si tu renonces totalement à toute ambition personnelle.
02:06 Tu devras te contenter de t'occuper de moi, de nos enfants."
02:10 Quand même un drôle de contrat, un moral passé entre eux, mais elle accepte.
02:14 Elle accepte, le problème c'est que quand on accepte de renoncer à son talent,
02:19 de renoncer à ce qu'on aime, en l'occurrence la peinture et surtout la musique,
02:22 parce qu'elle deviendra par la suite une très bonne compositrice,
02:25 et bien c'est évidemment générateur de frustration dans le mariage.
02:29 Puis on finit par en vouloir à celui qui exige ça de vous, et ça ne va pas louper.
02:34 Elle va chercher des satisfactions en dehors de son foyer,
02:37 et elle noue une idylle, encore avec un homme très brillant, l'architecte Walter Gropius.
02:44 Mort de malheur en 1911, à ce moment-là elle est encore avec Walter Gropius,
02:49 quelques temps, puis avec un biologiste pendant à peu près un an,
02:53 et voilà en 1912 qu'elle rencontre le peintre et écrivain Oscar Kokoschka.
02:58 Ça se passe dans une soirée, pendant qu'elle joue du piano il la croque, il la dessine,
03:04 et puis le soir même, quand elle a quitté le piano, il s'approche d'elle, il la prend dans ses bras,
03:09 c'est quasiment une sorte de rapte, d'enlèvement,
03:12 et le soir même surtout il la demande en mariage.
03:15 Alors là on voit déjà que Kokoschka, il a le son chaud ce monsieur.
03:18 Bon, pas beaucoup de différence d'âge entre eux, elle a 7 ans de plus que lui,
03:22 c'est une relation extrêmement brûlante, Kokoschka est littéralement fou d'amour pour elle.
03:27 Elle devient, s'amuse son inspiratrice, il en fait différents portraits,
03:31 il fait notamment son chef d'œuvre, c'est une toile qui s'intitule "La fiancée du vent",
03:36 ils sont tous les deux représentés allongés l'un près de l'autre,
03:40 comme deux amoureux à l'abri d'une tempête,
03:42 il va vraiment, elle l'inspire, elle lui inspire des choses magnifiques,
03:46 il crée pour elle six éventails où il représente à la fois leur histoire d'amour et ses fantasmes,
03:53 il les lui offre pour son anniversaire ou pour Noël,
03:58 mais cette liaison effrénée est houleuse, il se dispute constamment,
04:04 parce que Kokoschka est un homme instable, très colérique,
04:08 et surtout il souffre d'une jalousie obsessionnelle,
04:11 alors au bout de trois ans Alma en a ras-le-bol,
04:14 elle n'en peut plus des scènes de jalousie et des cris, et hop, elle le quitte.
04:17 Alors là, catastrophe, Oscar est au désespoir, il vend "La fiancée du vent",
04:23 qui était quand même son tableau préféré,
04:25 et puis il est tellement malheureux qu'en 1914 il se porte volontaire pour se battre sur le front,
04:32 il sera d'ailleurs grièvement blessé en Russie en 1915,
04:36 qu'est-ce qui se passe pendant que lui est en train de se battre en Russie ?
04:38 Eh bien Alma épouse Walter Gropius,
04:41 alors à la fin de la guerre, quand Kokoschka revient à Vienne,
04:45 il découvre qu'Alma a épousé Gropius, alors là il est au fond du trou,
04:50 et c'est là qu'il a quand même l'idée extrêmement bizarre
04:53 de commander à une certaine Hermine Moss,
04:56 qui est à la fois marionnettiste et costumière de théâtre à Munich,
05:00 il lui commande une poupée de lin et de crain à l'image d'Alma, grandeur nature.
05:07 Il lui envoie un portrait de sa maîtresse,
05:10 et il demande que soient respectées toutes sortes de détails,
05:13 il faut des vrais cheveux, des vrais dents,
05:15 la réalisation de ce mannequin, des vrais dents,
05:18 ben oui, on a planté des vrais dents dans le mannequin,
05:21 la réalisation du mannequin va prendre six mois,
05:24 lui de son côté à Vienne, il réunit des vêtements, des sous-vêtements,
05:28 des chaussures qui ont appartenu à Alma Mahler,
05:32 il donne son avis absolument sur tout,
05:34 il écrit à la costumière à Munich,
05:37 les yeux, les paupières, les mains, les pieds, les seins,
05:40 alors il est très très très très très occupé par les seins,
05:42 il lui écrit les seins s'il vous plaît,
05:45 je les aimerais plus détaillés,
05:47 pas de mamelons saillants mais plutôt irréguliers,
05:50 ne les faites pas ressortir qu'au moyen d'une certaine rugosité.
05:54 Il appelle sa poupée quand il la reçoit,
05:57 il l'appelle la Dame Bleue, il va la peindre d'ailleurs,
06:00 et comme il est quand même un petit peu borderline,
06:03 vous l'avez compris, Kokochka, c'est un homme d'excès,
06:07 alors il vit avec cette poupée, il reçoit souvent ses visiteurs,
06:11 très souvent il était habillé dans une sorte de nuisette rouge
06:14 qui avait appartenu à Alma Mahler,
06:17 donc vous imaginez, vous prenez à sa porte,
06:19 vous voyez débouler ce très bel homme d'ailleurs en nuisette rouge,
06:22 mais avec sa Dame en Bleu, son mannequin,
06:24 il l'emmène se promener en Kalèche, il l'invite à l'opéra,
06:27 il organise des fêtes en son honneur,
06:29 et il embauche même une femme de chambre pour s'occuper de son mannequin
06:32 et qu'il l'habille si vous voulez, qu'il la prête tous les jours de façon différente.
06:36 Et puis bon, bien sûr, il la peint, il la peint beaucoup,
06:38 c'est quand même son métier,
06:40 et puis forcément, on l'imagine,
06:42 cette poupée ne peut être que désomante,
06:44 c'est pas la vraie, elle est un petit peu inerte cette Dame,
06:47 alors il s'en lasse, il écrit
06:49 « Après l'avoir dessinée et peinte encore et encore,
06:52 j'ai décidé de m'en débarrasser,
06:54 j'étais à présent guéri de ma passion,
06:56 j'ai donc donné une grande soirée de champagne avec musique de chambre,
06:59 au cours de laquelle ma femme de chambre, Hulda,
07:01 a présenté la poupée dans ses plus beaux atours pour la dernière fois.
07:04 Quand l'aube s'est levée,
07:06 j'étais assez ivre comme tous les autres,
07:08 je l'ai décapité dans le jardin,
07:10 et j'ai cassé une bouteille de vin rouge sur sa tête. »
07:12 D'ailleurs, il va être interrogé par la police à ce sujet,
07:15 parce qu'il y a des passants qui ont vu une femme nue et décapité,
07:18 qui se sont demandé ce qui se passait.
07:20 Alors, qu'est-ce qu'il nous reste de tout ça ?
07:22 Il reste trois tableaux de la femme en bleu,
07:24 ou Poupée Alma, je vous invite à aller les regarder sur Internet,
07:27 et quand vous verrez le modèle,
07:29 vous comprendrez le désarroi du peintre,
07:31 car la poupée est quand même loin, loin, loin d'égaler le modèle Alma,
07:35 loin, loin, loin d'égaler le modèle Alma mater.
07:38 - Merci beaucoup Clémentine.
07:40 Et maintenant, c'est le moment de l'émission,
07:42 vous le savez, je ne contrôle plus rien,
07:44 c'est Jean-Luc qui prend la main pour le quiz "Burn to be alive".