La fête des Fous

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Dans Historiquement Vôtre, Clémentine Portier-Kaltenbach vous raconte l’ancêtre du carnaval moderne. Très populaire au Moyen-Age, la Fête des fous est organisée chaque année par la Clergé. Pendant trois jours, l’Eglise autorise ce qu’elle proscrit d’ordinaire. Aux quatre coins du royaume, peuple et clercs festoient sans limites.
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Transcription
00:00 Aujourd'hui Clémentine on part avec vous à la fête des fous, avec son évêque des cornards.
00:06 - Attention, faut bien mettre le "r" ! - Une fête qui a occupé le devant de la scène pendant presque 11 siècles en France !
00:14 - Oui tout à fait, c'est vrai. Mais vous savez pourquoi est-ce qu'on attendait ça avec tellement d'impatience ?
00:18 - Bah parce qu'on avait une vie de... - Le carnaval.
00:20 - Oui ça c'est vrai, mais c'est surtout que le carnaval précédait les 40 jours de carême jusqu'à la résurrection, jusqu'à Pâques si vous voulez.
00:30 Donc on savait qu'il fallait vraiment festoyer parce qu'après ça, ça allait être 40 jours de restrictions, d'abstinence, de jeûne et de prière.
00:39 Alors du coup, durant cette semaine de liesse populaire qu'on appelait la fête des fous,
00:44 qui était avant tout destinée aux prêtres, aux moines et aux moniales, c'est-à-dire tous ceux qu'on appelait les clercs.
00:51 Mais tout le peuple pouvait participer bien sûr. Et pendant cette fête-là, tout est permis.
00:57 On mange, on danse, on se déguise, on chante souvent des chansons paillardes,
01:02 on s'embrasse à pleine bouche à l'intérieur des églises et bien pire encore,
01:08 partout dans le royaume de France, la semaine de mardi gras est l'occasion d'élire un évêque de carnaval
01:13 qui prend le titre d'évêque des cornards.
01:16 Mais à l'époque d'ailleurs, on supprimait aisément le R, l'évêque des connards, évêque des cornards.
01:22 - Ah oui, on disait ça ? - Oui, absolument.
01:24 - Ah bah donc on s'est pas trompé. - Qu'est-ce que c'est que l'évêque des cornards ?
01:27 D'ailleurs le mot "connard", "cornard", ça vient de "cocu". C'est le cocu.
01:31 - Les cornes ? - C'est les cornes. C'est l'évêque des cocus.
01:34 Et on l'appelait également souvent l'évêque des farceurs ou l'évêque des fous.
01:38 Alors une fois qu'il est élu cet évêque des cornards, il nomme un abbé des cornards
01:43 et il réunit dans la cathédrale et dans les monastères une assemblée de fidèles
01:47 lors de réunions qui sont le prétexte à toutes sortes de gestes impudiques,
01:51 voire à de véritables scènes d'orgies.
01:53 Le mot d'ordre pour ces fêtes-là, la fête des fous, c'est simple.
01:57 Allez, sortez, déguisez-vous, ripaillez.
02:00 Qu'est-ce que c'est faire ? Ripaille, ça veut dire buver, manger à cœur joie.
02:03 - Ça vient du château de Ripaille. - Ah ça je l'ignorais alors.
02:06 - Oui, parce que c'est un... - Il y avait un château de Ripaille qui était à la frontière avec l'Italie et où...
02:11 - Il y a eu des grandes fêtes comme ça, des grandes orgies. - Oui, après des batailles militaires.
02:14 - Alors ripaillez, merci de cette précision étymologique. - Parce que ça me vaudrait un point dans le quiz.
02:19 - Ah oui, ça me vaudrait. - À demi déjà.
02:21 - Et surtout ce qui est bien, c'est que le roi le veut et le permet.
02:25 C'est la viesse, c'est la débauche autorisée, voilà.
02:29 L'évêque des fous rédige aussi un ensemble de lois à l'intention des principales corporations de la ville.
02:34 Qu'on se le dise, l'abbé des cornards est doté d'une dispense pour tout le temps que durera la fête.
02:40 Avoir des relations licencieuses avec qui bon lui semble.
02:45 Il n'invoquera pas le père, le fils et le Saint-Esprit, mais le porc, la truie et le ver.
02:51 Tout cornard marié est autorisé à faire de même avec sa servante ou sa voisine.
02:56 Ça va quand même très loin cette histoire.
02:58 Bon, tout le monde est mis à contribution. Les meuniers, les couturiers, les tailleurs.
03:03 Ils doivent prêter leur concours pour réaliser les costumes.
03:06 La ville entière se déguise et se grime avec les moyens du bord.
03:09 Si vous avez vu le film avec Arletty, comment s'appelle ce film avec Pierre-François Lassner,
03:17 ce célèbre film de l'entre-deux-guerres, ça se passe dans une fête de carnaval avec le Vaugras.
03:22 C'est vraiment la liesse absolument partout et c'est le grand n'importe quoi.
03:27 Et il faut évidemment, on boit beaucoup.
03:30 Les taverniers sont priés d'être généreux et en fait, alors là, c'est quand même intéressant,
03:34 obligation est faite à tous de nettoyer les rues chaque jour après le passage des processions.
03:40 Alors, il n'y a pas les voitures poubelles qui viennent tout nettoyer.
03:43 Ce sont les gens eux-mêmes qui nettoient.
03:46 Les habitants se réunissent paré pour la procession.
03:48 Le sieur abbé des cornards a pris la tête du cortège accompagné de faux prélats.
03:53 Tout le monde est donc habillé de costumes bariolés, masqués,
03:57 parce que l'anonymat c'est essentiel.
03:59 C'est vrai que pour aller regarder, quand on veut vraiment déborder,
04:04 casser des vitrines, piller aujourd'hui, on met des cagoules,
04:07 ben là on est masqué et on fait les fous.
04:10 Il y a évidemment de la musique, une troupe avec des tambours, des trompettes et des fifres
04:17 qui précèdent le convoi des femmes devant qui incarnent les neuf vices du couvent.
04:24 Elles sont en tête, elles sont neuf femmes.
04:26 Les neuf vices du couvent sont les différents péchés dont on soupçonne qu'ils s'évisent dans les couvents.
04:31 Alors, quels sont les neuf vices du couvent ?
04:32 La gourmandise, bien sûr, mais aussi la fornication, bien sûr la fornication.
04:38 Et derrière ces neuf femmes, un vieil homme monté sur un âne, jambes et bras nus,
04:43 vêtu d'un drap en lot qu'il incarne la mort.
04:47 Il tient dans sa main droite une tête de mort,
04:49 il est suivi par une troupe de domestiques qui font sonner des clochettes
04:52 entre chacune de ses prises de parole.
04:54 Et derrière eux, 36 orphelins marchent deux par deux portant un grand cierge.
04:59 Et puis voilà, tous ces célébrants ont écrit sur leurs costumes
05:03 les noms de toutes les calamités dont l'âme humaine est accablée en ce bas monde.
05:07 La crainte, l'ennui, la mélancolie, le faux-semblant, l'infidélité, l'abjection, l'anxiété, le désespoir,
05:14 la rapine, la ruine, la tromperie.
05:16 Vous voyez, il y a aussi derrière tout ça, c'est la débauche, faites ce que vous voulez,
05:20 tous à poil sur l'autel à manger du boudin,
05:22 mais quand même avec une arrière-pensée religieuse de
05:26 voilà ce dont nous sommes accablés, ce dont il faut que nous devons expier
05:31 car nous sommes pêcheurs, donc pêchons ardiment,
05:33 mais après ça va y aller, pendant 40 jours on ne boulottera plus rien et on sera en prière.
05:38 Et alors à la tête de toute cette foule, le grandissime, magnifiquissime et potentissime
05:43 sieur abbé des cornards monté sur son âne et paré de riches vêtements,
05:48 vous voyez, on va vers l'église, et ça se termine à la cathédrale.
05:53 On chante des cantiques, mais les cantiques c'est pas...
05:56 c'est "montrez vos seins, montrez vos fesses, encanaillez-vous".
05:59 La foule est complètement éméchée, on est dans l'église,
06:02 alors là on mange sur l'hôtel des pâtés, des jambons, oui des boudins,
06:06 et on rentre dans les couvents, et là les nonnes portent des barboires,
06:11 c'est-à-dire des espèces de masques tout velus,
06:13 et elles attendent leurs visiteurs qui évidemment sont rendus complètement fous
06:17 parce qu'ils sont trop picolés, on fait brûler des vieilles savates dans les encensoirs,
06:22 enfin c'est le monde à l'envers, c'est ça le principe.
06:25 Et imaginez un étranger qui arrive pour la première fois dans le royaume de France
06:29 à cette époque de l'année, c'est un spectacle effarant !
06:31 Comment l'église catholique peut-elle tolérer cette fête des fous ?
06:34 Qui tient de la débauche la plus débridée ?
06:37 Ben oui, mais ça je crois que c'est Virginie qui nous l'a déjà raconté,
06:40 les Thesmophories et les Saturnales, c'était des grandes fêtes comme ça,
06:45 de débauche dans l'Antiquité,
06:47 et quand le christianisme est devenu la religion principale,
06:50 on n'a pas voulu priver les fidèles de ce moment de défoulement complet.
06:56 C'est un exutoire indispensable pour le peuple qui est accablé par le froid,
07:02 l'hiver, les épidémies, les famines, les guerres incessantes dans le royaume,
07:07 et ben voilà pourquoi elles sont tant attendues,
07:09 et vous voyez, bon ben après, effectivement, pendant 40 jours, jeûnez-prières, messieurs.
07:15 Alors en attendant, en attendant, jeûnez-prières,
07:18 - Et ça s'est arrêté quand votre fête des fous ?
07:20 - Vous voudriez une petite fête, une petite clavotité ?
07:22 - Parce que vous êtes 11 siècles, mais expliquez-nous de quand à quand ?
07:24 - C'est sous la Révolution française.
07:26 Parce que toutes ces solennités religieuses qui se pratiquaient depuis la nuit des temps,
07:31 la religion naturellement...
07:33 - Et c'est pas revenu après à la Restauration ?
07:35 - Non, je pense qu'il est resté quand même,
07:37 je parlais de ce film dont j'arrive pas à me souvenir,
07:40 mais "Les enfants du paradis", voilà, "Les enfants du paradis".
07:43 "Les enfants du paradis", c'est un carnaval assez riche,
07:50 on sent qu'il y a encore une tradition assez proche de réjouissance pour le carnaval,
07:56 mais où fête-t-on le carnaval de nos jours ?
07:58 - À Dunkerque ?
07:59 - À Dunkerque, c'est vrai, à Nice aussi, avec le Corso Fleury,
08:03 mais sinon le carnaval, oui, on se fait des crêpes et on met des masques pour aller à l'école,
08:09 on le faisait quand on était petits, vous vous souvenez des masques ?
08:11 - Merci beaucoup Clémentine, 9 minutes, c'est bien.
08:14 - Oh bah c'est vous qui me posez des tas de questions !
08:16 - Oui, j'aurais pas dû, je sais, mais à coup de pas, mais à maxima coup de pas.

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