Jean-Marc Gravellini : "En Afrique, l'aide publique est finie, on est passés au co-investissement"

  • l’année dernière
Emmanuel Macron a prononcé lundi un discours sur l'Afrique, à la veille d’une tournée africaine. Jean-Marc Gravellini chercheur associé à l’IRIS, spécialiste des enjeux sécuritaires et de développement dans la zone sahélienne est l'invité de 6h20.

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Transcription
00:00 6h19, bonjour Jean-Marc Gravelini.
00:02 Bonjour madame.
00:03 Jean-Marc Gravelini, chercheur associé à l'IRIS et spécialiste des enjeux sécuritaires
00:07 et de développement dans la zone sahélienne, donc spécialiste de l'Afrique.
00:11 Emmanuel Macron entame demain un nouveau voyage en Afrique.
00:14 Il ira au Gabon, en Angola, au Congo et en République démocratique du Congo.
00:19 Hier, le chef de l'État esquissait la nouvelle stratégie de la France en Afrique en matière
00:23 culturelle, économique et militaire.
00:25 Il a parlé, Jean-Marc Gravelini, partenariat, respect, humilité.
00:31 Il a dit "l'Afrique n'est pas un précaré", il a plaidé pour une relation équilibrée.
00:35 Ce sont des mots qu'il a beaucoup répétés, comme si en fait on n'arrivait pas à sortir
00:39 ou à solder notre passé colonial.
00:42 Oui, on n'arrive pas, enfin on n'arrive pas, on n'a pas finalement envie peut-être
00:50 de sortir de l'Afrique pour beaucoup de raisons que le président a évoquées d'ailleurs.
00:54 Donc je crois qu'il n'y a pas une volonté effectivement de sortir de l'Afrique.
00:57 Alors, solder le passé colonial, je pense quand même si, malgré tout.
01:01 Mais en tout cas, selon d'autres, avec d'autres modalités, il y a des pages qui veulent être
01:07 tournées.
01:08 Mais c'est clair, je suis convaincu en ayant écouté précisément le chef de l'État
01:13 hier, qu'au plan, comme vous l'avez dit, économique, sécuritaire, on souhaite rester
01:17 en Afrique sous d'autres formes.
01:19 On va y venir, j'imagine.
01:21 Ça me semble effectivement avoir été très affirmé très clairement par le chef de l'État
01:25 hier.
01:26 Alors on va venir justement sur le côté sécuritaire.
01:29 Il n'y a pas eu de grosse annonce hier, si ce n'est peut-être sur le plan militaire.
01:33 Emmanuel Macron a parlé d'un rééquilibrage de la présence militaire en Afrique.
01:35 Il ne parle pas de retrait des troupes françaises, comme on aurait pu le supposer, comme ce qui
01:41 est arrivé au Mali ou au Burkina Faso.
01:42 Mais de base, que gérer ? De quoi on parle exactement ?
01:45 Je pense que c'est un point, effectivement, vous avez raison, fondamental.
01:48 Je pense que beaucoup d'observateurs espéraient, imaginaient, anticipaient un retrait des bases,
01:56 ou en tout cas la fermeture de certaines d'entre elles, parce que ça semblait répondre à
02:02 une opinion publique, en particulier la jeunesse africaine.
02:07 Je crois que le président hier, effectivement, a dit très clairement que ces bases resteront.
02:12 Alors resteront sous des formes très différentes.
02:14 Je crois que c'est vraiment la différence qui est importante.
02:17 C'est-à-dire qu'on parle de bases co-gérées, on parle de bases ouvertes à d'autres nations
02:23 que le pays d'implantation et la France.
02:28 Et on parle de centres de formation, on parle de pôles d'académie.
02:33 Et je crois quand même que ces bases restent positionnées à des endroits stratégiques
02:39 autour de la zone sahélienne.
02:42 Je pense que chez certains, peut-être aujourd'hui, il y a une déception.
02:46 On pourrait espérer que la page soit tournée de manière plus radicale.
02:49 Mais je crois qu'au regard des enjeux sécuritaires aujourd'hui en Afrique, au regard également
02:55 de l'importance, le président l'a dit aussi, de l'Afrique dans la deuxième partie du 21e
03:01 siècle, il était difficile d'envisager une fermeture pure et simple.
03:05 En faisant ça, en gardant ces bases co-gérées, qu'est-ce que la France donne comme signe
03:10 à l'Afrique ?
03:11 Elle donne comme signe qu'on ne vient pas dans votre pays pour installer une base fermée
03:20 avec exclusivement des soldats français, avec le drapeau français qui flotte sur cette
03:25 base.
03:26 Et donc quelque chose qui est un petit peu plaqué en quelque sorte, extérieur, et qui
03:33 vient sur les territoires de ces pays africains.
03:37 On veut des bases, je crois que le président l'a dit, qui sont co-gérées, c'est-à-dire
03:43 qu'on aura à la fois le drapeau du pays d'accueil et le drapeau français.
03:46 Mais ça veut dire aussi, c'est aussi une manière d'imprimer par rapport aux milices
03:49 Wagner qui sont présentes aussi en Afrique.
03:52 C'est une réponse, oui, c'est une réponse.
03:54 C'est une réponse à la fois, je pense, tactique.
03:57 Je crois que l'exemple de Barkhane l'a bien montré.
04:01 On ne peut pas seul, disons à partir d'une base française, régler un problème de l'ampleur
04:08 de la présence d'ihadistes et terroristes sur un territoire comme le Tchad.
04:11 Il faut le faire nécessairement avec les partenaires africains.
04:15 Il faut le faire nécessairement avec d'autres acteurs, partenaires ou africains, qui veulent
04:19 effectivement concourir à cet objectif.
04:21 Il y a aussi l'idée de développer des partenariats dans le monde économique.
04:26 On a l'impression que les enjeux militaires surpassent un peu ça, mais il en a été
04:31 question de partenariats économiques avec l'Afrique parce que la France a du retard
04:36 dans ce domaine.
04:37 Alors, je pense que c'est en effet un point.
04:41 Beaucoup, on focalise aujourd'hui beaucoup sur les aspects sécuritaires, mais l'aspect
04:45 économique est déterminant de mon point de vue aussi.
04:47 Dans le discours du président hier, on ne parle plus.
04:51 Je crois qu'il faudrait regarder exactement ce qui a été dit, mais on ne souhaite plus
04:55 parler d'aide publique au développement.
04:57 On parle d'investissement ou de co-investissement.
05:00 Je pense que c'est fondamental.
05:02 J'ai travaillé pendant plus de 30 ans dans le monde du développement, à l'Agence
05:06 française de développement.
05:07 En toute humilité, autant on a réussi dans certaines parties du monde, autant dans la
05:11 zone sahélienne, notamment, et une partie de l'Afrique, on n'a pas réussi les politiques
05:15 d'aide au développement, puisque ces pays restent parmi les plus pauvres.
05:20 Mais pourquoi on n'a pas réussi ?
05:21 Je pense que, justement, un peu comme sur les aspects militaires, le fait de vouloir
05:27 apporter un financement public, d'apporter un savoir-faire, d'importer des procédures
05:37 et de vouloir calquer en quelque sorte ce qu'on pense sincèrement, objectivement,
05:42 être la bonne démarche, la greffe ne prend pas ou ne prend plus en Afrique.
05:46 Et donc aujourd'hui, on va dire finalement, vous, Africain, vous avez un intérêt, c'est
05:52 de développer votre pays, vos pays au plan économique.
05:55 Et pour cela, vous devez engager des politiques publiques, engager des investissements.
06:02 Et nous, Français, nous, Européens, on est prêts à co-investir avec vous.
06:06 Nos entreprises sont prêtes à co-investir avec vous pour créer des entreprises, créer
06:12 de la valeur, créer de la richesse, créer de la transformation dans le secteur agricole,
06:17 dans le secteur industriel.
06:18 Et je pense que c'est, on y reviendra, il faudra faire l'exégèse de tout ça dans
06:23 les prochains jours.
06:24 Mais je pense que cette idée de dire l'aide publique est finie, on co-investit avec vous,
06:29 ça va loin parce que ça veut dire qu'il faut que vous soyez, vous, Africain, capables
06:34 d'investir avec nous sur les secteurs qui vous concernent.
06:36 Et il faut que nos entreprises soient capables d'investir.
06:39 Avec un point très important, me semble-t-il, c'est qu'on est quand même sur un continent,
06:43 pour le moment, à risque et que les entreprises n'iront pas spontanément si on ne leur met
06:47 pas le pied à l'étrier, si on ne les aide pas au plan financier, si on ne les aide pas
06:51 au plan de la gouvernance, l'amélioration des conditions d'exercice de leurs activités.
06:56 Et puis, Emmanuel Macron l'a dit aussi clairement, il faut se battre pour l'Afrique.
06:59 Il voit un continent d'enjeu avec une croissance économique forte.
07:03 Il dit mais en même temps, je ne défendrai plus les entreprises qui ne sont pas prêtes
07:06 à se battre.
07:07 Il y a aussi le problème des grands patrons qui n'ont pas saisi l'opportunité de l'Afrique.
07:13 Si vous voulez, du point de vue économique, il y a deux façons de voir l'Afrique.
07:17 Je caricature un peu.
07:18 La première, c'est de dire finalement l'Afrique est une opportunité pour vendre du matériel,
07:27 pour vendre du savoir-faire, etc.
07:29 Et ça, c'est un petit peu la vision un peu passéiste et donc opportuniste.
07:36 Et puis, il y a une autre façon de voir.
07:39 Je pense que c'est ce qu'a voulu dire le président hier.
07:41 C'est de dire l'Afrique, c'est le continent de la deuxième partie du XXIe siècle.
07:46 Ça peut paraître paradoxal de dire ça, mais compte tenu des richesses naturelles,
07:51 compte tenu de la population, tous les continents du monde vont voir la population diminuer
07:55 jusqu'en 2100.
07:56 L'Afrique va progresser.
07:58 Pratiquement deux habitants du monde sur la planète sera africain en 2100.
08:03 Donc, c'est considérable, un potentiel également sur le plan énergétique.
08:07 Et donc, il est clair qu'il faut rentrer dans cette logique où on va...
08:12 Le terme est un peu excessif, peut-être qu'il choquera, mais l'Afrique est une opportunité
08:17 pour faire du business et pour préparer effectivement cette deuxième partie du XXIe siècle.
08:24 Encore une fois, j'insiste là-dessus, c'est compliqué aujourd'hui, c'est perçu comme
08:28 un risque, il faut donc aider ces entreprises, les accompagner, ne pas les accompagner, disons,
08:33 de manière à les porter à bout de bras, mais elles investissent et on les aide, la
08:38 puissance publique les aide à régler les problèmes de gouvernance, les problèmes
08:42 de dérisking, en quelque sorte, des investissements.
08:46 D'autant qu'en plus, il y a la Chine et l'Inde qui, elles, sont totalement décomplexés
08:50 sur ce point de vue-là en Afrique.
08:52 Merci beaucoup Jean-Marc Gravelini, chercheur à l'IRI, spécialiste des enjeux sécuritaires
08:57 du développement dans la zone sahélienne.

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