• l’année dernière
Les eaux qui bordent les côtés du Sénégal sont parmi les plus poissonneuses du monde.


Dans ce pays, 20 % de la population travaille dans le secteur de la pêche. Une population aujourd’hui menacée notamment par une situation : celle de la surpêche étrangère au large de son territoire.


Mais alors, sommes-nous face à un pillage organisé ? Quelles conséquences humaines, économiques ou encore environnementales ? Faut-il changer notre modèle économique et alimentaire ? Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat.


Avec : 
Frédéric le Manach : Directeur Scientifique de l’association Bloom
Fabien Gay : Sénateur communiste de la Seine-Saint-Denis
Ousmane Ndiaye : Rédacteur en chef à TV5 Monde
Thierry Fabre : Rédacteur en chef à Challenges 


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Transcription
00:00 Razia sur l'Atlantique, un film inédit signé Nicolas Van Ingen qui nous dit tellement de choses sur la situation de ces pêcheurs sénégalais
00:08 appauvris par cette surpêche illégale des bateaux étrangers.
00:11 Le Sénégal dépouillé de ses ressources halieutiques, la faute à qui, à quoi et surtout comment en sortie, on va en parler avec nos invités ici présents.
00:19 Fabien Guay, bienvenue à vous, vous êtes sénateur communiste de la Seine-Saint-Denis, vice-président de la Commission des affaires économiques.
00:26 Depuis plusieurs années, vous attirez l'attention du gouvernement sur la surpêche et ce qu'on appelle les navires-usines,
00:32 notamment par le biais de questions écrites adressées à l'exécutif.
00:35 Ousmane Ndiaye, bienvenue à vous également.
00:37 Vous êtes rédacteur en chef Afrique pour TV5MONDE, ancien correspondant notamment au Mali et au Sénégal.
00:42 Frédéric Lemanac, bienvenue à vous.
00:44 Vous êtes directeur scientifique de Blum, situe une ONG qui lutte contre la destruction de l'océan, du climat et des pêcheurs artisans.
00:51 Vous êtes par ailleurs docteur en gestion des pêches.
00:53 Et Thierry Fabre est également avec nous, bienvenue à vous.
00:55 Vous êtes rédacteur en chef au magazine Challenge.
00:57 Vous êtes à la tête du pôle politique, macroéconomie et international.
01:01 Merci beaucoup à tous les quatre d'être ici.
01:03 Je voudrais d'abord qu'on revienne sur les termes employés dans le film parce que les mots sont importants.
01:07 Est-ce que tout le monde est d'accord pour parler d'un pillage des eaux sénégalaises ?
01:11 C'est le terme qui est employé dans ce film.
01:13 Est-ce qu'on peut parler de pillage et de bateaux pirates, Ousmane Ndiaye ?
01:16 Oui, oui, de façon évidente.
01:18 Le document le démontre de façon admirable.
01:22 Ce qui se passe, c'est que nos modes de vie ici détruisent d'autres modes de vie.
01:26 C'est clair.
01:27 C'est-à-dire, et ça c'est intéressant quand tel documentaire existe,
01:31 parce que je n'ai eu de cesse ces dernières années de rappeler que nos problèmes d'ici,
01:36 nos problèmes d'ici, une bonne partie des problèmes d'ici trouvent leur source ailleurs.
01:38 Vous prenez la question de l'immigration qui est beaucoup ici débattue par les politiques,
01:44 c'est une question nationale.
01:45 Mais on voit clairement les processus en cours.
01:48 À partir d'un certain nombre d'années, on a vu que l'immigration, c'était des bateaux qui venaient.
01:52 Et quand vous prenez les zones de départ pour le Sénégal dont on parle ici,
01:57 la principale zone de départ des pirogues au Sénégal, c'est Tiaroy.
02:01 Tiaroy, c'est des pêcheurs.
02:02 Et que l'essentiel des jeunes qui venaient ici et qui créaient un phénomène de psychose,
02:07 on a vu les images qui ont beaucoup débattu, sont la conséquence,
02:12 il faut que l'opinion publique française sache que c'est la conséquence de nos choix de vie ici.
02:16 Deuxième chose qui est très importante à dire,
02:19 ce n'est pas seulement une destruction économique, pour moi c'est pire qu'un piège.
02:23 Parce que pour un pays comme le Sénégal dont on parle ici,
02:26 on ne détruit pas que l'économie, on détruit la même du pays, la structuration du pays.
02:31 Sénégal, le nom du pays vient de Sunougal, comme certains historiens.
02:36 Sunougal, ça veut dire "notre pirogue".
02:39 Et que l'essentiel même du pays, la bleu plate nationale, c'est fait à base de poissons, etc.
02:44 Toute la conscience nationale, une bonne partie de la conscience nationale,
02:46 s'est construite sur la question de la pêche.
02:48 Donc non seulement c'est une destruction économique, c'est une destruction culturelle,
02:52 c'est une destruction de tout ton écosystème.
02:54 Frédéric Lemanac, on se demande si ça ne concerne que le Sénégal,
02:57 parce qu'on va peut-être voir une carte, mais on parle là de toute l'Afrique de l'Ouest.
03:01 Est-ce qu'on est tous d'accord pour parler d'un pillage des eaux de toute l'Afrique de l'Ouest ?
03:04 C'est vraiment comme ça qu'il faut dire les choses ?
03:06 Oui, c'est vraiment comme ça, et même de toute l'Afrique,
03:09 puisqu'en Afrique de l'Est on a aussi les mêmes mécanismes qui existent.
03:12 On a des accords de pêche établis entre l'Union Européenne et les pays d'Afrique de l'Est,
03:16 Madagascar, les Seychelles, etc.
03:19 Et on a aussi les flottes asiatiques qui sont là-bas.
03:21 Donc on n'a pas les Turcs, on n'a pas les Chinois dans l'océan Indien,
03:24 mais c'est exactement les mêmes mécanismes,
03:26 pas forcément les mêmes espèces, les mêmes marchés,
03:29 mais on a effectivement un pillage qui existe en Afrique de l'Ouest et en Afrique de l'Est
03:33 de la part des nations de pêche les plus développées.
03:36 Et alors j'allais vous dire, dans le film on comprend que c'était d'abord,
03:40 au départ, plutôt un pillage européen,
03:42 devenu ensuite un pillage russe et chinois.
03:45 Est-ce que pour autant c'est terminé du côté européen ?
03:47 On ne parle plus de pillage ou ce n'est pas tout à fait clair encore ?
03:50 Ah non, on parle toujours de pillage européen.
03:52 Il faut savoir que les plus gros bateaux de pêche européens
03:55 sont tous envoyés en Afrique une partie de l'année.
03:58 Tous les bateaux dont on parle régulièrement en hiver,
04:01 qui font 120-140 mètres de long, sont en Afrique une partie de l'année,
04:05 sont dans l'océan Atlantique Nord une autre partie de l'année,
04:08 dans le Pacifique une autre partie de l'année.
04:10 Tous les plus gros navires de pêche européens,
04:12 par exemple les tonniers Sénères,
04:13 sont basés en Afrique de l'Ouest et dans l'océan Indien.
04:16 Et on a des mécanismes, on pourra revenir pendant l'émission là-dessus,
04:19 mais l'Union Européenne, clairement, est une force motrice
04:21 de destruction des écosystèmes marins en Afrique,
04:24 et de destruction aussi de la démocratie.
04:27 Elle corrompt en fait les processus de décision.
04:29 En ce moment, on a l'Union Européenne qui va objecter,
04:32 qui veut objecter à un vote démocratique qui est lu dans l'océan Indien.
04:36 Donc non, bien sûr qu'on parle toujours de pillage européen.
04:39 Ce n'est pas juste un problème historique.
04:40 Mais c'est un pillage différent quand même, Ferry Favre,
04:42 parce qu'on ne peut pas imaginer que l'Europe pille les eaux africaines.
04:46 Il y a des accords, alors est-ce que les accords sont un peu troubles ?
04:50 Ils sont imposés surtout.
04:51 Ils sont imposés ?
04:52 Alors, ça c'est une vraie question.
04:55 C'est assez désespérant de parler de pillage aujourd'hui,
04:57 alors qu'on en parlait déjà il y a 40 ans ou 50 ans,
04:59 après les indépendances.
05:01 On a l'impression que le sujet n'a pas avancé.
05:04 Moi ce qui me frappe, c'est la faiblesse des États.
05:06 C'est-à-dire que l'État sénégalais, il signe des accords.
05:09 Mais on pourrait se dire que ça pourrait être un accord d'égal à égal,
05:12 où il évalue le pour et le contre.
05:15 Il en a signé avec les Européens.
05:16 Ça, c'est très bien expliqué dans le film.
05:19 Ça, c'est... Ça aboutit à un pillage.
05:21 Maintenant, il est face à d'autres puissances, Russie et Chine,
05:24 où là, il n'y a pas d'accord.
05:26 Et donc c'est peut-être pire.
05:27 C'est-à-dire que du coup, on voit bien dans le film
05:30 que les méthodes de pêche, en fait, contournent la réglementation.
05:33 Les Chinois se font passer pour des pêcheurs sénégalais.
05:36 C'est ce qu'on appelle la sénégalisation.
05:37 Il y a une faille juridique qui permet au bateau de...
05:40 Et donc pille directement les eaux.
05:41 Donc le sentiment que j'ai, c'est qu'il y a eu même un recul
05:44 des nations africaines, où auparavant, il y avait un accord,
05:47 certes déséquilibré, mais il y avait un accord quand même,
05:49 qu'on pouvait espérer renégocier.
05:51 Et là, il se trouve que dans le cas de la pêche,
05:53 il n'y a même plus d'accord. Donc c'est vraiment...
05:54 C'est totalement sauvage.
05:56 Et c'est assez inquiétant.
05:59 Et ça pose le problème des relations.
06:00 C'est-à-dire que beaucoup de pays africains ont dit
06:01 "La puissance coloniale française, il y en a assez,
06:03 on va aller avec d'autres nations".
06:05 On voit que les relations avec la Chine sont aussi très compliquées,
06:08 parce que c'est aussi des relations de domination.
06:11 Et parfois sans les parafaits.
06:15 Donc c'est extrêmement...
06:16 - Vous nous dites quand même que tout le monde est responsable,
06:18 y compris les autorités sénégalaises,
06:20 qui elles, ont besoin d'argent, c'est ça ?
06:22 - Ça révèle leur faiblesse.
06:23 C'est-à-dire qu'à chaque fois qu'on signe un accord, il y a un deal.
06:26 Quand on signe un accord avec les Chinois,
06:28 souvent le deal avec les Chinois, c'est on vous donne de l'argent,
06:30 mais on prend éventuellement les matières premières.
06:33 Donc le problème, c'est que quand on est une nation africaine,
06:36 on est souvent en position de déséquilibre.
06:38 On a besoin de ressources.
06:40 Et donc effectivement, ça aboutit à un accord déséquilibré.
06:43 - Fabien Guay, comment vous la voyez, cette question d'un pillage ?
06:47 Tout le monde est d'accord pour parler d'un pillage
06:49 par des bateaux étrangers, y compris européens,
06:51 donc y compris nous, avec une responsabilité partagée ?
06:55 - Non, c'est un pillage. Moi, j'ajoute le mot de raquette.
06:58 Parce qu'en fait, on est au cœur d'une relation entre le Nord et le Sud
07:01 qui n'est pas du tout équilibrée et qui ne l'a jamais été.
07:04 C'est un rapport de domination.
07:05 En réalité, c'est un néocolonialisme et on ne peut pas traiter d'égal et à gueule.
07:10 On devrait avoir des rapports de coopération, construire d'autres choses,
07:13 reconnaître les océans comme bien commun de l'humanité,
07:16 comme l'Amazonie française ou tant d'autres choses.
07:19 Là, on parle de la surpêche, mais on pourrait parler aussi des terres agricoles
07:22 qui sont achetées en masse par les Chinois, les Russes et les Européens,
07:25 toujours en Afrique.
07:26 C'est un désastre, vous avez dit, économique, culturel, pour les fonds marins,
07:32 parce qu'on a des énormes chalutiers et il n'y a pas que, malheureusement,
07:36 il n'y a pas qu'au large du Sédégal qui viennent racler les fonds marins,
07:40 libèrent du CO2 et donc la question du CO2, c'est une question d'humanité.
07:45 Donc, on devrait avoir de nouvelles dialogues, coopérations.
07:49 On rejette 25% des poissons à la mer.
07:52 C'est 500 000 tonnes, je crois, prises pour faire justement de l'huile ou de la farine,
07:58 pour aller non pas nourrir, évidemment, l'Afrique,
08:00 mais les populations européennes, chinoises ou autres, ou même le bétail.
08:05 Donc, on est vraiment dans un système, aujourd'hui, néocolonial.
08:10 Il n'y a pas d'autre mot et moi, j'ajoute que c'est un racket,
08:13 parce qu'il peut y avoir un moment des négociations,
08:16 il peut y avoir des traités qui sont peu ou pas respectés,
08:18 parce que quand on a affaire à des grandes compagnies comme ça,
08:21 malheureusement, elles sont plus puissantes que des États.
08:24 C'est ça, la réalité.
08:25 Et puis, vous avez, en quelque sorte, de la piraterie,
08:28 parce qu'il n'y a aucun accord et on pense que l'Afrique
08:31 est encore un terrain de jeu pour les dominants et on peut aller la piller
08:34 de façon impune, en toute impunité internationale,
08:39 sans jamais être sanctionné. C'est ça, le problème.
08:41 – Moi, je suis d'accord avec ça, il y a des rapports de domination économique.
08:44 Maintenant, de l'autre côté, sur le cas du Sénégal,
08:47 la presse sénégalaise a enquêté, travaillé dessus,
08:49 il y a eu ce qu'on a appelé les scandales des accords de pêche.
08:52 C'était quoi ? On s'est rendu compte que les partis politiques
08:56 étaient financés par des dessous de table ou une partie des accords
09:00 dont on ne savait pas où est l'argent.
09:02 Ce qui est intéressant, et d'ailleurs le documentaire le dit,
09:04 pendant longtemps, les accords de pêche entre le Sénégal et l'Union européenne,
09:08 c'était des accords secrets.
09:10 Ce qui viole même, quelque part, les textes de l'Union européenne
09:13 qui disent que quand le citoyen européen finance de l'argent,
09:17 il y a une contrepartie de transparence.
09:19 Donc, en fait, des deux côtés de la classe politique et des États,
09:22 il y a une défaillance.
09:23 C'est-à-dire que l'Union européenne accepte quand même de tordre
09:26 la règle qui établit de transparence.
09:30 Et de l'autre côté, tu as quand même au Sénégal, sur le cas du Sénégal,
09:33 les accords de pêche permettent de financer une bonne partie de la classe politique.
09:37 Les Chinois, ça a été démontré, c'est encore pire,
09:39 parce que ça permet de donner des licences en dehors de tout cadre légal,
09:43 donc pouvoir récupérer de l'argent liquide pour pouvoir financer des activités politiques.
09:46 Donc, il y a une alliance objective entre des élites,
09:50 qui sont souvent corrompues ou qui ont des intérêts immédiats,
09:53 qui se fait sur le dos des deux peuples, des deux populations,
09:56 parce qu'au final, c'est les populations qui trinquent.
09:59 – Le rapport de domination s'accompagne toujours de la corruption,
10:04 pour justement que l'impunité continue.
10:07 Et le fait que ces accords de pêche ne soient pas rendus publics,
10:10 ce sont exactement la même chose que les traités de libre-échange,
10:14 climaticides, qui vont au moins de visant social et environnemental.
10:19 Bon, moi je pense qu'il faut abolir tout ça, il faut arrêter.
10:22 De façon internationale, il faut se reposer les questions d'échange commerciaux, économiques.
10:28 Non mais, oui mais d'accord mais…
10:29 – C'est le contraire qui se passe en fait.
10:31 – Mais malheureusement aujourd'hui, c'est le contraire qui se passe.
10:33 – Oui mais le modèle des accords de pêche qu'on dénonce ici,
10:36 il faut savoir que ce modèle-là a été étendu à toute l'économie africaine,
10:41 il y a ce qu'on a appelé les APE, les accords de partenariat économique avec l'Afrique,
10:45 que les Africains ont refusé jusqu'au bout de ratifier.
10:48 Et que l'Europe a profité de la division des Africains
10:51 et d'une certaine chantage à l'aide pour imposer des accords de partenariat économique
10:57 qui vont totalement détruire l'agriculture, la petite agriculture africaine.
11:01 – Et on comprend dans le film en tout cas que ce sentant impuissant,
11:04 voyant qu'il ne trouve d'être nulle part une partie des pêcheurs sénégalais,
11:08 se révolte et se fait justice soi-même,
11:12 ce qui donne une radicalisation des propos et des actes.
11:15 Je voudrais qu'on écoute ce leader syndical qu'on entend beaucoup d'ailleurs dans le film.
11:18 – Un jour j'ai dit aux pêcheurs là,
11:20 "écoutez le problème c'est pas l'État qui va le régler de cette façon,
11:23 c'est à nous de le régler, parce que c'est à nous qu'on attaque".
11:26 On est allé encercler un bateau, je suis monté en haut avec les amis,
11:30 on a fait descendre le capitaine qui était un Chinois,
11:34 ils étaient cinq, on les a tabassés, on a amené le capitaine chez moi,
11:37 on l'a kidnappé, quand on te tape sur la joue droite,
11:40 il ne faut pas se donner l'autre, il faut taper toi aussi.
11:42 – Et oui, je vois tous réagir, mais Frédéric Lemanac, c'est ça le résultat,
11:47 c'est que effectivement ça semble donner des situations de violence,
11:50 des radicalisations de propos et d'actes,
11:52 et on l'entend là de la bouche d'un leader syndical.
11:55 Il y a un sentiment anti-européen et peut-être pas que d'ailleurs aussi,
11:58 anti-russe, anti-chinois qui est en train de se développer
12:00 avec des actes de violence, c'est ça le résultat ?
12:03 – Oui, c'est le résultat et on le comprend,
12:04 et on le voit d'ailleurs aussi en métropole, avec la même politique
12:09 de violence ultra pro-industriel, corrompue, corruptible de l'Union européenne
12:15 et d'autres nations de pêche en Afrique,
12:18 en fait, se fait exactement de la même manière dans l'Union européenne.
12:23 Et donc on a par exemple l'État français qui va porter des positions
12:27 à l'opposé de ce que les pêcheurs français artisans demandent,
12:30 et donc on a aussi des pêcheurs artisans français qui se radicalisent,
12:34 qui commencent à poursuivre les bateaux de pêche néerlandais,
12:36 les bateaux de pêche industriel, qui sont majoritairement néerlandais,
12:40 qui sont prêts à les tabasser, qui sont prêts à couler les bateaux,
12:43 qui votent de plus en plus… – Il y a des règlements de compte au large.
12:45 – Bien sûr, qui votent aussi de plus en plus d'extrême droite.
12:48 Donc la montée de l'extrême droite en Europe,
12:51 elle est aussi causée par cette violence néo-coloniale,
12:55 ultra-libérale qu'on voit de l'Europe partout dans le monde.
12:58 Donc c'est bien sûr que quand je vois cette réaction-là, je la comprends.
13:03 Malheureusement, c'est la marge du monde,
13:04 on est dans un monde qui est de plus en plus violent, qui part en torche,
13:07 et donc les gens vont prendre les armes.
13:09 Si on veut que les gens ne prennent pas les armes,
13:11 il faut qu'on remette complètement à plat la manière dont on fait le commerce,
13:15 les coopérations.
13:16 Par exemple, si vous prenez les communications de la Commission européenne sur la pêche,
13:22 tout est durable, tout est du partenariat, de l'échange,
13:25 on aime nos copains d'Afrique, etc.
13:28 Et donc les méchants, c'est des Chinois.
13:30 C'est ça que l'Union européenne dit.
13:31 Mais en fait, les Chinois, ils font quoi ?
13:33 Ils font comme les Européens font, mais à échelle chinoise.
13:36 Les Chinois sont 1,4 milliard, nous on est 447 millions.
13:40 Donc forcément, l'impact qu'on a n'est pas le même que l'impact
13:43 avec un milliard d'habitants en plus.
13:46 Mais on n'a rien à envier à ce qui se passe en Afrique.
13:50 En fait, on a clairement un besoin, nous, Européens, de nettoyer dans notre porte.
13:55 Donc c'est sûr que c'est violent comme réaction,
13:58 mais c'est compréhensible malheureusement.
13:59 Oui, on peut charger l'Europe, mais moi, ce qui me désespère un peu,
14:03 c'est que vous pouvez penser que la diversification des relations
14:07 avec d'autres puissances, l'arrivée de la Chine, la Turquie,
14:10 qui devient très importante, notamment au Sénégal,
14:12 vraiment une poussée spectaculaire, l'Inde qui arrive en Afrique,
14:16 on pouvait se dire, notamment l'Afrique francophone
14:18 qui était auparavant dominée par la France,
14:21 elle allait s'en sortir un peu mieux d'ailleurs.
14:22 C'est un discours que tiennent les Africains.
14:23 Les choses allaient être rééquilibrées.
14:24 Nous, on ne veut plus continuer avec la France
14:26 parce qu'on veut diversifier nos partenaires.
14:28 Et donc, on sera moins dépendants.
14:31 C'est quoi le résultat ?
14:32 C'est là que je suis extrêmement déçu.
14:33 C'est-à-dire que justement, quand on voit l'exemple de la pêche
14:35 avec les Chinois, on a vu la pratique chinoise,
14:38 elle peut être pire, parfois beaucoup plus brutale.
14:40 Et d'ailleurs, il y a un certain nombre de pays qui en reviennent,
14:45 notamment en Afrique de l'Est, une grande campagne au Kenya,
14:48 dans la campagne présidentielle, où le nouveau président
14:52 s'est fait élire contre les Chinois.
14:53 En Tanzanie, c'était un peu la même chose.
14:55 C'est-à-dire qu'ils sont allés tellement loin
14:57 et donc ils sont allés plus loin que la puissance coloniale française,
15:00 par exemple, que c'est un peu désespérant
15:02 parce qu'on pouvait espérer que l'arrivée de nouveaux joueurs
15:06 allait se faire au bénéfice des Etats africains.
15:09 En fait, non. Il y a toujours cette relation déséquilibrée.
15:11 Donc vraiment, il faut chercher, essayer de s'unir.
15:14 Avec des violences terribles.
15:15 On voit ces hommes qui ont été brûlés à l'acide
15:18 lors de combats avec des Chinois sur un bateau.
15:21 On voit des situations quand même absolument dramatiques.
15:23 On assiste à des violences.
15:24 Mais de toute façon, on voit, c'est sûr que la Chine est pire.
15:27 Bien évidemment, c'est les bateaux épaves qu'on voit et qui sont actifs,
15:31 qu'on voit dans le documentaire, sont chinois.
15:33 Les esclaves à bord sont sur des bateaux chinois.
15:36 L'acide qui est utilisé, c'est bien évidemment des bateaux chinois.
15:39 Les Européens ne font pas ça.
15:41 Mais en termes de pratiques, de corruption, d'influence,
15:44 de néocolonialisme, etc. et d'impact sur l'environnement,
15:48 on est sur quelque chose qui est comparable.
15:50 Mais donc, le truc, c'est aussi que l'Union européenne,
15:55 ce n'est pas un confetti, si vous voulez, dans le monde.
15:58 C'est la deuxième plus grande puissance de pêche au monde avec la Chine.
16:02 La France est quasi ex aequo avec les États-Unis,
16:05 le plus gros territoire marin au niveau international.
16:08 Donc, on a une voix qui porte. On a besoin d'être exemplaire.
16:10 D'autant plus que l'Europe est une démocratie et on s'en orgueille.
16:15 C'est-à-dire sur la question des droits de l'homme,
16:18 la question des droits à la personne, trafiqués d'êtres humains,
16:20 on est plus exigeant que la Chine.
16:23 Et donc, il faut que cette exigence vis-à-vis de nous-mêmes
16:26 se traduise politiquement.
16:27 Moi, ce qui me frappe, c'est l'incapacité ici
16:30 à le faire traduire en actes politiques.
16:32 Ça, ça me frappe. L'inertie des politiques sur les questions
16:36 de rapports de domination est frappante, d'autant plus que,
16:40 comme on l'a vu, la violence économique engendre la violence sociale.
16:43 Ici, en France, on parle beaucoup du débat qui est en cours
16:46 et qu'on nomme de façon impropre le sentiment anti-français.
16:49 C'est la traduction des logiques de domination économique.
16:52 On peut faire de la géopolitique a posteriori, le manipuler, etc.
16:56 Mais ce qui est en cours, quand vous prenez le début de la dénonciation,
17:00 les bases de la dénonciation, c'est toujours de la logique économique.
17:03 Par exemple, au Sénégal, le mouvement porte-étendard
17:07 du sentiment entre guillemets anti-français, c'est France dégage.
17:12 France dégage, c'est d'abord le corpus du discours, c'est le France IFA,
17:16 c'est les grands groupes français qui viennent détruire l'économie locale,
17:20 la petite économie.
17:21 Ce sont des logiques sociales et économiques au départ.
17:24 Donc après, la lecture politique vient a postérieur.
17:26 Pour nuancer le discours, il y a un sentiment anti-français en ce moment
17:30 qui est l'héritage colonial, mais je trouve que ça va extrêmement loin.
17:35 Je pense déjà qu'il n'y a pas de sentiment anti-français.
17:37 Enfin, en tout cas...
17:39 C'est une contestation politique de la France et des mécanismes.
17:42 Oui, mais en tout cas, il y a une espèce de rejet de tout ce qui ressemble
17:44 à être un français dans certains pays.
17:47 Non, je ne suis pas d'accord.
17:48 En tout cas, c'est ce qu'on ressent.
17:49 Ça, c'est un raccourci.
17:50 Non, mais en tout cas, il y a des faits.
17:51 Enfin, je veux dire...
17:52 Les faits...
17:53 Allez au Mali, au Burkina, les faits, ils s'en sont rêvés.
17:55 Les faits, si vous allez en France, on ne va pas...
17:57 Au Mali ou au Sénégal, on ne vous rejette pas.
18:00 Par contre, on va vous dire, les accords de défense,
18:02 les ingérences économiques et militaires, on n'en veut pas.
18:05 C'est-à-dire, c'est ça qui...
18:06 En fait, le problème est compliqué.
18:08 C'est-à-dire, le fait de rejeter la domination économique
18:11 ne veut pas dire qu'on ne rejette ni la langue, ni la culture, ni les valeurs.
18:14 La plupart des jeunes Africains rêvent, qui ont ce discours de critique sur la France,
18:19 rêvent de venir étudier en France.
18:20 Alors, il y a une forme, si je précise mon propos, une forme de rejet.
18:24 Simplement, le sentiment que j'ai, c'est qu'effectivement,
18:27 cette forme de rejet va très loin
18:30 et ne regarde pas les différences avec certaines nouvelles puissances.
18:33 Moi, je suis quand même frappé.
18:34 C'est-à-dire, laissez-moi finir.
18:36 La France, les entreprises françaises, elles ont des règles de compliance
18:41 qu'on peut critiquer, mais en tout cas,
18:42 maintenant, les règles s'appliquent, même si elles ne sont pas toujours appliquées.
18:46 Souvent, nos concurrents, les concurrents des Français n'ont pas de règles.
18:50 C'est ça qui est terrible.
18:51 C'est-à-dire, les Africains sont parfois avec de nouveaux arrivants,
18:54 les Russes et les Chinois, sans règles du tout.
18:58 Alors, je ne vous dis pas que les Français sont purs,
19:00 mais simplement, il y a une certaine forme de règles
19:03 qui n'existent pas chez certains concurrents.
19:05 Je vais vous redonner la parole, Fabien Guay, dans un instant,
19:07 mais je voudrais qu'on revoie un extrait
19:09 et qu'il sera en lien avec ce que vous avez dit au début de votre propos,
19:11 au début de l'émission, ce matin-diaille.
19:12 D'après le film, l'équation est tragique, mais elle est relativement simple.
19:15 Pillage des ressources halieutiques, disparition du poisson,
19:18 plus de travail, appauvrissement général.
19:21 Et tout cela débouche sur une migration des jeunes Sénégalais vers l'Europe,
19:25 une migration souvent suicidaire.
19:27 On regarde un extrait et on en parle juste après.
19:29 Ton fils est mort, je ne l'ai pas entendu.
19:31 Je n'ai aucune nouvelle.
19:33 Je ne l'ai pas entendu.
19:35 Je ne sais pas comment il a été tué.
19:39 Ton fils est mort.
19:41 Tu es resté à la maison sans lui dire de quoi tu as fait.
19:43 Il a été très dur.
19:45 Il a été très dur.
19:48 Il a été très dur.
19:50 Il a été très dur.
19:51 Ce n'est pas seulement le poisson qui disparaît,
20:01 mais c'est une partie des Sénégalais qui disparaît.
20:03 Ça a une conséquence pour le développement de l'Afrique.
20:06 Je ne dirai même pas le Sénégal,
20:07 mais pour le développement de l'Afrique.
20:09 Il y a eu toujours l'esclavage avant.
20:11 Après l'esclavage, ils ont parlé de colonisation.
20:13 Après, ils ont essayé de parler d'indépendance.
20:16 Mais on n'est pas indépendants.
20:17 On parlait des violences que ça provoquait,
20:20 mais ça provoque aussi des migrations meurtrières, suicidaires.
20:24 Vous voyez, je ne connais pas ce monsieur,
20:26 qui est un syndicaliste sénégalais,
20:28 mais je me sens frère d'humanité avec lui.
20:30 Et je le comprends.
20:32 Parce que la violence, c'est la dernière arme du pauvre,
20:34 de celui qui n'a plus rien.
20:37 Souvent on dit, regardez, les gens mettent tout à feu et à sang.
20:40 Et quand vous en êtes là, c'est parce que vous êtes désespérés.
20:43 700 000 personnes vivent de la pêche au Sénégal.
20:46 Mais quand vous avez un petit bateau de 10 mètres
20:47 et qu'il vient affronter des bateaux de 150 mètres,
20:50 vous faites quoi ? Rien.
20:52 Et que vous voyez que les règles internationales
20:54 ne sont pas respectées, il vous reste quoi ?
20:56 Donc, je suis en désaccord avec vous en disant
20:59 la France serait un peu mieux que les autres.
21:01 Non.
21:02 Franchement, je vous le dis, c'est un désaccord politique.
21:05 Je ne crois pas.
21:06 Malheureusement.
21:07 Malheureusement.
21:08 Parce qu'on donne beaucoup de grandes leçons
21:10 de démocratie et de droit de l'homme.
21:12 Mais nous-mêmes, nous ne les respectons pas.
21:13 Combien d'entre...
21:14 Je vous ai pas coupé.
21:16 On s'est donné beaucoup de...
21:17 On se donne beaucoup de règles.
21:19 Mais on ne les respecte pas.
21:20 On ne respecte aucune.
21:22 Par exemple, Total Energy en Ouganda,
21:25 elle a expliqué aux Ougandais, aux Ougandaises
21:26 qu'ils respectent le droit qu'on s'est donné.
21:29 Et dites ça dans les yeux ici sur ce plateau.
21:32 Personne ne croit ça.
21:33 Et les grandes entreprises françaises
21:35 dirigées du CAC 40, aucune,
21:37 lorsqu'on part en dehors de l'Union européenne,
21:39 ne respectent des règles.
21:41 Donc, malheureusement ça.
21:44 Et donc, j'en viens sur les migrations.
21:45 Ben oui, qu'est-ce que vous faites ?
21:47 Quand vous êtes désespérés,
21:48 que vous n'avez plus rien.
21:49 En fait, les grands bateaux,
21:51 qu'ils soient russes, chinois, turcs, français,
21:54 ou peu importe, vous pillent.
21:56 Vous n'avez plus rien à manger.
21:57 Qu'est-ce qui vous reste ?
21:59 La migration.
21:59 Et la migration, c'est toujours un arrachement.
22:02 Parce qu'on ne parle jamais de ça.
22:03 On parle toujours des conséquences.
22:04 Et on voit à la fin du film,
22:05 on a le témoignage.
22:06 Avec les extrêmes droits.
22:07 Vous permettez que je donne des chiffres ?
22:08 Je finis juste ça.
22:09 Oui, oui, mais c'est pour alimenter votre propos.
22:11 J'ai regardé les chiffres officiels
22:12 de l'émigration des Sénégalais
22:14 vers les pays de l'OCDE,
22:15 et elle est en constante progression depuis 20 ans,
22:17 en tout cas jusqu'en 2019.
22:18 Le nombre d'entrées annuelles de ressortissants sénégalais
22:20 dans les pays de l'OCDE
22:21 a plus que doublé entre 2000 et 2010.
22:24 Entre 2000 et 2010, ils sont passés de 9 700
22:26 à près de 20 000 et à 23 500 en 2019.
22:29 Et là, ce sont des chiffres officiels.
22:31 Je n'ai pas à vous poser une question,
22:32 Madame Zidoussi.
22:34 Nous avons des enfants.
22:35 Si on n'avait plus rien à manger,
22:37 est-ce que vous croyez qu'on part de guettée de cœur
22:39 pour traverser la moitié de l'Afrique,
22:41 à un radeau de fortune
22:42 pour traverser la Méditerranée
22:43 qui est un cimetière géant,
22:44 et arriver ici où on n'a pas une crise de l'immigration,
22:47 on a une crise de l'accueil ?
22:49 Nous leur devons solidarité et fraternité.
22:51 Parce que ce que nous faisons en train de les piller,
22:53 c'est ça qui conduit à ce que des hommes et des femmes
22:56 traversent l'Afrique dans ces conditions-là.
22:58 Donc il faut reposer tout à plat et j'en reviens.
23:00 C'est des nouvelles coopérations.
23:01 Vous me disiez tout à l'heure,
23:03 ce n'est pas respecter les accords économiques.
23:04 Mais moi, je conteste tout ça.
23:06 Je pense que ça, ça nous entraîne dans le mur.
23:09 Ça, ça fait monter le populisme et l'extrême droite partout.
23:13 Vous aviez raison tout à l'heure et je partage votre analyse.
23:15 Oui, la situation du Buesc, c'est qu'a priori,
23:17 donc vous me confirmez le terme, on pille leurs ressources,
23:20 ils partent de leur pays pour venir s'alimenter
23:24 là où ils peuvent, c'est-à-dire potentiellement en Europe
23:26 et des politiques se plaignent du fait qu'ils arrivent en Europe.
23:28 C'est-à-dire qu'on est vraiment dans une situation du Buesc.
23:31 Complètement et c'est effectivement, nous,
23:33 les retours de terrain qu'on a de l'Afrique de l'Ouest.
23:36 C'est que la plupart des migrants
23:40 provient du manque d'alimentation sur la côte.
23:43 Alors historiquement, il y a toujours eu,
23:45 c'est vrai en Afrique de l'Ouest, c'est vrai en Afrique de l'Est,
23:47 en Asie, on a des migrations vers la côte
23:49 parce que le poisson est gratuit.
23:51 On n'a pas besoin d'avoir des licences, etc. pour aller le pêcher.
23:54 Donc, c'est déjà une première migration intra-pays
23:57 pour accéder à une ressource alimentaire
23:59 qui est normalement abondante et gratuite.
24:02 Mais ensuite, une fois que ça, ça a été pillé,
24:04 il reste la migration en dehors
24:06 et donc cet arrangement dont vous parliez.
24:09 Et donc, nous, tous les collègues qui travaillent sur le terrain,
24:12 y compris aussi en sciences sociales,
24:13 qui nous parlent des migrations africaines,
24:15 c'est quasiment tout le temps lié à un pillage des ressources naturelles.
24:19 Le poisson, mais pas que, c'est minier, c'est forestier.
24:22 Les exemples sont vraiment...
24:23 Oui, là, on prend l'exemple des ressources halieutiques,
24:25 mais il n'y a pas que ça.
24:26 Alors, le grand paradoxe, c'est que dans le film "Le Monde",
24:29 il y a eu quand même un début de transformation
24:31 sur place de la ressource halieutique.
24:34 Il y a eu des usines qui ont été faites au Sénégal.
24:36 Et souvent, le problème de l'Afrique, c'est qu'on ne transforme pas.
24:39 On vend les matières premières, il y a peu de textiles.
24:42 Le bois du Gabon, il est exporté, pas transformé.
24:44 Il y a eu un début de changement.
24:47 Et là, quand j'ai vu le film, je me suis dit, tiens, c'est intéressant,
24:49 les usines de poisson, mais en fait, c'est pire.
24:51 C'est ce qu'on découvre dans le film.
24:52 C'est pire parce qu'on découvre que ça a été une transformation
24:55 et un modèle qui n'a pas pris en compte l'impact social sur les populations.
25:00 Et donc, c'est ça le problème, c'est-à-dire dans le développement économique de l'Afrique,
25:06 qui est une nécessaire transformation parce que tant que les matières premières
25:09 partiront à l'extérieur sans transformation locale, ça ne dira pas.
25:12 Il faut aussi faire attention.
25:14 Visiblement, le chemin qui a été pris est mauvais ou en tout cas,
25:18 n'est pas suffisant puisque ça a eu un impact négatif.
25:20 Moi, je reviens du Bénin, il y a un gros projet pour transformer la matière textile
25:26 en créant des usines textiles à côté de Cotonou.
25:29 J'ai vu qu'au Gabon, ils ont transformé depuis 10 ans le bois
25:33 parce qu'auparavant, il s'exportait de façon brute.
25:36 Donc, c'est le chemin à suivre.
25:37 Mais attention, on voit bien que dans l'exemple du Sénégal,
25:40 ça peut parfois aller faire fausse route.
25:42 Et vous me faites parfaitement ma transition et je vous donne la parole juste après,
25:44 Ousmane Ndiaye, cette question des usines de farine de poisson,
25:48 là aussi qu'on découvre dans le film, qui nous pose cette question.
25:51 Est-ce qu'on ne doit pas revoir carrément tout notre modèle alimentaire
25:54 et notre modèle industriel ?
25:56 Je vous pose la question, on fera un tour de table sur le sujet,
25:57 mais regardons à nouveau un extrait sur cette situation folle.
26:01 Avec la farine de poisson, il n'y a pas de gestion durable.
26:04 Gestion durable ne rime pas avec installation d'usines de farine de poisson.
26:07 C'est contradictoire.
26:09 Autre chose, le Sénégal fait la subvention sur la pêche.
26:12 Par exemple, le carburant.
26:14 On rabaisse le carburant pour permettre à ce pêcheur-là
26:16 d'aller quand même pouvoir avoir du poisson à vendre.
26:19 Et ce pêcheur prend le poisson sénégalais
26:22 et le vend à une usine de farine de poisson
26:24 qui va l'exporter en Europe
26:26 pour nourrir le saumon européen qui va nourrir l'Européen.
26:31 Donc, aujourd'hui, c'est la subvention sénégalaise
26:33 qui contribue à nourrir les Européens.
26:36 Un pays qui dépend de l'aide publique au développement européen pour vivre.
26:41 Ousmane Ndiaye, ce film nous montre paradoxe sur paradoxe.
26:45 On doit se penser pour se demander si c'est vrai ou pas.
26:48 Et puis ça m'amène à dire quelque chose que je pense important.
26:52 Le débat sur qui est pire est absolument indécent.
26:55 Vraiment, il faut évacuer cette partie du débat.
26:58 Ça ne sert à rien de savoir entre les Chinois et les Russes qui est le pire.
27:01 Mais si, c'est ce qu'on entend.
27:02 Mais non, on ne va pas chercher le meilleur dans le pire.
27:06 Non, mais cherchons le meilleur partenaire.
27:07 Donc, à partir de partenaires, si un est pire que l'autre, on choisira le meilleur.
27:10 Non, mais là, on parle de destruction.
27:12 Le résultat est toujours des destructions.
27:13 Là, on est en train de dire dans la destruction, qui destruit ?
27:16 Avec quelle méthode ?
27:18 C'est pas possible, ce débat.
27:20 En fait, on viole nos propres principes.
27:23 L'Occident, l'Union européenne, viole ses propres règles.
27:27 On ne peut pas être dans une logique de dire...
27:30 On ne peut pas poser le débat sur...
27:32 Oui, l'Union européenne, au moins, elle a des règles, elle les viole,
27:35 au moins, elle a des règles.
27:36 Mais ça n'a pas de sens.
27:38 Mais alors, juste, Ousmane Ndiaye et tous, je vous pose la question à tous.
27:41 Pardon, non, ça y est, vous avez déjà un peu répondu.
27:44 Je voudrais juste qu'on en vienne un peu aux solutions.
27:46 Est-ce que les solutions viendraient alors ?
27:48 D'où ma question sur nos modèles alimentaires et nos modèles industriels.
27:50 Est-ce que la solution ne doit pas venir de nous, consommateurs ?
27:53 Ce poisson, ces farines de poisson qui servent à nourrir les saumons,
27:57 dont peut-être beaucoup de Français se délectent quand ils mangent des sushis le midi.
28:00 Est-ce que le problème viendrait de là ?
28:02 Est-ce que c'est au moment de la consommation qu'il faut se poser des questions ?
28:04 En fait, il y a des choses très simples.
28:06 Il faut resituer les choses dans notre quotidienneté de chacun d'entre nous.
28:09 S'il vous plaît.
28:10 On peut manger du poisson national sénégalais qui s'appelle le tchof
28:14 parce qu'on les prive des Sénégalais.
28:16 Moi, quand j'étais jeune, j'ai grandi au Sénégal jusqu'à 22 000,
28:20 dans le plat national, il y a ce qu'on appelait les poissons nobles.
28:24 C'est-à-dire, on le mangeait tous les jours à midi.
28:25 Aujourd'hui, aucun Sénégalais n'a, enfin, à moins les privilèges,
28:29 ils ne peuvent pas.
28:30 Par contre, à Paris, ce poisson, je le retrouve à Paris.
28:33 C'est-à-dire, au Sénégal, si vous allez sur le quai de pêche, etc.,
28:36 vous ne pouvez pas trouver du tchof, difficilement.
28:38 Par contre, vous venez dans n'importe quel supermarché ici,
28:41 ou dans n'importe quel marché de France,
28:42 vous le trouvez facilement, et parfois même, paradoxalement,
28:45 à un prix plus abordable au Sénégal où c'est pêché.
28:49 C'est ça, la réalité.
28:50 Donc, la réalité, c'est que, quoi ?
28:51 Les solutions sont entre les mains des consommateurs,
28:54 oui ou non, chacun d'entre nous, non ?
28:56 Fabien Guay, non ?
28:57 Non, c'est le système.
28:58 Non, je suis désolé.
28:59 Mais est-ce que ça ne doit pas commencer par nous, par nos comportements ?
29:02 Là, c'est trop facile de dire,
29:04 chaque consommatrice et consommateur, c'est un système.
29:07 Moi, je combat, ça s'appelle le capitalisme.
29:09 D'accord ? C'est ça, la réalité.
29:11 Donc, tant que vous n'aurez pas chargé cela,
29:13 le rapport économique,
29:15 tant qu'on n'aura pas fondé non plus sur la compétition,
29:17 mais sur la coopération, moi, je ne crois pas...
29:20 Les socialistes ne faisaient pas mieux non plus.
29:21 Mais, bon, ça, c'est votre...
29:22 Bah si, il y a eu...
29:23 C'est assez bon, mais moi, je pense que, par exemple,
29:26 la vision, ce n'est pas que l'Afrique s'industrialise
29:29 pour rentrer dans la compétition internationale,
29:32 et donc, en réalité, fabriquer de la farine,
29:34 et toujours plus de farine pour la vendre.
29:36 Non, qu'ils puissent manger leurs propres poissons,
29:39 ce que vous dénoncez très bien.
29:40 C'est que, moi, je suis pour la relocalisation
29:43 d'un certain nombre d'industries,
29:44 que la relocalisation de l'agriculture.
29:46 Donc, c'est ça, la véritable question.
29:48 Et qu'on est sur un mode de coopération.
29:50 Et bien avant le capitalisme ou le communisme,
29:53 il y avait des échanges, depuis le Moyen-Âge.
29:56 Donc, on nous dit, aujourd'hui,
29:57 il n'y a que les traités de libre-échange,
29:59 et il faut avoir toutes ces règles-là.
30:01 C'est faux.
30:01 On avait de l'échange,
30:05 on peut avoir des échanges basés à égalité.
30:07 C'est ça qu'il faut retrouver.
30:08 Alors, bien sûr, c'est difficile,
30:11 mais moi, je ne suis pas pour qu'on fasse peser
30:13 la responsabilité sur le consommateur ou la consommatrice.
30:16 C'est un système qui est complexe,
30:18 de domination à plusieurs échelles,
30:20 et qui s'appelle le capitalisme.
30:21 Mais est-ce qu'on ne peut pas être les lanceurs d'alerte ?
30:23 Est-ce qu'on ne peut pas être boycottés,
30:25 commencer par boycotter ces poissons qu'on mange ?
30:28 Non, on est les lanceurs d'alerte,
30:29 mais après, maintenant, il faut agir au niveau européen
30:31 et international pour changer les règles du jeu.
30:32 Tu n'arrives pas à boycotter les poissons qu'on mange.
30:34 Je veux dire, si les Africains ont le droit de vendre
30:37 et d'exporter, exporter sur le principe,
30:40 il ne faut pas être contre le principe d'exporter.
30:42 On voit qu'ils se font arnaquer.
30:43 Simplement, on voit bien que, tel que c'est parti,
30:46 notamment au Sénégal, c'est mal parti.
30:48 Le problème, c'est sans doute, je n'ai pas étudié la question,
30:50 mais le prix d'exportation.
30:51 Si la farine de poisson se vendait très, très chère,
30:55 avec l'argent de l'exportation, le Sénégal pourrait peut-être
30:57 faire autre chose.
30:58 Si on arrive à cette situation-là,
31:00 c'est que l'exportation se fait sans doute à bas prix.
31:02 Donc, il ne faut pas être contre l'exportation.
31:04 C'est au contraire, ce qui a permis à des pays de se développer.
31:08 On n'est pas contre.
31:08 Personne n'a dit qu'il fallait être contre l'exportation.
31:10 Simplement, c'est le type d'exportation et le modèle qui est à voir.
31:14 Et effectivement, tel qu'il est décrit, ce modèle est absurde.
31:18 C'est le trajet de la mondialisation aussi qui est absurde.
31:20 Les farines pour nourrir nos élevages,
31:24 avec un coût écologique absolument dingue.
31:27 Donc simplement, le système, il est...
31:29 Mais par où on commence ?
31:31 On commence par la volonté politique.
31:33 Là, je vous rejoins parfaitement là-dessus aussi.
31:37 Personnellement, je ne connais personne qui se lève le matin en disant
31:40 "Ah, aujourd'hui, je vais détruire la planète"
31:42 ou enlever le tchioff de la bouche des Sénégalais.
31:44 Ça n'existe pas.
31:45 Donc, il y a un énorme déficit de pédagogie, c'est sûr.
31:48 Et merci de faire cette émission sur les accords de pêche.
31:52 On en parlait en amont de l'émission.
31:53 Mais c'est un sujet qui est colossal,
31:55 qui a des implications sur la stabilité politique,
31:57 l'économie, la migration, etc.
31:59 L'environnement, personne n'en parle.
32:02 Donc, il faut que ce sujet-là vienne maintenant sur le dessus de la table.
32:06 Mais ce n'est pas les consommateurs qui vont changer.
32:08 Les consommateurs, ils mangent ce qu'il y a dans les supermarchés
32:11 parce que ça y est.
32:12 Et c'est dans le supermarché
32:13 parce que le système est complètement corrompu et permet justement...
32:16 Si demain, on arrêtait d'acheter des poissons,
32:18 les industriels ne changeraient pas tout simplement leur pratique ?
32:20 Je ne veux pas le boycott,
32:21 mais quand même, je pense que le consommateur
32:23 est aussi un citoyen, un électeur.
32:24 Moi, je pense qu'aussi, les consommateurs-citoyens ont un rôle ici.
32:28 C'est dans la prise en compte dans le débat politique.
32:32 Parce que, comme tu dis, du point de vue politique,
32:35 cette question n'existe pas dans le débat politique français.
32:38 Et c'est ça le problème.
32:39 Et c'est là où les citoyens ont quand même un enjeu de responsabilité.
32:42 Et tant qu'on les consommera...
32:43 Mais nous, l'association Blum, on gagne nos combats grâce aux citoyens.
32:47 Parce qu'on fait de la pédagogie,
32:48 parce qu'on utilise aussi nos relations avec les médias
32:50 pour faire pression sur les décideurs politiques.
32:53 Donc effectivement, les citoyens, mais pas les consommateurs,
32:55 les citoyens, ils ont un rôle pour faire pression sur les politiques.
33:00 Mais je reprends juste un exemple qui est...
33:02 Oui, sauf que souvent, notre seule arme de citoyens, c'est la consommation.
33:05 Pas que.
33:05 La carte d'électeur, quand même.
33:07 On peut voter, on peut voter la carnelle.
33:09 Et la consommation, c'est tous les jours.
33:10 C'est tous les jours.
33:11 Mais par exemple, là, un des éléments qui est ultra marquant,
33:14 je trouve, dans la séquence que vous venez de passer,
33:17 c'est que les pays d'Afrique subventionnent l'économie européenne.
33:19 Ben oui.
33:20 Et c'est dingue, mais ça, c'est pas vrai que pour le Sénégal.
33:23 Au Seychelles, on a où la plus grosse flotte de pêche tonnière européenne est basée.
33:28 Et donc, tout le thon qui est transformé là-bas,
33:30 alimente le marché européen, ces petits navires se piquaient, etc.
33:34 Les navires européens qui font 90, 100 mètres, 110 mètres de long,
33:40 payent moins cher le carburant que les pêcheurs artisans locaux.
33:43 On est dans un système qui est délirant.
33:45 Ça, c'est pas le consommateur qui va forcément tout changer.
33:47 Il a son rôle à jouer avec les lanceurs d'alerte, etc.
33:51 pour aussi, avec sa carte d'électeur, avec son téléphone,
33:54 mettre la pression sur les décisions politiques.
33:56 Mais c'est la France, c'est l'Espagne, c'est la Commission européenne, c'est la Chine.
34:00 Rapidement, Fabien Guay, pour conclure.
34:02 Pour conclure, Madame Fiducci, chaque citoyen ou citoyenne est un électrice,
34:06 un électeur, un consommateur, une consommatrice.
34:08 Mais vous et moi, on a le choix.
34:11 Quand je dis ça, c'est parce qu'on en a les moyens
34:12 et on peut se permettre, sur la question alimentaire,
34:15 de payer plus cher un produit parce qu'il est local,
34:18 parce qu'il est d'agriculture biologique.
34:21 Mais moi, j'habite Blanc-Ménil, dans une ville extrêmement populaire.
34:24 Et les gens, en réalité, ils n'ont pas le choix.
34:27 Parce que les salaires et les pensions de retraite sont tellement basses
34:29 qu'entre plusieurs kilos de tomates, ils prennent le moins cher.
34:32 Et malheureusement, parfois et souvent, ils ont conscience
34:35 que cette tomate a fait trois fois le tour du monde.
34:37 Sauf que quand elle est à 1 euro et que les autres sont à 4 euros,
34:40 on va à 1 euro.
34:41 Donc, c'est pour ça que je vous dis de dire facilement
34:44 "bon, mais chaque consommateur a égalité avec tous,
34:47 il peut se permettre et si c'était nous".
34:49 Non, c'est un système qui conduit à ça.
34:51 En réalité, pour beaucoup, ils n'ont pas le choix.
34:54 C'est ça qu'il faut avouer.
34:55 Un dernier mot très rapide Thierry Fabre.
34:56 Un mot qu'on n'a pas vraiment développé, qui est essentiel,
34:58 c'est la stratégie économique des Etats.
35:01 C'est-à-dire que des Etats africains,
35:02 ils doivent transformer leurs ressources sur place.
35:05 Certains l'ont fait, plus ou moins bien.
35:07 Mais en tout cas, avant de dénoncer le système global,
35:10 c'est essayer localement d'avoir une stratégie qui puisse marcher.
35:15 On a vu, celle-là ne marche pas, mais d'autres, en tout cas, c'est le point.
35:18 Et pour répondre à mon voisin, ce qui est important
35:21 quand on compare les relations avec France ou avec la Chine,
35:24 c'est qu'en France, quand Total fait un projet,
35:26 il y a quand même un contrôle démocratique des ONG qui peuvent dire
35:30 "ce qui est fait en Ouganda n'est pas bien, en Chine, ça ne marche pas".
35:33 Non, mais c'est quand on ne relancera pas le débat.
35:35 Merci, merci beaucoup à tous les quatre.
35:38 C'est la fin de cette émission.
35:39 Merci à vous de nous avoir suivis, comme chaque semaine.
35:41 À très bientôt sur Public Sénat.
35:43 Ça ne s'arrête pas, c'est pas grave.
35:45 [Musique]

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