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Bénédicte Chéron, historienne, spécialiste des questions militaires et maître de conférences à l’Institut catholique de Paris, répond aux questions de Dimitri Pavlenko à l'occasion du vendredi thématique "Engagement, patriotisme : ces notions ont-elles encore un sens ?".

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Transcription
00:00 Qu'est-ce que ça signifie en 2023 en France, en Europe, d'être patriote ?
00:04 C'est le vendredi thématique de la rédaction d'Europe 1.
00:07 Le patriotisme, ce dévouement que l'on a pour son pays, qu'on lui doit,
00:11 cet attachement à une histoire, un territoire, une souveraineté
00:14 qu'on est prêt à défendre, longtemps considéré comme une valeur ringarde,
00:18 pour ne pas dire suspecte, voire dangereuse.
00:21 Le patriotisme revient à la mode,
00:24 celui dont font preuve les Ukrainiens, force aujourd'hui notre admiration,
00:29 mais c'est aussi le patriotisme comme réflexe défensif
00:33 que les autorités russes cherchent à activer chez son peuple
00:36 quand elles invoquent les mannes de la seconde guerre mondiale,
00:39 la grande guerre patriotique.
00:41 Alors, et nous, que ferions-nous en cas d'attaque ?
00:43 En tout cas, le patriotisme, on l'a vu ce matin, a beaucoup à voir avec la guerre
00:47 et donc les armées, c'est le domaine d'expertise de notre invité présentement.
00:51 Bonjour Bénédicte Chéron.
00:52 Bonjour.
00:53 Bienvenue sur Europe 1, vous êtes historienne,
00:55 maître de conférence à l'Institut catholique de Paris.
00:57 Vous avez beaucoup travaillé sur le lien armée-nation,
01:00 la figure du soldat dans les médias, dans la fiction, dans l'imaginaire des Français aussi.
01:04 Je citerai votre ouvrage "Le soldat méconnu, les Français et leurs armées,
01:07 état des lieux", c'est chez Armand Colin.
01:09 Alors, méconnu, le soldat peut-être de moins en moins,
01:12 je dirais Bénédicte Chéron,
01:13 il y a des généraux en retraite sur tous les plateaux de télé depuis maintenant un an.
01:17 Combien on a eu de débats sur le retour de la guerre de haute intensité ?
01:20 Et puis regardez par exemple la couverture de l'exercice Orion ces derniers jours.
01:24 Alors l'intérêt, je ne dis pas l'attrait,
01:26 pour le cachi, Bénédicte Chéron,
01:28 est-ce que vous diriez que c'est un bon baromètre du niveau de patriotisme des Français ?
01:31 - Je ne suis pas sûre que ce soit un baromètre du niveau de patriotisme,
01:34 parce qu'en fait la relation qu'on a avec son armée
01:37 est une relation qui est faite de beaucoup de choses très compliquées,
01:40 et pas seulement d'un lien avec la nation.
01:42 Et avec la patrie en l'occurrence, puisque c'est la question que vous posez.
01:45 En revanche, ce qui est sûr, c'est que,
01:47 et d'ailleurs le politique en joue,
01:49 joue cette carte-là à fond depuis quelques années,
01:51 c'est que les armées sont un signe très visible,
01:56 et je dirais même très visuel, sur le plan médiatique,
01:59 dans une société de l'image, de l'existence d'une nation,
02:02 puisque les militaires portent un uniforme national,
02:04 et qu'ils sont l'émanation de la nation.
02:06 C'est d'ailleurs pour ça que l'expression "lien armée-nation"
02:08 n'est pas totalement satisfaisante,
02:09 parce qu'on a l'impression qu'il y aurait deux entités,
02:12 d'un côté la nation, d'un côté l'armée,
02:14 et qu'il faudrait créer un lien entre ces deux entités.
02:17 Or en fait les militaires sont des citoyens
02:19 qui, dans une armée professionnelle,
02:21 décident de choisir un métier qui est le métier des armes.
02:24 Mais ils font bien partie de la société,
02:26 et donc la question est davantage de savoir
02:28 quelle place les armées occupent au sein de la société,
02:30 que de savoir s'il existe un lien armée-nation.
02:32 - Alors tout à l'heure Michel de Geger
02:33 nous proposait cette définition de la patrie,
02:35 il disait "c'est à la fois un peuple, un territoire, une souveraineté".
02:38 L'armée, comme vous le dites,
02:39 elle n'est pas un corps ex nihilo,
02:41 c'est une partie de ce peuple qui va défendre
02:44 ce territoire et cette souveraineté.
02:46 - Dans le fait que les Français aient aujourd'hui
02:48 une très bonne image des armées
02:49 et plutôt une grande confiance dans leurs militaires,
02:51 il y a beaucoup de questions qui entrent en ligne de compte.
02:54 Il y a le fait par exemple que
02:55 on a beaucoup plus médiatisé les opérations extérieures
02:58 depuis une dizaine d'années,
02:59 depuis la seconde partie de l'engagement en Afghanistan
03:01 entre 2008 et 2012,
03:03 et que malgré des échecs qu'on va qualifier rapidement,
03:06 même si c'est un peu simplificateur d'échecs politiques
03:08 dans certaines opérations extérieures,
03:09 cette médiatisation a montré qu'on avait
03:11 sous les yeux des militaires qui sont plutôt globalement efficaces,
03:15 malgré des moyens qui ne sont pas toujours au rendez-vous,
03:17 et qui arrivent à aller au bout de la mission,
03:19 y compris parfois jusqu'au sacrifice suprême,
03:21 la mort ou la blessure psychique ou physique.
03:24 Donc ça c'est un point qui me semble être un point,
03:27 un des points les plus importants pour comprendre
03:29 la relation entre les Français et leurs armées.
03:30 Mais c'est vrai aussi que
03:32 les armées sont un signe visible et visuel,
03:34 et c'est aussi un signe visible et visuel d'un lien
03:37 entre le présent, le passé et le futur,
03:40 d'un lien entre ce passé, ce présent et ce futur,
03:42 parce que les armées en fait,
03:43 dans leur fonctionnement intrinsèque,
03:45 s'inscrivent dans le temps long
03:47 parce qu'elles ont besoin de ce temps long
03:48 pour tirer des leçons des expériences du passé,
03:51 et se projeter dans le futur et anticiper le futur.
03:53 Et c'est probablement dans une société quelle qu'elle soit,
03:56 en fait, les armées,
03:58 le point d'ancrage le plus clair
04:00 entre ce passé, ce présent et ce futur.
04:02 Et ça explique aussi ça,
04:03 parce que c'est un lieu qui conserve des traditions,
04:07 non pas par conservatisme,
04:08 on se trompe parfois là-dessus,
04:10 mais parce qu'il est considéré que des fonctionnements stables
04:13 sont nécessaires à l'efficacité au combat.
04:15 Et donc c'est probablement là que s'ancrent
04:17 un certain nombre effectivement
04:18 de souvenirs historiques, de mémoires.
04:20 C'est également parce qu'en fait,
04:22 tous les Français, enfin dans la plupart des pays européens,
04:24 il y a des études très précises
04:26 qui ont été faites par des sociologues et des historiens là-dessus.
04:28 En fait, toutes les générations successives
04:30 et encore aujourd'hui des jeunes
04:31 qui sortent de l'école à 16-18 ans,
04:34 en fait, ont une conscience très aiguë
04:35 que leur histoire s'est forgée dans les guerres.
04:38 Et donc ça reste des points d'ancrage
04:40 de nos mémoires collectives,
04:41 de notre histoire collective,
04:43 à la fois nationale et européenne.
04:44 - Mais alors précisément, la guerre qui fait son retour
04:46 depuis un an sur le sol européen,
04:48 alors c'est surtout à une échelle
04:50 qu'on n'avait plus vue depuis la Seconde Guerre mondiale,
04:51 parce que des guerres en Europe,
04:52 on ne va pas se mentir, mais depuis 75 ans,
04:54 il y en a quand même eu quelques-unes.
04:56 Mais ceci dit, ça a fait bouger les choses,
04:58 puisqu'on constate que depuis la fin de la guerre froide,
05:01 et vous l'écrivez très bien dans votre livre,
05:02 vous dites "il y a eu dissolution de l'identité épique des armées".
05:07 Et finalement, l'image du soldat,
05:08 elle se réduisait à cette espèce de binarité.
05:10 D'un côté, le soldat bourreau,
05:13 c'est ce qu'en disaient par exemple les anti-militaristes,
05:15 ou à l'inverse, le soldat victime,
05:16 le soldat, par exemple, mort pour rien,
05:19 des morts qui n'avaient pas de sens,
05:20 et je pense à ces cercueils qui, par exemple,
05:22 rentraient du Mali.
05:23 Est-ce que cette image a vécu, Bénédicte Schero ?
05:26 - D'abord, c'est une image qui s'ancre dans toute l'Europe,
05:29 l'image surtout du soldat victime après la Première Guerre mondiale.
05:32 Et pas seulement parce qu'on est,
05:33 comme on le dit un peu facilement,
05:34 dans des époques victimaires.
05:35 En fait, après la Première Guerre mondiale...
05:38 - Oui, c'est les gueules cassées, etc.
05:40 - Oui, cette guerre est une scène inaugurale traumatisante
05:42 pour l'Europe entière.
05:43 Et donc, cette image du soldat défunt comme victime,
05:48 elle surgit de manière inévitable,
05:50 en raison même de la nature de cette guerre.
05:52 Donc ça, c'est vrai pour toute l'Europe.
05:54 Ce qui est vrai, c'est qu'en France,
05:55 on a une histoire particulière qui vient se greffer par-dessus
05:57 cette première étape commune à toute l'Europe,
05:59 qui est la défaite de Carente,
06:01 qui est l'image de l'héroïsme guerrier
06:03 qui était la figure de Philippe Pétain,
06:04 qui est très abîmé, évidemment,
06:06 par ce qui se produisait au moment de l'occupation.
06:08 Et puis derrière, des guerres de décolonisation
06:10 et en particulier la guerre d'Algérie,
06:12 qui est un traumatisme français dont nous ne sommes pas sortis,
06:16 et qui vient là, effectivement,
06:18 créer cette binarité avec l'idée que d'un côté,
06:20 soit on a des appelés, des militaires appelés
06:22 qui sont des victimes de l'institution militaire,
06:25 des politiques, etc.
06:26 Soit on a des militaires professionnels qui sont des bourreaux.
06:28 Et en fait, il faut quelques décennies,
06:30 mais c'est normal dans l'histoire,
06:31 il faut qu'il y ait des générations qui passent
06:33 pour qu'on arrive à s'extraire un peu de cette dualité,
06:35 un peu forcément réductrice et caricaturale.
06:38 Et c'est vrai que depuis quelques années,
06:40 on en est sortis,
06:41 vraiment sous les coups de boutoir à la fois
06:43 des opérations extérieures,
06:44 Afghanistan, Mali,
06:46 dans lesquels les chefs militaires aussi ont davantage assumé
06:49 ce qu'ils n'osaient plus faire dans les opérations extérieures.
06:51 - Ça a aussi un peu modernisé le regard qu'on portait sur nos armées.
06:54 - Oui, et puis en fait, il y a eu des électrochocs,
06:56 l'embuscade d'Husbine en août 2008,
06:58 dont on parle toujours parce qu'il y a 10 militaires français
07:00 qui meurent d'un coup et qu'en fait,
07:01 dans une action de combat,
07:02 sans être victime d'une attaque terroriste, par exemple,
07:06 ça enclenche des réflexions au sein des armées
07:09 sur le fait qu'il est nécessaire de réexpliquer aux Français
07:11 que les militaires ne sont pas juste des gentils agents logistiques
07:14 ou humanitaires en contexte de crise,
07:16 mais qu'en fait, leur fonction, c'est de faire la guerre et de combattre.
07:19 Et que c'est forcément désagréable
07:21 et ça peut avoir des conséquences désagréables.
07:22 Et donc, il y a une pédagogie, en quelque sorte,
07:24 de la spécificité militaire,
07:26 de la particularité de ce métier
07:27 qui est mis en place à partir de ce moment-là.
07:29 - Alors, vous expliquez dans votre livre
07:30 "Le soldat méconnu", Bénédicte Chéron,
07:32 que contrairement à ce que l'on croit,
07:34 la communication des militaires et des armées
07:36 en direction de la population, elle est extrêmement efficace.
07:39 Les messages passent extrêmement bien.
07:40 Alors, est-ce que vous pouvez nous expliquer
07:42 comment les militaires ont manipulé
07:44 la notion de patriotisme dans leurs messages ?
07:46 On voit que sur le temps long, ça a beaucoup changé,
07:48 ça a beaucoup évolué.
07:49 - Oui, alors, ils ne la manipulent pas vraiment,
07:51 cette notion de patriotisme, parce qu'en fait...
07:52 - Utilisées, exploitées.
07:53 - Oui, du fait même que les militaires sont ce qu'ils sont,
07:56 du fait même qu'une armée est une armée nationale,
07:58 en fait, les militaires n'ont pas vraiment besoin
08:00 de mettre en avant un message sur le patriotisme.
08:03 - Ah bah si, par exemple, sur le service militaire,
08:04 vous le montrez très bien.
08:05 Avant la guerre d'Algérie, on ne se pose même pas la question,
08:07 on vous dit "c'est votre devoir de citoyen",
08:09 c'est ça le patriotisme.
08:10 Après, qu'est-ce qu'on met en avant ?
08:12 Ah bah l'idée que c'est une expérience,
08:13 c'est un rite initiatique, c'est le brassage social.
08:15 - Ah oui, mais là, on touche à autre chose, effectivement,
08:16 en fait, il n'y a même pas un message politique,
08:17 c'est davantage que...
08:18 - On a l'impression que le patriotisme devient
08:20 un peu honteux, finalement, après la guerre d'Algérie, notamment.
08:22 - Non, c'est pas vraiment ça.
08:23 C'est pas le patriotisme qui est honteux
08:25 après la guerre d'Algérie.
08:25 En fait, le patriotisme, au XXe siècle, il prend des formes qui sont vraiment très multiples,
08:30 en France en particulier, et c'est vrai que nous, on le relie
08:33 à une espèce de récit un peu mythologique des origines de la République,
08:36 qui est celui de la IIIe République, avec beaucoup de simplification.
08:38 Avec l'idée qu'avant la Première Guerre mondiale,
08:41 il y avait une nation très patriotique et prête à aller faire la guerre.
08:44 - La patrie en danger, la révolution, etc.
08:46 - Et puis on a une lecture très linéaire qui nous ferait dire que, en fait,
08:48 ce sentiment se dilue tout au long du XXe siècle
08:50 pour arriver aujourd'hui à une situation
08:52 qui serait sur ce plan apocalyptique.
08:54 Or, en fait, par exemple, dans les dernières études sociologiques sérieuses dont on dispose,
08:58 on voit que 80% des jeunes Français expriment un fort sentiment de fierté nationale.
09:02 Dans toutes les enquêtes sociologiques précises vraiment dont on dispose,
09:06 on se rend compte que depuis une vingtaine, une trentaine d'années,
09:10 l'idée d'autorité de l'État et l'idée d'attachement à la nation
09:14 est plutôt en progression, en fait, dans la société française.
09:17 Donc il n'y a pas de linéarité dans cette histoire.
09:19 Et à la veille de la Première Guerre mondiale, comme à la veille de la Seconde,
09:22 d'ailleurs, dans beaucoup de milieux politiques et militaires,
09:24 on pense que la jeunesse n'est pas prête à se battre pour son pays
09:26 et va refuser de prendre les armes pour sa patrie si on le lui demande.
09:29 Or, l'expérience montre que ni en 1914 ni en 1939,
09:34 il y a un fort taux de réfractaires.
09:35 Au contraire, et d'ailleurs les politiques et les militaires, les chefs militaires,
09:38 sont surpris parce qu'il y a très peu de réfractaires à ce moment-là.
09:41 Donc en fait, il faut un peu se méfier de ces idées un peu préconçues qu'on a
09:45 sur le fait qu'il y aurait un déclin absolument linéaire du patriotisme.
09:48 Premier point.
09:49 Et deuxième point, en fait, ce qui se passe après la guerre d'Algérie en France,
09:52 c'est que c'est l'acte combattant qui devient inassumable,
09:56 ni politiquement, ni sur le plan politique, ni pour les chefs militaires.
10:00 Et c'est cet acte combattant, en fait, qu'on efface de la communication militaire
10:04 parce qu'il est marqué de trop de traumatismes liés à la guerre d'Algérie,
10:08 de trop de traumatismes liés à la défaite de Carente.
10:10 - Mais alors qu'est-ce qu'on dit du militaire à ce moment-là ?
10:11 - Et donc, on va se mettre à raconter à ce moment-là, dans les années 60,
10:14 qu'en fait, le service militaire, c'est pas la réalité qui est vécue
10:18 par ceux qui font leur service militaire,
10:19 parce qu'eux continuent d'avoir cette expérience militaire.
10:21 Mais ce qu'on raconte, c'est qu'en fait, c'est effectivement un rite initiatique
10:24 nécessaire à la vie d'adulte et nécessaire à la cohésion nationale,
10:27 sans qu'on se donne jamais la peine de définir ce que signifient les mots "cohésion nationale".
10:31 - L'historienne Bénédicte Chéron est l'invitée d'Europe 1 Matin.
10:35 Bénédicte Chéron, alors, est-ce à hasard,
10:37 si un an après le retour de la guerre sur le sol européen,
10:40 il est question depuis quelques jours de rendre obligatoire
10:44 le successeur du service militaire, le fameux SNU,
10:47 Service National Universel, un service que les aînés adorent,
10:51 les jeunes vraisemblablement beaucoup moins,
10:52 quoique on entendait tout à l'heure dans le journal de 7h sur Europe 1
10:55 que ceux qui y vont, les volontaires, sont particulièrement motivés
10:58 et trouvent ça absolument formidable.
10:59 Ils ont d'ailleurs tous très envie de conserver l'uniforme qu'on leur laisse d'ailleurs.
11:03 Vous êtes assez dubitative, vous Bénédicte Chéron,
11:07 sur cette idée d'une généralisation du SNU
11:11 à une cohorte de 800 000 collégiens chaque année ?
11:14 - Alors, ce seraient plutôt des lycéens en classe 2,
11:16 mais en effet, effectivement, ils auraient 15-16 ans.
11:19 Oui, je suis dubitative, parce qu'en fait,
11:21 cette idée du SNU apparaît dans le programme d'Emmanuel Macron en 2017,
11:25 au moment où il annonce son programme de défense.
11:27 Et en fait, quand il l'annonce, il emploie indifféremment
11:30 les mots "service national", "service militaire" et "expérience militaire",
11:32 comme si tous ces mots étaient équivalents.
11:34 - Et là, on se dit, il va rétablir la conscription suspendue par Jacques Chirac.
11:37 - C'est très intéressant, parce que très vite, il dit
11:38 "ah non, mais il n'est surtout pas question d'apprendre le métier des armes
11:40 à chaque classe d'âge dans son entier,
11:41 parce qu'on ne saurait pas le faire, et puis on ne saurait pas très bien à quoi ça sert".
11:44 - Et surtout, les armées seraient bien embêtées, parce que non plus, elle n'a pas le temps de le faire.
11:48 - En fait, depuis les années 60, on sait qu'on n'a plus besoin d'une armée de masse.
11:51 Donc c'est sur le plan militaire inutile.
11:53 Et en fait, surtout, on voit qu'Emmanuel Macron...
11:56 - Depuis les années 60, vous dites ?
11:57 - Oui, Pierre Messmer, déjà en 65, au moment où on crée le service national,
12:01 en fait, il annonce qu'il va falloir prévoir des systèmes de dispense,
12:04 parce que l'arme nucléaire pointant le bout de son nez,
12:07 la modernisation des armements pointant le bout de son nez,
12:09 on se dit qu'on ne va plus avoir besoin d'une armée de masse.
12:11 Et en fait, c'est Pierre Messmer qu'on ne peut pas suspecter d'être anti-militariste,
12:15 qui déjà, dans les années 70, dit qu'il va falloir prévoir des dispenses
12:18 pour ceux qui sont chargés de famille,
12:19 ceux qui peuvent avoir des difficultés à l'accomplir, etc.
12:21 Parce qu'en fait, il voit poindre ce ministre compétent
12:25 le fait qu'on ne saura pas quoi faire de tous ces garçons qu'on va appeler sous les drapeaux.
12:28 Donc c'est quelque chose d'assez ancien, déjà.
12:31 Et Emmanuel Macron, il est intéressant en 2017, parce qu'en fait, ce qu'il raconte,
12:34 c'est exactement la mémoire brouillée que les Français ont aujourd'hui
12:39 de ce qu'était le service militaire.
12:41 C'est-à-dire que pour lui, en fait, c'était une espèce d'expérience initiatique
12:44 sous l'uniforme, mais sans la finalité tragique que constituent le combat et la guerre,
12:49 et qui permettrait de créer de la cohésion.
12:51 Et c'est une histoire qui est complètement mythifiée,
12:52 parce qu'en fait, quand on fait l'histoire précise du service militaire, puis du service national,
12:57 ce qu'on constate, c'est que le service militaire et le service national
12:59 n'ont jamais eu des effets absolument déterminants
13:03 sur les grandes évolutions sociales de la société française.
13:06 En fait, la société a bien davantage influencé les armées
13:10 via le service militaire, par le biais du service militaire
13:13 et du passage de chaque classe d'âge sous l'uniforme,
13:15 que le service militaire au XXe siècle n'a influencé réellement la société.
13:20 Et en fait, Emmanuel Macron renverse cette histoire,
13:22 parce qu'on a tous cette mémoire mythifiée en France,
13:24 parce que le service militaire fait partie de ce récit des origines de la Troisième République
13:28 après la défaite de 1870.
13:30 - La nation en armes aussi, etc.
13:32 Parce que là, on peut remonter même à la Révolution française.
13:34 - Oui, mais alors là, en oubliant que le XIXe siècle est en fait
13:36 un siècle d'interruption permanente de la conscription,
13:38 de modulation de la conscription pour répondre à des besoins militaires.
13:42 En fait, au XIXe siècle, quand on lève une conscription,
13:45 c'est parce qu'on a besoin à un instant de X combattants.
13:48 - Alors c'est marrant, parce qu'il y a ce discours,
13:50 beaucoup de gens qui se disent que tout va plus mal
13:51 depuis qu'on a supprimé le service,
13:52 et en même temps, on ne peut pas s'empêcher d'être effrayé
13:54 quand on voit ces images qui nous viennent de Russie,
13:56 par exemple, ces centaines d'adolescents qui s'enrôlent dans Yunarmia,
14:00 l'armée des jeunes.
14:01 C'est des gamins de 8 à 18 ans qui sont prêts à aller défendre la patrie russe.
14:06 Alors, c'est à la fois beau, spectaculaire et terrifiant.
14:08 - Oui, alors c'est terrifiant, il faut aussi quand même bien faire la différence
14:12 entre ce que fut le service militaire des différents régimes républicains français successifs
14:17 et ce que sont ce genre de dispositifs de militarisation de la jeunesse.
14:21 En fait, jamais en France, on n'a eu...
14:24 En fait, il y avait une distinction assez nette entre le patriotisme,
14:27 c'est un historien qui s'appelle Olivier Loubès,
14:29 qui a vraiment travaillé là-dessus, je recommande cette lecture,
14:32 entre le patriotisme enseigné à l'école
14:34 et là, le fait d'apprendre le métier des armes.
14:36 C'est deux choses qui sont différentes,
14:38 qui s'imbriquent de manière étroite dans la Troisième République,
14:42 mais il n'y a jamais eu l'idée de militariser la jeunesse,
14:44 sauf dans quelques expériences ponctuelles qui ont été couronnées d'échecs,
14:48 comme les bataillons scolaires à la fin du XIXe siècle.
14:50 - Merci beaucoup Bénédicte Chéron d'être venue ce matin sur Europe 1.
14:54 Je redonne le titre de votre ouvrage, on a hâte d'avoir le suivant,
14:56 vu ce qui s'est passé ces derniers temps.
14:58 "Le soldat méconnu, les Français et leurs armées, état des lieux",
15:00 c'est paru chez Armand Collin.
15:02 Merci à vous, je vous souhaite une excellente journée.
15:04 8h57 sur Europe 1.

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