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00:00 Un podcast France Commune.
00:02 Vous êtes-vous déjà demandé à quoi ressemble une partie de nageoire en l'air chez les requins ?
00:12 De fait, en général, ce n'est pas triste.
00:15 Leurs mœurs sont plutôt mordantes.
00:18 Les mâles choppent les femelles avec leurs mâchoires
00:21 et les belles requines portent souvent les traces de leurs zébats assez hardcore.
00:26 Je me rappellerai toujours, la première fois que j'ai plongé au Galapagos,
00:30 dès la mise à l'eau, je me suis tout de suite retrouvé en plein milieu d'un banc de requins-marteaux à licornes.
00:37 Une femelle de 3 mètres, au dos atrocement lacérée, est passée juste devant moi.
00:42 Et j'étais triplement impressionné, d'abord par la taille de cette dame,
00:47 par le fait qu'elle passe gentiment à quelques mètres de moi, et aussi par ses blessures.
00:54 Dans ce deuxième épisode, je vais vous raconter la reproduction des requins.
00:58 L'idée est de comprendre pourquoi la reproduction de ces animaux
01:02 les rend encore plus vulnérables à l'hyperprédation humaine.
01:06 Vous allez voir que cette reproduction est très différente de celle des autres poissons dans ce domaine aussi.
01:12 Beaucoup de grands requins se reproduisent sur le tard
01:16 et engendrent beaucoup moins de jeunes que les poissons osseux.
01:19 Et ça, clairement, ça les désavantage,
01:22 surtout à l'heure où les 4/5ème des populations de requins ont déjà disparu,
01:26 et où ce rythme s'accélère.
01:29 Dans le monde vivant, globalement, il existe deux stratégies de reproduction,
01:45 deux manières de perpétuer l'espèce.
01:48 Pour faire très simple, l'une consiste à faire beaucoup de jeunes sans trop s'en occuper.
01:53 Et sur la totalité, quelques-uns survivront et permettront ainsi le maintien de l'espèce.
01:59 Exemple, la souris, ou encore, pour rester dans le monde aquatique des requins,
02:04 le poisson-lune, un géant mangeur de méduses
02:07 qui détient le record mondial, toute catégorie, d'œufs pondus chez les vertébrés.
02:12 Madame produit en effet 300 millions d'œufs à chaque ponte.
02:16 Les populations de ces prolifiques présentent ainsi beaucoup plus de jeunes que d'adultes.
02:21 Et cet écart entre les jeunes et les adultes,
02:23 c'est exactement ce qui se passe dans les océans surexploités par la surpêche.
02:28 L'autre stratégie consiste au contraire à faire peu de jeunes,
02:31 mais à en prendre grand soin, à les protéger, à les élever parfois,
02:36 pour leur donner toutes les chances de survie.
02:39 Exemple, l'éléphant, la baleine et les grands requins,
02:44 ceux qui sont en danger de disparition.
02:47 Les populations sont constituées de peu de jeunes et de beaucoup d'adultes.
02:51 Vous voyez, c'est l'opposé du cas précédent.
02:54 Vous avez déjà deviné que l'actuelle pression humaine insupportable
02:59 prélève beaucoup trop de requins avant qu'ils ne soient matures
03:02 et empêche le renouvellement des générations.
03:05 J'avais déjà évoqué dans le premier épisode
03:11 la différence entre les requins et les raies d'une part,
03:14 qui sont donc des poissons cartilagineux,
03:16 et l'immense majorité des poissons dits osseux,
03:19 c'est-à-dire du thon au barracuda en passant par le poisson clown par exemple.
03:23 Les poissons osseux produisent des milliers, voire des millions d'œufs.
03:27 Chez les requins, c'est une toute autre histoire que nous raconte Eric Cluat.
03:33 On a les requins qui ont une fécondation interne.
03:37 Ça, c'est plus contraignant puisqu'on a un mâle et une femelle,
03:40 et le mâle va devoir déposer la semence, c'est-à-dire les spermatozoïdes,
03:44 à l'intérieur de la femelle.
03:46 C'est beaucoup plus laborieux, je dirais.
03:48 Ce qu'il faut en retenir, c'est que dans tous les cas,
03:50 on va compter sur la femelle pour protéger les quelques embryons.
03:54 Quand je dis quelques, ça peut aller jusqu'à 50, voire une centaine,
03:57 mais on est loin des millions d'œufs que vont produire les poissons osseux.
04:06 La différence entre osseux et cartilagineux ne s'arrête pas là.
04:10 Les requins ne font rien comme tout le monde.
04:13 Après la fécondation, qui chez les requins est interne et mordante,
04:18 si vous avez suivi, et selon les espèces,
04:20 les requins pondent des œufs ou donnent naissance à des petits,
04:24 comme chez les mammifères, ou encore optent pour un entre-deux.
04:28 Je m'explique.
04:30 Première modalité, chez les requins qui vivent posés au fond de l'eau,
04:34 comme ces roussettes que vous voyez sur l'étal du poissonnier,
04:37 avec leur robe de guépard et leurs yeux de chat,
04:40 chez ceux-là, les femelles pondent d'étranges œufs,
04:42 cornus, entortillés dans les algues.
04:45 Ces œufs sont poétiquement surnommés les bourses de sirène.
04:49 Les roussettes en pondent peu et sont bien cachés dans les algues.
04:53 Vous avez peut-être déjà vu des restes de ces enveloppes rectangulaires
04:56 des œufs en vous baladant sur des plages.
05:00 Dans ce cas, en tout cas, on dit que ces requins, comme les roussettes,
05:03 sont ovipares, c'est-à-dire que les femelles pondent des œufs.
05:07 Les embryons sont reliés à une réserve, qu'on appelle le sac vitélin,
05:10 sur lequel ils se nourrissent, et ils sont abandonnés à eux-mêmes,
05:13 dans leur coquille.
05:15 Mais il existe une seconde possibilité, qui s'appelle l'ovoviviparité.
05:21 Vous allez voir, ça devient intéressant.
05:24 Ce nom compliqué veut dire que les œufs sont certes fécondés et pondus,
05:28 mais ils restent à l'intérieur de maman.
05:30 Ils éclosent aussi, bien à l'abri de son ventre, jusqu'à voir le jour,
05:34 c'est-à-dire jusqu'au moment où ces tanguys sont éjectés,
05:38 parfois après plus d'un an de gestation.
05:41 Il y a plusieurs exemples célèbres.
05:43 D'abord, le matusalemme des requins, qui s'appelle le requin du Groenland,
05:48 un géant qui peut atteindre 7 mètres et qui cumule plusieurs records étonnants.
05:52 Un, ce serait le vertébré qui vivrait le plus longtemps.
05:57 Selon certains scientifiques, certains de ces géants actuels seraient nés avant Henri IV,
06:02 c'est-à-dire qu'ils auraient plus de 500 ans.
06:05 Autre record du requin du Groenland, et ceci explique cela,
06:08 il se déplace en dépensant le moins d'énergie possible,
06:11 à 1,5 km/h, dans les eaux glacées et totalement noires de l'Arctique.
06:18 Pour en revenir aux ovovivipares, il y a d'autres requins connus.
06:23 Bah tiens, justement le contraire du requin du Groenland,
06:26 la Formule 1 des océans.
06:28 Lui, c'est le requin macko, un cousin du grand requin blanc, de la famille des lames nidées.
06:33 Mister Macko peut atteindre 70 km/h et rattraper ses proies à la course,
06:39 en général des thons, qui sont les grands sprinteurs de la mer.
06:42 Pour piquer ses sprints, le macko a une botte secrète.
06:46 Il peut réchauffer son sang pour mettre, pour ainsi dire, un tigre dans son moteur.
06:51 D'ailleurs, son proche cousin, le requin blanc, est doté d'un turbo similaire.
06:55 Il faut savoir que l'immense majorité des poissons sont à sang-froid, à part quelques-uns.
07:00 Chez ces grands requins ovovivipares, en tout cas, et ça ne va pas arranger leur réputation,
07:07 certains petits mangent leurs frères et sœurs dans l'utérus.
07:11 Ça s'appelle le cannibalisme intra-utérin.
07:14 Le nom scientifique, c'est l'adélphophagie, pour les collectionneurs de mots rares.
07:18 Bon, tout ça, ce sont les modalités pratiques,
07:22 mais il y a également un autre facteur qui fragilise les grands requins,
07:26 et c'est leur durée de gestation, qui est absolument immense chez certains.
07:31 Tout le monde le sait, chez l'homme, c'est 9 mois.
07:34 Il faut savoir que chez le requin blanc, par exemple, c'est déjà une année, c'est 12 mois.
07:38 Et chez les ovovivipares, comme le requin tigre, par exemple,
07:41 on peut aller jusqu'à 16, voire 18 mois de gestation, ce qui, évidemment, est énorme.
07:45 Et ce qu'il faut comprendre, c'est que dans ces stratégies-là,
07:48 ces requinots-là vont être pleinement autonomes.
07:50 La première chose qu'ils vont faire, c'est se sauver de la zone où ils ont vu le jour,
07:54 à la fois de maman, mais surtout de papa,
07:56 puisque c'est souvent les mâles reproducteurs qui sont extrêmement agressifs avec leur progéniture,
08:00 puisqu'il y a énormément de cannibalisme chez le requin.
08:02 On a prouvé, des études ont prouvé, par exemple, que les femelles requin blanc
08:06 faisaient exprès de mettre bas le plus loin possible des mâles,
08:09 de façon à ce que les mâles ne nourrissent pas sur leur progéniture.
08:12 Cette brutalité dont parle Eric Leha, les femelles en sont aussi victimes.
08:19 C'est ce que je racontais au tout début de cet épisode.
08:21 Les requins ne sont pas des tendres.
08:26 Les mâles mordent souvent les femelles sur le dos ou par les nageoires
08:29 pour les immobiliser le temps de pouvoir les féconder.
08:33 C'est pourquoi les femelles requin, je l'ai déjà évoqué, sont souvent couturées de cicatrices.
08:38 C'est en tout cas le cas des immenses femelles requin blanc,
08:40 qui sont très célèbres sur les réseaux sociaux.
08:43 Si célèbres qu'elles ont même des noms.
08:45 Deep Blue, Lady Mystery, Nukumi, Lady Catty, et il y en a bien d'autres.
08:52 Mais si vous avez bien compté, il nous manque la dernière modalité de reproduction, la troisième.
08:58 Et celle-là est assez attendrissante, vous allez voir, mais elle est aussi coûteuse et fragile.
09:03 Là aussi, ça se résume au désavantage d'avoir ses œufs dans le même panier.
09:08 Cette troisième modalité accourt chez les espèces apparues le plus récemment dans l'évolution.
09:13 La femelle fécondée engendre des petits qui sont des répliques d'adultes,
09:17 reliés à un placenta, comme chez les mammifères, comme chez nous les humains.
09:22 Et ça, ça s'appelle la viviparité placentaire.
09:25 Les familles concernées rassemblent beaucoup de célébrités.
09:29 D'abord les requins marteaux, surtout les carcharinidés, le requin tigre, le requin bulldog,
09:35 le requin longiman, le requin bleu, etc.
09:39 Et les très nombreux requins pointe-noire des récifs que les plongeurs du monde connaissent bien.
09:44 Eric Cluat, quant à lui, a étudié de près le cas de Prionaceae glauca, alias le requin bleu.
09:51 Son cas est très emblématique.
09:54 Pour bien comprendre les enjeux de conservation du requin, l'exemple du requin bleu pour moi est édifiant,
09:59 parce que c'est l'espèce la plus prolifique.
10:02 C'est-à-dire qu'une femelle requin bleu peut avoir plus d'une centaine de petits,
10:06 alors que les autres espèces du même genre en auront une dizaine.
10:10 Donc on pourrait se dire "tiens le requin bleu, finalement il va forcément bien s'en sortir".
10:13 C'est le cas à l'échelle planétaire, c'est-à-dire qu'à l'échelle planétaire,
10:16 sur ce qu'on appelle la liste rouge de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature,
10:20 le requin bleu est dans des espèces vulnérables.
10:23 Donc ça veut dire qu'il est un petit peu en danger, mais pas plus que ça,
10:26 puisqu'en l'occurrence il est capable de bien se reproduire.
10:28 Sauf que si on prend cette espèce-là en Méditerranée,
10:31 qui comme vous le savez est une mer à la fois petite et relativement fermée,
10:35 son statut n'est plus du tout le même.
10:36 C'est-à-dire que le requin bleu, à cause de l'homme et de sa capacité à surpêcher ces espèces-là,
10:42 cette espèce, le requin bleu, aujourd'hui, est en danger critique d'extinction en Méditerranée.
10:47 Après le requin bleu, il me paraît important de parler d'un autre requin encore plus célèbre
10:55 et qui est devenu rarissime en Méditerranée.
10:58 Vous doutiez-vous qu'il y avait des requins blancs dans cette mer ?
11:02 En 1956, une femelle de 2 tonnes, pour 5,89 mètres, avait été pêchée au large de 7.
11:10 Et cette géante n'était pas loin du record absolu mondial, homologué à 6,40 mètres,
11:16 et ce requin avait été pris à Cuba en 1945.
11:19 Les grands requins blancs de Méditerranée sont plus massifs que leurs cousins océaniques.
11:24 Ils ne sont pas de la même couleur, ils sont un peu plus bruns.
11:26 Et la génétique a montré que leurs ancêtres sont australiens, bizarrement.
11:30 Pour info, la dépouille naturalisée de cette femelle prise à 7
11:34 est aujourd'hui visible au musée zoologique de Lausanne, dont il est la mascotte.
11:39 Le requin blanc, par excellence, illustre et résume ce que je voulais vous raconter dans cet épisode.
11:45 La fragilité de leur reproduction.
11:48 Le mâle atteint sa maturité sexuelle quand il a 26 ans.
11:52 A cet âge, il mesure déjà de 3,50 m à 4 m.
11:56 Les femelles sont matures encore plus tard, à environ 33 ans,
12:00 et elles mesurent alors de 4 à 6 m.
12:03 Requins blancs et requins bleus, même combat.
12:06 Si on veut sauver ces espèces, il va falloir mieux connaître leur zone de reproduction,
12:10 d'évidence arrêter de les surpêcher,
12:13 et tout faire pour développer des techniques de pêche
12:16 qui laissent une échappatoire, une possibilité de s'en sortir aux grands prédateurs
12:21 qui se retrouvent coincés dans les filets ou pris sur des palangres qui ne leur sont pas destinés au départ.
12:27 Si on reprend l'expression des œufs dans le même panier,
12:31 vous voyez donc que les requins qui prennent soin de leur descendance dans le ventre de leur mère sont désavantagés.
12:37 Au moins par rapport aux autres requins qui pondent des œufs abandonnés dans le milieu,
12:41 et surtout par rapport aux beaucoup plus prolifiques poissons-osseux.
12:47 Certes, tout ce qui est abandonné sans aucun soin parental a peu de chances de survie.
12:52 Mais au moins, toute la descendance ne meurt pas si la mère est capturée, ce qui est le cas pour les requins.
12:58 Il y a quelques années, les chercheurs ont découvert que la femelle requin-baleine,
13:02 le plus grand de tous les requins qui peut atteindre 20 mètres, comme je l'ai dit,
13:06 un inoffensif mangeur de plancton,
13:08 peut porter jusqu'à 300 petits de différents âges et surtout de pairs différents.
13:13 C'est pas mal comme technique.
13:15 Dit comme ça, ça paraît très efficace.
13:17 Imaginez la même chose rapportée à l'être humain.
13:20 Mais malheureusement, en cas de capture de la mère,
13:23 cette arme de reproduction massive ne suffira pas à les mettre à l'abri de la surpêche, eux non plus,
13:28 malheureusement, surtout en Asie.
13:30 Rincodon typus, c'est le petit nom scientifique du requin-baleine,
13:34 appartient lui aussi à la longue liste des espèces de requins menacés.
13:44 Dans tout état de cause, vous comprenez peut-être mieux, maintenant,
13:47 que les requins sont merveilleusement équipés pour la survie,
13:50 mais aussi, dans le même temps, que leurs capacités sont purement et simplement dépassées
13:54 par le rouleau compresseur de la surpêche.
13:57 C'est la fin de cet épisode, merci de l'avoir suivi.
14:02 Je vous donne rendez-vous dans le prochain, où nous allons parcourir toutes les mers du globe.
14:06 Je vous emmène plonger avec différentes espèces dans différents milieux,
14:10 pour comprendre en quoi leur disparition est dramatique aussi pour la vie des océans.
14:15 Car dans ces océans, les requins jouent des rôles absolument clés.
14:19 Au-delà d'être des médicaments qui assainissent les populations de proies,
14:23 vous allez voir que les requins ont des fonctions beaucoup plus subtiles et variées
14:27 qu'on pourrait se l'imaginer.
14:29 Ils ont même un rôle positif dans la captation du carbone
14:33 et la limitation du réchauffement.
14:35 Comment tout ça se passe, c'est précisément ce que je vais vous raconter
14:38 dans le troisième épisode.
14:40 A bientôt !
14:42 [Musique]
14:45 [SILENCE]